Le Coin de la Conjoncture du 28 avril 2018
Petits frimas européens pour la croissance et résilience américaine
Le premier trimestre a été médiocre pour le Royaume-Uni, moyen pour la France et convenable pour les Etats-Unis. Ces derniers ont déjoué les pronostics en vertu desquels les premiers mois de l’année se devaient d’être décevants.
France, une croissance présente mais en repli
Les résultats de la production industrielle et de la consommation, depuis le début de l’année, présageaient d’un ralentissement de l’activité après un très bon 4e trimestre 2017. L’INSEE a confirmé ce pressentiment avec la publication, vendredi 27 avril, de la croissance du 1er trimestre 2018. En effet, le produit intérieur brut (PIB) en volume ne s’est accru que de 0,3 % contre +0,7 % au quatrième trimestre. Les dépenses de consommation des ménages ont augmenté au même rythme qu’au quatrième trimestre (+0,2 %), mais la formation brute de capital fixe (l’investissement) n’a connu un accroissement que de 0,6 % après +1,1 %. Au total, la demande intérieure finale hors stocks a ralenti et n’a contribué à la croissance qu’à hauteur de 0,3 point après +0,5 point au 4e trimestre.
Les exportations ont légèrement diminué (−0,1 % après +2,5 %) et les importations sont restées stables (0,0 % après +0,4 %). Au total, le solde extérieur ne contribue pas à la croissance du PIB au premier trimestre. De même, les variations de stocks sont stables et ne contribuent donc pas à la croissance du PIB.
- Une consommation toujours décevante
La consommation des ménages déçoit avec une croissance qui demeure faible, +0,2 % au premier trimestre 2018, et stable par rapport à celle du dernier trimestre 2017. Les augmentations des prélèvements mises en œuvre à compter du 1er janvier 2018 (CSG, taxes sur les carburants, taxes sur le tabacs) ainsi que le léger regain d’inflation ont pu peser sur le pouvoir d’achat des ménages. Ces derniers ont, contrairement aux prévisions de l’INSEE, maintenu un fort taux d’épargne.
La consommation en biens alimentaires a diminué de 0,5 % après un gain de 0,3 % au 4e trimestre 2018. La consommation en énergie a connu une hausse de 1,4 % en raison des températures inférieures aux normales saisonnières en février et mars.
- Les entreprises modèrent leur effort d’investissement
En 2017, les entreprises avaient augmenté de manière très importante leur effort d’investissement, soit +4,4 % sur un an, incitées en cela par l’arrivée à son terme du dispositif d’amortissement dérogatoire. Un ralentissement était sans nul doute prévisible en ce début d’année. Il est néanmoins plus marqué que prévu (+0,5 % contre +1,6 % au 4e trimestre). Ce ralentissement est principalement dû au repli de l’investissement en biens manufacturés (−0,9 % après +1,7 %).
L’investissement des ménages augmente presque au même rythme que le trimestre dernier, +0,5 % contre +0,6 %. Pour mémoire, en 2017, il avait progressé de 5,4 %.
Au premier trimestre 2018, la formation brute de capital fixe (FBCF) totale augmente donc à un rythme moins soutenu (+0,6 % après +1,1 % au quatrième trimestre), ce qui a pesé sur le résultat de la croissance.
- La production patine
La croissance de la production totale de biens et services s’est ralentie au premier trimestre 2018 (+0,3 % après +0,9 %). Elle s’est notamment repliée dans les biens (−0,6 % après +1,2 %), tandis qu’elle continue de croître à un rythme soutenu dans les services (+0,5 % après +0,8 %).
La production manufacturière s’est contractée de 1,1 % après avoir enregistré une croissance de 1,5 % au cours du dernier trimestre 2017 en raison de la baisse importante en matériels de transport. En revanche, la production de gaz et électricité est en augmentation (+2,1 % après 0,0 %), ainsi que la construction (+0,6 %).
La croissance de la production manufacturière serait entravée par des goulets d’étranglement du fait du sous-investissement de ces dernières années et des difficultés à trouver du personnel qualifié.
