26 janvier 2019

Le Coin des Tendances du 26 janvier 2019

L’impôt sur les sociétés a-t-il un avenir ?

En France, l’impôt sur les sociétés contribue faiblement au financement des dépenses publiques. Son produit a été de 35,7 milliards d’euros en 2017 quand celui de la TVA est de 152,4 milliards d’euros ou celui de l’impôt sur le revenu de 73 milliards d’euros. La CSG avec 106,9 milliards d’euros rapporte trois plus que l’impôt sur les sociétés. Ce dernier impôt ne représente que 5,5 % des recettes fiscales en France quand, en moyenne, au niveau mondial, il en représente 13,3 %. Si dans les pays avancés, son poids a tendance à reculer, il est en expansion dans les pays émergents et sous-développés. L’impôt sur les sociétés ne représentait, en effet, que 12 % des recettes fiscales en 2000. Il assure 15,3 % des recettes fiscales en Afrique et 15,4 % dans la région Amérique latine et Caraïbes, contre 9 % dans la zone OCDE.

Les recettes de l’impôt sur les sociétés ont également progressé en pourcentage du PIB, puisque leur niveau moyen est passé de 2,7 % du PIB en 2000 à 3,0 % en 2016 au niveau mondial. En France, ce ratio qui était de 2,3 % en 2000 est passé à 1,5 % en 2017.

Si le poids peut augmenter dans certains pays, la tendance de fond est, selon l’OCDE, au recul des taux légaux de l’impôt sur les sociétés. Celui-ci est passé de 28,6 % en 2000 à 21,4 % en 2018. Plus de 60 % des 94 pays étudiés par l’OCDE avaient un taux au moins égal à 30 % en 2000, quand en 2018, il n’y en a plus que 20 %. Avec un taux légal d’imposition de 34,4 %, la France se classe au quatrième rang mondial après l’Inde (48,3 %), Malte (35 %) et la république Démocratique du Congo (35 %).

Même en prenant comme référence le taux effectif moyen d’imposition (intégrant les taux différenciés pour les PME, les abattements, les exonérations, les réductions d’impôt, etc.), la France se classe toujours quatrièmeavec un taux de 33 %. Elle est devancée par l’Inde (44,1 %), les États-Unis (34,2 %) et Malte (33,3 %). Le calcul de l’OCDE ne prend pas en compte la réforme fiscale de Donald Trump aux États-Unis. Son application devrait amener le taux effectif américain en-dessous de celui de la France. Parmi les pays à faible taux effectif d’imposition, figurent l’Irlande (11,8 %), le Royaume-Uni (19 %) et la Suisse (19,5 %).

En revanche, l’OCDE n’a pas intégré l’impact du crédit d’impôt sur la recherche qui joue un rôle important en France mais aussi en Russie. Depuis 2008, son développement qui concerne tant les grands groupes que les PME, aurait permis un allégement du taux effectif du taux d’imposition en France. Il est à souligner que 41 pays disposent de dispositif en faveur de la recherche et de l’innovation. Celui en vigueur en France est jugé comme l’un des plus avantageux. Il a été longtemps dénoncé par l’OCDE comme une forme de subvention masquée à l’innovation et à l’investissement.

La concurrence fiscale menée par les États aurait abouti, selon l’OCDE, à une contraction des recettes publiques de 100 à 240 milliards d’euros. L’idée d’une harmonisation de l’assiette et de l’adoption de bonne conduite a été à maintes reprises mise en avant tant au niveau de l’OCDE qu’au niveau de l’Union européenne. Entre la France et l’Allemagne, il avait été même prévu dans les années 2000 l’adoption d’une assiette commune. Au moment de la crise de 2008/2009, lorsque l’Irlande a demandé le soutien du FMI et de l’Union européenne, ces instances avaient demandé la remise en cause du faible taux de l’impôt sur les sociétés. Une fin de non-recevoir avait été adressée à la Commission de Bruxelles. Le gouvernement irlandais préférait alors se passer de l’aide européenne plutôt que de revoir à la hausse son taux de l’impôt sur les sociétés qui avait le succès du pays ces vingt dernières années. Tous les États avancés ont diminué leur taux d’imposition afin d’éviter la multiplication des délocalisations des sièges sociaux. Cette concurrence fiscale conduit aujourd’hui certains États dont la France à instituer des taxes visant spécifiquement, par exemple, les GAFA accusés d’avoir opté pour une optimisation fiscale très poussée.

