Le Coin de la Conjoncture du 15 septembre 2018
Les finances publiques sous contraintes
Le projet de loi de finances pour 2019 sera présenté le 24 septembre prochain. Le déficit public retenu serait de 2,8 %. A quelques jours de sa présentation, le Ministre de l’Économie et des Finances a confirmé la révision à la baisse de la prévision de croissance pour 2018 à 1,7 % au lieu des 2 % prévus. Calculé initialement à 2,3 %, le déficit public devrait s’élever cette année à 2,6 %. Pour 2019, le Gouvernement devrait retenir un taux de croissance de 1,7 %, soit moins que celui qui avait été mentionné à Bruxelles dans le cadre du programme pluriannuel budgétaire (2 %). Le taux d’inflation devrait être, cette année, de 1,8 %. Il est attendu en baisse pour 2019 à 1,4 %. Concernant les dépenses publiques, le Gouvernement espère une légère décrue relative l’année prochaine. Elles passeraient de 54,6 à 54 % du PIB. Les prélèvements obligatoires devraient atteindre un sommet en 2018 à 45 % du PIB avant de redescendre très légèrement l’année prochaine à 44,2 % du PIB. Si à partir du 1er octobre 2018, les baisses de cotisations sociales salariales devraient favoriser une hausse du pouvoir d’achat des ménages, ce gain risque, en revanche, d’être totalement effacé par l’augmentation des cotisations pour les complémentaires retraite AGIRC / ARRCO à compter du 1er janvier 2019.
Un déficit en augmentation en 2019
En 2019, le déficit public devrait être de 2,8 % du PIB. Ce ressaut est imputable au ralentissement économique (0,1 à 0,2 point de plus de déficit) et à la transformation du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en baisse de charges pérennes. L’État devra supporter simultanément le remboursement du CICE pour l’année 2018 et la baisse de cotisations pour 2019 – avec un impact de 0,9 point de PIB.
Une dette publique en hausse
Même si la dette publique de la SNCF ne sera pas officiellement intégrée dans celle de l’État qu’en 2020 avec un surcoût budgétaire de 2 milliards d’euros, l’INSEE a décidé de la comptabiliser en tant que telle dès maintenant. La dette publique française est ainsi passée de 97,2 à 98,7 % du PIB.
Les pistes de réduction des dépenses de l’État
Afin de limiter la dérive du déficit, le Gouvernement étudie la possibilité de mettre un terme à la compensation des exonérations de charges sociales décidées par les pouvoirs publics. Ce mécanisme avait été institué en 1993 et réaffirmé en 2004. Le principe était que la Sécurité sociale n’avait pas à supporter financièrement les mesures prises par les gouvernements successifs. Avec le rééquilibrage des comptes de la Sécurité sociale, le Gouvernement entend mettre un terme à cette automaticité. En 2019, le Gouvernement pourrait ne pas compenser la baisse du forfait social sur l’intéressement et la participation (500 millions d’euros) ainsi que l’exonération de charges sociales des heures supplémentaires (2,5 milliards d’euros). En revanche, l’intégration du CICE dans le barème des cotisations et les nouveaux allègements sur les bas salaires ne seraient pas concernés.
La loi de programmation de finances publiques (LPFP) a par ailleurs prévu un transfert partiel des excédents à venir de la Sécurité sociale vers l’État. En vertu de cette loi, les excédents supérieurs à 0,8 % du PIB seront reversés à l’État. Compte tenu des projections, en 2019, l’État pourrait récupérer 3 milliards d’euros en 2020, 14 milliards d’euros en 2021 et 27 milliards d’euros en 2022, toute chose étant égale par ailleurs. Dans les faits, les montants transférés devraient être plus faibles en raison de la moindre croissance et par le fait que 60 % des excédents sont concernés par cette règle. En effet, les excédents de l’Unedic ou de l’Agirc-Arrco n’entrent pas dans le champ des lois de financement de la Sécurité sociale. Compte tenu des besoins d’investissement des hôpitaux et de leur endettement, la question de la dévolution des excédents éventuels de la Sécurité sociale pourrait se révéler nulle et non avenue. Un des projets d’Emmanuel Macron était de rassembler les deux lois de finances, celle de l’État et celle de la Sécurité sociale, du fait que les deux grands pôles de la dépense publique sont de plus en plus interdépendants. Le dossier est très sensible politiquement, les partenaires sociaux ne souhaitant pas que la protection sociale soit étatisée.
