21 juillet 2017

Les chantiers fiscaux du Président

Le Gouvernement d’Edouard Philippe a ouvert en quelques semaines plusieurs chantiers fiscaux et a, après quelques tergiversations, décidé de traduire en actes quelques-uns des engagements de campagne d’Emmanuel Macron. Au niveau des augmentations d’impôt, le relèvement de la fiscalité écologique pour 2 milliards d’euros et celle des droits sur les tabacs de 500 millions d’euros ont été annoncés.

Compte tenu des déclarations du Premier Ministre et du Ministre des Comptes Publics, les prélèvements devraient baisser de 11 milliards d’euros en 2018. Une majorité des réductions d’impôt proviendront de mesures adoptées sous la précédente législature et dont l’application avait été reportée à 2018. Il s’agit notamment de l’élargissement du CICE qui réduira les prélèvements sur les entreprises de 4 milliards d’euros et du crédit d’impôt en faveur des retraités concernant l’emploi d’un salarié à domicile.

Les principales diminutions d’impôt décidées par le nouveau Gouvernement concernent la taxe d’habitation (3 milliards d’euros), l’ISF (3 milliards d’euros) et la Flat Tax sur les revenus de l’épargne (1 milliard d’euros). A ces mesures, il faut ajouter celles visant l’impôt sur les sociétés, la taxe sur les salaires et les taxes financières. Pour certaines d’entre-elles, le calendrier d’application n’a pas été encore précisé.

Détail des mesures prévues

 

Un impôt sur les sociétés de plus en plus marginal

Le taux de l’impôt sur les sociétés qui est de 33,33 % devrait passer d’ici à 2020 à 28 % et ramener à 25 % en 2022 afin de se situer dans la moyenne européenne. Depuis le 1er janvier 2017, les PME sont déjà soumis au taux de 28 % pour une fraction de leurs bénéfices. Cette fraction sera portée de 75 000 à 500 000 euros au 1er janvier 2018. Le rendement de l’impôt sur les sociétés est réduit par l’étroitesse de l’assiette et par la multiplication des crédits d’impôt. Le coût du CICE a été, en 2016, de 11,7 milliards d’euros. Ainsi, contrairement à quelques idées reçues, le poids de l’ISF est plus faible en France qu’au Royaume-Uni ou qu’aux États-Unis, malgré un taux plus élevé. L’harmonisation des assiettes fiscales, en Europe, souhaitée depuis des années, est restée, pour le moment, lettre morte.

 

Rendement de l’IS en milliards d’euros

  2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
Rendement net 62,6 55,1 51,4 53,0 41,3 47,2 35,3 33,5 30,0

En milliards d’euros – source Ministère des Finances

 

Un ISF allégé de plus de 50 %

L’ISF est actuellement acquitté par un peu moins de 350 000 contribuables dont le patrimoine déclaré dépasse 1,3 million d’euros. Le taux de cet impôt varie de 0,5 à 1,5 %. Ce tarif s’applique pour la fraction du patrimoine qui est supérieure à 800 000 euros.

Rendement de l’ISF en milliards d’euros

 

  2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
Rendement net 3,6 4,5 4,3 5,0 4,4 5,4 5,2 4,8

 

La réforme annoncée pourrait réduire le poids de l’ISF de 62 %. Il conviendra de connaître le sort réservé aux titres « pierre-papier » (SCPI et OPCI) pour apprécier l’ampleur de l’exonération.

 

La Flat Tax à 30 %, une idée simple mais pas facile à appliquer

Le Gouvernement entend remplacer le régime d’imposition des revenus du patrimoine par un taux de prélèvement forfaitaire unique (IFU) d’environ 30 %. Pour l’assurance-vie, seuls les revenus issus de versements postérieurs à la présentation ou à l’adoption de la loi de finances pour 2018 seraient concernés, sous réserve que les versements aient dépassé 150 000 euros.

Pour les produits de taux

Les ménages peuvent actuellement opter pour l’assujettissement au barème de l’impôt sur le revenu ou faire le choix de l’application d’un prélèvement libératoire de 24 %. Ce dernier est octroyé à la condition que les revenus issus des produits de taux ne dépassent pas 2 000 euros. Les contribuables choisissant le barème de l’impôt sur le revenu doivent s’acquitter d’un précompte, régularisé au moment de l’imposition des revenus correspondants. Dans les deux cas, il faut ajouter les prélèvements sociaux de 15,5 % (17,2 % au 1er janvier 2018 en cas d’adoption du relèvement). 5,1 points de CSG sont déductibles de l’impôt sur le revenu en cas d’impositions des revenus dans le cadre du barème.

