Le Coin des tendances du 25 novembre 2017
La France au temps de la polarisation de l’emploi
Comme tous les pays occidentaux, la France est confrontée depuis 30 ans à un processus de désindustrialisation et de tertiarisation de son économie sur fond de digitalisation. Cette évolution s’accompagne d’une modification en profondeur de la nature des emplois. Le nombre de cadres et de professions intellectuelles s’est accru tout comme les postes exigeant peu de qualifications quand celui des ouvriers et des employés exigeant un certain niveau de compétences se contracte. Ce phénomène connu sous le terme de polarisation de l’emploi n’est pas uniforme sur l’ensemble du territoire comme le souligne une étude réalisée par l’INSEE et publiée le 20 novembre dernier.
Depuis trente ans, les délocalisations profitent davantage aux travailleurs qualifiés et à ceux ayant de faibles qualifications. En revanche, les emplois à qualification moyenne se sont contractés.
Selon une étude des économistes Carluccio, Cunat, Fadinger et Fons-Rosen (2016), la hausse des importations provenant de pays dotés d’une abondante main-d’œuvre non qualifiée a, en effet, entraîné une augmentation importante de l’intensité en main-d’œuvre qualifiée dans l’industrie manufacturière française. Les entreprises ayant pratiqué un éclatement de leur chaine de valeur ont, en règle générale, une proportion de main d’œuvre qualifiée supérieure de 28 % par rapport à celles qui n’ont pas changé leurs modes de production. Ce constat doit être relativisé par le fait que les entreprises qui ont opté pour des délocalisations appartiennent, le plus souvent, au secteur industriel et sont de grande taille. Avant même la mondialisation, le poids dans leurs effectifs des cadres supérieurs était déjà plus élevé. Néanmoins, selon l’étude précitée, dès la première année de recours par une entreprise à des importations en provenance des pays à bas coûts, son intensité en main‑d’œuvre qualifiée en France augmente en moyenne de 4 %.
Entre 1982 et 2014, l’emploi a augmenté de 4,4 millions en France métropolitaine. 1,7 million d’emploi ont été créés dans le cadre des activités dites intellectuelles allant de la recherche à la gestion et aux métiers de l’informatique. Lors de ces 30 dernières années, les commerces et services de proximité ont, par ailleurs, généré 2,2 millions d’emplois dont 1,4 million d’employés non qualifiés. En revanche, les productions matérielles ont perdu 2,8 millions d’emplois avec le recul de l’industrie, dont 1,2 million d’ouvriers non qualifiés. L’administration et la santé ont été à l’origine de la création de 2,7 millions d’emplois essentiellement qualifiés. Enfin, les effectifs des fonctions d’intermédiation, du commerce inter-entreprises au transport et à la logistique ont, de leur côté augmenté de 600 000.
Le nombre de cadres et de personnes exerçant une activité intellectuelles s’est accru de 2,7 millions depuis 1982. Cette croissance repose sur l’évolution de l’économie avec une montée en gamme ainsi qu’un recours à des techniques de production plus sophistiquées.
La part des cadres et professions intellectuelles supérieures double entre 1982 et 2014, passant de 8,7 % à 17,5 % en France métropolitaine.
La polarisation de l’emploi s’accompagne d’une modification de la répartition des emplois au sein du territoire. L’augmentation du nombre d’emplois qualifiés accroît la concentration de l’activité au sein des grandes agglomérations. En revanche, la diminution des emplois intermédiaires et d’ouvriers industriels pénalisent les petites villes et les banlieues. Dans les villes-centres des pôles urbains de plus de 100 000 habitants, les cadres et assimilés constituent 25 % des emplois en 2014 et 22 % dans leur banlieue, alors qu’ils ne constituent que 10 % environ des effectifs dans les autres territoires.
La part des cadres et professions intellectuelles supérieures est toutefois différente selon les grandes villes-centre : 35 % des emplois en 2014 dans la commune de Paris, 30 % à Toulouse comme à Grenoble, trois agglomérations dont l’activité est tournée vers une économie de la connaissance. En revanche, ils ne représentent que 21 % des emplois à Marseille et 17 % à Nice, deux villes faiblement industrielles. Ces communes se caractérisent par le poids élevé de l’administration, de la santé, des commerces et des services de proximité.
