Le Coin de la Conjoncture du 10 août 2019
La France plie sans rompre
Selon les dernières prévisions de la Banque de France, la croissance du troisième trimestre pourrait atteindre 0,3 point contre 0,2 point enregistré au deuxième.
L’essentiel du rebond anticipé par la Banque de France serait imputable pour l’essentiel à un redressement de l’activité dans le bâtiment, « à la fois dans le gros et le second œuvre ». Un effet amplifié par le fait que « l’activité des services a légèrement accéléré en juillet » tandis que la production industrielle n’a progressé que « modérément ». Cette amélioration devrait se poursuivre en août malgré la trêve estivale.
Pour autant, cette légère amélioration pourrait ne pas suffire pour atteindre l’objectif de croissance pour 2019 fixé par le Gouvernement à 1,4. Selon la Banque de France, mais aussi selon l’OCDE, le FMI et la Commission européenne, l’activité économique ne devrait progresser que de 1,3 % cette année, contre 1,7 % en 2018.
Dans les prochains mois, l’économie française pourra compter sur l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages en lien avec les mesures prises par l’exécutif après la crise des gilets jaunes. Le Gouvernement mise sur un relâchement de l’effort d’épargne au cours du second semestre pour enregistrer une accélération de la croissance. L’aggravation des tensions internationales pourrait, en revanche, inciter les Français à maintenir un fort volant d’épargne de précaution. La situation de la France contraste néanmoins avec ce qui se passe outre-Rhin où la publication d’un fort recul de l’activité industrielle ravive le spectre d’une entrée en récession de la première économie européenne.
Quand les taux d’intérêt négatifs deviennent la norme
Depuis la première moitié des années 2000, dans les pays de l’OCDE, le taux d’intérêt est chroniquement inférieur au taux de croissance. Cette situation anormale tend à devenir la norme, la règle japonaise tendant à s’imposer aux autres pays. L’incapacité à remonter le taux même en période de taux de croissance correct et de plein emploi est de plus en plus considéré comme un changement de paradigme. Aux premiers signes d’un ralentissement économique, les banques centrales doivent faire face à des pressions insistantes de la part des gouvernements pour baisser leurs taux. La FED a été ainsi amené de 0,25 point son principal taux et la BCE devrait suivre en septembre. La nasse des faibles taux se referme sur les économies occidentales.
Depuis la crise de 2008, les taux d’intérêt sont inférieurs d’un à trois points de celui du taux de croissance. Cette situation tend à faire disparaître la contrainte de solvabilité des emprunteurs. Quand le taux d’intérêt est inférieur au taux de croissance, le poids des dettes diminue spontanément (la dette augmente moins vite que le revenu) et convergent vers une valeur fixe à long terme. Depuis 2011, les dettes publiques représentent 120 % du PIB (Etats-Unis, Japon, Zone euro et Royaume-Uni). Pour les dettes des entreprises et des ménages, leur poids est de 140 % du PIB et cela depuis 2012. Le niveau élevé de l’endettement constitue un frein à la remontée des taux car elle provoquerait un problème justement de solvabilité.
Les déficits publics et les dettes publiques peuvent donc être très élevés puisqu’ils sont automatiquement financés par la taxation des épargnants (répression financière). Ces derniers l’acceptent du fait de leur refus de prendre des risques. Cette taxation des épargnants, due au taux d’intérêt inférieur à la croissance, est celle qui assure la solvabilité budgétaire. Le solde budgétaire au sein de l’OCDE est négatif de plus de trois points. De 1995 à 2019, le service de la dette (le paiement des intérêts) a enregistré une division par deux leur poids.
Compte tenu du niveau des taux d’intérêt, le prix des actifs « actions » et « immobiliers » devrait connaître une progression très forte. Or cela n’est pas le cas en raison de l’aversion élevée aux risques. Le PER en 2019 (le nombre d’années de bénéfices que l’investisseur est prêt à payer lorsqu’il achète une action) sur les résultats futurs est de 15 pour l’OCDE (S&P, FTSE, Eurostoxx et Nikkei), soit un taux inférieur à celui constaté en 2008 (plus de 20) et en 2000 (plus de 30). Le prix des maisons (moyenne Etats-Unis, Japon, Zone euro et Royaume-Uni) est inférieur de 10 % par rapport à son niveau de 2008. Pour l’immobilier commercial, les prix ont juste retrouvé en 2019 leur niveau d’avant crise. En France, les chiffres de l’immobilier sont en partie faussés par les augmentations des grandes agglomérations qui attirent de plus en plus d’habitants.
