Le Coin de la Conjoncture (21 octobre 2017)
Le pari budgétaire du Gouvernement d’Edouard Philippe
Dernier État européen avec l’Espagne à être soumis à la procédure des déficits européens, la France tentera de revenir dans le droit chemin en 2018. L’objectif assigné par le Gouvernement est ambitieux surtout au regard de la trajectoire choisie.
Depuis 1973, la France a été dans l’incapacité de dégager un excédent budgétaire. Si jusqu’au début des années 80, le déficit public reste limité autour de 1 % du PIB, depuis 1981, sa moyenne est de 3,5 % du PIB. Même en période de forte croissance, comme à la fin des années 90, la France n’a pas réussi à supprimer son déficit. En 2000, à son point le plus bas sur la période 1981 – 2016, il s’élevait quand même à 1,3 % du PIB. Mais après l’éclatement de la bulle Internet, il est repassé très rapidement au-dessus de 3 % (3,1 % en 2002). Il n’a été inférieur à ce seuil des 3 % qu’à deux reprises depuis 15 ans (en 2006 et en 2007).
Les crises économiques s’accompagnent, en France, d’une progression plus forte du déficit que chez ses partenaires et sa réduction y est également plus lente. L’augmentation importante en cas de crise s’explique par le poids élevé des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires. Tout ralentissement économique provoque une réduction des recettes et une progression des dépenses sociales qui représentent, en France, plus du tiers du PIB. Les pouvoirs publics recourent aux dépenses de fonctionnement pour atténuer les effets des crises ; or celles-ci sont plus difficiles à remettre en cause même quand la croissance est de retour.
Le Gouvernement d’Edouard Philippe a pris l’engagement de réduire le déficit à 0,2 % du PIB à la fin du mandat d’Emmanuel Macron, sachant que l’atteinte de cet objectif sera concentrée sur les années 2020, 2021 et 2022.
Le retour à l’équilibre des finances publiques en 5 ans est censé être réalisé avec en parallèle une réduction des prélèvements obligatoires. D’ici 2022, les prélèvements obligatoires devraient baisser de 1 point de PIB, soit une vingtaine de milliards d’euros. En 2018, la réduction devrait se situer entre 6 et 7 milliards d’euros. Il est ainsi prévu de supprimer la taxe d’habitation sur trois ans pour 80 % des ménages, de réduire progressivement le taux de l’impôt sur les sociétés, d’instaurer le prélèvement forfaitaire unique, de transformer l’ISF en un impôt sur la fortune immobilière et d’abroger la taxe sur les dividendes jugée illégale par le Conseil constitutionnelle. Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé la revalorisation de certaines missions de l’État : défense, formation, énergies renouvelables, etc.. Sur cinq ans, ces promesses de dépenses atteindraient plus de 60 milliards d’euros. La réalisation d’économies sur les autres postes sera donc nécessaire
L’équation est simple. En cinq ans, le déficit doit être réduit d’environ 80 milliards d’euros, les recettes de 20 milliards d’euros avec un surcroît potentiel de dépenses de plus de 60 milliards d’euros, soit un total de 160 milliards d’euros. La résolution de cette équation passe immanquablement par une croissance d’au moins de 2 %. Le Gouvernement a retenu comme hypothèse une croissance moyenne de 1,7 %. Le moindre ralentissement serait fatal au plan de réduction du déficit qui paraît, en l’état, déjà extrêmement difficile à respecter. Certes, pour 2017 et 2018, les Ministère des Finances a été, sans nul doute, volontairement pessimiste, en ce qui concerne la diminution du déficit afin de conserver des marges de manœuvre en particulier en vue des difficiles négociations sur l’assurance-chômage et l’instauration du régime universel de retraite. Pour concilier baisse du déficit, réduction mesurée des prélèvements et augmentations de certaines dépenses, le Gouvernement table sur l’effet vertueux de sa politique économique et budgétaire. Pour cela, il espère que les baisses des prélèvements améliorent la compétitivité des entreprises favorisant une hausse de la production et de l’emploi. La reprise de l’investissement constitue un des éléments clefs du plan gouvernemental. Le retard pris en la matière depuis la crise devrait amener à son augmentation durant plusieurs années. La réduction des prélèvements sur le capital est un signe adressé tant aux investisseurs français qu’étrangers. Elle pourrait s’accompagner d’une diminution du montant des dividendes distribués et donc conduire à l’augmentation de l’investissement. La relance de l’investissement public, si elle se confirme, devrait également conforter la croissance.
