11 juin 2016

Le Coin de la Conjoncture du 11 juin 2016

A la recherche des gains de productivité perdus

Huit ans après le début de la crise économique et financière, la croissance peine à dépasser 3 % au niveau mondial. Si une telle faiblesse de l’activité est en partie conjoncturelle, elle est également le produit d’un ralentissement de la croissance de la productivité qui s’était amorcé bien avant la crise. L’endettement croissant des agents publics et privés en est justement un des signes.

90 % des pays de l’OCDE ont connu une décélération de la croissance tendancielle de la productivité du travail dès le début des années 2000. Cette baisse s’étend aujourd’hui aux pays dits émergents et cela malgré leur plus faible niveau de productivité. La productivité du travail est mesurée par le PIB par heure travaillée, qui peut se décomposer en contributions du renforcement de l’intensité capitalistique (c’est-à-dire plus de capital par unité de travail) et de la productivité totale des facteurs (PTF) résiduels.

Ce phénomène de stagnation de la productivité s’accompagne d’une progression des inégalités. En 2012, les 10 % les plus riches dans la zone OCDE avaient un revenu presque 10 fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres, alors que le ratio n’était que de 7 au milieu des années 80. En termes de patrimoine, les disparités sont encore plus prononcées. Les 10 % les plus riches détenaient, en 2012, la moitié de la richesse totale des ménages dans les 18 pays de l’OCDE dont les données sont comparables. La baisse de la productivité est évidemment à mettre en lien avec la faiblesse récurrente de l’investissement et avec le fort taux de chômage.

L’impact des innovations technologiques pose question. Il y a un problème de diffusion des nouvelles techniques. En effet, un nombre croissant de personnes qui sont soit en sous-activité, soit dans l’impossibilité d’utiliser ces nouvelles techniques. Dans le même temps, Internet s’est diffusé à grande vitesse au niveau mondial mais il conduit à une augmentation des emplois à faible qualification. Dans les pays émergents mais aussi au sein des pays avancés, le poids des emplois précaires et informels tend également à s’accroître. Il en résulte évidemment une baisse de la productivité par une utilisation peu efficiente de la main d’œuvre.

Le combat entre pessimistes et optimistes continue. Ainsi, en reprenant l’analyse de Gordon, les innovations qui se sont diffusées au cours du 20ème siècle avaient des impacts économiques bien plus importants que celles que nous connaissons depuis une vingtaine d’années. Ainsi, l’électricité a révolutionné la production, les transports et la vie quotidienne bien plus qu’Internet. Plusieurs facteurs jouent en outre contre la productivité : le vieillissement démographique, la dégradation de l’éducation, le creusement des inégalités, la mondialisation, la transition vers un développement durable, et le niveau excessif d’endettement des ménages et des administrations publiques. La croissance, depuis la première révolution industrielle, n’a jamais été linéaire. Des phases d’accélération ont été suivies de phases de digestion et de crise. Avec une croissance de 2,8 % par an, l’économie mondiale connaît un rythme d’expansion sans précédent. La croissance qui était de 0,1 % en moyenne par an jusqu’au 18ème siècle a franchi la barre du 1 % au 19ème et celle des 2 % au 20ème siècle. Le ralentissement en cours est donc très relatif. La mondialisation intense des années 90 et 2000, en conduisant à d’importants transferts de richesse, nécessite une période de digestion. Par ailleurs, la révolution numérique par ses impacts polyphoniques ne s’est qu’imparfaitement traduite dans les statistiques économiques. Ainsi selon Brynjolfsson et McAfee (2011), « la numérisation croissante des activités économiques est à l’origine de quatre grandes tendances porteuses d’innovations :

  • l’amélioration de la mesure en temps réel de l’activité des entreprises ;
  • une expérimentation plus rapide et moins coûteuse de la part des entreprises ;
  • un partage des idées plus facile et plus généralisé ;
  • l’aptitude à reproduire des innovations plus rapidement et plus fidèlement (diffusion à plus grande échelle). »

Selon l’OCDE, les effets de la digitalisation sont entravés par un sous-investissement marqué, en particulier en Europe. Compte tenu du retard pris durant la grande récession, la reprise de l’investissement apparaît très modeste. Par ailleurs, l’organisation internationale souligne que la diffusion du progrès technique est très inégale au sein même des États. Il en résulte une dispersion grandissante de la productivité entre les entreprises, entre les différentes catégories d’actifs mais aussi entre les régions.

Si l’utilisation d’Internet s’est généralisée, en revanche, par sous-investissement, par manque de connaissances et de formation, les nouvelles techniques digitales tardent à se diffuser. C’est pour ces raisons que dans un contexte de progrès technologique, la productivité globale tend à se ralentir.

Si les possibilités du digital sont infinies ou presque, il y a un problème pour sérier les innovations créatrice de valeur et de productivité. Il ne faut pas oublier que la productivité correspond à l’aptitude d’une entreprise à produire davantage grâce à une meilleure combinaison des facteurs de production. Ce processus est rendu possible par de nouvelles idées, des innovations technologiques, ainsi que par des innovations de procédé ou des innovations organisationnelles.

