LE COIN DES TENDANCES du 3 novembre 2018
Les « Deep Tech », la nouvelle terre promise ?
Au sein du monde des start-up, la mode est au « deep tech ». Cet acronyme signifie deep technological innovations et désigne les entreprises intervenant dans le secteur des technologies de pointe issues de la recherche fondamentale. Elles sont présentes dans les domaines de l’intelligence artificielle, des biotechnologies, de nanotechnologies, des neurosciences et de la robotique. La logique sous-jacente des « deep tech » est de développer des solutions de rupture pouvant modifier en profondeur des secteurs comme les transports, la finance, la santé, l’agriculture, l’énergie, les télécommunications ou la distribution. Ces start-up sont souvent à l’initiative de chercheurs et sont associées à des centres de recherche fondamentale. Elon Musk (Tesla, Space X, Hyperloop) est le symbole de la montée en puissance des « deep tech ». Les géants de l’Internet comme Google, Apple ou Facebook investissent fortement dans les « deep tech ». Selon le fonds britannique Atomico, en 2015, plus de 3 500 « deep tech » étaient dénombrées pour 140 000 start-up.
Selon une étude du Boston Consulting Group, en 2016, ce secteur draine une part croissante des capitaux. Ainsi, en 2016, 7,9 milliards de dollars ont été investis dans les biotechnologies, contre 1,7 milliard en 2011. Les investissements consacrés aux « deep tech » impliquées dans le secteur de l’environnement ont quadruplé, passant de 100 millions en 2009 à 416 millions de dollars en 2016. Quant aux entreprises spécialisées dans la réalité virtuelle ou augmentée, dans les technologies de l’espace et les drones, elles ont obtenu 3,5 milliards de dollars de financement en 2015, contre 104 millions en 2011. Selon cette étude, 950 start-up consacrées aux « deep tech » ont été créées en Europe entre 2014 et 2016 contre 1 252 aux États-Unis. En Europe, 1,33 milliard de dollars ont été investis en 2015 contre 289 millions en 2011. Avec 582 millions de dollars d’investissements cumulés dans les « deep tech » pour la période 2011-2016, la France dépasse l’Allemagne (480 millions de dollars) et se situe à la seconde place européenne, loin derrière le Royaume-Uni (1 342 millions de dollars).
Les entreprises digitales intègrent de plus en plus des départements recherche ou acquièrent des start-up pour être présentes sur le créneau de la très haute technologie. C’est le cas en particulier de Google qui a créé une filiale indépendante, Google Life Sciences, renommée Verily. Cette entreprise, avec le concours de Sanofi, développe des objets connectés pour le suivi du diabète. Uber, Apple et encore Google investissent dans les voitures sans conducteur, tandis que Facebook travaille sur des projets mettant en jeu l’intelligence artificielle, les drones et la réalité virtuelle. Ces groupes disposant d’importantes réserves financières interviennent sur des secteurs autrefois réservés à des grands groupes spécialisés dans la santé, l’aéronautique, les véhicules à moteur, etc. L’arrivée de nouveaux acteurs du digital spécialistes du disruptif permet un renouvellement des approches en matière de recherche développement mais constitue aussi une source d’inquiétudes pour les entreprises traditionnelles. Les « deep tech » mettent très rapidement en pratique les résultats de leur recherche. Ainsi, le premier tronçon de « l’Urban loop », métro souterrain à grande vitesse d’Elan Musk à Los Angeles, dont l’idée n’est officielle que depuis le printemps dernier, sera ouvert au public dès le 11 décembre 2018. Ce premier tronçon de 4 kilomètres préfigure la ligne de métro qui traversera Los Angeles, reliant Beverly Hills au Dodgers Stadium, à l’autre extrémité de la ville, en moins de quatre minutes.
Les entreprises du numérique se livrent une forte concurrence pour disposer des meilleures inventions. À cette fin, les entreprises Dropbox et Airbnb ont participé en 2016 à l’amorçage d’une centaine de start-up de pointe en 2016.
Les « deep tech » se distinguent des start-up traditionnelles par l’importance des besoins en capitaux, par des temps de retour sur investissement élevés et par la nécessité d’intégrer des process industriels. Tesla a fait l’amère expérience de la complexité de produire des voitures électriques en masse.
