8 avril 2017

Le Coin de la Conjoncture du 8 avril 2017

L’industrie et l’augmentation des salaires au sein des pays émergents

Les pays émergents ont assis leur développement économique sur cinq facteurs :

  • une bonne accessibilité au transport maritime international ;
  • une main d’œuvre disponible et relativement bien formée ;
  • une main d’œuvre peu coûteuse ;
  • une ouverture aux capitaux extérieurs
  • une spécialisation industrielle reposant sur un éclatement de la chaîne de valeur.

Ce modèle a permis à la Chine mais aussi à de nombreux autres pays asiatiques d’effectuer un rattrapage économique sans précédent. Malgré tout, le pentagone magique tend à s’effriter. Le ralentissement des pays occidentaux qui s’est accentué après la crise de 2008, réduit la croissance des échanges internationaux. La grogne des peuples conduit à un renouveau du protectionnisme. En outre, les besoins en produits industriels tendent à se tarir avec une population de plus en plus aisée et, de surcroît, vieillissante. Les services, depuis une dizaine d’années, voient leur poids (au sein du PIB) augmenter plus vite que les biens industriels, à l’échelle mondiale.

Par ailleurs, l’avantage comparatif des coûts salariaux est en train de disparaître. En effet, leur hausse a été rapide depuis 20 ans dans les pays émergents. En prenant en compte les niveaux de productivité par tête, les coûts salariaux unitaires dans de grands pays émergents (Chine, Brésil, Indonésie, Inde, Turquie, PECO pays d’Europe Centrale) a rejoint celui des grands pays de l’OCDE (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France, Espagne, Italie, Japon). En 1996, produire dans les pays émergents coûtait deux fois moins cher que de le faire dans les pays de l’OCDE.

Si le salaire par tête est 9 fois plus élevé aux États-Unis qu’en Chine, la productivité par tête étant 9 fois plus élevée aussi aux États-Unis qu’en Chine, les coûts de production globaux sont à parité. De même, si en 2016, le salaire par tête est 4,5 fois plus élevé en France qu’au Brésil, en prenant en compte la productivité par tête qui est 4 fois plus élevée en France qu’au Brésil, ce dernier pays conserve d’une courte tête un avantage comparatif. En intégrant le coût des transports, les frais d’assurance diverses et variés, l’intérêt des délocalisations a diminué.

Pour contrecarrer cette évolution, les pays émergents et leurs entreprises se doivent de réagir en améliorant leur niveau de productivité, en montant en gamme, en réorientant leur modèle au profit de la demande intérieure. Pour conforter leurs positions commerciales, les entreprises – notamment chinoises – investissent en-dehors de leur pays d’origine. Elles délocalisent une partie de leurs activités dans des pays à plus faibles salaires.

Cette augmentation des coûts salariaux peut-elle conduire à des relocalisations au sein des vieux pays avancés ou empêcher de nouvelles délocalisations ? Ce changement ne devrait pas modifier la donne immédiatement. En effet, la demande augmente au sein des pays émergents qui deviennent des pays solvables en raison même des augmentations de salaire. Il est donc intéressant pour des sociétés occidentales de maintenir voire d’accroître leur présence en leur sein. Le groupe PSA, le groupe Renault et bien d’autres tentent de s’implanter en Chine. Les marchés en croissance des pays émergents, en étant moins concurrentiels que les ceux des vieux pays avancés, peuvent offrir des marges supérieures.

L’intérêt de délocaliser sera sans nul doute moindre dans les prochaines années sauf à supposer une augmentation très rapide des gains de productivité au sein des pays émergents. Mais, cela ne signifie pas que le secteur industriel reprendra la forme qu’il avait il y a trente ou quarante ans. Les usines seront de plus en plus automatisées que ce soit en Occident ou en Orient.

 

La production industrielle qui s’est concentrée en Chine lors de ces vingt dernières années devrait à terme, du moins pour une partie, être mieux répartie à l’échelle mondiale, ce qui ne signifie pas qu’au sein de l’Europe tous les pays seront logés à la même enseigne. En effet, avec la République tchèque, l’Allemagne tend à devenir le centre industriel européen qui dessert les autres pays. Cette situation n’est pas sans poser des problèmes d’équilibre des balances des paiements et de croissance.

La France peut-elle bénéficier d’un rebond industriel ? Il n’est pas prouvé que la désindustrialisation française qui s’est accélérée à partir des années 2000 soit totalement occasionnée par la mondialisation qui a débuté ces années-là également. Elle est avant tout la conséquence d’un sous-investissement, d’un mauvais positionnement de gamme et d’un écart de coûts entre l’Allemagne et de la France.

Pourquoi la France perd-elle toujours le match face à l’Allemagne ?

Le football est un sport qui se joue à onze contre onze, et à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne. Cette boutade vaudrait-elle aussi pour l’économie ?

