Le Coin de la Conjoncture du 25 mars 2017
France ou l’éternelle tentation keynésienne
Les différents programmes des principaux candidats à l’élection présidentielle ont en commun d’être peu ou prou d’influence keynésienne. Aucun n’échappe à l’idée de relancer la demande intérieure en améliorant le pouvoir d’achat que ce soit sous la forme d’une baisse des impôts, d’une réduction des cotisations salariales ou d’une augmentation des prestations sociales. Pour justifier ce retour du keynésianisme, certains mettent en avant que les calculs sur le multiplicateur budgétaire démontraient que les effets de la relance seraient plus importants que prévu. D’autres considèrent qu’après des années de relative rigueur, il est indispensable de redonner du « grain à moudre » aux salariés.
La rigueur à la française est un concept un peu particulier. En effet, à l’exception d’une courte période à la fin du siècle dernier et en 2007, la dette publique n’a pas cessé d’augmenter depuis 1981. Elle est ainsi passée en 35 ans de 21 à 97 % du PIB. Les politiques d’assainissement des comptes publics ont davantage reposé sur une augmentation des prélèvements que sur une réduction drastique des dépenses. Il était communément admis que les effets récessifs provoqués par une hausse des impôts ou des cotisations sociales étaient moindre qu’une baisse des dépenses publiques. Il en résulte un double record historique avec des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires qui ont respectivement atteint 57 et 45,7 % du PIB.
Pour l’élection présidentielle de 2017, les candidats privilégient trois axes : la baisse des cotisations salariales, la réduction des impôts sur le bas des classes moyennes, et l’augmentation des minimas sociaux.
Emmanuel Macron comme François Fillon proposent de réduire les cotisations salariales dans un souci d’augmentation du pouvoir d’achat. Une partie de ce gain sera récupérée par l’augmentation de la TVA (2 points pour François Fillon) ou par le relèvement de la CSG (1,7 point pour Emmanuel Macron). Chez François Fillon, 10 milliards d’euros seraient affectés à la hausse du pouvoir d’achat.
Emmanuel Macron propose une augmentation du minimum vieillesse de 100 euros par mois. Il souhaite créer un versement social unique. Toutes les allocations sociales (APL, RSA, etc.) seraient versées le même jour du mois, un trimestre maximum après la constatation des revenus (contre jusqu’à 2 ans aujourd’hui). Il prévoit également d’étendre l’assurance-chômage aux non-salariés. Les salariés démissionnaires pourraient bénéficier, sous condition, d’une indemnisation.
Benoit Hamon a prévu, de son côté, d’instituer un revenu universel qui s’adressera à tous les travailleurs gagnant entre 0 et 2 800 euros brut ainsi qu’aux jeunes de 18 à 25 ans. 19 millions de personnes devraient en bénéficier. Le coût est évalué à 35 milliards d’euros. Benoit Hamon a proposé que les allocations familiales soient versées à partir du 1er enfant. Il souhaite revaloriser les minima sociaux de 10 %.
De son côté, Marine Le Pen entend favoriser le pouvoir d’achat en baissant de 10 % l’impôt sur le revenu sur les trois premières tranches. Elle prévoit également d’augmenter le plafond du quotient familial et de rétablir la demi-part des veuves et veufs ainsi que la défiscalisation de la majoration des pensions de retraite pour les parents de famille nombreuse. Les heures supplémentaires seraient défiscalisées et ouvriraient droit à majoration de salaire.
Ces mesures visent à atténuer les effets des politiques mises en œuvre ces dix dernières années. Elles s’inscrivent dans le prolongement de celles présentées, depuis 2014, par François Hollande.
Ce soutien à la demande peut-il contribuer à alimenter la croissance de l’économie française ? Rien n’est moins sûr.
En 2015 et 2016, la baisse du prix du pétrole a contribué à accroître le pouvoir d’achat des ménages. Ces derniers ont repris le chemin de la consommation mais pour le plus grand profit des importateurs. L’outil de production n’a pas été capable de répondre à l’augmentation de la demande. Il en a résulté, en 2016, une détérioration de la balance commerciale.