Du fait d’un marché de capitaux moins large en Europe qu’aux États-Unis, les « deep tech » européennes dépendent plus des subsides de l’État. Ainsi, en France les fonds publics sont cruciaux pour 45 % des start-up contre 25 % aux États-Unis. La majorité des « deep tech » françaises se financent encore essentiellement via les familles des inventeurs et les réseaux d’amis. Seulement 21 % d’entre-elles font appel aux business angels. 13 % recourent aux universités, 5 % aux fonds de capital-risque et 5 % aux grands groupes (5 %). Les grands groupent ne pèsent en France que 5 % du financement des « deep tech », contre 20 % aux États-Unis. En Chine, le rôle de l’État est majeur quand, au Japon, le financement est assuré par les grands groupes.
En Europe, l’association à un grand groupe est indispensable pour percer. C’est le souhait de 95 % des créateurs de start-up. 57 % y parviennent. Même si leur poids tout comme leur visibilité s’accroit les fonds de capital-risque, les « business angels », les incubateurs ou les universités ne sont pas encore considérés comme des acteurs clefs pour le développement d’une « deep tech ». L’appui d’un grand groupe est jugé indispensable pour le financement pérenne, l’accès au marché, l’expertise technique, le déploiement commercial, et l’apport de moyens matériels ou humains. En Europe, les grands groupes sont de plus en plus présents sur le créneau des « deep tech » afin d’éviter une immixtion des GAFA dans leurs secteurs d’activité.
Au sein du monde des « deep tech », des différences existent en fonction de leur pays d’origine en lien avec les modes de financement et les spécificités des systèmes éducatifs. Ainsi, aux États-Unis et au Royaume-Uni, les « start-up » associent expérimentation et développement avec une forte adaptation au marché (40 % des start-up technologiques aux États-Unis et au Royaume-Uni contre 20 % dans le reste du monde). La France se caractérise par des start-up ayant un faible niveau d’adéquation au marché. Elles sont plus axées recherche fondamentale et éprouvent des difficultés pour passer au stade de la réalisation de solutions concrètes. La France souffre de l’étroitesse de son secteur industriel et de la faible implication en son sein des chercheurs. Peu d’entre eux deviennent des dirigeants d’entreprise. En revanche, le savoir-faire des Français en matière d’intelligence artificiel est reconnu. Un Français Yann Le Cun dirige les recherches en intelligence artificielle au sein de Facebook qui a choisi Paris pour accueillir son laboratoire consacré à ce domaine. Quatre autres entreprises internationales, dont Sony et Huawei, ont également choisi Paris pour installer des centres de recherche sur l’intelligence artificielle.
Parmi les dix établissements d’enseignement en science informatique les plus réputés au monde, cinq se trouvent en Europe (ETH à Zurich, Oxford, Imperial College à Londres, EPF à Lausanne et TU Munich). L’Europe compte 4,7 millions de développeurs professionnels, contre 4,1 millions aux États-Unis. Paris en recense 134 000, se plaçant juste après Londres (300 000) et devant Berlin (82 000).
Les start-up européennes du fait de leur problème de financement, du manque de profondeur de leur marché national et de l’étroitesse de leur réseau éprouvent des difficultés à s’imposer face à leurs concurrents américains ou asiatiques. Conscients de l’enjeu stratégique de ce secteur d’activité, les pouvoirs publics français entendent mettre en œuvre une politique dynamique. Le Président de la République a ainsi appelé à la création d’une agence d’innovation de rupture, dotée de moyens « conséquents » pour financer des technologies émergentes sur le modèle de la « Darpa », l’agence américaine aux si nombreux succès. Il a aussi annoncé la création d’un fonds doté de 10 milliards d’euros pour financer l’innovation, abondé par l’argent des privatisations. Dans les faits, ce sont les revenus des placements soit entre 200 à 300 millions d’euros qui seront affectés à l’innovation. La Commission de Bruxelles travaille également sur la création d’un Conseil européen de l’innovation (CEI) dans le cadre du plan « Horizon 2020 ». Il serait souhaitable qu’entre les deux initiatives une coordination soit assurée.
