Le coin des tendances
150 ans de société de consommation
La révolution industrielle a enfanté la société de consommation. Si au départ, le salaire, c’est-à-dire le revenu du travail avait comme objectif la reproduction de la force productive, pour reprendre l’analyse marxiste, il est devenu le moteur d’une consommation de plus en plus ample, notamment avec l’augmentation de la productivité. La mondialisation des économies peut s’interpréter comme le triomphe de la société consommation. Désormais, dans tous les pays, du moins dans leurs grandes villes, les mêmes produits, les mêmes marques sont disponibles. Surveillé, étudié, analysé grâce aux nouvelles techniques de l’information et de la communication, l’acheteur est devenu le centre de la vie sociétale. Cette évolution se devait de provoquer des réactions. Elles se sont faites jour dès les débuts des années soixante-dix avec l’essor des mouvements hippies ou punk ainsi qu’à travers les rapports du Club de Rome prônant la décroissance. Depuis quelques années, elles retrouvent un nouveau lustre avec la crainte d’un collapse environnemental mondial. Après avoir connu l’hyperconsommation, serions-nous à la veille de rentrer dans une phase de déconsommation ? Pas certain au regard des tendances de ces dernières années. L’évolution des comportements marque non pas une opposition à la consommation mais une approche différente.
La phase 1 de la consommation, l’installation des principes
La première période de la société dite de consommation débute après 1880 et s’achève dans les années 20. Durant cette période, la production industrielle se développe à grande échelle en particulier aux États-Unis et en Allemagne. À la fin des années 1880, une seule machine était déjà capable de fabriquer plus de 120 000 cigarettes. Trente machines suffisaient à satisfaire le marché national américain. Procter et Gamble était capable de sortir plus de 120 000 savons par jour issus d’une seule usine. La taylorisation du travail amène d’importants gains de productivité. La fabrication du modèle T de Ford en est le symbole. Le temps de montage du châssis passe de 12 heures 28 en 1910 à 1 heure 33 en 1914. Malgré ces progrès, la consommation reste cantonnée au sein d’une frange réduite de la société. Ainsi, en 1929, les États comptent 19 automobiles pour 100 habitants. En France, ce ratio est de 2 %. En 1932, aux États-Unis, sur 10 000 habitants, seuls 1580 un fer à repasser, 740 ont un aspirateur et 180 un four électrique. Les chiffres sont bien plus faibles en Europe. Si la société de consommation de masse est encore très inachevée, les outils pour son émergence sont créés. Jusqu’aux années 1880, les produits étaient anonymes, vendus en vrac. Le vendeur était plus important que le producteur. Le référant était l’épicier, le banquier, l’assureur local. La phase 1 de la consommation voit apparaître des marques : Coca Cola, American Tobacco, Kodak, Renault, Peugeot, etc. En France, de 1886 à 1920, le nombre de marques déposées passe de 5 520 à 25 000. Le consommateur ne se fie plus au vendeur, au commerçant mais au produit, à la marque. Il entend acheter non pas un réfrigérateur mais un frigidaire. Il souhaite boire non pas un soda mais un Coca Cola. Pour capter les clients, les marques engagent des campagnes publicitaires. Aux États-Unis, les budgets publicitaires passent ainsi de 11 000 dollars en 1892 à 3,8 millions en 1929.
Le développement de la société de consommation transforme également la distribution. Le grand magasin symbolise la vente de masse. En France, le Printemps est fondé en 1865 et le Bon Marché en 1869. Aux États-Unis, Macy’s et Bloomingdale’s deviennent des grands magasins à partir des années 1870. Ces enseignes proposent à leurs clients un très grand nombre de références. La gestion des stocks devient essentielle. La succession des nouveautés est indispensable pour multiplier les envies d’achats. En 1890, plus de 15 000 clients fréquentent quotidiennement le Bon Marché. Afin d’attirer la clientèle de province, un grand hôtel est ouvert à proximité, le Lutetia. Cette phase 1 de la consommation demeure élitiste. Sa massification débute aux États-Unis avec l’épanouissement d’une large classe moyenne. L’idée de Ford de permettre à ses salariés de pouvoir acquérir les voitures qu’ils fabriquent constitue l’élément clef de passage de la phase 1 à la phase 2 de la société de consommation.
