Le Coin des tendances du 23 février 2019
Le retour de la taxe carbone ?
A l’automne 2018, la crise des « gilets jaunes » a eu raison des augmentations des taxes sur les carburants que le gouvernement souhaitait mettre en place. Mais, depuis peu, à la faveur du grand débat public initié par le Président de la République, plusieurs voix se font entendre au sein de la majorité afin de relancer la taxation du carbone. La question reste, en effet, de savoir comment éviter le réchauffement climatique et financer les investissements nécessaires pour réduire le poids des énergies carbonés et plus globalement les émissions de CO2. Depuis une dizaine d’années, la taxation du carbone est un sujet sensible au sein de l’opinion publique française, des « bonnets rouges » bretons aux « gilets jaunes ». Le Gouvernement est enclin, en la matière, à « laisser le temps au temps ».
Dans son rapport spécial intitulé : « Global Warming of 1,5°C » (Un réchauffement planétaire de 1,5°C), publié en octobre 2018, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) a confirmé qu’une augmentation plus rapide de la température globale à la surface de la terre était plus que probable dans les prochaines années. Il estime, en effet, que la hausse de la température globale pourrait être de 2°C par décennie. À ce rythme, le réchauffement planétaire pourrait atteindre 1,5°C à l’horizon de 2030 et entre 3 et 4°C à la fin de ce siècle.
Les experts jugent important de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C, au lieu de 2°C, pour réduire ses conséquences économiques, sociales et démographiques. Avec une augmentation de 1,5°C, le niveau de la mer pourrait être plus élevé de 0,26 à 0,77 mètre à l’horizon 2100, ce qui entraînerait la submersion des basses zones et de certaines petites îles. Avec le scénario à 2°C, il faudrait ajouter au minimum 0,1 mètre de plus. Plusieurs dizaines de millions de personnes seraient concernées par l’élévation des eaux des océans. Des déplacements de population seraient à prévoir. Des espaces économiques majeures tant sur le plan des transports, de l’industrie et de l’agriculture pourraient être touchés.
La COP 24, qui s’est déroulée en décembre 2018 à Katowice en Pologne, a confirmé l’objectif de maîtrise du réchauffement climatique à 1,5 ou 2°C mais sans adopter les mesures nécessaires pour y parvenir. Le rapport du GIEC sur le réchauffement climatique de 1,5°C n’a pas été adopté en raison de l’opposition de quatre pays producteurs de pétrole, les États-Unis, l’Arabie Saoudite, la Russie et le Koweït. Le projet de fonds de 100 milliards de dollars en faveur des pays en voie de développement a été renvoyé à la prochaine COP. Les participants à la COP 24 ont seulement réussi à s’accorder sur des règles de mesure, de notification et de vérification des émissions de carbone.
Les investissements en faveur des énergies renouvelable ont tendance à diminuer en raison de la baisse du cours du prix du pétrole mais aussi des prix des équipements solaires photovoltaïques qui représentent 8 % du total des investissements énergétiques. La part de ces combustibles fossiles (dont la production d’électricité d’origine thermique) rapportée à l’investissement total dans l’approvisionnement énergétique, a augmenté, pour la première fois depuis 2014, et atteint 59 %. La chute des investissements dans les centrales au charbon et dans les approvisionnements en charbon a été compensée par d’importants investissements dans l’industrie pétrolière et gazière, en particulier aux États-Unis. Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, les émissions de gaz à effet de serre devraient commencer à baisser vers 2020 et se rapprocher de zéro vers 2050. Pour cela, il faudrait augmenter les investissements énergétiques de 33 % afin qu’ils puissent atteindre 3 183 milliards de dollars par an. La part des sources d’énergies renouvelables dans l’électricité totale devrait par ailleurs passer d’un peu plus de 30 % en 2015 à environ 70 % en 2050. Dans les scénarios 1,5°C et 2°C, le secteur de l’électricité devrait être entièrement « décarboné » à l’horizon 2050. Par ailleurs, pour réduire drastiquement les émissions des gaz à effet de serre, l’industrie devrait recourir de plus en plus fortement à l’énergie électrique ou aux techniques d’enfouissement du carbone dans les sols.
