Le Coin des tendances du 10 mars 2018
Le bitcoin, innovation disruptive ou feu de paille en forme de tulipe
Le bitcoin est-il vraiment une monnaie ? Peut-il se substituer aux monnaies officielles en circulation comme le dollar ou l’euro ? Les crypto-monnaies peuvent-elles générer une disruption au niveau du système financier ?
Le bitcoin tout comme les autres crypto-monnaies vise à s’affranchir des structures monétaires, financières et bancaires de l’ancien monde. La suppression des intermédiaires financiers serait une source de gains. Les partisans des monnaies cryptées affirment que ces dernières assureront les fonctions bancaires de compensation, de conservation et de transaction de manière beaucoup moins onéreuse que les systèmes actuels. En voulant imposer un modèle reposant sur des réseaux pair à pair, ils entendent rendre la création monétaire aux acteurs de la vie économique.
L’engouement pour les tulipes dans le courant du XVIIe siècle, pour des raisons à l’origine décoratives et artistiques, entraîna une augmentation soudaine des cours de l’oignon de tulipe dans le nord des Provinces Unies (actuels Pays Bas), amplifiée par une spéculation croissante. Au plus fort de la bulle spéculative, en février 1637, la demande en provenance de toute l’Europe porta ainsi le cours de la promesse de vente pour un bulbe de tulipe à 15 fois le salaire annuel d’un artisan spécialisé, ou l’équivalent de 5 hectares de terre. L’effondrement brutal des cours, au printemps 1637, ruina un grand nombre d’investisseurs et emmena l’économie néerlandaise dans la crise. Le bitcoin dont le cours est passé en quelques mois de moins de 1000 dollars à près de 20 000 dollars ressemble aux bulbes de tulipe de 1637.
Qu’est-ce qu’une monnaie ?
Depuis Aristote, une monnaie répond à trois fonctions. Elle est une mesure des valeurs, un intermédiaire des échanges et un instrument de réserve.
La monnaie est un instrument universel de mesure applicable à des biens, à des services et des droits sur un territoire donné. Elle permet des comparer en outre des valeurs dans le temps passé, présent et futur.
La monnaie est l’intermédiaire des échanges. Elle permet le déroulement des opérations sur les biens et les services. Elle facilite les transactions en se substituant au troc. Cette fonction repose sur la confiance. La monnaie doit être acceptée soit volontairement, soit de manière forcée. La monnaie est donc un instrument d’arbitrage qui est indispensable pour l’équilibre général des marchés. Elle est au cœur du système des prix qui est l’expression de la rareté des ressources.
La monnaie est un instrument de réserve. Elle fait le lien entre passé, présent et futur. Elle permet de différer le paiement des achats et d’épargner. Sa valeur se doit d’être prévisible et relativement stable.
La monnaie n’est pas un moyen de paiement. Le numéraire, les chèques, les cartes de paiement, la monnaie électronique sont des outils permettant de régler un achat, d’effectuer un placement, de souscrire un prêt, un contrat d’assurance. Ils ne doivent pas être confondus avec la monnaie qui est une unité de valeur, de mesure.
Le bitcoin comme les autres crypto-monnaies ne répond pas à toutes les fonctions assignées à une monnaie. Certes, la Cour de Justice de l’Union Européenne a, dans une décision d’octobre 2015, précisé que le bitcoin est un moyen de paiement qui n’a pas d’émetteur unique. La Cour a souligné que le bitcoin ne peut pas être considéré comme un bien objet. Il correspond à une prestation de service de paiement qui ne peut pas, et cela était le cœur du litige, être soumis à la TVA. La Cour considère que le bitcoin est assimilé à un moyen de règlement direct entre les opérateurs qui l’acceptent. Il ne peut être alors confondu avec un chèque ou un effet de commerce. Cette décision n’a pas été retenue par la BCE qui est beaucoup plus réservé au sujet des crypto-monnaies.
Qui est l’inventeur du bitcoin ?
Nul ne le sait réellement. À sa création, en 2008, la paternité revenait à un Japonais anonyme connu sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. Sous ce nom, était réputé se cacher un groupe d’informaticiens. Dans un deuxième temps, la paternité a été accordée à un Finlandais, Mattti Malmi qui a été le premier à réaliser une transaction en bitcoin. Puis, d’autres pères putatifs ont été trouvé comme un Irlandais, un dénommé Mt Gox, qui a été le créateur de la première plateforme d’échange bitcoins. Le 2 mai 2016, le véritable créateur du bitcoin aurait révélé son identité à la BBC. Il s‘agirait d’un entrepreneur australien, Craig Wright.
