Le Coin des tendances du 6 janvier 2018
Des inégalités contenues
La crise, la digitalisation et la mondialisation auraient tendance à accroître les inégalités. Les plus riches seraient de plus en plus riches quand les plus pauvres seraient de plus en plus pauvres. Cette antienne ne semble pas être vérifiée en France. Les indicateurs de l’INSEE mesurant les inégalités et la pauvreté sont sur moyenne période même si de petites inflexions peuvent être constatées.
Les résultats de l’enquête Revenus fiscaux et sociaux de l’INSEE pour 2015 sont plutôt encourageants. Ainsi, le niveau de vie médian des personnes vivant dans un ménage de France métropolitaine est de 20 300 euros, soit 1 692 euros par mois. Ce montant partage la population en deux, la première moitié ayant moins et la seconde ayant plus. Pour une famille composée d’un couple avec deux enfants de moins de quatorze ans, ce montant correspond à un revenu disponible de 42 630 euros par an, soit 3 553 euros par mois. En 2015, le niveau de vie médian a progressé de 0,4 % en euros constants. Néanmoins, cette augmentation de faible ampleur ne permet pas de compenser la baisse intervenue depuis la crise et reste donc toujours inférieure à son niveau atteint en 2008.
Le niveau de vie des plus aisés repart à la hausse
Du fait de l’augmentation de 2012 à 2014 des prélèvements et de la diminution des revenus du patrimoine, le niveau de vie des personnes des 10 % les plus riches a diminué fortement tandis qu’il s’est stabilisé dans le reste de la distribution. En 2015, le niveau de vie des 10 % de personnes les plus aisées a augmenté à nouveau. La hausse est plus marquée pour les 5 % les plus riches. La progression a été respectivement de + 1,4 % et + 2,3 % mais leurs niveaux restent toutefois inférieurs de 3 % à 5 % à leurs pics de 2011. Cette inversion de tendance peut s’expliquer par le dynamisme des salaires et des pensions dans le haut de la distribution en 2015.
Dans le bas de la distribution, les niveaux de vie stagnent en 2015 à l’exception du premier décile dont l’augmentation de 0,3 % compense le léger repli de l’année précédente. L’amélioration de la situation pour les plus modestes provient de l’augmentation des prestations sociales (prestations familiales, allocations logement et minima sociaux), sachant que ces dernières représentent la moitié de leur revenu disponible. Les personnes du deuxième décile ont également profité de la revalorisation des prestations sociales mais leur niveau de vie a stagné du fait de la contraction des revenus salariaux (augmentation du chômage).
Les retraités améliorent leur pouvoir d’achat
Le niveau de vie médian des retraités augmente de 1,0 % en 2015. Par effet noria (remplacement des générations anciennes de retraités par des générations plus jeunes ayant des pensions plus élevées), le montant des revenus des retraités augmente.
La situation contrastée des actifs
Avec 18 450 euros en 2015, les ouvriers ont le niveau de vie médian le plus faible. Il représente 56 % du niveau de vie médian des cadres et professions intellectuelles supérieures. D’autant que , en 2015, leur revenu médian des ouvriers a légèrement reculé, passant de 18 520 euros à 18 450 euros.
Les travailleurs indépendants ont un niveau de vie médian proche de celui de la population générale, mais l’emploi non salarié concerne un large éventail de professions et de rémunérations. Les chefs d’entreprises et les professions libérales, qui représentent 20 % des indépendants, ont un niveau de vie médian supérieur au neuvième décile. Leur situation contraste fortement avec celle des agriculteurs et des artisans, qui représentent 40 % des indépendants et dont le niveau de vie médian est proche de celui des ouvriers.
Une partie des écarts de niveau de vie entre catégories socioprofessionnelles s’explique par un risque de chômage différent : en 2015, le taux de chômage est inférieur à 6 % pour les professions intermédiaires, les cadres et professions intellectuelles supérieures et les non-salariés, mais atteint 10 % pour les employés et un peu plus de 15 % pour les ouvriers.
