8 avril 2024

Tendances – cannabis – Chine – Europe

Le cannabis, une hypocrise française ?

De nombreux pays dont l’Allemagne, ces jours derniers, ont décidé de libéraliser dans certaines limites la consommation de cannabis. Cette libéralisation n’est pas sans lien avec la diffusion de plus en plus large de ce produit. Elle soulève des questions de santé publique et de sécurité. Pour le moment, la France maintient un régime d’interdiction même si, dans les faits, les poursuites judiciaires sont de moins en moins opérantes.

L’Allemagne, une législation libérale

Acheter du cannabis ou en cultiver chez soi pour sa consommation personnelle est autorisé en Allemagne depuis le 1er avril dernier. Chaque adulte sera autorisé à acheter 25 grammes de cannabis deux fois par mois maximum, pourra cultiver jusqu’à trois plants et détenir jusqu’à 50 grammes chez lui. En public, la consommation sera interdite dans les zones piétonnes de 7h à 20h et à 100 mètres des écoles. L’Allemagne a adopté la législation la plus tolérante d’Europe. Elle suit Malte et le Luxembourg qui ont légalisé le cannabis récréatif respectivement en 2021 et en 2023.

Une légalisation plus ou moins poussée dans une majorité d’États de l’OCDE

À Malte, à partir de 18 ans, il est ainsi possible de posséder jusqu’à sept grammes de cannabis et de cultiver jusqu’à quatre plants. Il est, en revanche, interdit de consommer du cannabis sur la voie publique, les contrevenants étant passibles d’une amende de 235 euros. La vente y est interdite. Au Luxembourg, les habitants ont la possibilité de faire pousser leurs propres plants de cannabis pour un usage récréatif. La vente et l’achat restent interdits. Les fumeurs de cannabis ne sont pour pas autorisés à détenir plus de trois grammes de cannabis et la consommation dans l’espace public demeure proscrite. Une amende de 145 euros est prévue à cet effet. Aux Pays-Bas, la commercialisation de la drogue n’a pas été légalisée. Une simple tolérance s’applique pour les drogues douces. Commerce, vente, production et possession de drogues sont punissables mais la vente en petite quantité de drogues douces dans les coffee-shops n’est pas poursuivie. Les citoyens ne sont pas poursuivis non plus s’ils sont en possession de petites quantités de drogues douces. Logiquement, dans les coffee-shops aux Pays-Bas, la vente est tolérée pour les seuls résidents d’une commune néerlandaise. Les mineurs ne sont pas autorisés dans les coffee-shops. Depuis le mois de  décembre 2023, les Pays-Bas ont engagé une expérimentation pour quatre ans dans plusieurs villes où les Néerlandais peuvent, pour la première fois, consommer du cannabis légalement. Elle devrait ensuite être étendue à d’autres régions du pays. La Suisse mène également des expérimentations depuis un an dans plusieurs villes où il est possible d’acheter du cannabis en pharmacie ou dans des lieux dédiés mis en place par la municipalité. La consommation dans l’espace public reste interdite et les produits fournis ne pourront pas dépasser une concentration de 20 % en THC, le principal composant psychoactif du cannabis. Leur prix est aligné sur celui du marché noir pour ne pas inciter à la consommation. Plusieurs pays européens, dont l’Autriche, l’Italie et le Portugal, ont commencé par dépénaliser la possession de petites quantités de cannabis. Depuis 2006, l’Espagne a accepté, non seulement la possession ou la consommation, mais aussi la culture du cannabis dans les lieux privés. La consommation en public reste toutefois interdite et les amendes peuvent aller de 601 à 30 000 euros. En 2020, le gouvernement italien a autorisé la production et la vente de cannabis « light » avec moins de 0,5 % de THC. Le Portugal a dépénalisé  la consommation et la détention de toutes les drogues en 2001, mais l’une et l’autre restent interdites. Aux États-Unis, près de la moitié des États ont légalisé le cannabis pour usage récréatif. Le Canada a fait de même en établissant un cadre réglementaire articulant logique de marché et impératifs de santé publique.

France, une réglementation stricte mais peu appliquée

La France est désormais un des pays les plus stricts en matière de drogue douce. Parmi les autres pays ayant maintenu une législation contre la consommation de la drogue douce figure la Hongrie. Dans ce pays, il n’y a pas de distinction entre les différentes drogues dans la législation, un consommateur peut risquer deux ans d’emprisonnement. Dans ce registre, il faut citer la Suède où la consommation et la détention sont assujetties à des peines pouvant atteindre jusqu’à trois ans d’emprisonnement. À Chypre, la peine peut s’élever à huit ans de prison.

