10 mai 2024

Tendances : Inde – dollar – Union européenne et CO2

Narenda Modi, un nouveau mandat pour quoi faire ?

Dans six semaines, Narendra Modi devrait remporter un troisième mandat de Premier ministre indien, consolidant ainsi son statut de responsable politique le plus important en Inde depuis Nehru. Narenda Modi a forgé ses succès électoraux grâce à une connaissance fine en conciliant mesures sociales et mesures favorables aux classes aisées sur fond d’idéologie nationaliste. Le Premier Ministre a exploité à son profit le déclin de l’idéal démocratique. Avec une croissance élevée, l’Inde semble devenir le nouveau modèle de l’économie mondiale depuis que l’étoile chinoise pâlit. Devant gérer la première puissance démographique mondiale (1,4 milliard d’habitants), Narenda Modi sera confronté dans les prochaines années à de nombreux défis : le risque de démondialisation au niveau des échanges, la multiplication des tensions régionales et mondiales notamment avec la Chine ou la Russie, les tensions sociales et les troubles politique récurrents en interne.

L’Inde enregistre depuis plusieurs années une croissance de 6 à 7 %, deux à trois points au-dessus de celle de la Chine. Elle est déjà la cinquième économie mondiale. Elle devance la France ; elle devrait se classer troisième d’ici 2027 en doublant le Japon et l’Allemagne. Les écarts en termes de PIB par habitant demeurent encore importants (41 000 dollars pour la France, 12 600 pour la Chine et 2 600 pour l’Inde en 2022 – source Banque Mondiale). Malgré le discours nationaliste, l’économie indienne s’est ouverte sur l’extérieur. Les entreprises américaines emploient 1,5 million de personnes en Inde. Son marché financier est le quatrième au monde, tandis que le marché de l’aviation se classe à la troisième place. En juin 2023, la compagnie aérienne indienne à bas coûts IndiGo a commandé 500 avions Airbus A320neo, soit le plus important contrat en volume jamais conclu dans l’aviation civile. Consciente de son poids, l’inde intervient de plus en plus dans les relations internationales. En acceptant d’acheter du pétrole russe, elle influe directement sur le cours du pétrole. Après les attaques des Houthis sur plusieurs navires à proximité du canal de Suez, l’Inde a déployé dix navires de guerre au Moyen-Orient.

Le gouvernement indien est convaincu que son pays ne sera pas une deuxième Chine. Le contexte économique et international a changé par rapport à celui qui prévalait dans les années 1990. La montée du protectionnisme, la segmentation des échanges, les tensions internationales obligent à travailler sur un nouveau modèle de croissance. Les pouvoirs publics concentrent leurs efforts sur les infrastructures censées unifier le pays. L’Inde compte désormais 149 aéroports, soit le double d’il y a dix ans. Elle construit 10 000 km de routes et augmente les capacités d’énergie solaire de 15 GW par an. En quelques années, le pays s’est doté d’un réseau de banques modernes et d’un système fiscal numérisé. La protection sociale a été également révolutionnée, des centaines de millions d’Indiens pauvres recevant à présent des paiements sous forme de transferts numériques. L’Inde a fait le pari du développement de l’exportations des services. Si celles concernant les biens manufacturiers sont  de plus en plus soumises à des restrictions, celles de services prospèrent. Ces dernières représentent pour l’Inde plus de 10 % de son PIB.  Les entreprises indiennes d’informatique vendent aux multinationales des services de recherche et de développement ainsi que des services juridiques ou comptables.

La pauvreté serait en fort recul en Inde. Selon les statistiques provenant du système numérique de la protection sociale, la proportion de la population vivant avec moins de 2,15 dollars par jour aux prix de 2017, une mesure mondiale de la pauvreté, est tombée en dessous de 5 %, contre 12 % en 2011. Mais, sur une population en âge de travailler d’un milliard, seulement 100 millions environ ont un emploi formel. La grande quasi-totalité de la population est condamnée à occuper des emplois occasionnels ou à être au chômage. Le taux de chômage est officiellement de 4 % mais le taux réel serait de deux voire trois fois plus élevé. L’Inde reste malgré tout un pays pauvre et essentiellement rural. Le développement économique se concentre dans quelques grandes agglomérations Mumbai, Delhi (16,3 millions), Calcutta, Bangalore, et Hyderabad. Malgré tout, une classe moyenne est en train d’apparaître en Inde. Le pays compte 60 millions de personnes gagnent plus de 10 000 dollars par an. D’ici 2027, 100 millions de personnes devraient être dans cette situation selon Goldman Sachs, la banques américaine dont 20 % des effectifs travaillent en Inde.