Les taux bas contribuent à ralentir les mutations économiques et sociales. Ils permettent aux Etats de différer les réformes et aux entreprises les moins performantes de survivre quelques années de plus. En retardant les adaptations, ils pèsent sur le taux actuel et à venir de la croissance. Ils n’incitent pas les investisseurs à opter pour les investissements les plus efficients. En outre, ils s’accompagnent d’une forte aversion aux risques qui a pour conséquence que les épargnants privilégient la sécurité au rendement. Le maintien de taux d’intérêt négatif est une négation du futur qui est censé valoir moins qu’aujourd’hui. Pour autant, les consommateurs ne consomment pas plus, convaincus que demain sera pire qu’aujourd’hui. Ainsi, le Gouvernement d’Edouard Philippe a redistribué 17 milliards d’euros après la crise des Gilets Jaunes. La logique aurait voulu que les ménages utilisent ce gain de pouvoir d’achat pour acheter des biens de consommation courante et des biens durables. La crise des Gilets Jaunes ne s’est-elle pas construite autour des thèmes de la consommation et du niveau de vie ? Or, plus de la moitié de ces gains de pouvoirs d’achat ont été mis en réserve. Les Français ont estimé qu’après le temps de la distribution allait poindre celui des prélèvements, qu’après quelques rayons de soleil, le mauvais temps serait de retour. Depuis 2007, les ménages n’en finissent pas de laisser de plus en plus de liquidités sur leurs dépôts à vue. Ces derniers ont doublé en douze ans pour atteindre 375 milliards d’euros (chiffre Banque de France). Les Livrets A et de Développement Durable tout comme l’assurance vie n’en finissent pas de battre des records d’encours. Cette épargne supplémentaire alimente la baisse des taux.
Cette phase de taux aura sans nul doute une fin, mais quand ? Certains estiment qu’avec le vieillissement de la population, l’excès d’épargne pourrait disparaître. Certes, pour le moment, le retraité est un épargnant jusqu’à 75 ans. D’autres parient sur une perte de confiance dans les titres de dettes publiques, dans le dollar, entraînant une envolée des taux. Pour cela, il faut que les investisseurs optent pour d’autres titres, d’autres valeurs. Le retour de l’or, la mise en place d’un système financier dominé par les Chinois, l’émergence d’une cryptomonnaie de référence pourraient à terme s’imposer. Les plus pessimistes parient sur une exacerbation des tensions pouvant déboucher sur des conflits militaires qui modifieraient la donne de l’économie mondiale. D’autres estiment que le retour au nationalisme et au protectionnisme provoquerait une longue stagnation de l’économie mondiale.
La Chine à la croisée des chemins
La Chine a connu depuis 1978 une expansion sans précédent à l’échelle internationale. Elle est devenue en quarante ans la deuxième puissance économique et le premier exportateur mondial. Son décollage a été facilité dans un premier temps par les Etats-Unis. Les dirigeants américains estimaient que la Chine était tout à la fois un allié potentiel susceptible de lutter contre l’URSS et un immense marché. Les évènements de Tian’anmen, en 1989, ont provoqué une première rupture entre les deux pays. Les responsables américains ont compris que le régime chinois n’avait pas vocation à évoluer vers un système démocratique. En outre, l’effondrement du bloc soviétique a réduit l’intérêt stratégique de la Chine. Néanmoins, cela n’empêchera pas cette dernière de devenir un pôle économique majeure dans les années. Son adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce en 2001 marque son admission dans le système d’économie de marché. La Chine a décidé de réduire ses droits de douane tout en conservant néanmoins des barrières à l’entrée de son marché comme l’autorise son statut d’Etat émergent. Le pays a joué la carte de l’éclatement des chaines de valeurs et de l’exportation à l’image de ce que les dragons d’Asie du Sud Est, Singapour, Hong Kong, Taïwan et la Corée du Sud avaient réalisé avant lui.