En France, depuis 2020, la détention et la consommation de petites quantité de cannabis est un simple délit soumis à une amende forfaitaire pouvant aller de 200 jusqu’à 2 500 euros. Ce n’est plus un acte pénalement répréhensible même s’il y a inscription au casier judiciaire. Cette transformation en simple délit prend acte de la banalisation de la consommation.

La position française apparaît en décalage par rapport à celle de ses partenaires. Si le recours au cannabis médical a été autorisé dans une dizaine d’États en Europe, en France, une expérimentation a été simplement lancée en 2021. La consommation de cannabidiol (CBD), cet extrait de chanvre dénué d’effet enivrant mais auquel on prête des vertus relaxantes, a été autorisée en France après une décision de la Cour de Justice de l’Union européenne.  Dans un arrêt important rendu le 19 novembre 2020, cette cour a considéré que le CBD n’étant pas un stupéfiant et de ce fait l’interdiction de sa commercialisation en France était incompatible avec le régime de libre circulation des biens dans l’Union. Prenant acte de cette jurisprudence européenne, la Cour de cassation et le Conseil d’État ont admis la légalité du commerce de fleurs de chanvre ne contenant du THC qu’à l’état de traces.

350 000 amendes forfaitaires ont été dressées en France depuis septembre 2020 mais le taux de recouvrement est de 35 %. Les forces de l’ordre auront prochainement la capacité de procéder au règlement immédiat. A cette fin, ils seront, équipés de 5 000 terminaux de paiement. Il est fort probable que les détenteurs de drogue refusent le paiement immédiat. Actuellement, ces derniers donnent fréquemment de fausse adresse (37 %) pour échapper à l’amende. Le refus de paiement est pratiqué pour éviter une inscription au casier judiciaire. La Défenseure des droits recommande la fin de l’amende forfaitaire délictuelle car elle prive le justiciable d’un recours effectif au juge. Dans les faits, les amendes ne concernent qu’un nombre extrêmement réduit d’actes répréhensibles. Moins d’un sur 3 000 feraient l’objet d’une amende.

La politique répressive en France n’a pas freiné la consommation de drogues. Le pays compte un million de consommateurs quotidiens. Selon une étude de l’Observatoire français des drogues réalisée en 2022, plus de cinq millions de Français ont consommé du cannabis au moins une fois dans l’année. La verbalisation de la consommation et de la détention accapare 90 % de la dépense publique consacrée à la lutte contre cette drogue (les 10 % restants étant alloués au soin, à la prévention et à la recherche).

Le poids de l’industrie de la drogue

Aux États-Unis, la prohibition de l’alcool entre 1920 et 1933 a favorisé les mafias et a réduit les recettes publiques sans pour autant réduire la consommation. En France, le marché de la drogue représenterait ainsi environ 3 milliards d’euros, soit 0,1 point de PIB. L’INSEE retient le montant de la consommation minorée des importations. Ce montant est une évaluation reposant tout à la fois sur des sondages concernant la consommation de stupéfiants et les saisies de drogues. Selon le ministère de l’Intérieur, la France compterait 4 000 points de vente. Autrefois limitée aux grandes villes, la commercialisation s’opère désormais sur tout le territoire. Plus de 200 000 personnes travailleraient dans le secteur de la drogue. Le total des heures travaillées est évalué à plus de 30 millions par an. 10 à 15 % des dealers auraient moins de 18 ans. L’essor du trafic de stupéfiants a accéléré le processus de déscolarisation dans les quartiers dits prioritaires de la ville. Les trafiquants utilisent de plus en plus les techniques modernes de vente en recourant à Internet et, en particulier, aux réseaux sociaux. En 2022, les forces de police ont saisi 87 tonnes de résine de cannabis et 41 tonnes d’herbes. En ce qui concerne les autres drogues, les saisies ont également augmenté l’année dernière. 27,7 tonnes de cocaïne ont été saisies en 2022, 1,4 tonne pour l’héroïne. Les prises en matière de drogues de synthèses s’amplifient en lien avec l’augmentation de la consommation. Elles ont atteint 273 kg pour les amphétamines et méthamphétamines et plus de 1,5 million pour les comprimés d’ecstasy et de MDMA.