La croissance indienne est conditionnée à la poursuite d’un fort mouvement de création d’emplois. Le gouvernement fait le pari de l’essor du secteur informatique reposant sur un groupe d’industries d’exportation intervenant dans les secteurs de la finance numérique, l’alimentation et la défense. Les dépenses des salariés bien payés de ces industries alimenteraient la croissance et permettraient l’émergence de nouveaux emplois dans d’autres secteurs, de la construction à l’hôtellerie. L’instauration d’un véritable marché intérieur unique est nécessaire et contribuerait à accroître la productivité globale. L’instauration d’une protection sociale serait par ailleurs susceptible de réduire les tensions sociales et les importantes inégalités.

La question après les élections qui se posera sera l’après Modi. Âgé de 73 ans, le Premier Ministre risque d’être de plus en plus contesté et pourrait être tenté par une gestion de plus en plus autoritaire. Sa capacité à poursuivre les réformes, à maintenir la vie démocratique et à préparer sa succession seront les enjeux de son éventuel prochain mandat.

L’Union européenne en guerre contre le CO2

Dès son entrée en fonction, la Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, avait placé la lutte contre le réchauffement climatique au cœur de ses priorité. Elle avait ainsi déclaré au mois de juillet 2019 « notre défi le plus urgent est de maintenir notre planète en bonne santé ». La question environnementale demeure d’une criante acuité cinq ans plus tard. Les températures mondiales étaient 1,48°C plus élevées en 2023 que leurs niveaux à l’aire préindustrielle. Les premiers mois de l’année 2024 sont marqués par de nouveaux records de température. La vague inflationniste et la montée du populisme semblent placer au second plan la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Pour autant, l’Europe commence à récolter les fruits des politiques engagées ces dernières années.

Les émissions de gaz à effet de serre au sein de l’Union européenne ont diminué de 15,5 % en 2023, en grande partie grâce à la réduction des émissions de carbone provenant de la production d’électricité et de l’industrie. Les  États membres ont accru en cinq ans de 17 gigawatts (GW) la production d’électricité à partir des éoliennes et de 56 GW celle issues du solaire. La montée en puissance des énergies renouvelables s’accélère. Selon la modélisation de la Commission européenne, les émissions de gaz à effet de serre devraient se réduire de 88 % d’ici 2040, par rapport aux niveaux de 1990. L’objectif d’une réduction de 55 % prévu pour 2030 semble atteignable. Les  États membres de l’Union sont disposés à relever en 2040 leur objectif de réduction des émissions à 90 %. En développant l’énergie solaire depuis des années, l’Espagne bénéficie aujourd’hui d’un avantage comparatif se traduisant par un surcroit de croissance. Il en est de même pour le Portugal.

La rédution des émissions de gaz à effet de serre en Europe n’est pas sans lien avec la mise en place d’un prix du carbone. En 2023, les secteurs couverts par le système européen d’échange de quotas d’émission (ETS), tels que l’industrie et la production d’électricité, ont diminué leurs émissions de 47 % par rapport à 2005, date de lancement du système. Ce dispositif a été durci en 2023. Les secteurs ont l’obligation de réaliser de nouveaux efforts d’ici 2030. Entre 2024 et 2030, le nombre de permis d’émission diminuera de 4,3 % par an, contre 2,2 % les années précédentes. Cette diminution aboutit à une augmentation du prix de la tonne de carbone. Ce prix est, en 2024, d’environ 70 euros la tonne, contre environ 20 euros avant la pandémie. Les marchés à terme négocient actuellement les permis pour le début des années 2030 à plus de 80 euros la tonne. En 2040, plus aucun permis ne sera émis. En 2023, la Commission européenne a élargi le nombre de secteurs assujettis aux permis « carbone ». Le prix de la tonne de carbone pour ces secteurs a été plafonné à 45 euros pour trois ans afin de leur permettre de s’adapter. L’objectif des pouvoirs publics est une réduction des émissions de 42 % de la part de ces secteurs d’ici 2030 par rapport au niveau constaté en 2005. La délivrance de nouveaux permis sera suspendue pour ces secteurs après 2044. La taxation du carbone constitue une mesure efficace pour limiter les émissions mais elle rencontre l’hostilité croissante des entreprises voire des populations.