La France et l’Allemagne sont voisins, séparées uniquement par le Rhin. Pourtant à la lecture de certains résultats économiques, les deux pays ne semblent pas évoluer sous les mêmes cieux. En 2016, la France a enregistré un déficit commercial de plus de 48 milliards d’euros quand l’Allemagne bénéficiait d’un excédent de près de 253 milliards d’euros. Le chômage est de 10 % en France quand il ne s’élève qu’à 3,9 % en Allemagne. En matière de finances publiques, la France a, l’année dernière, connu un déficit de 3,4 % du PIB à mettre en parallèle avec le solde positif de l’Allemagne (excédent budgétaire de 24 milliards d’euros en 2016). En ce qui concerne la croissance, depuis quelques années, l’Allemagne obtient de meilleurs résultats que la France (1,9 % en 2016 contre 1,1 % en France).

 

Comment expliquer que le franchissement d’un seul fleuve entraîne de tels écarts ?

 

Durant des années, l’écart des coûts salariaux a souvent été mis en avant pour expliquer les piètres résultats français. Il est indéniable que, de 2002 à 2013, les coûts salariaux français ont augmenté plus vite que ceux de l’Allemagne. Mais depuis c’est l’inverse. Ainsi, en 2016, le niveau du salaire unitaire de l’industrie manufacturière est plus élevé de 5 % en Allemagne qu’en France. Pour autant, cette différence ne permet pas à notre pays de regagner des parts de marché à l’exportation.

La France, trop gamme moyenne

Le positionnement de l’industrie française dans le milieu de gamme explique en partie cette situation. 20 % de la production française se situe en haut de gamme contre plus de 40 % pour l’Allemagne. Pour classer le niveau de gamme d’une économie, il est pris en compte l’élasticité prix des exportations (variation en pourcentage de la demande suite à une augmentation de 1% du prix de vente). L’élasticité est de 0,35 en Allemagne et de 0,65 en France. Cela signifie qu’une augmentation du prix de vente s’accompagne d’une perte de 0,35 % de demande en Allemagne mais de 0,65 % en France. Si cette dernière avait le même niveau de gamme que son partenaire d’Outre-Rhin, ses exportations seraient supérieures de 6 %. Le mauvais positionnement de la production française correspond à un surcoût de 10 %. La production de la France est concurrencée par celle des pays d’Europe centrale ou du Sud ainsi que par celle des pays émergents. Les coûts de fabrication espagnols sont inférieurs de 20 points à ceux de la France.

La France faisait jeu égal pour le haut de gamme industriel dans les années 80. À compter de la fin des années 90, un décrochage est intervenu en raison d’une baisse marquée de l’investissement et de l’augmentation des coûts salariaux occasionnés en partie par les 35 heures. Les processus de progression automatique des salaires plus ou moins déconnectée des gains de productivité ont également pesé sur les marges des entreprises françaises. En centrant les aides publiques sur les emplois à faible qualification, les gouvernements successifs n’ont pas incité à la montée en gamme au moment même où l’Allemagne menait une politique drastique de maîtrise des coûts.

Des consommations intermédiaires trop chères

Les prix des consommations intermédiaires jouent également en défaveur de la production française. Nos entreprises recourent moins que leurs homologues allemands à des sous-traitants en provenance de l’Europe de l’Est ou des pays émergents (les secondes importent deux fois plus que les premières de pièces détachées auprès de fournisseurs implantés dans des pays à bas coûts). Par cette optimisation des processus de production, les firmes allemandes compensent en grande partie le surcoût salarial. Par ailleurs, les services aux entreprises sont moins onéreux outre-rhin. La consommation intermédiaire de services par l’industrie manufacturière s’élève à 46 % de la valeur ajoutée en Allemagne contre 54 % en France. Les salaires du secteur tertiaire sont alignés sur ceux de l’industrie en France contrairement à ce qui se passe en Allemagne où, par ailleurs, la concurrence est plus forte. Cette indexation contribue à augmenter les coûts de production français de 6 points par rapport à ceux de l’Allemagne.

Les autres facteurs contribuant à la moindre compétitivité de l’économie française sont plus connus. Il s’agit de la moindre robotisation. La France compte 1,22 robot pour 100 emplois dans le secteur manufacturier contre 2,53 en Allemagne. La taille des entreprises joue dans cette sous-utilisation des robots, notre pays comptant deux fois moins d’entreprises de taille intermédiaire que son homologue d’outre-rhin. Les firmes allemandes s’appuient sur des structures financières régionales, les caisses d’épargne ou les banques des Länder, structures qui ont disparu en France. Par ailleurs, l’existence de plusieurs grands pôles économiques favorisent la constitution de solidarités entre les entreprises. En France, cet esprit existe avec succès en Vendée autour de la filière nautique. En raison de sa structure fédérale, les commandes publiques sont moins centralisées chez notre voisin.