- Un commerce extérieur atone
Le redressement du solde extérieur n’est pas encore au rendez-vous. Après un bon 4e trimestre 2017, les trois premiers trimestres 2017 sont mi-figue mi-raisin. Les exportations sont quasi stables après le fort dynamisme observé au quatrième trimestre (−0,1 % après +2,5 %), notamment en matériels de transport. Dans le même temps, les importations sont étales (0,0 % après +0,4 %). Au total, les échanges extérieurs ne contribuent pas à la croissance, après une contribution de +0,6 point au trimestre précédent.
La croissance du premier trimestre a donc été deux fois plus faible que celle du dernier trimestre 2017 qui avait surpris les commentateurs. Ce ralentissement est en phase avec la légère dégradation des indicateurs qui mesurent le climat économique. Le renchérissement du prix du pétrole, la hausse des prix et la stagnation du pouvoir d’achat semblent entraver l’expansion de l’économie. Le second semestre est censé être plus porteur que le premier en raison de la baisse de certains prélèvements dont la taxe d’habitation et du second train de réduction des cotisations sociales.
Royaume-Uni, le Brexit mine la croissance
Sur les trois premiers mois de l’année, le produit intérieur brut du Royaume-Uni n’a progressé que de 0,1 % par rapport au quatrième trimestre 2017, soit le plus faible niveau observé depuis le quatrième trimestre 2012. Ce taux de croissance est inférieur aux prévisions (+0,3 %). Selon l’office statistique britannique, le recul de 3,3 % de l’activité du secteur de la construction par rapport à celle du quatrième trimestre 2017 a pesé sur la croissance qui est ainsi revenue sur un an à 1,2 %.
Même si la météorologie explique en partie ce mauvais résultat pour la construction, tous les secteurs d’activité sont à la peine. Le secteur des services n’a crû que de 0,3 % d’un trimestre sur l’autre. Les effets du Brexit prévu pour l’année prochaine se font de plus en plus sentir, que ce soit pour l’investissement et pour la consommation.
La résilience américaine
Au premier trimestre 2018, la croissance des Etats-Unis a été de 2,3 % en rythme annuel, soit un chiffre inférieur aux 2 % attendus. Certes, la croissance est comme en France et au Royaume-Uni en repli par rapport aux 2,9 % du dernier trimestre 2017. Le premier trimestre est toutefois traditionnellement plus calme que les suivants, surtout aux Etats-Unis.
Les dépenses des ménages ont décéléré au cours des trois premiers mois de l’année, avec une hausse de 1,1 %, contre 4 % au dernier trimestre 2017, soit la progression la plus faible depuis 5 ans. Un rebond est espéré avec l’entrée en vigueur de la réforme fiscale.
Les résultats de la croissance et les prévisions d’inflation devraient conduire la Banque centrale américaine à respecter son calendrier de hausses des taux.
Bonheurs et malheurs du déficit commercial américain
Le Président Donald Trump a décidé d’engager son pays dans une bataille commerciale sans précédent depuis les années 70. La Chine mais aussi l’Union européenne sont visées par les menaces de sanction. Le Président américain s’appuie sur le déficit commercial abyssal des États-Unis pour expliquer sa politique. Il considère en effet que ce déficit serait dû aux pratiques anticoncurrentielles de ses partenaires. Le déficit de la balance commerciale américaine est ainsi passé de 380 à plus de 800 milliards de dollars de 2000 à 2017. Les balances commerciales de la zone euro et de la Chine qui étaient à l’équilibre au début du siècle dégagent des excédents en 2017 avec respectivement plus de 200 et 400 milliards de dollars. Les États-Unis dégagent un déficit commercial essentiellement avec la Chine (-400 milliards de dollars en 2017) et avec l’Union européenne (-180 milliards de dollars en 2017). Avec le Japon, le déficit se situe autour de 80 milliards de dollars. Les échanges au sein de l’ALENA sont plus équilibrés. Avec le Canada, la balance est pratiquement très légèrement déficitaire quand avec le Mexique, le déficit tourne autour de 70 milliards de dollars.
Le déficit extérieur des États-Unis concerne surtout les biens de consommation, les biens d’équipement et le matériel de transport. Pour les premiers, le solde en 2017 est négatif de plus 450 milliards d’euros quand il dépasse 120 milliards de dollars pour le second.