Chaque époque a son impôt. Quand le sel était indispensable pour conserver les aliments, ce produit servit d’assiette. La multiplication des belles masures et demeures incita les pouvoirs publics à imposer les portes et fenêtres. Avec le développement du salariat, l’idée de taxer les revenus plus que le patrimoine prit corps à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. L’essor de la consommation de masse après la Seconde Guerre mondiale fut une source d’inspiration pour Maurice Lauré, l’inventeur de la TVA en 1954. Cet impôt remplaça les taxes en cascade sur le chiffre d’affaires. Pour favoriser les échanges, le principe de l’interdiction des doubles taxations des revenus s’est imposé au niveau international dans les années 50 et 60. Le digital modifie nos façons de produire et de consommer. Les revenus issus du digital peuvent être mondiaux et facilement logeables dans des pays à faible fiscalité comme en Irlande. Face à une optimisation fiscale qui peut être réalisée en quelques clics, les gouvernements sont contraints de revoir leur mode de perception des impôts, faute de quoi l’édifice de l’État providence pourrait vaciller et être remplacé par d’autres formes d’organisation. Le défi est de trouver de nouveaux systèmes de taxation qui ne soient pas antiéconomiques, non totalement protectionnistes, et qui puissent amener des recettes suffisantes. Faut-il taxer l’utilisation de données, les transferts d’information, le chiffre d’affaires, le nombre de pages vues sur Internet ? Pour le moment, les États tâtonnent et sont divisés sur la démarche à suivre comme le prouve l’absence de consensus sur ce sujet en Europe.

 

Les indépendants, une population hétérogène en mutation 

Sans prendre en compte les micro-entrepreneurs, le nombre des indépendants a tendance à diminuer en France. Cette situation s’explique par le vieillissement de la population qui conduit des indépendants à prendre leur retraite, par leur choix d’intervenir dans le cadre du salariat au sein de leur entreprise et par le contexte économique peu porteur. Ainsi, le nombre d’indépendants dans le secteur industriel diminue en parallèle avec la désindustrialisation qui s’est accélérée après la crise de 2008. Le nombre de travailleurs non-salariés n’augmente que par la forte croissance des micro-entrepreneurs (qui ont succédé aux auto-entrepreneurs).

Fin 2016, selon l’INSEE, la France comptait 3,2 millions de personnes exerçant une activité non-salariée en tant qu’entrepreneurs individuels ou en tant que gérants majoritaires de société. Environ un non-salarié sur sept exerce une activité agricole.

Parmi les 2,8 millions de non-salariés hors secteur agricole, 31 % sont des micro-entrepreneurs. Ces derniers profitent du développement des activités de service en liaison avec les plateformes digitales (livraisons à domicile, transports, etc.). Hors secteur agricole, la population non-salariée croît de nouveau en 2016 : + 0,3 %), après + 0,7 % en 2015 et + 0,2 % en 2014. Ces hausses sont nettement plus modérées que les années précédentes (+ 4,9 % par an en moyenne entre 2010 et 2013).

Poursuite de la baisse des non-salariés classiques

Les non-salariés classiques représentent 1,9 million de personnes fin 2016, dont 57 % sont entrepreneurs individuels et 43 % gérants majoritaires de sociétés. En 2016, le nombre d’entrepreneurs individuels classiques a diminué de 2,7 %. Leur nombre recule depuis 2009 date de l’entrée en vigueur du statut de l’auto-entrepreneur. Les effectifs de gérants de sociétés diminuent également pour la troisième année consécutive (-2,3 % en 2016), quand il avait augmenté entre 2009 et 2013 (+ 6,2 % en moyenne chaque année).

Le nombre de non-salariés classiques baisse dans la quasi-totalité des secteurs, et plus particulièrement dans la construction (-5,5 %), le commerce et l’artisanat commercial (-4,9 %) et l’hébergement-restauration (-4,4 %). Il progresse uniquement pour les professions paramédicales, les taxis les voitures de transport avec chauffeur (VTC) et les activités juridiques et comptable.

Plus de 850 000 micro-entrepreneurs actifs

Fin 2016, 856 000 micro-entrepreneurs sont économiquement actifs. Ils représentent 31 % des non-salariés hors agriculture. En 2016, leur nombre a augmenté de 7,7 % contre +5,9 % en 2016. Ces progressions sont inférieures à celles des années précédentes (+ 8,2 % en 2014, + 15,8 % en 2013). Une rupture est intervenue en 2015 avec le durcissement de la législation concernant les autoentrepreneurs