Prélèvements sur les intérêts

 

Taux d’imposition IR TMI* 0 % TMI 14 % TMI 30 % TMI 41 % TMI 45 %
Option IR (prélèvements sociaux et IR) 15,5 % 28,80 % 43,97 % 54,4 % 58,21 %
Option prélèvement libératoire à 24 % dans la limite de 2000 euros 39,5% 39,5 % 39,5 % 39,5 % 39,5 %
Flat taxe à 30 % 30 % 30 % 30 % 30 % 30 %

*TMI : taux marginal d’imposition à l’impôt sur le revenu

La taxation des dividendes

Les dividendes sont, depuis 2013, soumis au barème de l’impôt sur le revenu (en bénéficiant d’un abattement de 40 %). La pression fiscale varie en fonction du taux marginal d’imposition appliqué au titre de l’IR. Elle passe ainsi de 15,5 % à 40,2 %.

La Flat Tax devrait s’accompagner de la suppression de l’abattement de 40 % et intégrer les prélèvements sociaux. 

Prélèvements sur les dividendes

 

Taux marginal d’imposition 0 % 14 % 30 % 41 % 45 %
IR + Prélèvements sociaux 15,5 % 23,18 % 31,97 % 38 % 40,02 %
Flat Tax à 30 % 30 % 30 % 30 % 30 % 30 %

 

La taxe de 30 % appliquée à l’assurance-vie

 

Option prélèvement libératoire

  Contrats de moins de 4 ans Contrats

de 4 à 8 ans

Contrats

de plus de 8 ans

Prélèvements sociaux 15,5 %

 

15,5 %

 

15,5 %

 

Prélèvement libératoire 35 % 15 % 7,5 %
Prélèvements fiscaux et sociaux

 

50,5 % 30,5 % 23 %
Flat Tax 30 % 30 % 30 %

 

Option impôt sur le revenu

 

Taux marginal d’imposition 0 % 14 % 30 % 41 % 45 %
Prélèvements sociaux 15,5 % 15,5 %

dont 5,1 points déductibles

15,5 %

dont 5,1 points déductibles

15,5 %

dont 5,1 points déductibles

15,5 %

dont 5,1 points déductibles

IR + PS 15,5 % 28,78 % 43,97 % 54,41 % 58,20 %
Flat Tax 30 % 30 % 30 % 30 % 30 %

 

Pour les contrats de plus de 8 ans, un abattement de 4 600 euros pour un célibataire et de 9 200 euros pour un couple est prévu. Le passage à la Flat Tax entraînera-t-il la suppression de cet abattement ?

La suppression de la 4e tranche de la taxe sur les salaires

La taxe sur les salaires est due par les employeurs non assujettis à la TVA (essentiellement le secteur financier). Il existe quatre taux pour cette taxe en fonction du montant des salaires. Le Gouvernement a l’intention de supprimer le taux de 20 % qui s’applique au-delà de 152 979 euros de salaire. Cette mesure vise à inciter les institutions financières installées à Londres de migrer vers Paris. Aucun calendrier n’a été avancé pour l’application de cette mesure.

La taxe sur les salaires qui est fortement critiquée depuis des années, a rapporté 13,5 milliards d’euros.

La réforme de la taxe sur les transactions financières

La taxe sur les transactions financière a été créée par la loi de finances rectificative pour 2012. Elle s’applique depuis le 1er août 2012 aux acquisitions de titres côtés émis par des entreprises françaises dont la capitalisation boursière est supérieure à 1 milliard d’euros. À compter du 1er janvier 2018, cette taxe est censée s’appliquer aux opérations d’achat et de vente d’un même titre au cours d’une même journée. Son taux est de 0,3 %. Cette taxe a rapporté 1,1 milliard d’euros en 2016. Le Gouvernement a indiqué que pour 2018 il supprimera la taxation des transactions intra-journalières.

La suppression de la taxe sur les dividendes de 3 %

La loi de finances rectificative pour 2012 a également créé une contribution de 3 % sur les dividendes distribués, à compter du 17 août 2012, par les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés, à l’exception des PME et des organismes de placement collectif. Cette taxe a été jugée illégale par la Cour de Justice de l’Union européenne car elle est contraire à la directive mère-fille. La France est susceptible d’être condamnée à hauteur de 5 milliards d’euros. Le Ministre de l’Économie a fait savoir que cette taxe qui a rapporté 1,8 milliards d’euros sera prochainement supprimée.

La refonte de la fiscalité locale

Le Président de la République a pris l’engagement d’exonérer 80 % de la population de la taxe d’habitation. Cette exonération entraînerait un surcoût pour l’État de 10 milliards d’euros. En 2018, une première étape serait conduite portant sur 3 milliards d’euros.

En 2016, les recettes issues de la taxe d’habitation s’élevaient à 21 milliards d’euros dont 5 milliards étaient pris en charge par l’État dans le cadre des compensations et des dégrèvements. La taxe d’habitation qui est affectée à la sphère communale a fortement progressé ces dix dernières années en raison de la montée en puissance des structures intercommunales. Dans les villes de plus de 100 000 habitants, la taxe d’habitation est en moyenne de 1000 euros. Elle peut, dans certaines communes, dépasser 2000 euros pour un trois pièces. Étant donné que 53 % des ménages sont exonérés d’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation est bien souvent le principal impôt direct acquitté.

