Le Coin de la Conjoncture du 4 mai 2019
L’euro à la veille d’une appréciation ?
L’euro a tendance à se déprécier par rapport au dollar depuis plusieurs années. Le différentiel de croissance et de taux d’intérêt entre les deux zones ainsi que les incertitudes politiques au sein de l’Union européenne expliquent en partie la faiblesse relative de la monnaie unique. Les États-Unis ont une insuffisance structurelle d’épargne, la zone euro a un excès structurel d’épargne. À court terme, cela est compatible avec un dollar fort et un euro faible. Mais, à long terme, ce processus devrait s’inverser.
Les États-Unis sont confrontés depuis plus de vingt-cinq ans à un déficit de leur balance courante qui atteint plus de 2,5 % du PIB par an quand la zone euro est excédentaire de 3 % du PIB notamment en raison de l’apport de l’Allemagne.
Les États-Unis doivent faire face à une insuffisance d’épargne de manière chronique quand la zone euro est en situation d’excédent structurel, et cela depuis 2012. Cet excédent est tout à la fois la conséquence du solde positif de la balance des comptes courants, de la politique budgétaire peu expansionniste et du taux d’épargne élevé des ménages. Cette dernière ne dépasse pas 10 % du revenu disponible brut contre 12 % au sein de la zone euro. Le déficit public est de 4 % du PIB aux États-Unis et de 0,5 % au sein de la zone euro en 2018.
Ce déséquilibre se traduit par le gonflement de la dette extérieure nette américaine qui est passée de 10 à 48 % du PIB de 1998 à 2018. La dette nette de la zone euro était inférieure à 4 % du PIB en 2018. Les États-Unis accumulant de la dette extérieure, ils payent des intérêts au reste du monde (3 % du PIB), tandis que la zone en reçoit (3 % du PIB).
Les Européens financent ainsi la dette extérieure américaine et par ricochet leur croissance. Ils placent une part non négligeable de leur épargne en dollars, ce qui favorise l’appréciation de la monnaie américaine. L’euro s’affaiblit malgré d’importants excédents commerciaux dès lors que les États membres ne recyclent pas en interne les capitaux ainsi importés.
À terme, le dollar devrait se déprécier face à l’euro. La nécessité d’équilibrer la balance des comptes courants pourrait s’accompagner d’une baisse du dollar. Un ralentissement de la croissance entraînerait, par ailleurs, une réduction des importations et une dépréciation de la monnaie. Pour continuer à attirer des capitaux, la Banque centrale américaine pourrait certes augmenter les taux mais au risque de peser négativement sur l’activité. La levée de certaines incertitudes jouant actuellement contre l’euro pourrait également favoriser à moyen terme son appréciation.
Quand l’économie libérale est battue en brèche par les oligopoles
L’économie dite libérale s’est construite autour du principe de la libre concurrence. La croissance serait la conséquence d’une émulation permanente entre les agents économiques. La fermeture des marchés, les situations de monopole aboutissent à la constitution de rente qui ne permettent pas une bonne allocation des ressources, ni une diffusion optimale des gains de productivité et moins encore une croissance pérenne. L’absence de concurrence réduit l’intérêt à investir, à innover et à prendre des risques. Les monopoles ont tendance à vouloir préserver les revenus de leurs actionnaires à travers la distribution de dividendes ou à travers des rachats d’actions. Les libéraux estiment que des bénéfices excessifs sont la preuve d’un dysfonctionnement, d’un marché insuffisamment concurrentiel. Le bénéfice, selon la théorie libérale, doit tendre vers zéro. Il ne peut être que temporaire.
Depuis la première révolution industrielle à compter de 1750, le combat contre les tentations monopolistiques est permanent. La première loi Antitrust date de 1890 aux États-Unis (Loi Sherman du nom d’un sénateur américain). Elle fut complétée par le Clayton Act et le Federal Trade Commission Act en 1914. L’application des lois antitrust abouti à l’éclatement de la Standard Oil de John Rockefeller en 30 sociétés. En 1974, ATT, l’opérateur de télécommunications, est contrainte de se scinder en sept sociétés. D’autres secteurs ont été visés par des procédures antitrust comme ceux du sucre, de la sidérurgie, des cartes de paiement bancaire.
Au sein de l’Union européenne, le droit de la concurrence relève de la Commission qui est accusée d’être soit trop rigoureuse (refus de la fusion Siemens Alstom) ou trop laxiste (à l’encontre par exemple des GAFA).
Avec la mondialisation et la digitalisation, l’économie mondiale connaît un processus de concentration de plus en plus important. Les indices mesurant la concentration des marchés ont augmenté de plus de 20 points en vingt-cinq ans. Les situations de monopole sont fortes pour la production d’acier, d’aluminium ou d’avions. Quelques entreprises réalisent plus de 70 % de la production mondiale. Cette concentration est également marquée dans le secteur informatique. Les GAFA sont en position dominante sauf en Chine où des entreprises nationales captent les parts de marché de manière tout aussi monopolistique.
La mondialisation a favorisé l’émergence de grands groupes ou a conforté ceux qui étaient déjà de taille internationale. Une production éclatée à l’échelle de la planète suppose une implantation internationale et une forte maîtrise des flux. Les barrières à l’entrée sont importantes. Il est très difficile pour une entreprise naissante ou de taille réduite de s’imposer à l’échelle internationale. Certes, les start-ups devenues les GAFA prouvent l’inverse. Leur modèle repose sur le principe que le premier prend l’ensemble du marché. Leur succès s’explique par la conquête rapide de parts de marché et par l’élimination des concurrents. Amazon en étant en situation de proposer un très grand nombre de références sur l’ensemble de la planète met en difficulté les distributeurs nationaux. Cette entreprise a perdu durant des années de l’argent sur la vente des produits mais en gagnait en louant ses capacités informatiques.
