Le Coin des tendances du 29 septembre 2019
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » (Jacques Chirac)
L’énergie est la clef de voûte du développement économique tel que nous le connaissons depuis plus de 250 ans. Toutes nos activités sont rythmées par la consommation d’énergie dont une grande partie contribue aux émissions des gaz à effet de serre. Depuis 1900, la production d’énergie primaire a été ainsi multipliée par 24. Entre 1990 et 2018, la population mondiale a augmenté de 35 %, mais la consommation d’énergie a augmenté de près de 50 %. Pour sa part, le secteur des transports a augmenté de 60 % sa consommation énergétique.
Pour des raisons d’efficacité et de disponibilité, nous sommes passés du bois au couple dominé par le charbon et le pétrole comme principale source d’énergie auxquels il faut associer le gaz naturel. Ces trois sources assurent plus des quatre cinquièmes de la production énergétique mondiale. En 1860, le bois était à l’origine de près 75 % de la production d’énergie.
La consommation énergétique est fonction de la croissance et de l’évolution de la population. Si au niveau de la croissance, l’efficacité énergétique s’améliore (pour un point de PIB il faut moins d’énergie en 2018 qu’en 1968), sur le plan démographique, en revanche, les marges de manœuvre sont réduites d’autant plus que la tendance est à l’harmonisation par le haut des niveaux de vie. Aujourd’hui, sur 7,5 milliards d’habitants, 2 milliards appartiennent aux classes moyennes. D’ici 2030, ce sera certainement plus de 3 milliards d’habitants qui appartiendront aux classes moyennes, celle qui font la consommation. La croissance démographique même si elle se ralentit devrait se poursuivre jusqu’à la fin du siècle avec un maximum qui sera de plus de 11 milliards d’habitants.
La question de la lutte contre le réchauffement de la planète est loin de faire consensus comme l’a prouvé le dernier sommet de l’ONU sur le sujet. Les États-Unis ont décidé de quitter les accords de Paris. D’autres États comme la Russie ne sont guère enthousiastes à l’idée de changer de modèle énergétique. Les pays émergents ou africains estiment que les Occidentaux doivent supporter en grande partie le coût de la transition énergétique du fait de leur responsabilité dans le réchauffement actuel. La question environnementale est un sujet de tensions internationales. Elle accroît les tentations nationalistes. La sortie des États-Unis des accords de Paris et les tensions avec le Brésil ou la Pologne en sont les manifestations concrètes. Dans un contexte peu coopératif, la neutralité carbone de la croissance apparaît peu atteignable en 2050 d’autant plus que les accords de Paris ne comportent aucune clause contraignante.
La France a réussi en 2018 à enregistrer une baisse de ses émissions globales de gaz à effet de serre (-4 %). Ce résultat est tout à la fois lié à la désindustrialisation et au poids de l’électricité d’origine nucléaire.
L’accélération du dérapage des températures a été, ces derniers mois, mise en avant par plusieurs centres d’études. À la fin du siècle, la hausse ne serait plus de 2 degrés mais de 4 à 6 degrés. Cet emballement modifie les prévisions du GIEC. Une telle progression aurait des incidences majeures au niveau de la population qui habite à proximité des mers. Elle aurait évidemment aussi des conséquences sur l’agriculture et sur la biodiversité.
Le problème mondial du réchauffement ne peut avoir qu’une réponse mondiale : nul ne peut récuser cette idée. Or, pour le moment, si l’ONU joue un rôle clef dans l’évaluation du problème, elle ne dispose ni des moyens coercitifs pour influer sur le comportement des États, ni des moyens nécessaires pour financer des actions en faveur de la réduction des gaz à effet de serre ou des actions visant à protéger les populations des conséquences du réchauffement climatique.
La transition énergétique est actuellement imaginée en creux. Les thèses de l’attrition, de la décroissance reviennent à la charge pour éviter un collapse civilisationnel. Ainsi, Greta Thunberg a accusé, à l’ONU, la croissance d’être responsable de la détérioration de l’état de la planète. Derrière cette accusation, le capitalisme et le libéralisme sont pointés du doigt. La faute est ainsi reportée sur les entreprises, si possible, les grandes, et les États.
Le ralentissement de la croissance ne résoudrait en aucun cas le problème environnemental. Il augmenterait les tensions au sein et entre les États. La vraie question n’est pas de condamner la croissance mais au contraire de la mettre au service de la transition énergétique dont le coût se chiffre en milliers de milliards de dollars.