Les pouvoirs publics estiment que les mesures prises en défaveur de l’immobilier ne devraient pas toucher ce secteur qui, en outre, enregistre depuis deux ans un vif regain d’activité. Par ailleurs, le Gouvernement escompte un petit sursaut de la consommation avec le transfert, certes étalé sur l’année 2018, de certaines cotisations sociales sur la CSG et de la suppression sur 3 ans la taxe d’habitation pour 80 % de la population.
Le scénario budgétaire d’Emmanuel Macron suppose que le contexte économique européen et mondial reste porteur. Il pourrait être mis à mal par plusieurs facteurs. Parmi ceux-ci figurent une hausse éventuelle du cours du pétrole, une augmentation brutale des taux d’intérêt ou un ralentissement marqué des États-Unis ou de la Chine. Le cours du pétrole qui, aujourd’hui, évolue autour de 55 dollars le baril pourrait connaître une progression fin 2018 – début 2019 , en raison du sous-investissement constaté depuis 3 ans et d’une demande qui progresse plus vite que l’offre. L’ampleur des stocks, la forte réactivité des producteurs de pétrole de schiste et les capacités de production disponibles au Moyen-Orient permettent d’équilibrer le marché mais un retournement n’est pas à exclure. Aux États-Unis, la multiplication des tentations protectionnistes et l’imprévisibilité de Donald Trump peuvent affecter la croissance. La question d’un ralentissement économique est toujours en suspens du fait du plein emploi et de la faiblesse des gains de productivité.
Aux origines de la reprise économique française
En 2017, la croissance de l’économie française pourrait se rapprocher des 2 %, ce qui serait une première depuis 6 ans. Quels facteurs contribuent au rebond de la croissance qui de 2012 à 2016 a été, en moyenne, de 0,7 % par an ? Est-ce l’environnement extérieur qui modifie la donne ou la mise en œuvre d’une politique plus favorable à l’offre à partir de 2013 ?
La langueur économique des dernières années
La France a été touchée par la récession de la zone euro en 2012 et 2013. Si le PIB n’a pas subi de baisse dans notre pays, le chômage a fortement augmenté. Le pouvoir d’achat des ménages s’est alors contracté avant de renouer avec la hausse en 2014. La crise provoquée en autre par la question des dettes souveraines a été plus longue et mortifère que la Grande Récession de 2008/2009 mais, dans les faits, elles sont interdépendantes. La zone euro et l’Europe ont failli périr de la dernière crise et la montée des votes contestataires en est l’expression même s’ils se nourrissent également de la perte supposée d’identité générée par la mondialisation.
La France a réussi à échapper à la récession en raison de ses traditionnels amortisseurs publics que sont les prestations sociales. Par voie de conséquence, la France est un des derniers pays de l’Europe à ne pas avoir réellement entrepris l’assainissement de ses comptes publics. Certes, la période 2010 / 2013 a été marquée par une augmentation très rapide des prélèvements obligatoires afin de réduire le déficit public qui alors dépassait alors 5 % du PIB. Le relèvement des impôts, des taxes et des cotisations sociales pour plus de 70 milliards d’euros, soit près de 3 points de PIB, a contribué à ralentir la croissance française de 2011 à 2016
Une reprise difficile à construire
À la différence de ce qui s’est produit chez plusieurs de ses partenaires dont l’Allemagne, la reprise française a été plus longue à se dessiner. L’alignement des planètes qui intervient en 2014 avec la baisse des taux d’intérêt, la dépréciation de l’euro et la chute des cours du pétrole ont tardé à provoquer un rebond économique. Le changement de politique économique, en 2013, avec la mise en place notamment du Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE) n’a pas débouché sur des résultats immédiatement tangibles. La France n’a pas tiré profit de l’amélioration de la situation économique internationale en raison de la perte de compétitivité de son économie à la différence de l’Espagne. Les parts de marché de la France se sont contractés durant toute la première partie des années 2010.