Pour certains, la légalisation favoriserait le passage aux drogues dures. Au sein des pays ayant franchi le pas, cette dérive n’a pas été réellement constatée. Pour d’autres, elle permettrait aux forces de police de se consacrer à la lutte contre les drogues dures. Elle mettrait un terme à la première source de revenus du milieu avec le risque du redéploiement de ce dernier vers d’autres activités. Il n’en demeure pas moins que la banalisation de la consommation du cannabis rend de plus en plus difficile le maintien d’une législation coercitive. La possibilité d’acheter et de consommer dans les pays frontaliers complique un peu plus la donne.

Chine, énergie, protectionnisme américain, le triple défi européen

En 2014, Xi Jinping avait été accueilli avec les honneurs à Duisburg, dans la vallée de la Ruhr en Allemagne. Les dirigeants allemands et chinois s’étaient félicités de la coopération entre leur deux pays. Récemment, l’arrivée d’un navire chinois BYD Explorer N°1 en Allemagne avec à son bord plus de 3 000 voitures électriques fabriquées par Byd a été fraîchement accueillie par les autorités locales. L’importation de véhicules chinois intervient au moment où les autorités allemandes tentent de sauver leurs constructeurs automobiles. Longtemps opposées aux aides aux entreprises, celles-ci sont en train de changer d’avis face à l’arrivée massive de voitures électriques chinoises. Sur ce sujet, le 5 mars, la Commission européenne a décidé qu’elle disposait de suffisamment de preuves pour déclarer que la Chine avait injustement subventionné ses fabricants de véhicules électriques, ouvrant ainsi la voie à une majoration des tarifs douaniers. Le Royaume-Uni a également engagé des poursuites contre des entreprises chinoises pour concurrence déloyale. L’Inde et le Brésil ont également adopté des mesures de protection de leur marché intérieur face aux importations chinoises.

Le modèle de croissance européen remis en cause

L’Europe, la première zone commerciale du monde, a construit sa prospérité depuis plus de cinquante ans sur les échanges commerciaux. Dans l’Union européenne, le commerce des biens et services représente 44 % du PIB, soit près de deux fois plus qu’aux États-Unis. La réglementation des échanges relève de la compétence exclusive de la Commission européenne. L’Union européenne a été un des artisans de la création de l’Organisation Mondiale du Commerce en 1995 et hésite, aujourd’hui, à contrevenir aux règles internationales sur ce sujet. Le Royaume-Uni adepte de longue date du libre-échange adopte un comportement similaire.

L’essor des exportations chinoises de véhicules est d’autant plus durement ressenti en Europe qu’il intervient au moment où les prix de l’énergie sont en forte hausse, hausse provoquée par la guerre en Ukraine et par la transition écologique. La vague inflationniste a augmenté les coûts de production en 2022 et en 2023. Les États ont compensé les effets de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine en multipliant les mesures de soutien et de relance mais depuis un an, la restauration des équilibres budgétaires est à nouveau une priorité. Avec la hausse des taux d’intérêt, la croissance européenne s’est érodée depuis le milieu de l’année 2023. Le PIB de l’Union européenne n’a augmenté que de 4 % en termes réels depuis 2019, soit environ la moitié du rythme dont ont bénéficié les États-Unis. Au Royaume-Uni et en Allemagne, le PIB par personne a diminué ces quatre dernières années. Les prévisions officielles pour l’Union européenne et le Royaume Uni  tablent sur une croissance atone en 2024. Si la productivité continue de progresser aux États-Unis, elle diminue dangereusement en Europe. L’éventuelle élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis au mois de novembre prochain fait planer une menace sur l’économie américaine avec l’instauration de 10 points supplémentaires de droits de douane. les exportateurs européens seraient ainsi fortement handicapés pour leurs ventes sur l’un de leurs marchés les plus lucratifs. 20 des 27 États membres de l’Union ont enregistré, en 2023, un excédent commercial de marchandises avec les États-Unis. Le montant des exportations européennes vers ce pays dépasse 500 milliards de dollars.

L’Europe avait plutôt bien résisté à l’émergence de la Chine comme grande puissance commerciale. L’adhésion de cette dernière à l’OMC en 2001 s’était accompagnée de la diminution des barrières commerciales permettant l’exportation de machines-outils, de véhicules et de produits de luxe. Par ailleurs, au même moment, l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale à l’Union européenne avait permis une réduction des coûts de production et accru la demande adressée aux entreprises de l’Ouest de l’Europe. Comparativement, les entreprises américaines avaient été plus touchées par l’adhésion de la Chine à l’OMC.