L’administration américaine considère que le déficit extérieur nuit fortement aux États-Unis. Ce déficit est en partie artificiel du fait que les multinationales délocalisent non seulement leur production mais aussi leurs profits.
Le recours massif aux importations permet aux Américains d’avoir un niveau de vie plus élevé. En effet, les produits importés sont censés être moins chers que les produits fabriqués aux États-Unis. Les coûts américains sont de 45 % supérieurs à ceux de la Chine et de 60 % à ceux des autres pays émergents. En l’état actuel des coûts, le potentiel de relocalisation est faible. Toute mesure protectionniste risque donc de se retourner contre les consommateurs. En matière d’emploi, les effets seraient également faibles voire négatifs. Dans les années 70, des mesures protectionnistes avaient déjà été prises pour sauver des emplois dans la sidérurgie. Or, le bilan de ces mesures avait été catastrophique. Elles ont certes permis de sauver 10 000 emplois dans la sidérurgie américaine mais au prix de la perte de près de 100 000 emplois dans l’industrie automobile. Cette dernière fut contrainte d’utiliser de l’acier plus cher et de moins bonne qualité, ce qui amenuisa sa compétitivité au moment même où les firmes automobiles japonaises étaient en forte croissance.
Les États-Unis ne sont pas gênés par leur déficit commercial car ils le financent sans problème, les taux d’intérêt restant bas. Ce sont donc les investisseurs étrangers qui financent une partie de la consommation américaine. Les obligations américaines restent toujours fortement demandées.
Logiquement, un déficit extérieur structurel devrait conduire à une dépréciation du dollar qui constituerait le signe d’un appauvrissement américain. Or, le dollar résiste bien en raison de son statut de première monnaie internationale. Le taux de change effectif du dollar par rapport aux autres grandes monnaies a perdu 20 points depuis 2002 et est stable depuis 2015. Au regard du déficit, cette dépréciation peut apparaître modérée.
Les annonces de Donald Trump sont évidemment de portée politique et visent à rassurer le cœur de son électorat. Elles s’adressent aux classes moyennes qui sont confrontées à la polarisation de l’emploi. Elles ne sont pas aussi disruptives que certains le prétendent. Les États-Unis ont toujours été traversés par de puissants courants protectionnistes et isolationnistes. La méfiance vis-à-vis des organisations multilatérales a toujours été très forte. L’administration américaine s’est ainsi opposée, jusqu’en 1995, à la création de l’Organisation Mondiale du Commerce pourtant prévue en 1948.
L’Inde, le géant de demain ?
L’Inde rêve d’être la grande puissance de la deuxième partie du siècle. Elle entend accroître son influence économique et géostratégique. À cette fin, elle peut compter sur plusieurs grandes entreprises et sur une force militaire en pleine croissance. Avec 1,3 milliard d’habitants, l’Inde est le deuxième pays le plus peuplé au monde après la Chine. Elle pourrait occuper la première place d’ici 2050. Selon le FMI, le PIB indien s’élevait en 2017 à 2 439 milliards de dollars, ce qui la place au 7e rang des puissances économiques mondiales, entre la Grande Bretagne et le Brésil. En prenant le PIB à parité de pouvoir d’achat, l’Inde arrive en 3e position après les États-Unis et la Chine. Elle pourrait, selon une étude du cabinet PwC, dépasser les États-Unis d’ici 2040. Le PIB par habitant est à 1 850 en dollars courants et à 7 170 dollars en parité de pouvoir d’achat. Le pays se classe à la 144ème position, sur un échantillon de 189 pays.
Le secteur tertiaire représente près de 54 % du PIB indien contre 40 % en Chine. Il est responsable en grande partie de la croissance économique. L’informatique et les services aux entreprises constituent des axes de développement pour le pays. Le secteur industriel est néanmoins à l’origine de près de 29 % du PIB mais sa croissance qui était de 6 % en 2017 tend à ralentir. Le secteur primaire (mines, agriculture) assure 17 % du PIB et diminue d’année en année. Grâce aux progrès agricoles enregistrés ces dernières années, l’Inde est autosuffisante.
