Le Coin de la Conjoncture du 24 février 2018
L’Europe est-elle surcotée ?
Depuis l’année dernière, la zone euro est devenue « the place to be » pour les économistes et pour les investisseurs. Cet optimisme se traduit par des entrées de capitaux et contribue à l’appréciation de la monnaie unique.
La zone euro représente 11,5 % du PIB mondial en parités de pouvoir d’achat contre 16 % pour la Chine, 14 % pour les États-Unis et 4 % pour le Japon. La zone euro souffre toujours d’un taux de chômage élevé (8,7 %) dont une partie apparaît structurelle. L’employabilité des jeunes de 15 à 29 ans demeure un problème. Ainsi le nombre de jeunes sans emploi et déscolarisés s’élevait, en 2017 à 16 % contre 17 % en 2013 mais deux points au-dessus de son point bas de 2008 à 13,8 %. La zone euro est handicapée par de faibles gains de productivité. Fin 2017, en moyenne lissée sur 5 ans, ils atteignaient 0,5 % contre 1 % avant crise. La productivité globale des facteurs est quasi étale depuis 15 ans, ce qui pèse sur la croissance potentielle.
L’Europe a accumulé un lourd retard en matière d’investissement et en particulier en ce qui concerne les Nouvelles technologies. Les investissements NTIC représentent 1,5 % du PIB aux États-Unis contre 1 % en zone euro. Le retard est également assez marqué en matière de robotisation de la production.
La zone euro a été confrontée à un processus de désindustrialisation plus important qu’aux États-Unis ou qu’au Japon. En 2017, la capacité de la production manufacturière est 4 points au-dessous de son niveau de 2008. En 15 ans, l’emploi manufacturier a reculé de 15 points. L’Europe ne dispose que d’un faible nombre d’entreprises de taille internationale dans le secteur des NTIC.
La zone euro est confrontée à la hausse de la dette des ménages et des entreprises ainsi que de celle des administrations publiques. Le taux d’endettement dépasse 240 % du PIB en ce début d’année 2019 contre 200 % en 2002. Une stabilisation a été simplement opérée en 2016 surtout grâce aux efforts de l’Allemagne.
La zone euro se caractérise par un excès d’épargne qui n’est pas recyclé en interne. Selon les résultats provisoires pour l’ensemble de 2017 publiés par la Banque de France, le compte des transactions courantes a enregistré un excédent de 391,4 milliards d’euros (3,5 % du PIB de la zone euro), après un excédent de 367,6 milliards (3,4 % du PIB de la zone) en 2016. Cet accroissement s’explique par une hausse des excédents au titre des services (de 39,0 milliards d’euros à 80,9 milliards) et des revenus primaires (de 95,3 milliards à 112,8 milliards). Ces évolutions ont été, en partie, contrebalancées par une diminution de l’excédent des biens (de 373,0 milliards d’euros à 348,2 milliards) et par un accroissement du déficit au titre des revenus secondaires (de 139,7 milliards à 150,5 milliards).
Depuis 2008, en termes de croissance, la zone euro a accumulé un important retard (plus de 0,6 point par an) par rapport aux États-Unis. Un phénomène de rattrapage est attendu. A l’exemple de l’Espagne qui bénéficie depuis trois ans d’un rythme de croissance soutenu, plus de 3 % en base annuelle, certains pays effacent rapidement les stigmates de la crise.
Les Européens n’exploitent pas suffisamment leurs atouts. Ainsi, en moins de vingt ans, l’euro est devenu la deuxième devise du monde avec près de 20 % des réserves de changes (contre 64 % pour le dollar). La monnaie européenne assure près du tiers des paiements internationaux. L’espace commercial européen est le plus vaste et le plus riche du monde. Au regard des autres grandes zones économiques, les inégalités sont faibles ce qui concourt à rendre homogène le marché européen. Néanmoins, l’Europe souffre de n’être qu’une communauté de droit. Depuis l’instauration de l’euro en 1999 et l’élargissement aux pays d’Europe de l’Est (2004 et 2007), l’Union européenne est en mode « gestion de crise ». Au cas par cas, les responsables tentent de parer les coups. La réorientation du budget, la mise en place d’un fonds pour l’innovation, la création de dispositifs de soutien économique en cas de chocs asymétriques sont toujours à l’étude et butent sur les égoïsmes nationaux. Malgré le Brexit, malgré le refus de plusieurs États, remplissant pourtant l’ensemble des conditions pour intégrer l’euro (Pologne, République tchèque), les États membres n’ont pas souhaité institutionnaliser les instances de la monnaie unique. L’Eurogroupe reste dépendant du Conseil des Ministre des Finances de l’Union européenne. Depuis vingt ans, les chefs d’État et de gouvernement se sont entendus pour marginaliser la Commission de Bruxelles qui a perdu de son lustre. La création du Fonds Monétaire Européen (FME), à l’ordre du jour de la réunion de l’Eurogroupe du 20 février dernier, symbolise le conflit larvé qui existe entre le Conseil européen et la Commission. Cette dernière souhaitait que le FME qui a vocation à succéder au Mécanisme Européen de Stabilité Financière soit placé sous sa responsabilité. Les Chefs d’État et de Gouvernement veulent en conserver la maîtrise. Par ailleurs, ces derniers ne désirent pas créer une nouvelle institution à vocation fédérale. Le FME permettra de venir en aide à des États en difficulté et d’éviter ainsi l’intervention du FMI. La Banque Centrale Européenne devrait donc rester la seule institution fédérale au sein de l’Union européenne. Néanmoins, une banque centrale, indépendante des pouvoirs politiques, ne peut pas porter seule la politique économique d’un espace économique de plus de 300 millions d’habitants.