Les différentes mesures proposées par les candidats pèseront sur le niveau du déficit. Tant François Fillon que Benoît Hamon ou Jean-Luc Mélenchon considèrent que, dans un premier temps, une dégradation des comptes publics est envisageable afin d’obtenir un surcroît de croissance. Cette augmentation des déficits pourrait provoquer une hausse des taux d’intérêt qui freinerait l’activité. Par ailleurs, le risque souverain français pourrait augmenter d’autant plus que le besoin en capitaux extérieurs serait accru par l’envolée du déficit commercial.
Le pari de l’accélération par la demande interne n’est donc pas sans danger. L’économie française souffre avant tout d’une sous compétitivité de l’offre. Sur ce sujet, une réduction des charges patronales est avancée par certains candidats (François Fillon et Emmanuel Macron). Le sous-investissement de ces dernières années et la non-montée en gamme de la production française pèsent sur la compétitivité.
Le débat sans fin sur le déficit d’offre ou de demande
Le FMI, l’OCDE ou la Commission européenne soulignent que la France est confrontée à une série de problèmes structurels : rigidité du droit du travail, insuffisance de la concurrence sur un certain nombre de marchés (distribution, transports en particulier). Problèmes qui contribuent à la baisse de la croissance potentielle. Selon l’OCDE, en état actuel, le taux de croissance potentiel de l’économie est de 1,1 % contre 1,8 % en 2000. Mais, ces mêmes organisations indiquent que celle-ci dépend de facteurs d’offre. Par ailleurs, ces mêmes organisations indiquent que le niveau de production est inférieur à son potentiel, ce qui revient à admettre que la demande intérieure et extérieure est insuffisante. Le déficit de demande est chiffré par certains organismes à 2 %. La sous-utilisation des capacités production justifierait une relance. Le problème provient, et cela a été le cas en 2016, de l’augmentation de la demande intérieure profitant avant tout aux importations, ce qui semblerait confirmer que l’outil de production n’est pas en phase avec les besoins des consommateurs.
Il faut sauver le soldat « euro »
L’Allemagne avec ses excédents commerciaux représentant 8 % du PIB et avec son excédent budgétaire est-elle devenue trop forte pour les autres européens ? Les divergences économiques entre les États membres de la zone euro ne poseront-elles pas problème – quel que soit le résultat des élections –, au point de remettre en cause la monnaie commune ?
La monnaie repose avant tout sur la confiance. J’accepte d’être payé en euros car je sais que cette monnaie me permet à tout moment de réaliser des achats et de me libérer d’une dette sans risque de perte de valeur. Si demain, j’ai un doute, j’essaierai au plus vite de me débarrasser de ma monnaie et j’opterai pour une autre devise plus sûre. C’est ce qui se passe dans un certain nombre de pays émergents où la monnaie officielle est concurrencée par le dollar. De telles situations engendrent de l’inflation et conduisent à une crise de liquidité du fait que les acteurs économiques refusent la monnaie nationale. La défiance vis-à-vis de la monnaie peut se mesurer par la vitesse de circulation qui a tendance à s’accroître et par les taux d’intérêt qui ont tendance à augmenter. Le taux d’intérêt comporte alors une prime de risque liée à la possible dépréciation de la monnaie, à une montée de l’inflation ou à une banqueroute potentielle.
L’euro est une monnaie commune à plusieurs États indépendants, ce qui constitue une première dans l’histoire monétaire internationale à l’exception de l’expérience inaboutie de l’Union monétaire latine (1865-1927). La monnaie, c’est tout à la fois une unité de compte, un instrument d’échange et un outil de réserve. Les États membres de la zone euro sont co-responsables de la monnaie commune. Il y a également une co-solidarité de fait même si sur ce sujet le Traité de Maastricht est discret. Le recours à une même monnaie suppose tout à la fois une certaine forme de mutualisation qui impose une responsabilisation de toutes les parties prenantes. Les critères de Maastricht visaient à fixer des limites aux États afin qu’ils ne puissant pas, par des comportements déviants, mettre en difficulté les autres participants au club.