Les TNS sont avant tout présents dans les services

Les TNS sont avant tout présents dans le secteur des services, secteur qui concentre par ailleurs plus de 75 % de la population active. Il est assez logique que les TNS soient surreprésentés dans les activités tertiaires, ces dernières exigeant de moindres apports en capitaux. Ainsi, toutes catégories confondues, la moitié des non-salariés se concentre dans le commerce et l’artisanat commercial (19 %), la santé (17 %) et la construction (13 %), quand ces secteurs ne rassemblent qu’un tiers des salariés non agricoles du privé. 13 % exercent dans les activités spécialisées scientifiques et techniques (professions juridiques, comptables, conseil de gestion, architecture, ingénierie, publicité, design, etc.) et 21 % dans les services destinés aux particuliers (restauration, hébergement, activités artistiques et récréatives, enseignement, coiffure, etc.). En revanche, moins de 5 % d’entre eux travaillent dans l’industrie (hors artisanat commercial), soit une part trois fois moindre que celle des salariés du privé.

La part de micro-entrepreneurs augmente dans presque tous les secteurs d’activité. Les micro-entrepreneurs représentent plus de 60 % des non-salariés dans le commerce de détail hors magasin, dans certains services personnels (réparation de biens, entretien corporel) et les activités spécialisées (design, photographie, traduction), ainsi que dans les arts et spectacles ou encore dans l’enseignement.

Une dispersion importante pour les revenus

Les non-salariés classiques retirent en moyenne 3 440 euros par mois de leur activité : 3 720 euros pour les entrepreneurs individuels et 3 070 euros pour les gérants de sociétés. Leur niveau de vie est supérieur en moyenne à celui des salariés  qui s’établit en moyenne à 2 250 euros net (2900 euros brut).

En moyenne, 9 % des non-salariés classiques déclarent un revenu nul, car ils n’ont pas dégagé de bénéfices ou ne se sont pas versés de rémunération. Cette part varie de moins de 2 % pour les professionnels de santé et les pharmaciens, à plus de 20 % dans les arts et spectacles et les activités immobilières.

Hors revenus nuls, les disparités de revenu d’activité sont plus marquées que pour les salariés du privé. Un non-salarié classique sur dix gagne moins de 500 euros par mois. Ce seuil est 1,7 fois plus élevé pour les salariés du privé. 10 % des TNS perçoivent plus de 8 090 euros par mois. Ce montant est 2,3 fois supérieur au rang équivalent chez les salariés du privé.

Le commerce de détail hors magasin génère les revenus les plus faibles (1 120 euros par mois en moyenne), derrière les taxis et VTC, les services personnels et les activités artistiques et récréatives (de 1 370 à 1 430 euros mensuels). Les médecins et dentistes perçoivent en moyenne les revenus les plus élevés (8 620 euros), devant les juristes et comptables (8 060 euros) et les pharmaciens (6 990 euros).

En 2016, hors secteur agricole, le revenu d’activité moyen des non-salariés classiques progresse de 2,7 % en euros constants, après +2,5 % en 2015. Il s’accroît de 2,8 % pour les entrepreneurs individuels (après +3,0 % en 2015) et de 2,6 % pour les gérants de sociétés (après +1,6 %). Le revenu des micro-entrepreneurs augmente de nouveau en 2016 (+3,4 %, après +6,1 %) alors qu’il avait baissé régulièrement entre 2009 et 2014 (-1,9 % en moyenne par an). Ces hausses s’inscrivent dans un contexte de reprise économique.

La progression des revenus est liée en partie à un effet de structure. En effet, le nombre de TNS diminue dans les secteurs à faibles revenus, dans le commerce ou la restauration par exemple, et augmente dans les secteurs plus rémunérateurs comme la santé. À structure constante, la hausse du revenu moyen des non-salariés classiques serait moindre : +1,7 % en 2016 sur l’ensemble des secteurs non agricoles, au lieu de +2,7 %.

En 2016, les micro-entrepreneurs économiquement actifs retirent en moyenne 450 euros par mois de leur activité non-salariée, soit près de huit fois moins que les non-salariés classiques. Un sur quatre gagne moins de 80 euros, la moitié moins de 260 euros et un sur dix plus de 1 190 euros. Leur faible revenu est lié à la nature du régime qui impose des plafonds sur le chiffre d’affaires. Il s’agit éventuellement d’une activité d’appoint, trois micro-entrepreneurs sur dix occupant également un emploi salarié.

Le monde des TNS se féminise

En 2016, les femmes représentent 37 % des non-salariés, contre 42 % des salariés du privé. Leur nombre s’accroît (+3 points en cinq ans). Elles sont de plus en plus nombreuses dans les métiers les plus qualifiés tels que médecins, professions du droit, architectes, mais aussi dans des secteurs où elles ont profité du statut de micro-entrepreneur pour lancer leur activité.