Le mirage du bitcoin
Les miles des compagnies aériennes, les chèques restaurants, les monnaies légales sont des monnaies parallèles qui existent depuis des années sans pour autant donner lieu à une importante spéculation digne des bulbes de tulipes. Ces monnaies parallèles ne peuvent pas donner lieu à des opérations financières et n’ont pas surtout de cours légal et forcé. Personne n’est obligé de les accepter et leur objet est limité.
Le bitcoin est, selon une note de la Banque de France, « un actif virtuel stocké sur un support électronique permettant à une communauté d’utilisateurs l’acceptant en paiement de réaliser des transactions sans avoir à recourir à la monnaie légale ».
Si le bitcoin constitue le crypto-actif le plus médiatisé, plus de 1 300 actifs de ce type circuleraient, en 2018, dans le monde. Outre le bitcoin, d’autres crypto-actifs tels que l’ether ou le ripple, connaissent également un développement important. Leurs modalités de fonctionnement reposent sur des concepts similaires à ceux du bitcoin. L’encours des crypto actifs en circulation atteint environ 330 milliards d’euros fin janvier 2018, comprenant principalement le bitcoin (35%), l’ether (20%) et le ripple (10%). Mais ce montant est à relativiser au regard du stock de monnaie en circulation ayant cours légal. Selon la Banque de France, l’agrégat M1, qui correspond à la somme des billets et pièces en circulation et des dépôts à vue des agents non financiers, s’établissait, fin 2017 à plus de 7 500 milliards d’euros dans la zone euro et à près de 3 500 milliards de dollars aux États Unis.
Le bitcoin est créé au sein d’une communauté d’internautes, également appelés mineurs, utilisant des programmes dédiés dont l’objectif est de résoudre des problèmes de cryptographies. Au moment de leur création, des opérations de vérification sont alors lancées au sein de la communauté pour fournir la preuve des calculs. Après validation des calculs, les bitcoins sont intégrés dans une chaîne blocs (blockchain).
Les mineurs sont rémunérés pour avoir mis à disposition de la communauté leur force de calcul. Ils peuvent l’être également dans le cadre de la vérification des calculs. Le minage est censé être plafonné à 21 millions. Par ailleurs, la rémunération est dégressive. Elle est divisée par deux après chaque création de 210 000 blocs de transactions. La création des bitcoins exige une puissance de calculs croissante d’où une augmentation des besoins informatiques et d’énergie. En effet, chaque bitcoin doit être reconnu à travers des calculs mathématiques vérifiés par les membres du réseau mais il doit également contenir toutes les informations relatives à ses prédécesseurs. Au fur et à mesure, le mineur amateur est remplacé par des fermes de minage professionnel. Pour la validation d’une seule opération en bitcoin, la consommation d’électricité était estimée en décembre 2017 à 215 kWh, l’équivalent de six mois de travail sur un ordinateur allumé jour et nuit.
Une fois créés, les bitcoins sont stockés dans un coffre-fort électronique enregistré sur l’ordinateur ou dans un nuage (cloud). Il est ensuite possible de les transférer via internet et de façon anonyme entre les membres de la communauté.
L’innovation technologique majeure sur laquelle s’appuie la circulation des crypto-actifs consiste en la mise en place d’un registre distribué chargé d’enregistrer l’ensemble des opérations d’émission et de transfert de ces crypto-actifs entre utilisateurs. Ce registre a pour but d’assurer une traçabilité complète des opérations sur chaque crypto-actif. Les transactions sont assemblées en bloc puis ajoutées à une chaîne, ce qui donne au registre le nom de blockchain. Cette chaîne, dont les blocs sont liés « cryptographiquement », a pour objectif d’assurer la protection contre les tentatives de falsification du registre. Plus précisément, l’ajout s’effectue sur la base du consensus des participants au réseau sur la validité des transactions proposées, en particulier de ceux, appelés alors mineurs, souhaitant les valider.
Les multiples usages des crypto-monnaies
Les crypto-monnaies sont acceptés comme moyen de paiement sur certains sites Internet. Des commerçants dans des pays d’Europe du Nord accepteraient d’être pays en bitcoins. A Vancouver, à Berlin sur la côte Ouest des États-Unis, le paiement des loyers en bitcoins est possible pour certains logements. Lors de la campagne présidentielle aux États-Unis, en 2016, les dons en bitcoins étaient autorisés. En Chine, même si depuis quelques mois les autorités tentent de limiter son usage, le bitcoin connaît un réel succès. BTC China est ainsi devenue une des principales plateformes d’achats et de vente de bitcoins
La popularité croissante des crypto-monnaies a entraîné le développement de nombreux services financiers. Ainsi, dans le domaine des infrastructures de marché, des plates formes d’échange permettant l’achat et la vente de crypto-actifs contre de la monnaie ayant cours légal ont été créées. Ces plateformes permettent à des utilisateurs n’ayant pas participé au processus de création d’acquérir des crypto-actifs, ou de convertir en monnaies. Des instruments d’investissement associés aux crypto-actifs, comme la constitution de fonds ou la mise en place d’instruments dérivés ont été également créés comme cela a été le cas à l’initiative du Chicago Board Options Exchange ou du Chicago Mercantile Exchange.