Au mois de septembre, le Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a annoncé la création d’un nouveau véhicule d’investissement, le fonds « French Tech Seed » doté de 400 millions d’euros qui proviennent du troisième volet du Programme d’investissements d’avenir (PIA), géré par Bpifrance. Ce fonds soutiendra les levées de fonds des start-up technologiques issues des laboratoires, des incubateurs ou des sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) a précisé le secrétariat d’État au Numérique, le plus souvent en complément des capitaux apportés par les investisseurs privés et sous la forme d’obligations convertibles.
La France, 70 ans d’aménagement du territoire !
« Paris et le désert français » publié par Jean-François Gravier en 1947 a lancé, en France, le débat sur l’aménagement du territoire après la Seconde Guerre Mondiale. Paris est alors accusée de concentrer les activités économiques et financières du pays au détriment de la province. Ce débat aboutit à la création par Eugène Claudius-Petit de la première Direction de l’Aménagement du territoire au Ministère de la reconstruction qui deviendra, en 1963, la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR). En 2014, celle-ci devient le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) en intégrant les missions du Secrétariat général du comité interministériel des villes (SGCIV) et de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances. Le Gouvernement d’Édouard Philippe comporte désormais un ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, symbole de l’acuité de cette question. Il reprend le principe du Ministère de l’égalité des territoires apparu dans le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault en 2012. La création du Ministère de l’Aménagement du territoire date de 1962 au sein du premier gouvernement de Georges Pompidou. Le titulaire du poste était Maurice Schumann mais il ne l’occupa que pendant un mois. Il faudra attendre 1967 pour la réinstauration d’un ministère de l’Aménagement du territoire qui sera occupé durant cinq ans par Olivier Guichard.
La France n’est pas, loin de là, la seule à mettre en œuvre une politique d’aménagement du territoire. Celle-ci s’est inspirée notamment de l’Angleterre qui, dès les années 1930, pour lutter contre la crise de l’industrie charbonnière et la concentration londonienne, avait lancé un programme de construction de villes nouvelles. Des zones dites de reconversion ou « trading estates » avaient été créées et bénéficiaient de subventions et d’exonérations fiscales. Aux États-Unis, le Président Roosevelt avait, après la Grande Crise de 1929, engagé une grande opération d’aménagement régional avec la « Tennessee Valley Authority ».
Dans les années 50 et 60, l’aménagement du territoire s’inscrit dans la logique de la planification. L’objectif est de faire participer l’ensemble du territoire au développement économique et à la modernisation du pays. Les politiques d’aménagement du territoire répondent alors à deux objectifs majeurs : combler le retard de développement des espaces ruraux et remédier à une trop forte concentration des activités dans la région parisienne.
Cette politique se traduit par l’instauration de schémas d’aménagement régionaux, des métropoles d’équilibre ainsi que de la délocalisation en province de grands sites sidérurgique et d’entreprises automobile dans l’Ouest. Un vaste programme d’organisation de l’Île-de-France avec la mission et le schéma Delouvrier est mis en œuvre. Il contient en particulier la création de villes nouvelles. Des actions fortes sont menées afin de développer le tourisme en Aquitaine, dans le Languedoc-Roussillon et en Corse. La création de plusieurs stations de ski est également lancée.
Après 1970, les grandes opérations d’aménagement sont abandonnées. Du fait de leurs conséquences sur l’environnement, certaines d’entre elles sont critiquées. La reconversion de la sidérurgie et des mines devient la priorité des pouvoirs publics. La DATAR doit de plus en plus venir en soutien des collectivités territoriales confrontées à des fermetures d’usine.
Dans les années 1980, les lois de décentralisation (1982 et 1983) ont conduit l’État à se désengager progressivement de l’aménagement du territoire en transférant aux collectivités locales une large part de ses attributions. Les Conseils Régionaux deviennent compétents en matière d’aménagement du territoire. La décentralisation a consacré le triomphe de la contractualisation qui est une manière d’accroître le rôle des collectivités locales dans le financement. Si l’État se désengage, il conserve cependant le pouvoir normatif. Les collectivités territoriales gagnent certes des compétences mais elles doivent intégrer un nombre croissant de normes nationales et européennes.