Un taux de pauvreté stable
En 2015, les indicateurs d’inégalités restent stables. Certes, les niveaux de vie augmentant davantage dans le haut de la distribution que dans le bas, l’indice de Gini s’accroît de 0,3 point de pourcentage (de 0,289 en 2014 à 0,292 en 2015) après être resté stable en 2014. L’indice demeure néanmoins inférieur aux niveaux atteints dans les années 2010 à 2012 (où il était au-dessus de 0,300). En outre, le rapport entre la masse des niveaux de vie détenue par les 20 % de personnes les plus aisées et celle détenue par les 20 % les plus modestes est stable à 4,4. Enfin, le rapport entre le neuvième décile, niveau de vie plancher des 10 % les plus aisés, et le premier décile, plafond des 10 % les plus modestes demeure fixé à 3,5. La France reste un des pays les plus égalitaires en Europe. Par ailleurs, à la différence de l’Allemagne ou du Royaume-Uni, les inégalités ne progressent que très faiblement en France depuis le début des années 2000.
Le taux de pauvreté est de 14,2 % en 2015
Le taux de pauvreté monétaire, en 2015, s’élève à 14,2 % de la population, légèrement supérieur à celui de 2014 (14,0 %).
En 2015, 8,9 millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté monétaire qui s’élève à 1 015 euros par mois. À titre de comparaison, pour une personne seule, le socle du RSA s’élève à 524 euros et l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) à 802 euros. En 2015, 66,2 % des ménages bénéficiaires du RSA vivent au-dessous du seuil de pauvreté et c’est également le cas de 42,0 % des ménages qui perçoivent le minimum vieillesse. Le niveau de vie médian des personnes pauvres progresse depuis 2012. Il a augmenté de 1,0 % en atteignant 815 euros par mois au seuil de 60 % en 2015 (contre 807 euros en 2014 en euros constants).
La pauvreté est avant tout concentrée chez les demandeurs d’emploi et les jeunes de moins de 18 ans dont les familles sont sans revenu. Depuis la crise, en raison de l’importance des revenus de transfert, le taux de pauvreté pour les différentes catégories de la population est très stable.
15,3 % des ouvriers sont pauvres contre 5,3 % des professions intermédiaires (techniciens, commerciaux, instituteurs, infirmiers…) et 3,1 % des cadres et professions intellectuelles supérieures (y compris professions libérales). Le taux de pauvreté des indépendants s’élevait à 22 % en 2015. Ce taux élevé s’explique par le poids des auto-entrepreneurs et aussi par un nombre non négligeable d’agriculteurs et d’artisans pauvres. Le taux de pauvreté dépasse 20 % pour les artisans et 25 % pour les agriculteurs. La couverture sociale plus faible des travailleurs non-salariés contribue également à ce fort taux de pauvreté. Le taux de pauvreté des demandeurs d’emploi atteint 37,6 % quand celui des actifs occupés est de 8 %. Le taux de pauvreté des retraités est, quant à lui, stable à 7,3 % après avoir baissé depuis 2010.
Le serpent de mer de la réforme de la formation professionnelle
Depuis trente ans, la réforme de la formation professionnelle est un chantier ouvert. En la matière, les antiennes sont nombreuses, la formation coûterait chère et serait ciblée sur des publics qui ne seraient pas obligatoirement ceux qui en auraient le plus besoin. Face à ce constat, les pouvoirs publics ont tenté, à plusieurs reprises, de modifier la donne. Il a été ainsi procédé à la régionalisation de la formation et à l’instauration du compte formation. Le bilan apparaît mitigé au point qu’Emmanuel Macron s’est engagé à conduire rapidement une nouvelle réforme.