Les ICO (Inital Coin Offering) sont des opérations de financement recourant aux crypto-actifs. Les ICO participent au développement des plateformes de financement participatif. Dans le cadre de ces opérations, les internautes qui contribuent à un projet par l’apport de fonds (en crypto-actifs ou en monnaies ayant cours légal) reçoivent en contrepartie des actifs digitaux (ou tokens). Ces tokens représentent une forme d’intérêt économique dans le projet. Ils offrent à leurs détenteurs certains droits, comme celui d’utiliser en primeur la plateforme ou l’application financée (comme dans le financement participatif classique), ou de recevoir une partie des bénéfices générés par l’entreprise ou d’exercer un droit de vote (comme des actions). Ils peuvent ouvrir droit à un paiement en crypto-actifs à une échéance fixée par avance. La gestion des tokens émis lors des ICO est, en règle générale, assurée au travers de la blockchain. Ainsi, ces opérations donnent lieu à la distribution de crypto actifs, enrichis de droits spécifiques (droit d’accès privilégié au projet financé, droit de vote, etc.).
Les usages peu licites des crypto-monnaies
De tout temps, la monnaie attire les faux monnayeurs ; de tout temps, les moyens de paiement ont été détournés pour financer les mafias ou le milieu. Les crypto-monnaies n’échappent pas à la règle. Ainsi, la police française a découvert un réseau de distribution de faux billets qui utilisaient des bitcoins. De même, sur le Darkweb, l’achat d’armes, de drogue se fait de plus en plus avec des monnaies dites alternatives.
Par leur caractère anonyme, les crypto‑actifs favorisent le financement du terrorisme et d’activités criminelles ainsi que le contournement des règles relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux.
En France, l’organisme Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) identifie l’utilisation de crypto‑actifs, notamment le bitcoin, comme étant à l’origine d’un risque spécifique en matière de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme.
Réputés fiables, les crypto-monnaies ont par ailleurs dû faire face à plusieurs attaques de la part de hackers. Des failles de sécurité sur les serveurs ont permis des vols. Ainsi, en mai 2017, Gatecoin qui est un échangeur de crypto-monnaies a dû faire face à un piratage entraînant le vol de 250 bitcoins et de 185 000 ethers, soit l’équivalent de 2 millions de dollars. Par ailleurs, plusieurs fausses crypto-monnaies (scam coins) ont été créées afin de récupérer de l’argent auprès de particuliers ou des professionnels crédules. La plateforme de Coincheck a été piratée en janvier 2018 et a perdu 534 millions de dollars ; en en 2015, la première plateforme mondiale d’échange de bitcoin, MtGox, a fait faillite à la suite d‘une fraude interne ayant entraîné le détournement de 650 000 bitcoins pour une contrevaleur d’environ 360 millions de dollars.
Du fait de l’anonymat qui prévaut en matière de transactions sur les bitcoins, en février 2016, des cyber-malfaiteurs ont demandé une rançon de 9 000 bitcoins à un hôpital américain faute de quoi ils bloquaient l’accès aux dossiers médicaux. Un ancien parlementaire français, Bernard Debré, a réussi à acheter des armes à feu de guerre et de la drogue en payant en bitcoins sur des sites du Darkweb en utilisant le logiciel Thor (source Europe 1 – juin 2016).
Les pouvoirs publics face au bitcoin
Les pouvoirs publics sont hésitants face aux crypto-monnaies. Les volte-face sont nombreuses, en Chine, en Corée du Sud notamment. Le 11 janvier 2018, la Corée du Sud a annoncé qu’elle envisageait d’« interdire tous les échanges fondés sur les devises virtuelles dans les salles de transactions ». Cette annonce a provoqué une chute de 12 % du cours du bitcoin, la Corée étant une des principales zones d’échange (20 % de l’ensemble des transactions mondiale). L’Allemagne a, de son côté, autorisé le bitcoin quand la Banque d’Angleterre a engagé une réflexion sur le sujet. Le Canada a adopté un cadre réglementaire. La Californie a levé en 2016 l’interdiction d’utilisation des crypto-monnaies. Au mois d’octobre 2017, l’Algérie a annoncé son intention d’interdire toutes les monnaies alternatives.