La question des villes s’impose également de plus en plus dans le débat public. Le chômage de masse, le délitement du tissu social ainsi que les problèmes d’habitat au sein des cités construites dans les années 60 obligent l’État et les collectivités à y investir de plus en plus.
Dans les années 1990, les orientations des politiques d’aménagement du territoire s’appuient sur des moyens européens et sur des contributions d’autres ministères. L’Europe avec le FEDER devient alors un acteur majeur du développement du territoire. C’est un des moyens pour les États majeurs de l’Union européenne d’obtenir un retour sur leur contribution.
Avec les lois Chevènement (sur l’intercommunalité en 1999) et Voynet (relative à la mise en place des Pays en 1999), on assiste à la consécration d’un édifice administratif censé permettre d’organiser l’articulation entre les exigences d’une économie de plus en plus mondialisée (échelles supérieures : État, Inter-régions, Europe) et le terrain, les besoins locaux et des exigences individuelles de plus en plus fortes.
Les années 2000 sont marquées par l’Acte II de la décentralisation (2202 / 2003) engagé par le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin. Elles aboutissent à de nouveaux transferts de compétences et de charges. La révolte des banlieues en 2005 conduit à une forte interrogation sur l’efficacité des politiques publiques dans les quartiers difficiles qui ont reçu de nombreuses subventions.
Dans les années 2010, la situation dégradée des finances publiques contraint l’État à réduire ses dotations aux collectivités locales. Leurs comptes étant pris en compte dans les critères de Maastricht, l’État impose des économies aux collectivités locales à travers une contractualisation financière de l’effort budgétaire. Que ce soit sous Nicolas Sarkozy ou François Hollande, les pouvoirs publics entérinent plus qu’ils n’appuient la « métropolisation » du territoire avec, à la clef, la réduction du nombre de régions. Le débat n’est plus entre Paris et le reste du monde mais entre les métropoles, les grandes banlieues et le monde rural même si la capitale conserve une prééminence d’État centralisé. Les déserts médicaux en grande banlieue et en milieu rural, le difficile accès aux services dans certaines collectivités, la problématique des transports sont autant de points justifiant une refondation de la politique d’aménagement du territoire.
La centralisation de la France ne date pas des jacobins. Ses racines sont à rechercher dans l’édification de la France. Les luttes incessantes entre les différents princes pour devenir roi que ce soit pour des raisons successorales ou religieuses ont incité les monarques à se méfier d’éventuels concurrents. Elles ont conduit à un exercice centralisé. Quand les Bourbons s’installent de Paris, ils n’auront de cesse de se méfier des Provinces. La Fronde marqua le jeune Louis XIV et influença sans nul doute son exercice du pouvoir. La Fronde commence en 1648 et se termine en 1653 par la soumission de la ville de Bordeaux. Elle se caractérisa par une contestation du pouvoir central de la part des parlementaires, des nobles de province et également de la part de la population condamnant les augmentations d’impôt. Elle intervient après la mort de Louis XIII et de Richelieu et sous la régence de Mazarin qui est de plus en plus contesté. Le 5 juin 1649, Louis XIV est forcé de fuir Paris, car sa vie est en danger, et de se réfugier au château de Saint Germain en Laye. Pour être maître de sa politique, une fois devenu Roi, il fit appel à des roturiers ou à des nobles de petite lignée pour diriger l’administration.
La révolution française qui se voulait « girondine » à l’origine, se fit jacobine au fil des années en raison de la guerre civile et des conflits avec les pays voisins. La lutte contre les corps intermédiaires jugés réactionnaires facilita la centralisation. En général d’armée qu’il était, Bonaparte structura le pays. L’organisation pyramidale s’imposa avec à chaque étage des représentants nommés par le pouvoir central. La Restauration, le Second Empire comme la République après 1871 ne remirent pas en cause le rôle clef de l’État et de Paris. L’idée de rééquilibrer les pouvoirs entre l’échelon national et les échelons territoriaux a été conçue de manière très administrée. Le terme « décentralisation » signifie bien que le pouvoir central concède de transférer certaines compétences. Ce mouvement qui a pris son essor à partir des années 80 fut avant tout un moyen pour l’État de transférer des charges à un moment où le déficit tendait à s’accroître rapidement. Aucun homme politique n’avance l’idée que la France pourrait y gagner en devenant fédérale. Dans les années 90, certains responsables de l’UDF, François Léotard par exemple, l’ont rapidement suggéré mais sans jamais en faire un thème de campagne. Le fédéralisme est récusé car il serait l’antichambre de la division et de l’affaiblissement du pays. La défaite d’Alésia, la Fronde, la guerre de Vendée sont autant de symboles qui hantent toujours le débat politique.