Le système actuel de formation professionnelle est sans nul doute d’une rare complexité car il repose sur un grand nombre d’acteurs dont les compétences s’entremêlent. L’Etat, les régions, Pôle Emploi, les organismes paritaires collecteurs agréés et les structures publiques et privées de formation agissent sans réelle feuille de route et sans plan de coordination.
La complexité provient de la superposition des acteurs et des dispositifs. Les jeunes à la recherche d’un premier emploi, les demandeurs d’emploi ayant des problèmes de réinsertion, les actifs ayant un emploi peuvent obtenir des formations de la part de plusieurs organismes dont le financement sera pluriel.
32 milliards d’euros pour la formation
La dépense nationale pour la formation professionnelle continue et l’apprentissage s’élevait, en 2014, à 32 milliards d’euros (derniers chiffres connus DARES – juin 2017). Elle représente 1,5 % du PIB français, soit moins de 2 % de la masse salariale, quand les congés payés en représentent 14 %. Les dépenses de retraites absorbent plus de 40 % des dépenses sociales.
Les entreprises en tête de pont
Les entreprises demeurent le principal financeur de la formation (45,2 % de la dépense globale), les régions occupant la deuxième place (14,2 %) et l’État la troisième (11,8 %). La dépense des autres administrations ou organismes investis d’une mission de service public dont l’Agefiph, l’Unedic et Pôle emploi, représente 6,7 % de la dépense totale. Pour le compte de leurs agents, les trois fonctions publiques mènent des actions de formation à hauteur de 5,5 milliards d’euros, ce qui représente 17 % de l’effort national en la matière. De leur côté, les ménages assurent 4,3 % des dépenses de formation. Si le poids des entreprises s’accroit, en revanche, celui de l’Etat et des collectivités locales tend à diminuer.
Les entreprises dépensent près de 15 milliards d’euros pour la formation, soit 2,7 % de la masse salariale, ce qui est supérieur à l’obligation légale fixée à 1,6 %. Ce taux de participation est stable depuis la crise de 2008. Il évolue dans les faits comme la masse salariale. La part des organismes paritaires collecteurs agréés dans la dépense globale des entreprises a tendance à diminuer. En 2014, elle représentait néanmoins 46,7 % de cette dépense.
Les entreprises ont consacré plus de 2,3 milliards d’euros de formation, soit 16 % de la dépense totale des entreprises. Les personnes à la recherche d’emploi ont bénéficié de formations prises en charge par les entreprises à hauteur de 771 millions d’euros. Par ailleurs, les entreprises ont assuré directement pour leurs salariés des formations évaluées à 11,1 milliards d’euros.
La formation, une compétence attribuée aux régions
Les lois de décentralisation ont confié la formation aux régions. L’objectif était, au nom du principe de subsidiarité, de rapprocher l’exercice de cette compétence des bénéficiaires mais ce transfert ne s’est pas accompagné d’une réelle simplification. Il en a résulté un mille-feuille que la nouvelle majorité entend simplifier.
En 2014, elles ont contribué à 4,5 milliards d’euros pour la formation professionnelle (hors dépenses pour leurs propres agents). Le premier poste de dépenses est la formation des jeunes (58 % de la dépense) avec en tête l’apprentissage (les deux tiers de ce poste de dépense). Les régions ont réduit leur effort en la matière avec la réforme mise en œuvre à compter du 1er janvier 2014. Les stages de formation en faveur des jeunes sont, en revanche, en hausse et représentent pour les régions une charge de 1 milliard d’euros. Les conseils régionaux ont consacrés 1,2 milliard d’euros aux personnes en recherche d’emploi et 400 millions pour les salariés en poste.
L’Etat demeure un acteur important
Malgré les lois de décentralisation, l’Etat continue à intervenir directement dans la formation professionnelle. L’Etat a ainsi dépensé (hors formation de ses agents) 3,7 milliards d’euros pour la formation dont 2 milliards d’euros au profit des jeunes, 1 milliard au profit des actifs ayant un emploi et 407 millions au profit des demandeurs d’emploi.