Plusieurs mécanismes d’allègement de la taxe d’habitations sont en vigueur.

Sont ainsi exonérés de la taxe d’habitation les personnes qui se trouvent dans au moins, l’une de ces situations :

  • Être âgé de plus de 60 ans et ne pas avoir été soumis à l’ISF l’année précédente, être veuf et non soumis à l’ISF l’année précédente, être bénéficiaire de minimas sociaux (l’ASI, l’ASPA, être bénéficiaire de l’AAH ou être infirme ou invalide)
  • Ou habiter son logement seul, avec son conjoint ou son partenaire de Pacs, avec des individus à charge pour le calcul de l’impôt sur le revenu ou avec des personnes titulaires de l’ASPA ou de l’ASI et dont le revenu fiscal de référence l’année précédant celle au titre de laquelle l’imposition est établie ne dépasse pas un certain plafond. Pour 2017, le revenu fiscal de référence de 2016 ne doit pas excéder 10 708 euros pour la première part de quotient familial (12 138 euros pour 1,25 part et 16 426 euros pour deux parts).

 

Par ailleurs, les contribuables qui ne remplissent pas les conditions d’exonération mais dont le revenu de référence de l’année précédente est inférieur à un certain plafond peuvent bénéficier d’un dégrèvement partiel de leur taxe d’habitation. Le plafond de dégrèvement de taxe d’habitation 2017 est fixé en fonction de la situation de famille. Le dégrèvement partiel se traduit par un plafonnement de la taxe d’habitation à 3,44 % du montant du revenu de référence pris en compte, revenu diminué d’un abattement de taxe d’habitation variant en fonction de la taille du foyer fiscal.

La réforme de la taxe d’habitation version Emmanuel Macron

L’objectif est d’exonérer 80 % des redevables de la taxe d’habitation. La montée en puissance des dégrèvements devraient s’étaler sur 3 ans. La perte de recettes pour les communes et les groupements serait compensée par l’État. Évidemment, cela réduirait  à terme, les marges de manœuvre des collectivités. En effet, sur cette partie transférée, les communes n’auront plus la mainmise sur les taux. Cette réforme pourrait poser au moins un double problème de constitutionnalité. En effet, l’étatisation du principal impôt direct porterait atteinte au principe d’autonomie fiscale.

L’article 72-C de la Constitution de 1958 mentionne que « les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi. Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine. Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre. Tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi. La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales ».

La réforme de la taxe d’habitation crée également deux catégories de collectivités, celles qui auront la quasi-totalité de leurs habitants exonérés et celles dont moins de 50 % le seront. Par ailleurs, les contribuables non exonérés ne risquent-t-ils pas d’être transformés en variable d’ajustement ? Il y aura donc deux catégories d’habitants dans les communes, les assujettis et les non-assujettis. Certes, certains pourront mettre en avant que cela est déjà le cas pour l’impôt sur le revenu (43 % des ménages sont imposables).

Face aux contestations des élus locaux, le Président de la République a souhaité élargir le débat à l’ensemble de la fiscalité locale. Ainsi il a indiqué, lors de la conférence des territoires qui s’est tenue le 17 juillet dernier, qu’il souhaitait ouvrir dans le cadre d’une commission de travail « une réflexion profonde de la refonte de la fiscalité locale, et en particulier en substitution de la taxe d’habitation ».  Il a indiqué que le financement des collectivités locales pourrait s’appuyer sur un impôt national (la CSG par exemple).

Depuis les lois de décentralisation de 1982, la question du remplacement de la taxe d’habitation est engagée. Les impôts directs locaux sont jugés archaïques, injustes et inadaptés aux besoins des collectivités locales. Les valeurs locatives qui servent d’assiette n’ont pas été réellement recalculées depuis 1970. De ce fait, de nombreux logements sont classés sans confort quand bien même ils ont bénéficié de travaux de réhabilitation. Il y a donc de fortes disparités en fonction de l’âge du logement et de sa situation géographique. De plus les valeurs locatives, ne tiennent pas compte des capacités contributives des redevables. Les communes pauvres ne disposant pas d’activités économiques et accueillant des ménages modestes, sont contraints d’appliquer des taux élevés.

En 1991, la taxe d’habitation a failli, partiellement, disparaître au profit de la taxe départementale sur le revenu. Ce projet adopté par le Parlement fut abandonné en raison des transferts de charges qu’il occasionnait entre contribuables et entre collectivités.

Emmanuel Macron en suggérant que les collectivités locales puissent accéder à des impôts nationaux s’inspire du système allemand. En effet, en Allemagne, le système de financement des collectivités locales repose en partie  sur un système de péréquation visant à réduire les écarts de richesse entre-elles.

Cette péréquation se décline en trois niveaux de redistribution fiscale – une redistribution des impôts perçus collectivement – une péréquation verticale entre le Bund et les Länder – une péréquation financière horizontale entre Länder sans intervention du Bund. Les  communes reçoivent également une part des impôts communautaires attribués aux Länder (impôt sur le revenu, TVA et impôt sur les sociétés).