La montée en puissance des inégalités du territoire actuellement constatée intervient au moment où l’État doit faire face à une contrainte budgétaire accrue. Les dotations aux collectivités territoriales qui assurent près de la moitié de leur financement sont amenées à se réduire, ce qui pose la question de leurs capacités à remplir leurs missions. Compte tenu du grand nombre de collectivités locales en France, communes, communautés de communes, départements et régions, les inégalités entre-elles sont inévitables. Le système de péréquation est très limité en France. En Allemagne, la solidarité est horizontale, les régions riches financent les régions pauvres. En France, la solidarité est verticale. Le contribuable national est appelé à se substituer au contribuable local. L’égalité ne joue pas entre collectivités mais entre citoyens. Les habitants à revenus modestes des collectivités qu’elles soient riches ou pauvres peuvent être exonérés. Avec une compensation effectuée au niveau de l’État. Certes, des dotations peuvent prendre en compte des sujétions particulières auxquelles sont confrontées des collectivités comme celles qui ont une importante activité touristique ou qui sont en zone montagne.
Cette politique a certainement contribué à déresponsabiliser les élus et à les placer en situation de dépendance financière vis-à-vis de l’État. Cette politique n’est pas du fait de ses fondamentaux à même de corriger les inégalités entre régions, entre territoires. La fixation de règles dotations identiques entre l’Île-de-France et la Corse, une région de 12 millions d’habitants et une région de 325 000 habitants est irrationnelle. Dans le premier cas, l’Île-de-France concentre une part importante de la création de valeur ajoutée et constitue le premier lieu de production et d’échanges de France quand la Corse est la plus petite région en termes d’habitants et de superficie (France métropolitaine). Elle est qui plus est constituée d’une montagne entourée d’eau. Le système actuel permet aux collectivités les plus riches de bénéficier d’un avantage comparatif qui prend la forme d’une rente de situation. En effet, du fait de leurs ressources générées par exemple par la présence d’activités industrielles ou tertiaires, elles peuvent fixer des taux d’impôt bas, ce qui leur assure la pérennité de leur tissu économique à la différence des collectivités pauvres. En vertu de ce principe, des communes disposant de terres disponibles à périphérie d’agglomérations ont pu accueillir des centres commerciaux. Les villes centres s’en sont trouvées appauvries quand elles supportent des charges d’infrastructures plus importantes que celles se trouvant en banlieue (équipements sportifs, jardins publics, musées, etc.). Certes, la constitution des communautés de communes à partir des années 90 a commencé à apporter un début de réponse en permettant une mutualisation des moyens, ce qui, par ailleurs, s’est bien souvent traduit par une hausse des charges et des impôts en raison d’un nivellement par le haut.
Les intérêts des élus locaux ont souvent rencontré ceux des représentants de l’État. Les premiers préfèrent traiter avec l’administration centrale et non avec les élus des départements ou des régions qui peuvent être dans des logiques clientélistes. Les gouvernements de leur côté ont toujours craint la fronde vis-à-vis de l’État et sont de ce fait plus enclins à jouer leur division. L’interdiction du cumul des mandats s’est imposée au nom de la transparence et d’une soi-disant efficacité. La complexité des missions relevant des élus rendrait impossible la bonne exécution de plusieurs mandats. Cette interdiction des cumuls a, en revanche, diminué le poids des maires des villes de taille moyenne et des présidents de Conseils départementaux qui bien souvent cumulaient avec un mandat de député ou de sénateur. L’intervention d’un député-maire ou d’un Président de Conseil départemental-sénateur était prise en compte par l’administration centrale bien plus que celle d’un simple député. La règle du non cumul réduit donc l’influence des territoires, surtout ruraux. La France politique s’articule désormais autour des maires des grandes métropoles, Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille, Lille, Nantes, etc. et des Présidents de région. Il est à noter que seuls quelques-uns sont connus, avant tout en raison, de leur carrière nationale. Pour le moment, à la différence des États-Unis ou de l’Allemagne, peu de responsables politiques accèdent à l’échelon national par leurs réalisations locales. Le filtre de l’ENA et des cabinets ministériels joue un rôle plus important que le parcours local. Depuis 1958 mais surtout depuis les années 70, le rôle de la haute fonction publique au sein des sphères dirigeantes s’est accru, ce qui n’a pu qu’accentuer la centralisation du pays.