Dans les scénarios étudiés au niveau international, les prix du carbone constituent le principal outil pour atteindre les objectifs retenus. L’augmentation du prix des énergies carbonées doit permettre leur repli au profit d’économies meilleurs marchés. Les recettes fiscales devraient être utilisées pour financer des investissements et venir en aide aux populations les plus modestes. La mise en place de circuit de redistribution de l’impôt est toujours complexe et source d’iniquité.
Moins de 20 % des gaz à effet de serre au niveau mondial sont actuellement couverts par des prix du carbone, et la plupart de ces prix sont bien inférieurs à 40/60 dollars. Malgré tout, selon l’OCDE, la situation s’améliore lentement. Le déficit de tarification du carbone (qui mesure l’écart entre la tarification actuelle des émissions de carbone et les coûts climatiques réels, estimés à 30 euros par tonne de CO2), était de 76,5 % en 2018, soit une légère progression par rapport à l’écart de 79,5 % mesuré en 2015. C’est dans les transports routiers que ce déficit est le plus faible (21 %) et dans l’industrie qu’il est le plus élevé (91 %).
En France, un rapport de « France Stratégie » remis au Premier ministre à la mi-février, préconise de fixer le prix de la tonne de CO2 à 250 euros en 2030, contre 100 euros prévus jusque-là. Les auteurs du rapport considèrent qu’à partir de 250 euros la tonne, les acteurs économiques sont obligés de prendre des mesures d’adaptation. Le développement des transports publics, l’isolation des logements, la production d’énergies renouvelables sont ainsi rentabilisés. Alain Quinet, le président de la Commission sur la valeur tutélaire du carbone, souligne que ce montant de taxe doit servir de guide, la réduction des émissions de CO2 pouvant être obtenue par d’autres moyens : réalisation d’infrastructures, changement des comportements, etc.
La réduction des gaz à effet de serre est aujourd’hui impossible à réaliser car les accords environnementaux fixent des objectifs chiffrés à l’échelle planétaire déclinés de manière non contraignante au niveau national. Cette déclinaison est en outre le fruit des engagements pris par les différents gouvernements. Dans ces conditions, les États sont incités à jouer les « passagers clandestins ». De ce fait, les 200 objectifs chiffrés nationaux n’atteignent pas les résultats attendus par l’accord de Paris. Il serait plus efficient d’appliquer une écotaxe en lieu et place d’un objectif chiffré. Le principe de base serait que les agents doivent payer l’intégralité des coûts marginaux des émissions de carbone.
La taxation du carbone pèse par définition sur les émetteurs les plus importants, les entreprises industrielles, les ménages se chauffant au fioul ou vivant loin de leur travail ou en milieu rural. Les contribuables considèrent que la taxation carbone est une taxation punitive. Elle est de ce fait naturellement impopulaire. Il n’y a pas qu’en France où la taxation des énergies fossiles pose un problème. Ainsi dans l’État de Washington, les électeurs se sont opposés à une taxe carbone qui devait financer la mise en place de projets d’énergies renouvelables et des aides destinées aux travailleurs impactés par son introduction.
Certains économistes travaillent sur le principe d’une taxation des ménages pour leurs émissions réelles de carbone en intégrant des bonus / malus afin de récompenser ceux qui réalisent des efforts. Il faudrait imposer à chaque ménage l’établissement bilan carbone, ce qui serait un peu complexe et un peu intrusif. Le recours à l’avion par rapport au train serait pénalisé tout comme le fait d’avoir une voiture à forte cylindrée (cf. les travaux de George Shultz et Ted Halstead). Les ménages dits aisés ont tendance à émettre plus de carbone que les ménages à revenus modestes.
La montée en puissance des taxes carbones risque de provoquer des délocalisations des activités industrielles les plus polluantes. Cette pratique ne réduirait en rien le volume de gaz à effet de serre rejeté et aboutirait à réduire le nombre d’emplois au sein des pays avancés. Comme le suggère le Prix Nobel 2018, William D. Nordhaus, les taxes « carbone » doivent être mises en œuvre dans des groupes d’États, appelés « clubs climatiques ». Ces groupes s’accorderaient sur un prix du carbone émis à l’intérieur de leurs frontières sous la forme d’une taxe carbone intérieure ou d’un système de plafonnement et d’échange de droits d’émission. Il faudrait autoriser ces pays à appliquer des droits de douane spécifiques sur les importations en provenance des États ne disposant pas de taxes « carbone ». Les entreprises qui exportent vers des pays n’appliquant pas de taxe carbone bénéficieraient d’une remise de taxes. En fixant le taux d’imposition et les droits de douane à un niveau suffisamment élevé, les pays seraient incités financièrement à rejoindre la coalition. Une telle solution suppose au préalable la signature d’un accord international et la création d’un groupe d’États favorables. L’élaboration d’une solution internationale apparaît de plus en plus comme la seule permettant la maîtrise rapide des émissions des gaz à effet de serre mais les positions de la Chine, des États-Unis et de la Russie ne facilitent pas l’obtention d’un consensus mondial sur le sujet.
