Le Coin de la Conjoncture du 21 janvier 2017
L’indispensable relance par l’investissement selon le FMI
La croissance mondiale pour 2016 a atteint, selon le FMI 3,1 %. L’organisation internationale, dans sa dernière note de conjoncture, parie sur une accélération, en 2017 ainsi qu’en 2018, de l’activité économique dans les pays avancés, dans les pays émergents et les pays en développement. La croissance mondiale atteindrait respectivement 3,4 % et 3,6 %. Dans les pays avancés, la croissance devrait s’élever à 1,9 % en 2017 et à 2,0 % en 2018, soit 0,1 et 0,2 point de pourcentage de plus que prévu en octobre.
Le FMI tempère toutefois son optimisme en soulignant que l’arrivée de l’équipe de Donald Trump pourrait affecter la croissance des États-Unis et du reste du monde. Il est admis que le nouvel exécutif pourrait engager un plan de relance qui porterait la croissance à 2,3 % en 2017 et à 2,5 % 2018, soit une augmentation cumulée de ½ point de pourcentage du PIB par rapport à la prévision d’octobre.
Dans les pays avancés, une insuffisance prolongée de la demande privée et un manque de progrès sur le plan des réformes (y compris dans la réparation des bilans bancaires) pourraient conduire à une croissance et à une inflation durablement plus basses, avec des implications négatives pour la dynamique de la dette.
La croissance dans les pays émergents et les pays en développement est aujourd’hui estimée à 4,1 % pour 2016, et devrait atteindre 4,5 % en 2017, soit 0,1 point de pourcentage de moins que prévu en octobre. Néanmoins, en 2018, leur croissance pourrait atteindre 4,8 %.
Le FMI a réévalué sa prévision de croissance à la hausse pour la Chine à 6,5 %, soit 0,3 point de pourcentage de plus que prévu en octobre, du fait de la poursuite attendue de la relance. Le FMI souligne néanmoins que les politiques de stimulation permanentes s’accompagnant d’une progression de l’endettement public comme privé peut provoquer de brutales ajustements. Ce risque est d’autant plus réel que l’évolution des taux d’intérêt peut provoquer d’amples mouvements de capitaux.
Le FMI a révisé à la baisse la croissance de l’Inde du fait de la diminution de la consommation due à la pénurie de liquidités et aux perturbations des paiements liées au retrait de la circulation et à l’échange de billets. En Amérique latine, le FMI reste très prudent concernant la reprise en Argentine et au Brésil. Le Mexique pourrait être touché par le changement de cap des États-Unis. Au Moyen-Orient, la croissance en Arabie saoudite devrait être plus faible que prévu en 2017 du fait de la réduction de la production de pétrole qui résulte de l’accord récent de l’OPEP, tandis que les conflits civils continuent de peser lourdement sur plusieurs autres pays.
Le FMI, comme auparavant l’OCDE, s’inquiète de la montée du nationalisme et de l’effilochage du consensus sur les avantages de l’intégration économique internationale. Le nombre croissant des mesures protectionnistes, les variations brutales des taux de change pourraient encore accentuer les tensions inflationnistes. Il pourrait également en résulter une moindre progression de la productivité.
Le FMI réaffirme la nécessité de combiner une politique monétaire accommodante et une relance budgétaire ciblée sur l’investissement pour les pays avancés où les écarts de production demeurent négatifs et où les pressions sur les salaires sont modérées. Dans les cas où l’ajustement budgétaire ne peut pas être remis à plus tard, il convient d’en calibrer le rythme et la composition de manière à freiner la production le moins possible.
Dans les pays avancés où les écarts de production sont largement négatifs, toute relance budgétaire doit viser à renforcer le dispositif de protection sociale (notamment pour faciliter l’intégration des réfugiés dans certains cas) et à accroître la production potentielle à long terme en investissant dans des infrastructures de qualité et en opérant des réformes fiscales propices à l’offre et équitables. Dans ces cas-là, des anticipations inflationnistes bien ancrées devraient permettre de normaliser progressivement la politique monétaire. Le FMI demande aux gouvernements d’accroître le taux d’activité, d’encourager l’investissement dans les qualifications, d’améliorer l’adéquation de l’offre et de la demande sur le marché du travail, de libéraliser l’entrée dans les professions fermées, d’accroître le dynamisme et l’innovation sur les marchés de produits et de services, ainsi que de promouvoir l’investissement des entreprises, notamment dans la recherche et le développement.
La stagnation séculaire, problème de mesure ou réalité ?
Pour paraphraser le Prix Nobel d’Économie Robert Solow qui avait fait ce parallèle au sujet des microprocesseurs, nous voyons du digital et des objets connectés partout sauf dans les statistiques économiques. Le digital crée du confort mais génère peu de gains de productivité. Mais deux autres analyses sont également recevables. Nous serions entrés dans une phase destructrice provoquée par l’intrusion de nouveaux processus de production. Cette destruction devrait à terme amener des gains de productivité. Compte tenu de l’ampleur des possibilités offertes par les nouvelles technologies, un phénomène de tamis est nécessaire. Il convient, en effet, de faire le tri entre les bonnes et les mauvaises innovations, entre celles qui ont un véritable apport et celles qui ne sont que des gadgets ou des fausses routes.