La Banque de France souligne que si le bitcoin peut être considéré comme un actif, il ne peut prétendre à endosser le rôle de monnaie. Premièrement sa valeur fluctue très fortement, ce qui ne permet pas d’en faire une unité de compte. Peu de prix sont exprimés dans ces crypto‑monnaies. La volatilité du cours empêche d’en faire un instrument d’échange fiable. Les bitcoins peuvent induire, contrairement à ce que leurs partisans affirment, des frais de transactions importants et surtout ils n’offrent aucune garantie de remboursement en cas de fraude. Les crypto‑monnaies ne reposent sur aucun sous‑jacent réel. Elles sont déconnectées de la création de richesse des économies. Il n’y a pas de lien avec le PIB. En cela, elles appartiennent plus à l’ancien mode qu’au nouveau. Elles sont plus proches de l’étalon or que du système de changes flottants. Ils sont en effet émis en fonction d’une puissance de calcul informatique, sans considération des besoins de l’économie et de ses échanges, ce qui ne permet pas de leur attacher une valeur intrinsèque.
Sur le plan juridique, la Banque de France rappelle que le bitcoin comme les autres crypto‑actifs ne sont pas reconnus comme monnaie ayant cours légal, ni comme moyen de paiement. Selon le Code monétaire et financier, en France, une seule monnaie a cours légal, l’euro. En aucun cas, les commerçants, les entreprises, les particuliers ne peuvent être contraints à accepter un bitcoin.
Pour les particuliers qui possèdent des crypto‑actifs, leur conservation est sujette à des cyber‑risques importants, et n’offre aucune protection pour sécuriser ces avoirs. Il existe des risques avérés de piratage des portefeuilles électroniques qui permettent le stockage des crypto‑actifs. Si elles sont logées sur un ordinateur, en cas de vol ou de destruction de ce dernier, les bitcoins sont perdus. Les détenteurs ont peu de recours en cas de vol de leurs avoirs par des pirates informatiques.
En cas de fraude, les crypto‑actifs ne sont pas assortis, dans l’Union européenne, d’une garantie légale de remboursement à tout moment et à la valeur nominale. Ils ne bénéficient d’aucune sécurité. La Banque de France et la Banque Centrale Européenne ne sont pas les banquiers en dernier ressort en cas de malversation ayant un lien avec le bitcoin.
La valeur du bitcoin est liée à l’offre et à la demande. La valeur liquidative de ce crypto-actif n’existe que sous réserve que des acheteurs se manifestent. À défaut, le possesseur ne peut pas se retourner vers sa banque ou vers la Banque de France pour obtenir l’échange.
La spéculation sur le bitcoin est favorisée par la limitation des émissions, ce qui, en période de forte demande, nourrit un sentiment de pénurie.
La Banque de France réclame l’adoption d’une législation spécifique
La Banque de France demande l’adoption d’une réglementation pour quatre raisons : la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, la protection des investisseurs, la préservation de l’intégrité des marchés, y compris face au cyber risque, la stabilité financière.
La Banque de France et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) préconisent un élargissement de l’encadrement des prestations de service associées aux crypto‑actifs. Les deux institutions souhaitent également un élargissement de l’encadrement réglementaire applicable aux prestations associées aux crypto-actifs, par la mise en place d’un statut de prestataires de services en crypto-actifs. Un statut de prestataires de service en crypto-actifs permettrait, au-delà de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme qui constitue une priorité, d’améliorer la sécurité des opérations. Ce statut pourrait également couvrir les services concernant les transactions entre crypto-actifs. Elles envisagent également une limitation de la possibilité pour certaines entreprises régulées (banques, assurances, sociétés de gestion…) d’intervenir sur les crypto-actifs. Seraient concernées les activités de dépôts et de prêts en crypto-actifs. Pour les produits d’épargne, la Banque de France s’interroge sur l’utilité d’interdire leur commercialisation dans des véhicules collectifs à destination du grand public, pour réserver ces véhicules aux investisseurs les plus avertis. À défaut, des dispositifs d’information spécifique devraient être institués.
L’Autorité des Marchés Financiers considère que l’offre de dérivés sur crypto-monnaies nécessite un agrément et ne doit pas faire l’objet de publicité par voie électronique. Elle est favorable à la mise en place d’un cadre juridique spécifique pour les ICO.