Le problème avec l’Allemagne, c’est qu’elle épargne
Année après année, l’Allemagne dégage des excédents au niveau de sa balance des paiements. De 2002 à 2017, le solde de la balance commerciale de biens et services a été multiplié par deux, passant de 4 à 8 % du PIB. L’excédent courant allemand (8,5 % du PIB) est quatre fois supérieur à celui du reste de la zone euro (2 % du PIB). Les derniers résultats du 4e trimestre 2017 ont confirmé que la croissance allemande reste essentiellement portée par le commerce extérieur. La consommation des ménages et l’investissement sont restés étales au cours du dernier trimestre de l’année dernière.
Cette situation pourrait provenir de la sous-évaluation, pour l’Allemagne, de l’euro qui reflète le niveau moyen de la compétitivité des différents États membres. Trop fort pour l’Italie ou la France, l’euro serait, a contrario, trop faible pour l’Allemagne. Une valorisation de 30 % de l’euro serait nécessaire pour provoquer une réelle diminution de l’excédent allemand. Néanmoins, cette appréciation ne tient pas au regard des coûts de production allemands qui figurent parmi les plus élevés de l’Union européenne. En revanche, les Allemands ont fait preuve d’une plus grande modération dans les augmentations salariales que leurs partenaires européens durant la période 2002/2012. Un phénomène de rattrapage est en cours depuis 2012. Ainsi, les salaires ont progressé de 30 % en Allemagne de 2002 à 2017 contre 45 % en Espagne et 40 % en France. Il convient de souligner que l’Italie a enregistré des augmentations équivalentes à celles de l’Allemagne.
Compte tenu des coûts de production, il apparaît plus sûrement que l’excédent extérieur de l’Allemagne ne vient pas de la sous-évaluation réelle de son taux de change, mais de l’excès d’épargne aussi bien du secteur public que du secteur privé. Cet excès d’épargne résulte des excédents budgétaires, des profits des entreprises et du comportement des ménages.
Le solde public allemand s’élève à +0,8 % du PIB quand, pour le reste de la zone euro, il est négatif de près de 2 % du PIB. Par ailleurs, l’Allemagne se caractérise par un faible niveau d’investissement public, 2,1 % du PIB contre 2,8 % pour le reste de la zone euro. Le taux allemand est faible depuis quinze ans quand celui du reste de la zone euro se situait entre 3,5 et 4 % du PIB entre 2002 et 2008. Le taux de profit des entreprises allemandes est de 12,5 % du PIB et il a été supérieur à 14 % durant plusieurs années. Le taux d’épargne des ménages est de 17,5 % du revenu disponible brut quand celui du reste de la zone euro est de moins de 10 %.
Si l’Allemagne avait le même déficit public et le même taux d’épargne des ménages que le reste de la zone euro, son excédent extérieur serait, selon le directeur des études économiques de Natixis, Patrick Artus, 7,5 points de PIB plus faible, c’est-à-dire qu’il serait pratiquement inexistant.
La solution au problème d’excédent extérieur de l’Allemagne ne serait donc pas une hausse rapide des salaires, mais un accroissement des dépenses d’investissements publics ou une baisse du taux d’épargne des ménages allemands.
Avec l’augmentation de la population active liée à la forte immigration, le besoin de constituer des réserves en vue de la retraite se justifie moins que dans le passé. Depuis 2016, la population active croît de 1 % par an contre +0,25 % entre 2003 et 2008. L’immigration nette représente en flux annuel plus de 1 % de la population et cela depuis 2014.