Quel avenir pour la presse quotidienne régionale ?
Dans son ouvrage de référence, De la Démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville, soulignait que « les journaux deviennent plus nécessaires à mesure que les hommes sont plus égaux et l’individualisme plus à craindre. Ce serait diminuer leur importance que de croire qu’ils ne servent à garantir que la liberté : ils maintiennent la civilisation ».
Les journaux sont pour Tocqueville des moyens pour agglomérer la population. Ils sont tout à la fois des intercesseurs, des intermédiaires et des catalyseurs au niveau des territoires.
La France comptait plus de 175 quotidiens régionaux dans les années 50 mais leur nombre a été divisé par trois en quelques décennies. Depuis quelques années, la crise s’est accélérée avec la montée en puissance du digital et avec la modification des comportements des ménages. Plusieurs sont au bord de la faillite.
Les quotidiens régionaux qui ont longtemps bénéficié d’un large public et de recettes locales doivent faire face à l’érosion de leur lectorat, à la diminution des recettes publicitaires et à celles liées aux annonces légales. Les contraintes budgétaires des collectivités territoriales et de l’État ne sont pas non plus sans incidence sur l’équilibre des comptes.
Un journal est un bien complexe. Premièrement, il se renouvelle chaque jour de fond en comble. Deuxièmement, son prix de vente ne couvre que 50 à 60 % des coûts, le solde provenant de la publicité, des petites annonces et des éventuelles subventions (aides à la presse). Du fait de sa parution quotidienne, il doit veiller, en permanence, à son équilibre financier. Les coûts fixes sont très élevés : la rédaction pouvant être amenée à travailler 24 heures sur 24, l’impression avec en outre une nécessité d’ajuster au mieux l’offre à la demande. À défaut de pouvoir réduire les coûts d’impression, longtemps la presse a tenté de limiter les coûts salariaux en jouant notamment sur les pigistes.
Le digital a modifié, les équilibres de la presse régionale à plusieurs niveaux. Les lecteurs se sont détournés de leur quotidien au profit des sites d’information en ligne, des réseaux sociaux. Plus réactifs, plus rapides à lire, les nouveaux moyens de communication ont réduit l’attrait de la presse écrite traditionnelle. À tort ou à raison, il est souligné que les jeunes de moins de 30 ans lisent moins que leurs aînés, familiarisés qu’ils sont avec les vidéos depuis leur naissance. Cela reste à démontrer mais leur rapport à l’information est sans nul doute différent. Du fait de l’évolution de la population, le lectorat de la presse quotidienne régionale vieillit et est amené à se contracter faute de renouvellement. Le digital modifie également les moyens d’accès à la presse. Cette dernière se consomme désormais sur tablette, sur smartphone ou sur ordinateur. Si cette évolution permet de réaliser des économies sur les coûts de production, elle conduit également à une raréfaction des recettes publicitaires. Pour faire face à la digitalisation, les quotidiens ont accepté de rejoindre des portails comme celui de SFR permettant pour 10 euros de consulter un très grand nombre de journaux. Le retour en termes de recettes est bien plus faible que l’abonnement en ligne réalisé sur le site du journal qui est bien souvent bien plus cher.
La montée en puissance du digital a également occasionné une chute des recettes publicitaires. En effet, Internet est devenu le premier support pour la publicité devant la télévision, la presse écrite et les radios. La presse écrite régionale conserve, certes un avantage comparatif en ce qui concerne la publicité de proximité (centres commerciaux, grande distribution, etc.) mais celui-ci s’érode avec la montée des bannières localisées sur les sites en ligne. La remise en cause des obligations légales en matière d’annonces génère une importante baisse de revenus pour la presse. Par ailleurs, celle-ci doit faire face à une réduction du nombre de points de vente (fermeture des kiosques et des maisons de la presse). Les coûts de distribution en milieu rural ont tendance à augmenter en raison de l’évolution du prix des carburants.