Cette prééminence de la capitale est également économique. Peu d’entreprises françaises ont conservé tout ou partie de leur siège en province. Michelin, AG2R LA MONDIALE, Casino, Lactalis, Auchan, Legrand, Bio Mérieux sont des exceptions. En Allemagne, Mercedes et Porsche font le bonheur de Stuttgart et BMW de Munich. Au fil des décennies, les banques régionales ont, en France, disparu ou ont intégré des réseaux nationaux. Elles constituent en Allemagne des forces d’appui au capitalisme des Länder. La France qui comptait sept puis six bourses des valeurs régionales jusqu’en 1990, n’en compte plus qu’une. Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nancy et Nantes, et Rouen ont fermé. Les délocalisations d’administrations et d’entreprises opérées dans les années 60 et 80 ont eu des succès divers. Si la région de Lannion avec Pleumeur-Bodou en Bretagne s’est positionnée comme centre de recherche dans les télécommunications, d’autres délocalisations se sont avérées avant tout symboliques comme l’ENA à Strasbourg ou Météo France à Toulouse. L’installation d’usines sidérurgique à Fos-sur-Mer ou à Dunkerque fait l’objet d’incessantes remises en cause du fait d’une rentabilité jugée insuffisante.
Internet était censé faciliter les communications au sein des territoires et permettre à tous d’accéder à l’information et aux services. Cette possibilité suppose évidemment que toutes les communes puissent accéder en haut débit à Internet, ce qui n’est pas encore le cas. Internet génère une exclusion technologique qui touche en priorité les personnes âgées isolées et les personnes sans qualification. Internet a eu des effets pervers sur l’aménagement du territoire. Il a conduit à la fermeture de certains services de proximité, Poste, banques, qui se sont vidés d’une partie de leur clientèle traditionnelle. De même, la multiplication des achats en ligne n’est pas sans incidence sur la crise du commerce en milieu rural. Par ailleurs, Internet accentue la concentration des activités à forte valeur ajoutée au sein des grandes agglomérations. Le digital repose, en son cœur, sur des structures employant du personnel qualifié vivant essentiellement dans les grandes métropoles. La diffusion du digital fait appel à de nombreux corps de métiers dont les échanges sont facilités en milieu urbain. Certes, Internet permet le télétravail mais celui-ci n’est pas une source importante de richesses pour les collectivités locales qui en bénéficient indirectement. Les centres de recherche se trouvent avant tout à proximité des grands établissements d’enseignement supérieur.
En 70 ans d’aménagement du territoire, la France a profondément changé avec la création des lignes à grande vitesse qui partent quasi-totalement toutes de Paris et la réalisation d’un large réseau autoroutier. Depuis les années 90, certaines diagonales permettent d’éviter Paris, non sans lien avec l’affirmation de quelques métropoles économiques, Lyon Toulouse et Lille en particulier. De nombreuses autres métropoles restent encore très dépendantes de l’administration nationale et territoriale. C’est le cas de Bordeaux, de Strasbourg, Dijon, Rennes et Nantes se situent dans une position intermédiaire. Depuis une vingtaine d’années, les gouvernements ont mis en œuvre des mesures qui visaient à entraver le développement de la région parisienne. Leur suppression a été justifiée par le fait que Paris doit faire face à la concurrence d’autres grandes capitales ou villes européennes et mondiales. Dans le même temps, ni Orly, ni Roissy ne sont reliés à la capitale par une liaison ferroviaire dédiée, respectivement 57 et 44 ans après leur inauguration officielle. Ce manque sera peut-être comblé pour les Jeux Olympiques de 2024 qui se tiendront à Paris, preuve du rôle incontournable de la capitale.