Aujourd’hui, la thèse de la stagnation séculaire est en vogue, surtout en Europe, au regard des résultats de la croissance économique de ces dernières années. Cette thèse, comme l’a rappelé le Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, lors d’une conférence tenue le 16 janvier dernier, doit être utilisée avec précaution. En effet, l’économiste Alvin Hansen, qui a introduit cette expression de « stagnation séculaire » pour la première fois en 1938, dans son célèbre ouvrage « Full recovery or stagnation » a vécu suffisamment longtemps – jusqu’en 1975 – pour connaître trente années de quasi pleine reprise économique, et non de stagnation. La stagnation séculaire a été remise au goût du jour par l’économiste américain Larry Summers.
Plusieurs données semblent donner raison aux tenants de la stagnation séculaire. Ainsi, au sein des pays avancés, le PIB par habitant augmente moins vite mais cela est constaté depuis déjà plus de quarante ans. Cette baisse s’est accélérée avec la Grande Récession et avait été masquée au début des années 2000 avec la révolution des TIC. Ce ralentissement s’explique par une baisse tendancielle des gains de productivité du travail.
De plus en plus d’experts s’interrogent sur les erreurs de mesure de la production que conduit l’essor des nouvelles technologies. Les statistiques ne reflètent qu’imparfaitement les améliorations apportées à la qualité des produits, ainsi que l’entrée ou la sortie de produits. Par conséquent, ils ont tendance à surestimer l’inflation et à sous-estimer la production. La production informatique qui comporte un nombre croissant de mises à jour est mal comptabilisée et cela même aux États-Unis.
La digitalisation provoque des modifications importantes en matière de comptabilité. Ainsi, les voyages sont réservés et payés de plus en plus en ligne sans le recours d’intermédiaires. Il en résulte une diminution de la valeur ajoutée des agences de voyage. Or, dans le même temps, les ménages se déplacent de plus en plus mais comme la localisation des plateformes de réservation sur Internet est difficile à déterminer, cela n’apparaît pas obligatoirement dans les statistiques.
La comptabilisation des services gratuits est par définition délicate ? Que vaut Wikipédia, comment intégrer et à quelle valeur les services de Blablacar ou de Airbnb sachant qu’une partie des affaires se font hors circuit officiel ?
Des freins conjoncturels à la baisse de la demande
François Villeroy de Galhau met en avant deux autres facteurs pouvant expliquer l’atonie de la croissance. Les salaires auraient, à ses yeux, du augmenter plus vite en Allemagne au regard de l’importance des excédents commerciaux et du plein emploi. Tel n’a pas été le cas. En revanche, en France, les salaires auraient dû stagner voire baisser compte tenu de la situation économique du pays ; or ils ont continué à augmenter ce qui a contribué à la dégradation de la compétitivité française. Il aurait fallu plus de souplesse salariale en Allemagne et plus de rigueur en Europe du Sud. Le désendettement qui s’est opéré après 2012 en Europe et aux États-Unis a pesé plus que prévu sur la demande.
Les épargnants contribuent également au ralentissement par leur aversion aux risques. En outre, en période de crise, les agents économiques ont tendance à accroître leur effort d’épargne. La baisse des rendements des produits de taux a eu également pour conséquence une augmentation du taux d’épargne par effet d’encaisse, les acteurs économiques devant mettre plus d’argent de côté qu’auparavant pour leurs objectifs patrimoniaux.
Le vieillissement de la population conduit à une augmentation de l’épargne et à une diminution de la productivité. Les inégalités sont accusées également de peser sur la croissance. L’accroissement des inégalités de revenus au sein des pays implique une baisse du pouvoir d’achat des ménages à faibles revenus, qui ont une propension plus forte à consommer. La montée des inégalités est favorisée par la mondialisation qui se traduit par l’émergence de nouveaux riches et par un phénomène de rente générée par l’émergence d’entreprises dominantes sur leur secteur d’activité. Ce phénomène avait déjà été constaté dans les années 1920 avec le pétrole ou plus tard avec les télécom aux États-Unis.
Les tenants de la stagnation séculaire mettent en avant l’appauvrissement du progrès technique. Les nouvelles innovations génèreraient moins de gains de productivité et coûteraient de plus en plus chères à développer. Les contraintes sociales et environnementales rendent plus délicates le développement d’innovation de ruptures. Cette thèse peut être réfutée en analysant les résultats des entreprises les plus innovantes. Ces derniers sont en phase avec ceux qui étaient enregistrés dans le passé. Nul ne conteste le potentiel de croissance que peuvent apporter le « big data », les objets connectés et les autres techniques (génétique, nanotechnologie). En revanche, la question de leur diffusion et de leur intégration dans les processus de production se pose immanquablement en particulier en Europe. Ainsi, le poids du secteur du numérique est de 3 points de PIB inférieur en France qu’aux États-Unis ou dans l’Europe du Nord.