Le Premier ministre Narendra Modi, élu en 2014, a engagé une série de réformes destinées à améliorer le climat des affaires : simplification des procédures d’approbation, libéralisation des octrois de licence, relèvement des plafonds d’investissement étrangers dans de nombreux secteurs, adoption d’un code des faillites, mise en œuvre d’une taxe unifiée sur les biens et services (GST) sur l’ensemble du territoire, intensification de la campagne d’inclusion financière. Afin de lutter contre la fraude et la corruption, le Gouvernement a réalisé le retrait instantané de 86 % de la monnaie en circulation le 8 novembre 2016. Cette mesure a contribué à une baisse passagère de la consommation.
L’Inde qui avait une tradition protectionniste s’ouvre de plus en plus à l’extérieur. Elle est déjà la 9e puissance d’accueil des investissements d’origine étrangère avec 44,5 milliards de dollars en 2016. Malgré tout, de nombreux goulets d’étranglement physiques et réglementaires freinent l’accès au marché indien. Le dernier rapport « Doing Business » de la Banque mondiale classe l’Inde au 100ème rang mondial sur un échantillon de 190 économies. Si le classement est moyen, l’Inde a réalisé de nombreux progrès en gagnant 30 places depuis 2016. Le pays demeure en retard en matière de respect des contrats, du paiement des impôts (164ème rang) ou de l’octroi des permis de construction (181ème).
L’Inde est entravée dans son développement par plusieurs vulnérabilités. Les difficultés de l’éducation primaire ou secondaire (plus de 30 % de la population adulte reste encore analphabète), la faible employabilité des diplômés, la forte mortalité infantile sont des problèmes récurrents. Le travail informel représenterait, selon l’OIT, plus de 90 % de l’emploi total (et plus de 80 % de l’emploi non-agricole). Si les régions les plus riches ont des niveaux de développement comparables à celles d’Asie du Sud-Est, les régions les plus pauvres ont des caractéristiques semblables à celles d’Afrique sub-saharienne. 1 % de la population la plus riche perçoit en Inde 22 % de la richesse nationale et les 10 % les plus aisés accaparent 56 %de la richesse contre 30 % en 1980. Les inégalités tendent à s’accroître avec l’accélération de la croissance. Les classes moyennes ne connaissant qu’une lente amélioration de leur situation au regard de la croissance enregistrée. Les 40 % des Indiens se trouvant au cœur de la redistribution perçoivent 32 % des revenus. Les 50 % des Indiens les plus pauvres ne bénéficient que 17 % des revenus.
Les problèmes sociaux pourraient miner la stabilité du pays et générer des tensions politiques. Les inégalités sont également fortes entre les couches sociales, entre les hommes et les femmes et entre les zones urbaines et rurales. L’Inde est confrontée au problème lancinant de la pauvreté (60 % de la population vivait encore avec moins de 5 dollars par jour). Les pouvoirs publics doivent gérer une urbanisation rapide. La population urbaine, actuellement estimée à 410 millions d’habitants (avec 43 villes de plus d’un million d’habitants), devrait doubler à l’horizon 2050. Les besoins d’infrastructures sont importants et supposent un effort important de la part des pouvoirs publics.
Le Gouvernement peut compter sur la bonne tenue de la croissance qui est supérieure à celle de la Chine. Ainsi, à la fin de l’année dernière, la croissance a atteint +7,2 % en glissement annuel, soutenue par une forte hausse de l’investissement (+12 %).
Pour la première fois depuis l’exercice 2011/2012, le Gouvernement a annoncé qu’il ne parviendrait pas à réduire son déficit budgétaire pour l’exercice 2017/2018, lequel devrait se maintenir à 3,5 % du PIB.
Le FMI s’inquiète de la montée des risques financiers en Inde et en Chine. Les prêts non-performants progressent rapidement. Les actifs risqués (somme des crédits non performants et des crédits restructurés) représenteraient 12,2 % des prêts. Dans les banques publiques leur part atteindrait 16,2 % (4,7 % dans les banques privées). Les risques restent concentrés dans l’industrie, où la part des actifs risqués s’élevait à 23,9 %, contre 6,9 % dans l’agriculture et 6,4 % dans les services. Les secteurs des métaux, de la construction et de l’industrie minière affichent les ratios d’actifs risqués les plus élevés. La banque centrale estime notamment que plus de 44 % des crédits octroyés aux entreprises métallurgiques sont risqués.