Le Gouvernement entend supprimer 4 500 postes en 2019 faisant suite aux 1 600 suppressions de cette année. Le Président de la République avait pris l’engagement de réduire, d’ici 2022, les effectifs de la fonction publique qui s’élèvent à plus de 5,5 millions de 120 000 dont 50 000 pour l’État. L’année prochaine, le Ministère des Comptes publics devrait perdre 2 000 postes. 1 700 emplois seraient également supprimés au sein du Ministère des sports.
Les prestations sociales hors minimas ne seront revalorisées à compter du 1er janvier 2019 que de 0,3 %. Cette mesure concerne essentiellement le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Néanmoins, en particulier sur les aides au logement, l’État économisera une centaine de millions d’euros. De même, le montant des pensions des fonctionnaires retraités sera allégé de 1,3 point par rapport aux prévisions initiales.
Mesures fiscales pour 2019
Le projet de loi de finances pour 2019 devrait comporter moins de mesures fiscales que celui pour 2018 qui comprenait la transformation de l’ISF, la création du Prélèvement Forfaitaire Unique, la baisse de l’impôt sur les sociétés et la première tranche d’exonération progressive de la taxe d’habitation.
En 2019, le processus de suppression de la taxe d’habitation se poursuit. Jusqu’à maintenant, le Gouvernement n’a pas précisé les modalités de compensation qui entreront en vigueur quand cette taxe sera supprimée pour l’ensemble des résidences principales.
Afin de soutenir l’activité, le Gouvernement étudie la possibilité de réinstituer un mécanisme dérogatoire d’amortissement de l’investissement. Cette mesure pourrait être introduite soit par le projet de loi de finances pour 2019 soit par le projet de loi de finances rectificative pour 2018 qui sera discuté au mois de novembre.
Répartition, capitalisation, une question de culture ?
Après la Seconde guerre mondiale, la France a opté pour un système de retraite par répartition. Plus de 70 ans plus tard, ce dernier assure plus de 97 % des pensions des retraités français. Ce choix qui distingue notre pays de ses partenaires de l’OCDE était sans nul doute rationnel à la sortie de la guerre, en pleine période de reconstruction et au moment où la France connaissait une forte hausse de sa natalité. Le rendement des régimes par répartition (montant des pensions par rapport à celui des cotisations versées) était alors supérieur à celui des régimes par capitalisation.
Le choix du « tout répartition » est la conséquence des difficultés de mise en place dans l’entre-deux-guerres d’un système de retraite couvrant toute la population active.
Ce choix répond également à des considérations idéologiques. La capitalisation a été associée au capitalisme, aux marchés financiers, à la spéculation. La répartition a été auréolée d’une image sociale. Elle a été associée à la solidarité intergénérationnelle qui renvoyait à la solidarité de la nation à l’égard des anciens combattants. Par ailleurs, la faillite des rentiers avait laissé un souvenir cuisant à nombre de Français.
Cette primauté de la répartition a été inscrite dans la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites appelée loi Fillon. Son article premier indique que « la Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations ».
Les pays anglo-saxons ont opté pour des systèmes mixtes laissant une place importante à la capitalisation. Ces approches différentes ont-elles des incidences sur le fonctionnement des économies ? Le recours massif à la capitalisation influe-t-il sur le partage des revenus et donc sur le niveau des salaires et des profits ? Permet-t-il de contenir les dépenses publiques de retraite ?