Du défi chinois au défi énergétique, les industries européennes en première ligne

La situation en 2024 est tout autre. L’Europe a perdu une partie de ses débouchés à l’Est avec le blocus institué à l’encontre de la Russie en 2022 et se trouve confrontée à une augmentation de ses coûts de production. L’indice des prix à la production chinois, qui mesure les prix à la sortie de l’usine, est en baisse depuis 17 mois et se situe à peu près à son niveau de 2019. Le même indice pour l’Union européenne est près d’un quart supérieur à son niveau d’avant pandémie. Par ailleurs, la Chine entend être moins dépendante des importations occidentales. Elle se spécialise en outre, de plus en plus, sur des biens de haute technologie. La transition énergétique lui a permis de prendre pied sur le marché de l’automobile, marché où elle était jusqu’à maintenant plutôt absente. Les tensions commerciales avec, à la clef, la multiplication des sanctions, pèsent sur les échanges. L’Allemagne est la première victime de ce retournement avec une diminution de ses ventes de voitures de luxe et de machines-outils.

Le secteur automobile avec cinq grands groupes européens structure encore l’économie du Vieux continent. Il emploie plus de trois millions d’Européens. Malgré l’arrivée des marques japonaises dans les années 1980, les constructeurs européens dominaient jusqu’à maintenant le marché. En quelques années, les cartes ont été rebattues. Tesla a capté 20 % des ventes de voitures électriques. La marque américaine fait jeu égal avec Volvo ou Seat. Les constructeurs chinois ont pris plus de 4 % du marché. Les nouvelles immatriculations de véhicules grand public de marques chinoises ont plus que doublé entre 2022 et 2023. Selon les analystes de la banque UBS, les parts de marché mondiale des constructeurs automobiles « traditionnels » essentiellement européennes et américaines passerait de 81 % aujourd’hui à 58 % d’ici 2030. La Chine tend à dominer d’autres secteurs comme l’énergie qui étaient jusqu’à peu l’apanage des occidentaux. La Chine produit ainsi près des trois quarts des batteries au lithium. Elle détient 60 % des parts de marché des éoliennes selon le Global Wind Energy Council.

Pour l’Europe, le scénario le plus sombre serait la combinaison d’une augmentation des droits de douane américains et une montée des tensions commerciales avec la Chine. Selon une étude de l’Université de Bielefeld les exportations allemandes pourraient baisser, du seul fait de la hausse des droits de douane américains, de plus de 5 % d’ici 2028 avec une perte de PIB de 120 milliards d’euros.

Les chocs énergétiques chinois et Donald Trump sont susceptibles d’imposer une restructuration de l’économie européenne. Les entreprises européennes exposées à la concurrence chinoise sont contraintes de réduire leurs effectifs. Continental a supprimé plus de 1 000 emplois en 2023. Bosch a prévu de faire de même. La sidérurgie et la chimie sont obligées de s’adapter à une énergie plus chère et limitent leur production en Europe. Les consommateurs risquent également d’être touchés avec une augmentation des prix pour de nombreux biens. Les pays européens disposant d’une relative autonomie énergétique comme l’Espagne ou la Suède seraient avantagée par rapport à l’Allemagne. Des pays à faibles coûts de production comme la Pologne pourraient accueillir de nouvelles usines. Ce pays a déjà attiré près de 30 milliards d’euros d’investissements directs étrangers (IDE) en 2021 et 2022, et probablement autant en 2023. Ce montant est deux fois plus élevé que celui qu’elle recevait avant la pandémie. Les IDE représentent désormais 25 % des dépenses d’investissement de la Pologne, contre une moyenne d’environ 5 % dans les pays de l’OCDE.

Sans investissement et sans recherche, point de salut

Dans sa volonté de relocalisation industrielle, l’Europe bute sur la faiblesse de sa recherche. Les brevets dans les technologies de pointe sont déposés principalement par des entreprises américaines et chinoises. Les dépenses d’investissement dans le secteur des technologies de l’information et de la communication demeurent faibles en Europe. Selon une étude McKinsey, les États européens ont décidé de subventionner « le cloud computing »  à hauteur de 1,2 milliard d’euros mais cela ne représente que 4 % de l’investissement annuel d’Amazon Web Services. L’Union européenne est également entravée par le manque de fluidité de son marché des capitaux qui ne facilite pas le financement des entreprises. Privilégiée par de plus en plus de gouvernements, l’option du protectionnisme risque d’être contreproductive en augmentant les coûts et en donnant lieu à des mesures de rétorsion, sachant que la richesse de l’Europe dépend des échanges.