La montée des employés non qualifiés
En 2014, la France compte 1,5 million d’employés non qualifiés de plus qu’en 1982. En 2004, ils représentaient 12,9 % des emplois contre 8,3 % en 1982. Les créations concernent les services à domicile en raison notamment du vieillissement de la population. L’effectif des employés de commerce a tendance à augmenter avec la multiplication des centres commerciaux. Avec l’éloignement des lieux du travail par rapport au domicile des actifs, les emplois liés à la restauration a augmenté principalement au cœur des villes. Le développement du secteur touristique contribue également à l’accroissement du nombre d’emplois de services non qualifiés. La sécurité constitue également un pôle important de création d’emplois. Selon une récente étude de l’INSEE, la progression concerne toute la France mais dans une moindre proportion les grandes villes-centres et leurs banlieues, où les employés non qualifiés constituent 12 % des emplois en 2014. Leur part est de deux à trois points supérieure dans les autres catégories de territoire.
Moins d’ouvriers non qualifiés dans les villes et les banlieues qu’ailleurs
De 1982 à 2014, le nombre d’ouvriers non qualifiés s’est contracté de 1,2 million. Ils ne représentent plus que 8,4 % de la population active contre 5,6 % il y a 30 ans. Ce recul s’explique par la désindustrialisation. La fermeture des usines textile et des usines sidérurgiques la réduction des effectifs dans l’industrie automobile, la fermeture de nombreuses entreprises dans le secteur de la machine-outil, etc. expliquent la diminution des emplois d’ouvriers non qualifiés. Les emplois au sein du bâtiment et du nettoyage ont mieux résisté en raison de la montée de la construction dans le début des années 2000. Depuis 2012, ce secteur a connu, en revanche, une baisse constante de ses effectifs. La baisse des emplois touche en premier lieu les grandes villes-centres et leur banlieue qui avait accueilli, après le Seconde Guerre mondiale, de nombreuses entreprises industrielles.
En 2014, l’importance des ouvriers non qualifiés est d’autant plus forte que l’on s’éloigne des grandes villes. Ils représentent seulement 5 % des emplois dans les villes-centres de plus de 100 000 habitants, contre 12 % dans les couronnes urbaines, les moyennes et petites aires et 13 % dans les communes éloignées des villes. Leur part est particulièrement élevée dans les zones agricoles et viticoles.
Autres emplois qualifiés : des évolutions disparates
Entre les cadres et professions intellectuelles supérieures, d’une part, et les emplois non qualifiés, d’autre part, les autres emplois qualifiés regroupent toutes les autres professions : artisans, commerçants et chefs d’entreprise, professions intermédiaires ainsi que les employés et ouvriers qualifiés. Leur importance a baissé entre 1982 et 2014. Ils constituaient 67,4 % des emplois en France métropolitaine en 1982. Leur part passe à 61,2 % en 2014. Le nombre d’exploitants agricoles et, plus récemment, celui des secrétaires enregistrent de forts reculs. Les effectifs des ouvriers qualifiés de type industriel sont également concernés. L’administration a joué un rôle d’amortisseurs en créant de nombreux postes de professions intermédiaires, en particulier dans les chefs lieu de département. Les difficultés financières croissantes des collectivités territoriales limitent à l’avenir leurs possibilités à créer des emplois intermédiaires ou qualifiés. Par ailleurs, la digitalisation des activités devrait conduire les collectivités publiques à réduire leur nombre d’emploi dans les prochaines années.
L’Île-de-France : la région des cadres et professions intellectuelles supérieures
Du fait de la concentration des sièges sociaux, de centres de recherche en Île-de-France ainsi qu’un grand nombre d’administrations, le poids des cadres et des professions intellectuelles supérieures est nettement plus élevé que dans le reste de la France. Ils représentaient 30 % de la population active occupée en 2014 contre 16 % en Auvergne-Rhône-Alpes, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, ainsi qu’en Occitanie et 11 % à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe et en Corse. Les employés non qualifiés présents dans les commerces et services de proximité sont plus équitablement répartis dans les territoires. Ils constituent 11 % des emplois en Île-de-France et jusqu’à 17 % à La Réunion. Le poids des ouvriers non qualifiés au sein de la population active est un marqueur des spécialisations régionales dans l’industrie. Ainsi, il est élevé en Bourgogne-Franche-Comté, dans les Pays de la Loire, dans les Hauts-de-France, le Grand Est et en Normandie.
Dans les DOM, les parts des cadres et professions intellectuelles supérieures et des autres emplois qualifiés progressent. En 2014, les cadres et professions intellectuelles supérieures constituent 11 % de l’ensemble des effectifs en Guadeloupe, Martinique et à La Réunion et 13 % en Guyane grâce à l’implantation locale de la filière spatiale. Ils représentent en comparaison 14 % des emplois dans les régions de province. L’emploi ultramarin fait une large place aux employés non qualifiés, qui constituent hors Guyane de 15 à 17 % des emplois, bien plus qu’aux ouvriers non qualifiés, faute de tradition industrielle. Le nombre de cadres et professions intellectuelles supérieures progresse depuis 1999, dans les DOM comme en métropole. Spécificité ultramarine, la part des autres emplois qualifiés augmente, contrairement à celle des employés non qualifiés.