Endettement public et endettement privé font-ils bon ménage ?

La progression bien connue de l’endettement public ces trente dernières années s’est accompagnée de celle, plus discrète, des ménages et des entreprises mais tout aussi réel. Depuis la crise de 2008, dans de nombreux pays, un processus de désendettement est en cours pour les agents privés. Néanmoins dans les pays de l’OCDE, le taux d’endettement de ces acteurs se situe entre 100 et 250 % du PIB. Le maintien d’un fort taux d’endettement public peut conduire à un effet d’éviction qui est aujourd’hui très faible en raison des politiques monétaires non conventionnelles mises en œuvre par les banques centrales. Il peut également amener les agents privés à restreindre leur endettement par crainte d’une augmentation des prélèvements. Si ce facteur peut jouer, c’est tout à la fois l’aversion aux risques qui poussent les agents privés à rembourser et l’absence de projets d’investissements du fait d’une demande incertaine. Les entreprises et les ménages, ces deux dernières années, ont profité des bas taux pour renégocier leur prêt. Ce n’est que depuis la fin de l’année 2015, au sein de la zone euro, qu’une réelle inflexion sur le flux des nouveaux prêts s’est fait sentir.

Dans les faits, il n’y a pas de réelle substituabilité entre dettes publiques et dettes privées. Logiquement, les Etats à fort endettement public devraient enregistrer une baisse de leur endettement privé. Or, aujourd’hui, les deux types d’endettement peuvent marcher de consorts. Néanmoins, dans des Etats à faible endettement public comme le Danemark, les Pays-Bas ou la Suède, les acteurs privés se rattrapent.  Il est à noter que dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE, l’endettement privé est supérieur à la dette publique sauf au Japon, en Grèce ou en Italie ; cette inversion n’est pas un gage de bonne santé des finances publiques….

Niveau d’endettement de plusieurs pays de l’OCDE

 

Pays

En % du PIB

Endettement public Endettement privé hors sociétés financières Endettement total
Japon 229 177 406
Grèce 189 132 321
Belgique 106 215 321
Danemark 40 245 285
Espagne 100 174 274
Pays-Bas 65 207 272
Royaume-Uni 89 163 252
Italie 133 116 249
France 96 141 237
Etats-Unis 104 125 229
Allemagne 71 132 203
Suède 45 117 161

 

La Chine entre deux modèles

La Chine a connu une expansion en se transformant en pays atelier, assemblant des biens industriels pour le monde entier. Après être devenu le premier pays industriel du monde, la Chine sait qu’elle ne peut plus guère gagner de parts de marchés. En outre, les augmentations des charges salariales, couplées à un vieillissement de sa population active, la contraignent à trouver de nouveaux gisements de croissance dans la demande intérieure et les services. Or, par nature, les services génèrent des gains de productivité plus faibles. Le risque est que la Chine subisse une désindustrialisation au profit des nouveaux pays émergents et que la croissance s’étiole.

Afin de conserver des emplois qualifiés dans l’industrie, de conserver des excédents commerciaux et d’éviter une montée du chômage, la Chine se doit de monter en gamme.

En quelques années, la Chine est devenue un pays tertiaire avec le recul des poids de l’agriculture et de l’industrie manufacturière et la hausse du poids des services. Le commerce extérieur n’est plus un moteur de la croissance.

Avec une classe moyenne nombreuse souhaitant s’aligner sur les standards de consommation occidentaux, la Chine ne peut pas avoir une industrie de petite taille, faute de quoi le déficit commercial pourrait devenir abyssal.

Même si les autorités chinoises affirment le contraire, il apparaît de plus en plus que la mutation de l’économie chinoise est assez brutale avec un ralentissement assez marqué de l’investissement industriel qui fait suite à un excès. Ce dernier a abouti à des surcapacités de production qui pèsent sur les coûts eux-mêmes fortement accrus par les augmentations de salaire et de charges.

Les autorités chinoises hésitent entre la dépréciation de la monnaie, afin de maintenir la compétitivité de l’industrie, et l’adoption de mesures de soutiens néo-keynésiens tout en s’adonnant de manière plus ou moins déguisée au Quantitative Easing.

Pour éviter un accroissement du chômage, les pouvoirs publics ont eu recours à l’emploi public dans les administrations et au sein des entreprises publiques.

L’autre voie pour la Chine est de monter en gamme son industrie pour se positionner sur des secteurs à forte marge. La Chine ne reste pas en la matière inerte. Ainsi, les dépenses de recherche et développement privées sont passées de 0,2 à 1,6 % du PIB de 1996 à 2014. Elles dépassent même celles enregistrées en France. Seuls Les États-Unis, le Japon, la Corée et l’Allemagne font mieux dans les 10 premiers pays du G20. En revanche, la Chine a encore un net retard en matière de robots industriels. Elle ne compte que 0,5 robot pour 100 emplois manufacturiers quand ce taux est de 1,78 aux États-Unis, de 2,45 en Allemagne, de 1,22 en France ou de 2,86 au Japon.