L’effort d’épargne des ménages allemands pourrait se réduire avec la remontée des taux. Par effet d’encaisse, les Allemands mettraient actuellement plus d’argent afin de pouvoir atteindre leurs objectifs patrimoniaux.
L’autre problème de l’excédent allemand est lié au fait que, depuis 2012, il n’est plus prêté aux autres pays de la zone euro. Il est avant tout placé : soit en titres obligataires allemands, soit investi en dehors de la zone euro. L’Allemagne aspire l’épargne européenne mais ne redistribue pas. Le Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, souligne la nécessité de mettre en place une véritable « Union de financement pour l’investissement et l’innovation » qui devrait être dotée, à ses yeux, « des 350 milliards d’euros d’épargne excédentaire » actuellement en circulation en Europe. Ils devraient être destinés aux fonds propres des entreprises européennes et à l’innovation, digitale ou énergétique. Par ailleurs, il réclame des progrès concrets pour l’Union des marchés de capitaux. Ces progrès devraient concerner la révision des règles comptables, de la fiscalité et des lois de faillite pour faciliter l’investissement transfrontière, notamment en fonds propres, et la création de produits d’épargne pan-européens de long terme.
Les PME de plus en plus adeptes de financements alternatifs
Depuis la crise financière de 2008, les banques ont tendance à réduire leurs risques en matière de prêts en particulier à destination des PME. À défaut de pouvoir s’adresser directement aux marchés financiers, les petites et moyennes entreprises se tournent de plus en plus, au sein de l’OCDE, vers des moyens de financement dits alternatifs comme les plateformes collaboratives. Malgré tout, les crédits bancaires restent de loin leur première source de financement.
Le recours à des financements en ligne « alternatifs » est particulièrement marqué en Chine, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Le crédit-bail, la location-vente, l’affacturage et l’escompte de factures, qui reposent sur des valeurs d’actifs plutôt que sur la cote de crédit, progressent et cela depuis deux ans.
L’OCDE a indiqué dans le cadre d’une étude publiée, le 21 février 2018, que les nouveaux prêts bancaires aux PME a, en 2016, diminué chez 50 % des Etats membres. Le taux de croissance des prêts reste inférieur à celui d’avant crise. Le taux d’intérêt moyen appliqué aux PME avait, en revanche, diminué en 2016 dans la quasi-totalité des pays. Ils n’ont augmenté qu’au Canada, en Colombie, aux États-Unis, en Israël, au Kazakhstan et au Mexique. Par ailleurs, les taux de rejet des demandes de crédit ont reculé en 2016 dans une majorité de pays.
En particulier pour les jeunes entreprises, les problèmes structurels d’accès aux sources externes de financement concernent, les start-ups, les microentreprises et les entités innovantes sans modèle économique éprouvé. Ces entreprises sont souvent dépourvues d’actifs facilement utilisables comme sûreté. Il n’est pas rare qu’elles disposent d’actifs incorporels, mais bien des difficultés demeurent pour utiliser ces derniers en échange de financements.
Les volumes d’affacturage ont augmenté dans près des deux tiers des pays pour lesquels des données sont disponibles. Les investissements de capital-risque ont également progressé dans une majorité de pays en 2016, même si leurs volumes sont restés en deçà des niveaux antérieurs à la crise. L’apport de fonds propres sont souvent bien adaptés aux entités innovantes.
Le financement « alternatif » en ligne qui comprend le crédit interentreprises, les apports de fonds propres participatifs et le rachat de créances en ligne, enregistre une forte croissance au sein de l’ensemble des États membres de l’OCDE. Néanmoins, de fortes disparités régionales existent en la matière ; les marchés du Royaume-Uni, des États-Unis et surtout de la Chine sont très en avance sur ceux d’Europe continentale.
En revanche, les introductions en bourse diminuent surtout pour les PME, en particulier en Europe tout comme aux États-Unis. Les contraintes réglementaires et comptables constituent des freins pour l’introduction en bourse. Les entrepreneurs rechignent à l’arrivée d’actionnaires extérieurs. Les investisseurs se méfient encore des marchés après les krachs de 2008 et de 2011. L’aversion aux risques a augmenté. Enfin, les fables taux d’intérêt n’incitent pas les entrepreneurs à ouvrir leur capital, le prix à payer étant supérieur aux prix des emprunts.
Le Gouvernement d’Edouard Philippe entend justement favoriser l’accroissement des fonds propres en réorientant l’épargne des ménages vers des placements longs. La création d’un nouveau support au sein de l’assurance-vie et le développement de produit retraite avec une sortie en rente constituent les deux pistes qui devraient être retenues dans le cadre du prochain projet de loi PACTE qui sera présenté prochainement par Bruno Le Maire.