Aux États-Unis, les dépenses privées de retraite font presque jeu égal avec celles relevant du public, 4,8 % contre 6,5 % du PIB. Au Royaume-Uni, les taux respectifs sont de 5 et 8,6 %, et en Allemagne de 0,6 et 9,5 %. L’Italie et l’Espagne sont assez proches de la France. Pour la première, les dépenses privées de retraite représentent 0,5 % du PIB contre 13,8 % pour le public. En Espagne, presque 100 % des dépenses de retraite sont de nature publique (à hauteur de 9,2 % du PIB). Enfin, au Japon, les dépenses privées s’élèvent à 3 % du PIB et les dépenses publiques de retraite à 11 % du PIB.
À l’exception de l’Allemagne dont la population diminue, les dépenses publiques de retraite ont augmenté dans tous les principaux pays de l’OCDE. Une stabilisation des dépenses publiques est constatée aux États-Unis depuis 2014, au Royaume-Uni depuis 2012 et au Japon depuis 2008. Les baisses concernent avant tout les dépenses publiques. En France, en Espagne et en Italie, les dépenses retraite se stabilisent depuis trois ou quatre ans.
Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, les investisseurs – dont les caisses des retraites – ont recherché une rentabilité plus élevée des fonds propres. Ils ont pu ainsi contribuer à une déformation du partage des revenus au détriment des salaires.
Mais le rôle des fonds de pension ne doit pas être exagéré car cette déformation du partage des revenus au détriment des salariés s’observe non seulement aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, mais aussi au Japon et en Allemagne depuis la crise. Néanmoins le décrochage est le plus net aux États-Unis, où les salaires ont, augmenté de 7 % en valeur réelle entre 2002 et 2018, quand les gains de productivité par tête ont progressé de 32 %. Au Japon, l’écart de croissance entre les salaires réels et les gains de productivité a été de 12 points sur la même période. Il est plus faible en Allemagne et au Royaume-Uni. Sur la même période, en revanche, en France comme en Italie et en Espagne, les salaires réels ont progressé plus vite que la productivité. L’écart en faveur des salaires est de 2 points en Espagne, de 4 points en France et de 8 points en Italie.
Si dans la période des Trente Glorieuses, la répartition a offert de meilleurs rendements que la capitalisation, depuis les années 90, ce n’est plus le cas. Même en intégrant la Grande Récession de 2008, sur la période de 2002 à 2018, le rendement des actions (dividendes sur indices boursiers) a été supérieur dans tous les pays à la progression des salaires réels, ce qui donne un avantage indéniable à la capitalisation par rapport à la répartition. Cette situation concerne non seulement les pays ayant opté pour des systèmes mixtes comportant une forte dose de capitalisation mais aussi les autres, France comprise, où la répartition est dominante.
Les pays qui ont opté pour une dose importante de capitalisation se caractérisent naturellement par un poids plus important des placements actions. Mais contrairement à certaines idées reçues, l’absence de fonds pension n’accroit pas la détention des grandes entreprises par des capitaux étrangers. En prenant en compte l’ensemble des actions cotées, à la fin de 2016, les taux de détention par les non‐résidents étaient de 47 % environ en Espagne, 52 % en Italie, 54 % au Royaume‐Uni, 55 % en Allemagne, 69 % en Belgique et 71 % au Pays‐Bas contre 40 % pour la France. Ce ratio dépend avant tout de la taille des entreprises et de leur ouverture au commerce international, davantage qu’à la présence ou non de fonds de pension.
La retraite par capitalisation peut contribuer sans aucun doute à la réorientation de l’épargne vers les actions et se justifie au niveau de la rentabilité en matière de retraite. En revanche, elle ne semble pas, sauf aux États-Unis, expliquer la modification du partage de la valeur ajoutée des entreprises constatée ces dernières années. Le rôle et le poids des fonds de pension sont éminemment liés aux cultures et traditions des différents pays. Dans les pays anglo-saxons mais aussi aux Pays-Bas, le financement par actions est au cœur du capitalisme, à la différence de ce qui se passe en Allemagne ou en France.