La polarisation des emplois favorisent donc, l’Île de France et les grandes métropoles. Elle aboutit donc à creuser les écarts entre les villes centres d’agglomération, les banlieues autrefois industrielles et les territoires ruraux. Cette polarisation explique, en partie, l’impression d’abandon exprimée par les habitants vivant en zone rurale.
Le bonheur est-il encore une idée neuve ?
L’OCDE qui rassemble 35 pays avancés réalise depuis de nombreuses années des études pour apprécier l’évolution des conditions de vie et du bien-être. La dernière enquête publiée au mois de novembre souligne que les crises de 2008 et de 2011 ont modifié en profondeur le ressenti de la population vis-à-vis de l’économie. Néanmoins, depuis 2014, une amélioration est constatée mais elle demeure faible au regard des tendances constatées avant la Grande Récession.
L’argent ne fait pas le bonheur mais peut y contribuer
En effet, la remontée du moral est concomitante à la hausse des rémunérations. Néanmoins, une rupture est intervenue depuis la crise. Durant la décennie 2007 / 2017, la progression a été deux fois plus faibles que lors de la décennie précédente.
La précarité de l’emploi a augmenté d’un tiers depuis 2007, première année où elle a été mesurée. Le chômage de longue durée reste à un niveau supérieur à celui de 2005, quand la satisfaction moyenne à l’égard de la vie accuse un léger repli.
L’éducation et l’emploi des paramètres clefs pour les conditions de vie
Si depuis 2005, l’espérance de vie moyenne a progressé de 3 ans au sein de l’OCDE, le rapport souligne que les hommes âgés de 25 ans ayant arrêté leurs études avant l’enseignement secondaire du deuxième cycle vivent, en moyenne, près de huit ans de moins que les hommes ayant mené à terme des études universitaires. Cet écart est plus faible pour les femmes (5 ans).
Bien qu’affichant un niveau d’instruction plus élevé que les générations antérieures, les jeunes de moins de 25 ans ont 60 % de risques en plus d’être au chômage que la tranche d’âge des 25-54 ans.
Les travailleurs d’âge moyen ont pour leur part près de deux fois plus de risques d’avoir de très longs horaires de travail (50 heures par semaine ou plus) que ceux de moins de 25 ans.
Le revenu médian des ménages immigrés est inférieur de 25 % en moyenne à celui des ménages autochtones. Les migrants affichent plus souvent une mauvaise santé, sont moins nombreux à affirmer pouvoir compter sur quelqu’un en cas de difficultés, et sont généralement moins satisfaits de leur vie que les autochtones. Les migrants ont davantage de risques de vivre dans des logements inadaptés, de travailler en dehors des horaires de travail normaux et de se sentir déprimés.
La confiance dans la société et les pouvoirs publics passe par l’éducation
Le rapport met également en lumière la distance entre les citoyens et les institutions publiques. La confiance dans ces institutions s’est érodée depuis la crise. Seuls 38 % des individus déclarent avoir confiance dans leur gouvernement. Une légère remontée est notée depuis 2014 avec le retour de la croissance.
Les personnes peu qualifiées ressentent de manière générale une satisfaction moindre à l’égard de leur vie, votent moins et se sentent faiblement concernés par la vie de la société. Le taux de participation électorale des 20 % des individus aux revenus les plus modestes est inférieur de 14 points à celui des 20 % les plus aisés. Les jeunes de moins de 25 ans sont également 20 % moins susceptibles d’exercer leur droit de vote que les personnes âgées de plus de 55 ans. Les difficultés d’insertion professionnelle expliquent, en partie, ce désintérêt chez les jeunes. Les études portant sur les conséquences des techniques d’information et de communication semblent prouver qu’elles ne contribuent à une plus grande participation à la vie de la cité. Les réseaux sociaux participent à l’information, génèrent même des débats mais favorisent aussi la radicalisation des opinions. Les membres des réseaux sociaux se contentent des sources d’information ou des contacts confirmant leurs opinions. Par ailleurs, les réseaux sont des vecteurs de transmission de rumeurs et de fausses informations. En cas de consommation à haute dose, Internet accélère les processus de désocialisation et d’isolement.