Le modèle chinois défini en 1978 par Deng Xiaoping a atteint ses limites. Depuis plusieurs années, les responsables chinois mettent en avant la nécessité de développer la demande interne, la recherche, la montée en gamme des produits ainsi que la maîtrise des chaînes d’approvisionnement et de production.
Ce changement de paradigme s’inscrit dans un contexte de vieillissement. La population en âge de travailler diminue depuis 2014. Cette baisse devrait s’accentuer jusqu’en 2040. Certes, le pays peut continuer à améliorer son taux de participation à l’emploi qui se situe à 47 % (ratio emploi urbain sur population active de 20 à 64 ans). Il était de 32 % en 1998. Cette augmentation a été rendue possible par une forte contraction de la population rurale qui ne représente désormais 40 % de la population totale en 2019 contre 67 % en 1998. Les marges de manœuvre existent pour mobiliser cette population rurale mais elle se réduisent année après année.
Le vieillissement de la population pèse sur les gains de productivité. En outre, La tertiarisation de l’économie y contribue également. Les gains de productivité se sont stabilisés juste au-dessus de 4 % par an quand ils dépassaient les 7 % au début du siècle. Les services représentaient en 2018 48 % du PIB contre 40 % en 1998. Leur poids dépasse celui de l’industrie qui représentait 31 % du PIB en 2018. La croissance des services depuis 2014 est supérieure à celle de l’industrie. Cette évolution est logique ; plus un pays s’enrichit et plus il vieillit, plus la demande de services augmente. Celle-ci est à la fois liée à l’augmentation du niveau de vie la population et la sophistication accrue de l’économie chinoise. Le recours aux services pour les entreprises est en forte progression. Les besoins en assurance (biens et personnes) augmentent fortement tout comme ceux en services de santé, de loisirs et de proximité.
Les dirigeants chinois affichent la volonté de maintenir une croissance supérieure à 6 % par an. Cela suppose une montée en gamme de l’économie avec un forte robotisation, une augmentation de l’effort de R&D et avec la hausse du niveau d’éducation de la population.
Le stock de robots industriels est passé de 0,2 % de l’emploi manufacturier en 2007 à 1,5 % en 2018. En 2019, ce ratio est de 2,4 % pour les Etats-Unis, de 3 % pour le Japon et de 2 % pour la Zone euro. En 2018, les dépenses de recherche et de développement s’élevaient à 2 % du PIB en Chine, soit autant qu’en Zone euro. Ce taux est de 2,7 % aux Etats-Unis et de 3,2 % au Japon. Au niveau de la formation, la Chine a réalisé d’importants efforts depuis trente ans. Ainsi, de 1998 à 2018, le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur est passé de 4,8 à plus de 21 % parmi la population des moins de 25 ans, se rapprochant rapidement des standards des pays avancés. En France, ce ratio dépasse 40 %.
La Chine doit également mener à grande vitesse une transition énergétique. Sa montée en puissance économique a été rendue possible par l’essor de secteurs industriels polluants et fortement consommateurs d’énergie fossile. Les contraintes liées à la pollution atmosphérique et au réchauffement climatique supposent la réalisation d’importants investissements dans le secteur des énergies renouvelables.
La Chine s’apprête à imiter les pays occidentaux avec une
économie duale dans laquelle cohabiteraient des secteurs de pointe et des
services domestiques à faible gains de productivité. Cette polarisation des
emplois et des activités rendra difficile le maintien d’un taux de croissance
de 6 % par an. Actuellement, les autorités chinoises compensent mes moindres
gains de productivité en augmentant le déficit public qui dépasse 4 % du PIB.
Mais même en menant des politiques économiques expansionnistes (déficit public,
croissance rapide du crédit), il est impossible de faire croître durablement
une économie au-dessus de sa croissance potentielle. Les dirigeants chinois seront
rattrapés à un moment ou un autre par les fondamentaux de l’économie. La
croissance potentielle se situe autour de 4,5 %. Pour certains, les
statistiques seraient corrigés de manière optimiste au regard de l’évolution de
la demande en énergie électrique. Les autorités préfèrent lisser l’atterrissage
de la croissance pour éviter l’apparition de tensions sociales et politiques.