La croissance génère d’importants gaspillages de ressources car celles-ci ne sont pas facturées à leur réel prix. De même le coût financier du dérèglement climatique n’est pas suffisamment intégré aux process de production. Jusqu’à maintenant, des biens collectifs comme l’eau et l’air étaient considérés comme des biens gratuits ou presque. Il y a peu encore, le caractère précieux et rare de l’atmosphère n’était pas pris en compte. Le mode de processus de fixation des prix prend en compte logiquement la rareté des biens. Que ce soit dans la théorie marxiste que dans la pensée libérale, un juste prix doit permettre la reconstitution de la force de travail ou du capital. Avec les matières premières, avec l’air, avec les énergies, ce principe n’a pas été appliqué.
La lutte contre le réchauffement climatique bute également sur l’absence de consensus à l’intérieur de chaque pays. Les gouvernements éprouvent les pires difficultés pour taxer le CO2. L’imposition des émissions est inférieure à 30 euros la tonne quand il faudrait qu’elle soit à 50 selon des économistes dont Christian Gollier. Dans plusieurs pays, les tarifs de taxation ont été revus à la baisse du fait de la pression de l’opinion publique.
Face au problème environnemental, la tentation de l’attrition est prégnante. La thèse de la décroissance et de la démondialisation a de nombreux avocats. Consommer et se déplacer moins, supprimer les avions et les voitures sont mis en avant. Mais, cette attrition sera difficile à vendre aux États en développement. Elle est peut-être possible, et encore de manière homéopathique, dans les pays avancés engagés dans un processus de vieillissement. Derrière cette volonté anticonsumériste, certains veulent remettre en cause le capitalisme voire le droit de propriété.
Certains jugent même la remise en cause du capitalisme indispensable. Jugé responsable du dérèglement climatique, ses détracteurs en oublient ses bienfaits (formulation confuse, on peut croire aux bienfaits du dérèglement climatique). Ce sont les mêmes qui peuvent demander une augmentation des dépenses en faveur de la santé, des retraites, de l’éducation ; or, sans croissance comment les financer ? Évidemment, l’idée de taxer les « riches » est avancée. Or, même en les expropriant cela ne suffirait pas !
De Jacques Chirac à Emmanuel Macron, tous les Président de la République français ont appelé à la mise en place d’un front commun pour lutter contre les émissions des gaz à effet de serre. Mais vu de Sibérie, d’Alaska ou d’Afrique, ce front apparaît bien difficile à mettre en place. Pour certains, les initiatives privées et les métropoles pourraient prendre le relais des États paralysés par les sentiments contradictoires de l’opinion. Il n’en demeure pas moins que l’acceptabilité des mesures de transition par les populations n’est pas très élevée. Le principe de la taxation du CO2 ne passe pas.
Aujourd’hui, les progrès sont bien souvent en trompe l’œil. L’Europe peut s’enorgueillir d’une baisse de ses émissions de CO2 mais cela est en grande partie imputable à la désindustrialisation. La France figure parmi les bons élèves essentiellement grâce au nucléaire et à la faible taille de son industrie. La réponse pour la transition énergétique et pour lutter contre le réchauffement sera de nature essentiellement technologique. Or, aujourd’hui une défiance vis-à-vis de la science s’est installée, surtout en Europe. Le retour d’un esprit de pionnier au niveau de la recherche constitue une nécessité pour avancer sur la fusion nucléaire, sur le piégeage du CO2 ou sur les capacités des batteries électriques.
Des océans aux glaciers
Les milieux aquatiques et les glaciers représentent 71 % de la superficie du globe, 90 % du volume de l’habitat disponible pour les organismes vivants. La montée du niveau des mers, la migration des poissons vers des zones plus tempérées ou le dégel du pergélisol (sol gelé en permanence) sont des faits déjà observés.
L’océan, qui produit au moins la moitié de l’oxygène, redistribue d’énormes quantités de chaleur grâce aux courants qui le traversent et capte 20 % à 30 % du dioxyde de carbone généré par les activités humaines. Depuis 1970, les océans ont absorbé plus de 90 % de la chaleur excédentaire dans le système climatique.
Depuis 1993, le rythme de réchauffement de l’océan a plus que doublé par rapport aux vingt-cinq années précédentes. Entre 1971 et 2010, la couche des 75 premiers mètres a connu une augmentation moyenne de 0,11°C par décennie. Dans les couches comprises entre 700 m et 2 000 m de profondeur, ce rythme a presque triplé. L’océan Arctique se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale.
Entre 1982 et 2018, le nombre de canicules océaniques a été multiplié par deux entraînant une destruction accélérée des écosystèmes. Les barrières de corail pourraient rapidement disparaître.