L’esprit de mutualisation s’est exprimé jusqu’à la survenue de la crise financière par l’absence d’écart de taux d’intérêt entre les différents États. Ainsi, prêter à la Grèce ou à l’Allemagne de 1999 à 2008 était presque identique. Compte tenu des différences de croissance, d’inflation, ce phénomène a joué en faveur des pays d’Europe du Sud. Durant 10 ans, des transferts financiers ont été effectués permettant un recyclage des excédents commerciaux que les pays d’Europe du Nord réalisaient. Ces transferts se sont arrêtés avec la crise de 2008 et surtout lors de celle de 2011 concernant la dette souveraine grecque. Les écarts de taux ont fait leur réapparition, ce qui pèse sur la croissance des pays concernés.
La segmentation de l’espace financier de la zone euro a mis un terme au seul dispositif de correction des inégalités économiques. Désormais, le bouclage financier, au sein de la zone euro, est assuré par la Banque centrale mais cela s’effectue de manière dérogatoire.
La divergence des économies se traduit par des écarts de croissance non négligeables. Si le PIB allemand était, à fin 2016, supérieur de 7,8 points à celui du 1er trimestre 2008, ceux de l’Italie, de l’Espagne ou de la Grèce n’avaient pas retrouvé leur niveau d’avant crise. Pour l’Italie, le recul est de 7,1 %. Il en est de même pour l’emploi.
Logiquement l’accumulation des excédents courants allemands aurait dû conduire à une accélération des salaires d’autant plus que le pays est en situation de plein emploi. Or, au mois de décembre 2016, la hausse des salaires était de 2,3 % en Allemagne, soit moins qu’en Espagne (+3,3 %) et cela malgré un chômage de plus de 18 %.
L’Allemagne thésaurise ses excédents avec une épargne qui demeure élevée et qui s’investit dans des produits sans risque. L’investissement des entreprises y est peu dynamique bien que le niveau de profitabilité des entreprises soit élevé. Les gains de productivité y sont par ailleurs très faibles. Du 1er trimestre 2008 au 4e trimestre 2016, les gains de productivité cumulés ont été de 0,3 % en Allemagne, de 2,4 % en France et de 8,5 % aux États-Unis (source AG2R LA MONDIALE – Bloomberg).
La force de l’Allemagne repose sur la forte compétitivité non-coût de sa production (qualité, niveau de gamme) qui lui permet de gagner des parts de marché. Elle bénéficie de la politique monétaire de la BCE qui contribue à déprécier de l’euro, dépréciation accentuée par les difficultés des autres États membres. Le vieillissement de la population pèse sur la demande interne. L’arrivée des réfugiés n’a pas pour le moment eu un effet important sur la consommation du fait de leur faible pouvoir d’achat.
Le prix de la sortie de la zone euro serait élevé voire très élevé. La Grèce a refusé l’aventure de la sortie en 2015 par crainte d’être immédiatement en situation de banqueroute. La sortie d’un grand État comme la France ou l’Italie mettrait en danger l’ensemble de la zone. Passer d’une monnaie commune à 300 millions d’habitants à une monnaie échangée par 67 millions de personnes n’est pas anodin. Il y aurait un jeu de dominos. En cas de sortie, par exemple, de l’Italie, les banques françaises ayant fortement investi dans ce pays seraient fragilisées ce qui aurait des répercussions sur l’ensemble du secteur financier. Le retour des contrôles de changes voire de l’encadrement du crédit nuirait aux échanges et à l’investissement. Le pouvoir d’achat des ménages serait amputé par l’augmentation des prix des produits importés. Par ailleurs, la hausse des taux d’intérêt pourrait provoquer une crise immobilière. Certes, pour atténuer cette série de chocs, les banques centrales seraient appelées à financer les déficits et à racheter les dettes mais cela n’est pas sans limite. Par ailleurs, pour des pays déficitaires commercialement comme la France et en cas de fuite des capitaux, une crise de liquidité pourrait intervenir.
La zone euro est aujourd’hui à la peine en partie en raison des craintes qu’elle inspire aux investisseurs. La faible croissance, le taux de chômage élevé, la faible progression du pouvoir d’achat ne sont pas sans lien avec la montée des votes contestataires. Les solutions sont éminemment politiques et supposent une plus grande coopération entre les États membres.