En 2016, les femmes non-salariées classiques gagnent en moyenne 22 % de moins que leurs confrères : 2 900 euros par mois contre 3 730 euros. Cette différence n’est pas liée à leur secteur d’activité. En effet, elles ont tendance à exercer dans des secteurs souvent plus rémunérateurs que les hommes (santé, droit).  Une partie de l’écart s’expliquerait par un volume de travail moins important. Elles sont aussi plus jeunes et dirigent en moyenne des entreprises plus petites.

Fin 2016, en France, 448 000 personnes exercent une activité non-salariée dans l’agriculture, la sylviculture ou les services d’aménagement paysager. Près de 17 % d’entre elles bénéficient du régime du micro-bénéfice agricole, leur revenu moyen en 2016 est de 450 euros par mois. Les autres sont imposées au régime réel et se concentrent majoritairement dans la production de bovins (28 %), la production de céréales et grandes cultures (21 %) et la culture et l’élevage combinés (13 %).

Les non-salariés agricoles, des revenus faibles et fluctuants

Les non-salariés imposés au régime réel des secteurs de la production agricole retirent 1 370 euros en moyenne par mois de leur activité. Ces revenus varient fortement d’une année sur l’autre, en raison des fluctuations des prix et des aléas climatiques qui pèsent sur les récoltes. En 2016, les revenus les plus élevés sont constatés parmi les non-salariés exerçant dans la culture de vignes (2 650 euros par mois) et la culture de légumes, fleurs ou plantes (2 100 euros). À l’inverse, l’élevage (hors granivores) génère les revenus les plus faibles : 1 060 euros par mois en moyenne pour la production de bovins, marquée en 2016 par une baisse de la collecte laitière et l’effondrement du prix du lait, 1 010 euros pour la production d’ovins, caprins, équidés et autres animaux et 1 120 euros pour la culture et l’élevage combinés. 28 % des non-salariés des secteurs de la production agricole déclarent un revenu nul ou déficitaire. Cette part est particulièrement élevée dans la production d’ovins, caprins, équidés et autres animaux (39 %), et la production de céréales et grandes cultures (37 %), marquée en 2016 par des accidents climatiques. En intégrant les revenus négatifs, les non-salariés imposés au régime réel des secteurs de la production agricole ne perçoivent en moyenne que 1 110 euros par mois en 2016. Fin 2016, 13 % des non-salariés agricoles cumulent leur activité non-salariée avec une activité salariée : 12 % de ceux imposés au régime réel et 20 % de ceux bénéficiant du régime du micro-bénéfice agricole.

Le recours au TNS et notamment aux micro-entrepreneurs s’est accentué dans le cadre de la parcellisation des activités professionnelles, du renouveau des emplois à la tâche et dans un souci de contourner les contraintes supposées ou réelles du salariat. Le développement des plateformes de services a été favorisé par l’existence du statut d’auto-entrepreneur. Cette évolution est constatée depuis une dizaine d’années dans tous les pays. D’un côté, le statut d’indépendant semble rebuter du fait des aléas qu’il fait supporter sur les actifs, de l’autre, il est de plus en plus utilisé dans sa forme la plus fragile qui soit, ce qui pose des problèmes en matière de couverture des droits sociaux. Ainsi, de plus en plus de médecins souhaitent travailler dans un cadre salarial afin d’éviter les contraintes financières et d’horaires qu’ils peuvent rencontrer dans l’exercice libérale de leur profession. Du fait des changements fiscaux et sociaux opérés en particulier entre 2012 et 2017, des indépendants ont fait le choix de monter des sociétés à actions simplifiée, de se salarier et ainsi de bénéficier d’une meilleure couverture sociale.

Le rajeunissement des indépendants

Si l’âge moyen des TNS est plus élevé que la moyenne de la population active, un rajeunissement est constaté avec les auto-entrepreneurs. Ce statut est utilisé comme moyen d’attente soit d’un travail salarié, soit d’une réalisation plus structurée d’une entreprise pérenne. Il peut l’être également en complément d’une activité salariée. Les frontières entre salariat et non-salariat sont de plus en plus minces. La subordination qui caractérise le travail salarié existe évidemment dans le cadre des missions que peuvent remplir des TNS dans le cadre de plateformes comme Uber. Leurs marges de manœuvre pour organiser leurs prestations, les prix et les conditions de la course sont faibles. Par ailleurs, dans certains secteurs comme le bâtiment, des salariés peuvent être amenés à exercer leur travail dans le cadre de leur entreprise puis de leur micro-entreprise.