D’ici à la fin de ce siècle, la montée des eaux pourrait, selon le scénario du GIEC le plus optimiste, atteindre au moins 0,59 m et 1,10 m par rapport à la période 1986-2005. En 2013, les experts donnaient une fourchette de 0,45 m à 0,82 m. Cette hausse du niveau moyen va accentuer les inondations, l’érosion des côtes, et la pénétration du sel dans les nappes souterraines d’eau douce. Cette élévation pourrait également accroître le nombre et la violence des cyclones. L’océan pourrait gagner plusieurs centimètres par an au XXIIe siècle, sous l’effet de sa dilatation et davantage encore de la fonte des calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland plus rapide que prévu. Au total, il pourrait même progresser de plusieurs mètres en cas d’emballement climatique. Dans certaines régions, la hausse du niveau de l’eau pourrait être plus forte. Une variation de 30 % est admise dans le modèle du GIEC.
680 millions de personnes résident dans des régions situées à moins de 10 mètres d’altitude et elles seront probablement au moins un milliard en 2050. 670 autres millions vivent dans des régions de haute montagne, à moins de 100 km de glaciers menacés de disparaître, les privant de leur précieuse ressource hydrique. Les agglomérations comme Shanghai, New York ou Rotterdam, les grands deltas agricoles (le Gange-Brahmapoutre, par exemple), les îles urbanisées des atolls, et les communautés arctiques seront soumis à des risques très enlevés nécessitant des actions rapides et coûteuses (investissements, déplacements de populations).
En raison d’une réduction des échanges avec l’atmosphère et du réchauffement, l’océan a perdu entre 0,5 % et 3 % de son oxygène entre 1970 et 2010. Les coquillages devraient rencontrer de problèmes pour se développer. La respiration des bactéries s’accroît, produisant davantage de CO₂. Les aires en hypoxie, dites « zones mortes », se sont déjà étendues de 3 % à 8 % depuis 1970. Les espèces marines pouvant migrer pour échapper à la chaleur se déplacent de 30 km à 50 km par décennie depuis les années 1950.
Le Président de la République française a souligné le rôle que doit occuper la science pour faire face au défi climatique. Ainsi, à la tribune de l’ONU, le 24 septembre 2019, il a déclaré « nous avons le financement, qui ne manque pas à travers la planète. Nous avons la capacité d’innovation inégalée et qui, sur nombre des sujets, est aussi un moyen de répondre à ces défis, de lutter contre la pauvreté, de stabiliser, de répondre aux grands changements que je viens de mentionner. »
Faut-il condamner les compagnies pétrolières ?
Certains écologistes, certaines ONG, réclament qu’il n’y ait plus d’investissements dans les entreprises qui produisent du pétrole et du gaz afin d’accélérer la transition énergétique. En privant de capitaux les grandes compagnies pétrolières, les investisseurs favoriseraient d’autres secteurs dont ceux soutenant l’émergence d’une société décarbonée.
L’investissement dans les énergies fossiles a atteint en 2018, à l’échelle mondiale, 933 milliards d’euros. Avec la chute du cours du pétrole et la pression des ONG, ce montant est en baisse sensible depuis 2014 où il s’était élevé à plus de 1375 milliards de dollars. Pour certains, ce moindre investissement est positif car il peut faciliter la transition énergétique. Pour d’autres, il la freine car les entreprises énergétiques disposent de compétences et du savoir-faire pour réduire les émissions de CO2, ne seront plus en mesure de financer la R&D en faveur d’une énergie propre.
Pour limiter la hausse des températures à 2°C de la planète à la fin du siècle, il faudrait, selon l’Agence Internationale de l’Energie, réduire progressivement l’utilisation du pétrole, mais, dans un premier temps, remplacer le charbon par le gaz naturel. De 2017 à 2040, la part du charbon dans la consommation totale au niveau mondial devrait passer de 27 à 11 %, celle du pétrole de 32 à 23 %, celle du gaz de 22 à 25, celle du nucléaire de 5 à 9 % et celle des énergies renouvelables de 14,5 à 31 %. Pour réduire le poids du charbon, il apparaît indispensable de poursuivre les investissements dans les énergies fossiles.
Depuis 2015 aux États-Unis et 2017 en Europe, les compagnies pétrolières font l’objet d’une sous-évaluation au regard de leurs fondamentaux économiques. Les investisseurs semblent se détourner de ce secteur, ce qui contraint les entreprises à augmenter leurs bénéfices pour conserver ou attirer leurs actionnaires ce qui peut aller à l’encontre les intérêts des consommateurs et des salariés. Cette sanction des compagnies pétrolières peut être contreproductive car plusieurs d’entre elles ont créé des filiales spécialisées dans les énergies renouvelables. Par ailleurs, pour limiter à 2°C la hausse de la température de la planète, il faut dans un premier temps substituer le gaz naturel au charbon, ce qui nécessite des investissements importants dans la production de gaz naturel. La capacité de mettre à disposition des pays en voie de développement des énergies propres est aujourd’hui faible. En diminuant les possibilités d’investissement des compagnies pétrolières, il y a un risque de favoriser le recours au charbon ou au lignite, ce qui est évidemment contraire aux objectifs affichés par les ONG environnementales.