À partir de 2015 grâce aux gains de pouvoir d’achat générés par la division par deux du prix du pétrole, les ménages renouent avec la consommation mais l’inflexion est de faible ampleur car ils maintiennent un taux élevé d’épargne.
Le déclic de 2017
Le déclic intervient non pas en 2017 mais en 2016 avec la reprise de l’investissement tant des entreprises et des ménages. À la différence des États-Unis ou du Royaume-Uni, les acteurs économiques n’ont pas réagi immédiatement à la baisse des taux. Dans un premier temps, ce sont les États endettés qui en ont profité. Les entreprises ont privilégié le désendettement tout comme les ménages. En 2015 comme en 2016, plus de la moitié des crédits à l’habitat étaient, des prêts renégociés. Le manque de confiance dans l’avenir et le fort taux de chômage dissuadaient les agents économiques à s’endetter. Les entreprises ont repris le chemin de l’investissement pour des raisons techniques en liaison avec l’usure de leurs équipements, aidé en cela par l’adoption d’un dispositif d’amortissement dérogatoire. En 2017, en revanche, il semble que la hausse de l’investissement intervienne pour des raisons positives.
La restauration du climat des affaires est antérieure à l’élection présidentielle française. Elle a commencé en 2016 et n’a pas été ébranlée par l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Cette amélioration du climat des affaires est mondiale. La hausse graduelle du taux de croissance, la sortie de récession de tous les grands États, la poursuite du cycle d’expansion tant aux États-Unis qu’en chine concourent à cette situation. Il y a un effet d’auto-alimentation et le pari que la conjoncture ne peut que s’améliorer.
En 2016, l’économie française commence à toucher les dividendes de la politique de restauration des marges. Les créations d’emploi s’accélèrent au point d’atteindre 120 000 en net au cours du 1er semestre 2017. Le secteur de la construction qui depuis 2012 connaissait des destructions d’emploi réussit à stabiliser la situation voire à en recréer. Seule l’industrie continue à en perdre.
La demande extérieure adressée à la France est en progrès depuis le début de l’année 2017. Cette amélioration ne se traduit pas par une réduction du déficit commercial car, avec le rebond de la consommation, les importations sont également en augmentation. Néanmoins, la contribution du commerce extérieur est moins négative en 2017 que lors de ces dernières années. La France a moins bénéficié que certains de ses partenaires (comme l’Allemagne et l’Espagne) de la dépréciation de l’euro intervenue entre 2015 et 2017. Le système productif a éprouvé des difficultés à répondre à la demande mondiale. La moindre présence des exportateurs français à l’extérieur de la Zone euro explique cette situation. La légère appréciation de l’euro constatée depuis le début de l’année n’a pas eu d’incidences économiques majeures. En réduisant le coût des biens et services importés, elle peut même s’avérer favorable pour la consommation.
Contrairement à quelques idées préconçues, la rigueur budgétaire s’est atténuée depuis 2015. Les mesures fiscales en faveur des titulaires de revenus modestes et moyens décidées par les gouvernements successifs ont joué en faveur de la croissance. De même après un cycle électoral intense (élections municipales en 2014, élections départementale et régionales en 2015), les collectivités territoriales renouent avec l’investissement. Les dépenses publiques étaient ces deux dernières années orientées à la hausse.
La reprise française qui reste légèrement en-deçà de la moyenne européenne est alimentée par plusieurs facteurs extérieurs conjoncturels comme la baisse des cours du pétrole et la bonne tenue de l’activité mondiale. L’effet pétrole a joué un rôle indéniable dans l’amorçage de la croissance. Les taux d’intérêt et la dépréciation de l’euro ont pris le relais mais de manière moins importante que prévu et surtout avec un délai de latence plus long. L’augmentation du taux de croissance potentielle est indispensable pour enclencher un cycle économique dynamique. A défaut de pouvoir compter sur une progression rapide la population active, l’investissement sera déterminant. Si sa croissance se poursuit, le niveau des gains de productivité pourrait s’accroître. Si jusqu’à maintenant, nous avons vu du digital et des objets connectés partout sauf dans les statistiques de la croissance, il pourrait en être autrement demain !