Bien malgré elle, la guerre en Ukraine a joué un rôle de catalyseur dans la lutte contre le réchauffement climatique. L’augmentation des coûts énergétiques a, en 2022 et 2023, contraint des entreprises industrielles à diminuer leur production, ce qui a eu un effet positif sur les émissions. Les entreprises ont été contraintes de réduire leur consommation d’énergie ou de fermer leurs chaînes de production. Cela a réduit les émissions des industries couvertes par les ETS de 5 % en 2022 et de 7 % en 2023. La hausse des prix du gaz et du pétrole a incité les  États membres à réorienter leur politique énergétique en faveur du renouvelable.

Même si depuis le début de l’année 2024, les ventes de véhicules électriques sont en recul, elles représentent néanmoins, plus de 13 % de l’ensemble des ventes en Europe. De leur côté, les véhicules hybrides représentent 25 % des ventes. Cette électrification relativement rapide du parc aura des effets positifs sur les émissions dans les prochaines années. La concurrence de plus en plus vive entre les différentes marques est susceptible d’amener des baisses de prix sous réserve que des mesures protectionnistes ne soient pas adoptées.

Pour être pleinement efficace, l’électrification des activités suppose une interconnexion de tous les réseaux en Europe. La production d’électricité à partir des énergies renouvelables étant plus aléatoire que celle issue des énergies carbonées, il est important que les différents sites de production soient reliés par un réseau performant. Le nucléaire français, l’éolien danois, le solaire espagnol et l’hydroélectricité norvégienne sont complémentaires. Un marché européen de l’électricité entièrement connecté pourrait réduire les besoins d’investissement en matière de stockage et de capacité de secours de 20 à 30 %, selon des études récentes mentionnées par le centre de réflexion, Bruegel. Les investissements à réaliser sont importants. L’Europe éprouve quelques difficultés à accroître ses capacités de production d’électricité. En dix ans, celles-ci n’ont augmenté que de 20 % contre plus de 27 % en Chine. L’idée d’un financement européen des dépenses énergétiques a été évoquée mais ne fait pas, pour le moment, l’objet d’un consensus au sein de l’Union. Néanmoins, le 11 avril dernier, le Parlement européen a adopté une réforme du marché de l’électricité visant à harmoniser les règles en vigueur dans les États membres.

L’Union européenne, depuis une dizaine d’années, se veut être en pointe dans la lutte contre le réchauffement de la planète. L’enjeu est tout à la fois climatique et économique. La décarbonation des activités économiques est une mutation industrielle. Les États-Unis qui après avoir, un temps, figuré parmi les climatosceptiques ont, avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, décidé de rattraper leur retard. Avec notamment l’Inflation Reduction Act, ils ont décidé d’utiliser la lutte contre les émissions des gaz à effet de serre comme un levier de réindustrialisation du pays. L’Europe a emboité le pas avec le plan Next Generation et son Pacte vert. Cette surenchère climatique de la part des grandes puissances économiques n’est pas sans danger car elle s’accompagne d’une montée du protectionnisme dont les pays émergents et en développement sont les principales victimes.


« Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème »

(citation de John Bowden Connally, Secrétaire du Trésor de Richard Nixon)

La fin du dollar est une antienne contredite par les faits depuis des décennies. Ces dernières années, nombreux ont été les experts et les investisseurs à parier sur le déclin de la monnaie américaine. Pour justifier leur prédiction, ils mettent en avant les tensions politiques internes croissantes, la dette publique gargantuesque ou la tentation de plusieurs pays de dédollariser leur économie.

