Le Coin de la Conjoncture (24 août 2017)
La préférence pour le présent peut-elle préparer l’avenir ?
Depuis plus de 40 ans, les Etats, les agents économiques, à l’échelle mondiale, ont privilégié le présent en nous endettant. Cet endettement qu’il soit privé ou public a servi à acheter de la croissance à crédit et à compenser la diminution des gains de productivité. S’il est économiquement admis que le recours à l’endettement est nécessaire en phase de décollage économique, il se justifie moins pour des pays avancés. En outre, à partir des années 80, les Etats occidentaux se sont endettés avant tout pour financer des dépenses courantes. La succession de crises dont celle de 2007/2009 a accentué la cette tendance. Les pays émergents et la Chine, la première, se sont mis au diapason des pratiques occidentales au point d’être également menacés de surendettement.
Cet accroissement de l’endettement, en période de paix, marque une préférence marquée pour le présent. Les politiques des banques centrales qui se traduisent par des faibles taux d’intérêt, participent à ce mouvement. En 2008, la faillite de la banque Lehman Brothers a provoqué une onde de choc mondiale. Les pouvoirs publics, mais aussi, les opinions publiques, par crainte d’une implosion du système financier, par peur de la réédition de la crise de 1929, ont préféré inonder en liquidités les marchés. Il en a résulté une forte hausse de la taille des bilans des banques centrales. Dans le même temps, les Etats ont augmenté leurs dépenses publiques pour endiguer la récession. Dix ans après la survenue de cette crise, le retour à la normale ne s’est pas encore opéré. Les taux d’intérêt restent à des niveaux extrêmement bas malgré le retour de la croissance au sein de toutes les grandes zones économiques. La BCE réalise toujours des opérations de rachats d’actifs, du moins jusqu’à la fin de l’année 2017.
Compte tenu du niveau d’endettement des Etats, toute hausse des taux d’intérêt qui ne s’accompagnerait pas de celle de l’inflation poserait des problèmes importants. Un point des taux d’intérêt représente pour l’Etat français un surcoût de 10 milliards d’euros sur 3 ans. Le retour de l’inflation qui aurait permis d’élimer l’endettement apparaît de plus en plus hypothétique. Plusieurs facteurs jouent contre l’enclenchement d’un cycle inflationniste et cela malgré l’augmentation de la masse monétaire. Les capacités de production de biens manufacturiers restent largement excédentaires. Par ailleurs, l’économie digitale accroît la concurrence tout en ayant des coûts de production pouvant tendre vers zéro. Selon l’économiste, Philippe Aghion, l’inflation globale serait surestimée (elle serait plus basse si la qualité des nouveaux biens était prise en compte). L’amélioration des produits n’est pas prise en compte dans le calcul de l’indice des prix. Certes, l’accroissement des liquidités a abouti à une augmentation des prix, non pas ceux des biens ou des salaires mais ceux des actifs financiers et immobiliers. Les acteurs économiques échaudés par la succession de crise se protègent en achetant des valeurs sans risque ou des valeurs refuge.
Le niveau élevé de l’endettement et les faibles taux d’intérêt sont-ils devenus les normes de l’économie mondiale ou est-ce un accident de l’histoire ? A moins que cela ne soit qu’une erreur funeste ? Sommes-nous confrontés à une trappe à liquidités ?
Ces dernières années, avec des taux de rendement faibles voire négatifs, les agents économiques auraient dû réduire leur effort d’épargne et privilégier les dépenses de consommation. Or, les taux d’épargne se maintiennent à des niveaux élevés. Ce comportement peut s’expliquer par l’augmentation de l’aversion aux risques après la crise de 2008. Il s’explique également par la diminution des gains de productivité. Le taux d’intérêt réel étant égal à la productivité marginale du capital, plus cette dernière est faible, plus les taux le sont aussi.
Les taux d’intérêt sont au croisement de trois options :
- Consommer ou épargner ;
- Emprunter pour investir ou thésauriser ;
- Placer son épargne dans des actifs à risques ou dans des actifs non risqués.
La baisse des taux s’est accompagnée d’une préférence pour la liquidité et la sécurité. Cette analyse réalisée par Keynes en 1936 prévaut, en partie, 80 ans après.
Cette situation inédite peut conduire à une amplification des fluctuations économiques. Les investisseurs pourraient sur-réagir en cas de crainte sur la solvabilité de tel ou tel acteur. L’éclatement de bulles spéculatives est à craindre au regard des valeurs atteintes par certains actifs. Le moindre ralentissement de la croissance pourrait provoquer des tensions financières surtout si, d’ici là, les banques centrales n’ont pas restauré leurs marges de manœuvres.
La préférence pour le présent est d’autant plus préoccupante que de nouvelles dépenses sont attendues. L’accroissement des dépenses de retraite, d’assurance-maladie et de dépendance est incontournable compte tenu du vieillissement de la population mondiale. Faute de croissance, la dette d’aujourd’hui risque de se télescoper avec celle de demain.
Compte tenu de son niveau très élevé, une restructuration de la dette publique n’est pas inenvisageable sur le moyen terme. Par ailleurs, les Etats pourraient être confrontés au dilemme suivant : réduction des dépenses ou augmentation des prélèvements. La polémique en France sur la diminution de 5 euros des allocations logement et des contrats aidés témoigne de la difficulté de mettre un terme à plus de 40 ans de politique budgétaire expansionniste.
Le maintien d’un fort volant de croissance permettant d’amoindrir en valeur relative le poids de la dette publique constitue évidemment la voie la plus sympathique. Pour cela, la croissance de l’économie mondiale devrait rester autour de 4 % quand celle des pays avancés devrait au moins atteindre 2 % voire un peu plus pour compenser le manque à gagner de ces dernières années. La voie la plus sympathique, certes, mais la plus réaliste ?