Le modèle économique de la presse a tendance à évoluer lentement quand l’environnement subit une véritable métamorphose. Comme pour les autres catégories de presse écrite (presse quotidienne nationale, magazine), les responsables de la PQR éprouvent des difficultés à appréhender le digital. Les sites numériques doivent-ils être libres d’accès ou partiellement réservés aux abonnés ? En la matière, les changements de philosophie sont fréquents. Le site doit-il être la simple déclinaison du journal ou un vecteur de communication à part entière offrant une interactivité totale, ce qui suppose des effectifs supplémentaires et l’intégration du son et de la vidéo ? Or, la réduction des recettes tend à limiter le nombre de journalistes. Les exemples étrangers, américains et britanniques en particulier, soulignent que l’avantage comparatif de la PQR est lié à sa rédaction et à sa capacité de distribuer de l’information décryptée. Les lecteurs cherchent certes de l’immédiateté mais aussi de la fiabilité. Celle-ci peut être payée sous réserve qu’elle soit avérée. Évidemment, cela suppose que le contenu soit à forte valeur ajoutée. « The Economist » ou le « New York Times » ont survécu en pariant sur la qualité et sur la capacité à mettre à disposition de leurs abonnés des données de première main. L’avantage de la PQR par rapport à la presse nationale, c’est le maillage serré du territoire. Or, aujourd’hui, le lecteur veut tout à la fois les tendances nationales mais aussi du local, de la proximité. La capacité à relater en quasi direct les évènements locaux constitue un axe de survie pour la presse régionale. À l’instar d’Ouest France, 1er quotidien français en termes de diffusion, le développement d’un segment éditions régionales constitue un autre axe avec toujours comme file directeur une spécialisation dans des domaines à forte identité. L’intégration des autres segments de la communication constitue sans aucun doute une piste. En effet, les grandes chaînes d’information, du fait de la politique de réduction des coûts, ont de moins en moins de correspondants sur le terrain. Les quotidiens régionaux disposant de nombreux journalistes pourraient vendre plus fréquemment des reportages clefs en main aux chaînes d’information. À défaut, ce marché sera très rapidement capté par des pigistes. La 4G permet déjà de réaliser des directs de qualité ; avec la 5G, ce sera encore plus facile. Enfin, la PQR comme les autres catégories de la presse doit certainement mieux tenir compte des désirs de ses clients qui sont les lecteurs et les annonceurs. Cela suppose une meilleure connaissance client, ce que permet le digital. Que lisent les abonnés, combien de temps passent-ils à lire les articles ? Que recherchent-ils comme information et quels compléments attendent-ils ? La segmentation de la clientèle qui s’est imposée dans la distribution ne saurait être ignorée par la presse. Le lecteur qui aime le sport n’est pas le même que celui qui souhaite remplir une grille de mots croisés. Il faut attirer l’un et l’autre. Certains quotidiens régionaux proposent des abonnements à dominante sports ou jeux. En fonction des souhaits des lecteurs, il est possible de fournir des prestations aux annonceurs à plus forte valeur ajoutée avec un suivi beaucoup plus fin des données. Ces dernières sont également au cœur des défis que doivent relever la PQR. Les sites d’information sont des carrefours permettant un brassage important de lecteurs, d’Internautes susceptibles de générer des données et donc d’être créateurs de richesses. Longtemps, cette richesse a été préemptée par Google, Yahoo et consœurs. La possibilité pour la presse de reprendre la main est évidemment fondamentale pour leur survie.
Jamais la demande d’informations locales de qualité n’a été aussi importante. La révolution digitale en imposant le concept relatif de gratuité met en danger l’élaboration de contenus professionnels. Le risque est la fabrication d’information par des sources non transparentes ou par des sources communautaristes dans le sens où les acteurs d’un évènement deviennent les fabricants de l’information au profit de leur fan club. Tout à la fois, l’information est globale et privatisée. Elle est réalisée sans filtre et peut faire l’objet de manipulation. L’absence de pluralisme est également une source d’appauvrissement. Au niveau régional, la diversité d’expression a fortement diminué ces trente dernières années avec les regroupements rendus financièrement nécessaires.