La formation au sein des fonctions publiques, 5,5 milliards d’euros
La formation des agents des fonctions publiques s’élève à 5,5 milliards d’euros avec la répartition suivante : 2,3 milliards d’euros pour l’Etat, 2,5 milliards d’euros pour la fonction publique territoriale et 758 millions d’euros pour la fonction publique hospitalière. Les dépenses de formation ne sont pas proportionnelles aux effectifs. Elles peuvent apparaître faibles au regard de la technicité des missions dans la fonction publique hospitalière. Le poids relatif élevé des dépenses de formation des collectivités locales est lié aux « emplois d’avenir » qu’elles ont créés à la demande de l’Etat.
Les jeunes en difficulté et les demandeurs d’emploi, les mal aimés de la formation ?
Même si, depuis plusieurs années, la part des dépenses de formation consacrée aux demandeurs d’emploi augmente, elle reste faible au regard des besoins. Il en est de même pour les jeunes qui éprouvent des difficultés d’insertion, 22 % des moins de 25 ans étaient au chômage au mois d’octobre 2017. Les actifs occupés bénéficient de 42,8 % de l’effort de formation. Néanmoins, à leur égard, les entreprises se désengagent au profit de structures publiques. Ainsi, de 2007 à 2014, la participation des entreprises dans le financement des actions de formation à destination de leurs salariés est passée de 86 à 82 %.
Les difficiles contours de la future réforme
Les dernières réformes concernant la formation ont donné des résultats mitigés. Lancé en 2015, le Compte Personnel de Formation (CPF) avait comme objectif de donner à chaque salarié la possibilité de bâtir son parcours de formation tout au long de leur carrière. Initialement accessible aux seuls actifs du secteur privé, le CPF est ouvert aux agents publics depuis 2017 et aux indépendants depuis le 1er janvier 2018.
Le compte permet à un salarié d’engranger jusqu’à 150 heures de formation mobilisables même pendant ses périodes de chômage. Trois ans après son entrée en vigueur, le dispositif n’a pas modifié la donne en matière de formation professionnelle. Sur 18 millions de Français concernés à peine 1 % y a eu recours. Néanmoins, des progrès ont été enregistrés en 2017. En effet, l’année dernière, plus de 575 000 formations ont été financées à partir d’un compte personnel de formation, soit une hausse de 16 % par rapport à 2016, selon des données du ministère du Travail. 1,45 million de personnes ont activé leur CPF, portant à 5,26 millions le nombre total de comptes ouverts au 1er janvier 2018. Parmi eux, 576 230 ont vu leur projet de formation validé. Parmi les formations CPF les plus demandées figurent celles menant à des certifications en langue (Toeic et Bulats) ou en bureautique (Tosa et Passeport de compétences informatique européen), au diplôme d’Etat d’aide-soignant, aux certificats d’aptitude à la conduite de transpalettes et de chariots élévateurs, ou encore au stage de préparation à l’installation pour les futurs chefs d’entreprises. Moins de 3 % des salariés ont donc utilisé leur compte personnel en 2016 et 0,25 ont demandé à bénéficier d’un congé individuel de formation.
Le Gouvernement entend simplifier la gouvernance de la formation mais aussi soncontenu. Aujourd’hui, près de 97 000 organismes privés délivrent des formations dont 8000 assurent 95 % des formations. Le contrôle de ces organismes et des formations est faible. Ces sociétés se créent assez facilement, sans exigence de résultats. Le gouvernement pourrait annoncer un durcissement des critères s’appliquant à ces formations plus ou moins sérieuses. Concrètement, des labels seraient décernés et des taux d’insertion demandés à ces structures.
Le Gouvernement souhaite que l’effort de formation profite davantage aux ouvriers et aux employés ainsi qu’aux demandeurs d’emploi. En 2016, près de 70 % des cadres, ont eu accès à au moins une formation contre 37 % des ouvriers.