Les entreprises en situation de monopole ou d’oligopole qu’elles soient technologiques ou non ont tendance à privilégier la hausse de leurs marges bénéficiaires et à réduire leurs investissements. Ainsi, aux États-Unis, le taux d’investissement des entreprises est plus faible en 2018 qu’il ne l’était avant l’an 2000. Les gains de productivité ont été en un quart de siècle divisés par deux.
La réglementation de plus en plus lourde rend plus complexe l’immixtion de concurrents. En outre, les entreprises ont tendance à adopter des codes de bonne conduite. Elles évitent de débaucher le personnel de leurs concurrents tant pour éviter une inflation des salaires que par crainte de mesures de rétorsion. Même si les autorités tentent de démasquer les ententes commerciales, ces dernières sont de plus en plus nombreuses. Elles peuvent être explicites ou implicites. Considérant que les gains de productivité sont faibles et que le marché ne s’accroît que faiblement, les entreprises privilégient le maintien de leur chiffre d’affaires et ne s’engagent sur le terrain de la conquête qu’avec prudence.
Après l’échec des procédures contre IBM dans les années 1970 et Microsoft dans les années 1990, les autorités semblent être démunies vis-à-vis des monopoles ou des oligopoles. Leur force économique et leur lobbying sont tels que les pouvoirs publics sont bien souvent amenés à les défendre sur la scène internationale. Ainsi, si Amazon suscite de lourdes critiques en mettant en difficulté des enseignes de la grande distribution, les collectivités publiques se battent pour accueillir sur leur territoire ses centres logistiques générateurs de centaines d’emplois. La compétition accrue avec les pays émergents conduit à un degré d’acceptabilité plus élevé en matière de concentration. La Chine du fait de son poids démographique et de son capitalisme nationaliste incite les États occidentaux à favoriser le développement de champions internationaux ayant à prendre des positions dominantes sur leurs marchés. Il en est ainsi dans les transports, l’agro-alimentaire, l’énergie, les entreprises minières, la sidérurgie, l’informatique. Même le luxe n’échappe pas à la règle avec la constitution de très grands groupes (come LVMH et Kering) qui ont acheté de très nombreuses marques.
La polarisation des emplois s’amplifie
Si la grande majorité des pays de l’OCDE connaît une nette baisse du chômage depuis 2016, la plupart des créations d’emplois intervient dans des secteurs caractérisés par une productivité et des salaires relativement faibles. Ce processus de polarisation qui s’effectue au détriment des classes moyennes tend à s’amplifier. En Allemagne, en France et au Royaume-Uni, plus du tiers des créations d’emploi, constatées depuis 2010, s’effectuent dans des secteurs offrant des rémunérations inférieures à la moyenne. En Belgique, en Espagne, en Finlande et en Italie, les secteurs d’activité affichant des niveaux de productivité du travail supérieurs à la moyenne ont accusé des pertes nettes d’emplois. Même si les salaires sont repartis à la hausse dans la grande majorité des pays de l’OCDE, depuis deux ans, les salaires réels restent inférieurs à leur niveau d’avant la crise en Espagne, en Grèce et en Italie. En Belgique et au Canada, ils sont orientés à la baisse.
L’augmentation du nombre d’emplois dans des secteurs offrant de faibles rémunérations, comme l’hôtellerie-restauration, la santé ou l’hébergement médico-social, pèse sur les salaires moyens enregistrés à l’échelle de l’économie dans son ensemble.
Dans son dernier rapport sur l’emploi, l’OCDE montre que la part du revenu généré par l’activité économique revenant au facteur travail ne cesse de diminuer depuis 15 ans dans de nombreux pays, surtout dans le secteur manufacturier. En 2017, c’est en Irlande, en Pologne et au Portugal que la part des salaires dans la valeur ajoutée a le plus diminué. Une baisse est également constatée en Australie, aux États-Unis, en Hongrie, en Israël et au Japon.
Avec le plein emploi et la montée des revendications sociales, les coûts de main-d’œuvre dans nombre de pays sont attendus à la hausse. Les entreprises pourraient arbitrer au détriment de l’emploi en investissant plus massivement dans les robots et les automatismes. Néanmoins, le climat politique incertain, les tensions commerciales et l’érosion de la confiance des entreprises et des consommateurs sont autant de motifs pouvant dissuader les entreprises à investir.
La faiblesse des gains de productivité constatée depuis plusieurs années est la conséquence des arbitrages effectués par les entreprises. Ces dernières préfèrent recourir à de la main d’œuvre peu payée et augmenter le volume de travail que d’optimiser la production de biens et de services par une utilisation plus efficiente de leurs ressources au moyen d’innovations technologiques, d’innovations de procédés et de changements organisationnels ou de nouvelles idées.
La politique des taux d’intérêt bas devrait favoriser l’investissement et par ricochet la productivité. Or, elle conduit surtout au maintien d’entreprises à termes peu rentables qui ne s’engagent pas sur le long terme. Elle freine donc la diffusion du progrès plus qu’elle ne l’encourage.
Le développement d’emplois peu qualifiés, mal rémunérés nuit
à la croissance en pesant sur la consommation et en ne permettant pas un
accroissement des gains de productivité. Dans les pays occidentaux, l’écart
entre les minimas sociaux et les salaires du bas de l’échelle est faible, ce
qui est fortement dissuasif pour de nombreux actifs. Cela crée un climat
défavorable au travail et peu propice à la croissance.