Sur ces différents points, la France et l’Allemagne ont saisi le G20 de ce sujet afin d’établir une réglementation mondiale. Plusieurs pays ont interdit les opérations financières fondées sur les crypto-monnaies comme l’Algérie, d’autres les encadrent fortement dont la Chine ou la Corée du Sud.
Retard ou rupture dans la constitution des patrimoines
La crise de 2008 et la modification de la structure de l’emploi auraient-elles des conséquences sur la constitution du patrimoine des ménages ? Plusieurs études soulignent que les jeunes actifs éprouvent des difficultés croissantes à épargner. Par rapport à leurs aînés, ils auraient accumulé plusieurs années de retard dans la constitution de leur patrimoine et cela malgré les faibles taux d’intérêt qui leur permet d’emprunter à moindre coût.
Au niveau de l’OCDE, une fraction croissante de la population active est amenée à occuper des emplois peu sophistiqués et à faible rémunération. Les difficultés d’insertion des jeunes actifs se sont, depuis la crise de 2008, accentués dans tous les pays avec comme conséquence une baisse des capacités d’épargne. Du fait d’un revenu insuffisant et instable, les moins de 30 ans sont contraints de reporter leurs investissements dans l’immobilier. La constitution d’une épargne de précaution est plus difficile. Cela signifie qu’une partie de la population n’aura pas de réserve d’épargne en cas de difficulté et est en situation d’avoir une perte de revenus importante au moment de la retraite. Ils risquent de subir une triple peine, la première étant liée aux difficultés présentes, la deuxième au fait que les droits générés dans les systèmes obligatoires de retraite sont plus faibles et la troisième en raison de l’impossibilité de se constituer un volant d’épargne suffisant.
Si en France, les inégalités progressent peu, il en est tout autrement aux États-Unis ou au Royaume-Uni mais aussi au Japon et en Allemagne. Les inégalités de patrimoine par le jeu de l’accumulation et de l’appréciation sont beaucoup plus importantes que celles liées aux revenus.
Le retard pris par les jeunes dans la constitution d’un patrimoine diffère d’un pays à un autre. Aux États-Unis, de nombreux jeunes actifs doivent rembourser leurs emprunts étudiants quand en France le problème demeure l’accès au logement. Selon plusieurs enquêtes, le retard pris par les moins de 30 ans serait faible et rattrapable en cas d’amélioration de la conjoncture. Il est évalué à deux ou trois ans. Néanmoins, cette analyse doit prendre en compte la baisse tendancielle du taux de remplacement des pensions qui exige un effort d’épargne supplémentaire. De ce fait, en intégrant une diminution de la couverture publique, le retard est multiplié au sein de l’OCDE par deux.
Aux États-Unis, comme dans les autres pays de l’OCDE, l’effort d’épargne est avant tout concentré chez les 50 % voire chez les 20 % les plus riches. Du fait de la faiblesse de la couverture sociale et de la nécessité de rembourser les emprunts étudiants, il faut souligner que même chez les détenteurs de faibles revenus, une proportion non négligeable de la population épargne et cela de manière plus forte qu’en Europe.
En France, le taux d’épargne dépasse la moyenne que pour ceux dont les rémunérations figurent parmi les 20 % les hautes.
Aux États-Unis, en 15 ans, le patrimoine des 20 % des Américains ayant les plus faibles revenus a diminué de 33 % quand il augmenté de 91 % pour ceux disposant des 10 % des revenus les plus élevés.
En France, tant par effet d’accumulation qu’en raison du processus de valorisation enregistré entre 1990 et maintenant, le patrimoine est avant tout possédé par les plus de 50 ans. Ce sont les 10 % les plus riches en termes de revenus qui concentrent une grande partie du patrimoine.
Les ménages français de moins de 30 ans, en 2010, sont moins propriétaire que ceux de 1986, prouvant un problème d’accession à la propriété. Il faut, certes, modérer cette appréciation en prenant en compte l’allongement des études et une appétence à la mobilité plus forte.
Proportion de ménages propriétaires par classes d’âge
Source : INSEE
Si dans tous les pays, les moins de 30 ans éprouvent une plus grande difficulté à se constituer du patrimoine immobilier, en revanche, les données restent encore parcellaires pour affirmer que le retard pris est irrémédiable et qu’il fragilise socialement et économiquement les personnes concernées. En France, par ailleurs, les données de l’INSEE ne permettent pas d’affirmer qu’il y a une réelle rupture en ce qui concerne la constitution du patrimoine financier. Il y a depuis la crise un petit recul pour les moins de 30 ans mais qui n’est guère significatif.