Les élèves et le collaboratif, le nouveau défi de l’éducation
Du fait de la complexification des process de production et de l’évolution des techniques, le travail collaboratif s’impose dans la sphère professionnelle. Afin de préparer les élèves à cette nouvelle donne, les systèmes éducatifs l’intègrent de plus en plus comme méthode d’enseignement. L’OCDE a réalisé sur ce sujet une étude auprès de 125 000 élèves de 15 ans issus de 52 pays. L’objectif était de mesurer leurs capacités à travailler ensemble, ainsi que leur disposition à l’égard de la collaboration.
Le travail collaboratif valorise les meilleurs élèves
Les élèves qui ont des compétences plus solides en compréhension de l’écrit ou en mathématiques obtiennent de meilleurs résultats dans le cadre des ateliers collaboratifs qui nécessitent une aptitude à gérer et à interpréter des informations. Ces ateliers exigent par ailleurs de bonnes capacités d’adaptation et de raisonnement. Les pays les mieux classés au PISA[1] comme la Corée, le Japon ou Singapour, sont également en tête pour les tests portant sur la résolution collaborative de problèmes. Toutefois, en Australie, en Corée, aux États-Unis, au Japon et en Nouvelle-Zélande, les élèves sont plus performants en résolution collaborative de problèmes que ce que laisseraient penser leurs scores en sciences, en compréhension de l’écrit et en mathématiques. En moyenne dans les pays de l’OCDE, 28 % des élèves ne sont capables de résoudre que des problèmes collaboratifs simples. À titre de comparaison, en Estonie, en Corée, à Hong Kong (Chine), au Japon, à Macao (Chine) et à Singapour, moins de 16 % des élèves ont de faibles résultats en résolution collaborative de problèmes.
Les filles surclassent les garçons
En règle générale, les filles sont, meilleures que les garçons. En moyenne dans les pays de l’OCDE, les filles ont 1,6 fois plus de chances que les garçons de figurer parmi les élèves les plus performants en résolution collaborative de problèmes, tandis que les garçons sont 1,6 fois plus susceptibles que les filles de se classer parmi les élèves les plus médiocres.
La diversité favorise le collaboratif
Le test n’a montré aucune différence significative dans les résultats des élèves selon qu’ils viennent d’un milieu favorisé ou non, ou qu’ils soient ou non issus de l’immigration. Pour autant, les élèves qui sont exposés à la diversité en classe développent généralement de meilleures compétences collaboratives. Par exemple, dans certains pays, les élèves autochtones enregistrent de meilleurs résultats au regard des aspects du test portant spécifiquement sur la collaboration lorsqu’ils fréquentent des établissements qui comptent une plus forte proportion d’élèves issus de l’immigration.
Les jeux vidéo n’incitent pas au collaboratif
En moyenne dans les pays de l’OCDE, les élèves qui jouent aux jeux vidéo en dehors du temps scolaire ont des résultats en résolution de problèmes collaborative légèrement inférieurs à ceux de leurs camarades qui n’y jouent pas. À l’inverse, les élèves qui surfent sur Internet ou utilisent les réseaux sociaux en dehors de l’école ont des résultats légèrement supérieurs aux autres.
L’ouverture sur l’extérieur et le sport sont des atouts
Les activités visant à instaurer des liens de solidarité à l’école peuvent contribuer au développement des compétences collaboratives en résolution de problèmes, surtout si elles font directement participer les élèves. Pour aller dans ce sens, les établissements scolaires pourraient organiser davantage d’activités sociales de ce type, former les enseignants à la conduite d’une classe et s’attaquer au problème du harcèlement.
Les élèves qui suivent des cours d’éducation physique ou pratiquent une activité sportive d’une manière plus générale ont souvent un état d’esprit plus ouvert à l’égard de la collaboration.
Dans le système éducatif français, le travail dit participatif est de plus en plus fréquent. La réalisation de travaux, d’exposés, de cas pratiques en groupe s’effectue tant durant les heures de cours que pour les devoirs à la maison. Comme le souligne l’OCDE, cette pratique peut se révéler plus enrichissante pour les meilleurs élèves qui peuvent prendre la direction de ces travaux en groupe et pour ceux qui sont socialement mieux insérés. Le succès de ces techniques suppose une forte implication du personnel enseignant. Un lien entre le travail participatif et les scores PISA semble donner raison aux tenants de sa plus large diffusion.
[1] PISA est une enquête menée par l’OCDE tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les pays membres et dans de nombreux pays partenaires. Elle évalue l’acquisition de savoirs et savoir-faire essentiels à la vie quotidienne au terme de la scolarité obligatoire.