Entre le 1er janvier et la fin du mois d’avril, le dollar s’est apprécié de plus de 4 % par rapport aux autres grands monnaies (source LSEG – Workspace – panier de devises pondéré par les échanges commerciaux). Le yen est à son plus bas niveau depuis 34 ans face au dollar. L’euro est tombé en-dessous de 1,07 dollar contre 1,10 dollar en début d’année. La forte croissance de ces derniers trimestres et le rôle de valeur refuge des  États-Unis ont eu raison des oiseaux de mauvais augure.

La force de l’économie, un atout pour le dollar et vice versa

Fin 2023, le PIB américain était 8 % plus élevé qu’à la fin 2019. Ceux du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne et du Japon ont progressé de moins de 1,7 %. Les capitaux étrangers sont attirés par la vitalité de l’économie américaine et par des taux d’intérêt élevés. Le dollar demeure la monnaie de réserve par excellence (60 % des réserves en dollars, contre 20 % en euros). La dédollarisation reste une pétition de principe. Mêmes les oligarques russes, continuent à acquérir du dollar en recourant à de multiples sociétés écrans. Le rôle du dollar permet aux États-Unis de supporter un important déficit de la balance des paiements courants, comblé par les apports de capitaux.

La hausse du dollar réduit le coût des importations et par ricochet l’inflation qui demeure supérieur au 2 % cible. L’appréciation du dollar, a en revanche, des effets déstabilisateurs pour les pays émergents et en développement endettés en cette monnaie. Elle renchérit le coûts des remboursements en capital et en intérêts, ces derniers étant également en augmentation. Le FMI a souligné que la hausse du dollar était susceptible de provoquer des tensions financières au sein de nombreux pays.

Une dépréciation du dollar est-elle possible ?

Une coordination internationale pourrait être imaginée afin de peser sur le cours du dollar. Le Japon possède actuellement 1 300 milliards de dollars, l’Inde 643 milliards de dollars et la Corée du Sud 419 milliards de dollars. Le 16 avril dernier, les ministres des Finances des États-Unis, du Japon et de la Corée du Sud ont ainsi publié une déclaration commune exprimant leur inquiétude face à la chute du yen et du won. Des ventes conjointes de réserves de change pourraient être réalisées pour empêcher les deux monnaies asiatiques de s’affaiblir davantage. Le problème est que les actifs en dollars sont plus rémunérateurs que ceux en yen ou en won. Le taux des obligations américaines à 10 ans dépasse 4 %, contre 0,8 % pour le taux équivalent au Japon.

Le candidat Donald Trump fait campagne contre le maintien d’un dollar fort qui est jugé responsable de l’imposant déficit de la balance commercial. Il pénaliserait les exportations américaines et encouragerait les importations. Le candidat Républicain entend à cette fin remettre en cause l’indépendance de la banque centrale et abaisser les taux directeurs le plus rapidement possible. Cette baisse ferait diminuer la valeur du dollar et réduirait les coûts des remboursements des emprunts souscrits par les entreprises ainsi que par les ménages. Par ailleurs, Donald Trump souhaite augmenter les droits de douane sur les importations, ce qui pourrait nuire au dollar. De son côté, Joe Biden n’a pas encore mentionné quelles étaient ses intentions en matière monétaire.

Les responsables américains reprochent à la Chine de jouer à la baisse sa monnaie afin de favoriser ses exportations et ainsi compenser l’atonie de la demande interne. Le yuan s’est affaibli régulièrement par rapport au dollar depuis le début de l’année. Le dollar est passé de 7,18 yuans à 7,25 et selon Bank of America, il pourrait atteindre 7,45 d’ici septembre. Le yuan pourrait être à son plus faible niveau depuis 2007. Cette dépréciation de la monnaie chinoise incite les dirigeants des  États-Unis comme ceux d’Europe à adopter des mesures protectionnistes pour freiner notamment les exportations des véhicules électriques. La Chine pourrait être même placée sur la liste américaine des manipulateurs de devises.

Tant que l’économie américaine restera dynamique, le dollar demeurera fort. L’écart de croissance est tel au sein de l’OCDE que les États-Unis attirent capitaux et chercheurs du monde entier, ce qui renforce leur compétitivité. Le durcissement de la politique monétaire a eu peu d’effets sur la demande et les créations d’emploi.