La phase 2 de la consommation, la massification
La progression des salaires rendue possible par les gains de productivité et par un rapport de forces sociales favorables aux actifs entraine une rupture dans les modes de vie. Le poids de l’alimentation décline au sein des budgets des familles au profit de la consommation de biens durables. Ainsi, l’alimentation au sein des budgets des ménages français passe-t-elle de 50 à 20 % de 1950 à 1970. En France, le premier hypermarché ouvre en 1957 quand les États-Unis en comptent déjà plus de 20 000. Très rapidement, les grandes surfaces captent une importante part du commerce. Ils transforment les villes avec l’apparition de grandes zones commerciales adaptées aux voitures.
Cette phase 2 se caractérise par l’invasion de la publicité qui est censée informer et générer de nouveaux besoins. Le concept de mode devient essentiel. La mode joue le rôle d’aiguillon que ce soit au niveau vestimentaire ou dans les autres secteurs de la consommation. Auparavant, faire ses courses était avant tout un acte de ; à compter des années 50, cela devient un loisir, un acte d’identification sociale. Les objets sont achetés pour leur utilité mais aussi pour l’image qu’ils véhiculent. Le shopping devient compulsif. Les soldes sont des moments de frénésie durant lesquels les consommateurs se ruent dans les magasins à la recherche de bonnes affaires. La musique rock met en avant l’hédonisme. Elle symbolise cette consommation décomplexée. Des groupes comme les Rolling Stones deviennent des icones de ce monde de liberté. Ils intègrent toutes les caractéristiques de la consommation moderne. Ils deviennent des marques reconnaissables par leur logo. La vente de la musique qui atteint un sommet dans les années 80 obéit à des règles marketing élaborées.
La phase 2 de la consommation a été amplifiée par le recours croissant au crédit. Au nom du toujours plus et de l’immédiateté, la tentation de s’affranchir provisoirement de la contrainte financière a conduit au développement du crédit à la consommation amenant certains ménages en position de surendettement. Ce processus a connu son heure de gloire dans les années 90 et 2000. La crise de 2008 a tempéré les ardeurs des emprunteurs sans les éteindre.
Cette deuxième phase semble se terminer au début des années 2000. Les ménages semblent repus de biens d’équipement ou d’électroménagers. Ce n’est plus un marché de primo-équipement mais un marché de remplacement qui s’impose d’où l’idée de certaines marques de recourir à la technique de l’obsolescence programmée ou accélérée. La consommation est vécue comme une source de frustration. Ce désenchantement avait commencé dès les années 60. Sur fond d’anticapitalisme, des mouvements d’extrême gauche ont alors mené des combats contre cette consommation devenue le nouvel opium du peuple. Ils seront rejoints dans les années 70 par les premiers écologistes. Le Club de Rome souligne dès les années 70 l’insoutenabilité de la croissance et les conséquences du gaspillage. Le naufrage de l’Amoco Cadiz, en 1978, en bordure des côtes bretonnes, provoque une prise de conscience sur les conséquences des pollutions maritimes.
L’ouverture de la Chine au monde à compter de 1978 et la chute du mur Berlin en 1989 ont mis au second rang ces critiques. La victoire du capitalisme sur le communisme était avant tout celle du consommateur. La montée en puissance des pays émergents s’est accompagnée par le gonflement des classes moyennes en leur sein et donc de la consommation de masse. Les marques se sont mises à dominer le monde. Durant les années 90, la consommation a connu une forte progression dans l’ensemble des pays occidentaux et émergents. La mondialisation a réduit le coût de nombreux produits industriels et en premier lieu des vêtements. L’hyperconsommation est devenue la règle avec, à la clef, une obsolescence programmée tant chez les producteurs que dans la tête des consommateurs. Les marques de vêtements multiplient les saisons afin de vendre plus des produits à faibles prix et de basse qualité. Les constructeurs automobiles se doivent d’accélérer l’arrivée de nouveaux modèles pour capter une clientèle de plus en plus exigeante. La concurrence se multiplie, le gaspillage augmente tout comme le sentiment d’insatisfaction et de frustration. La consommation appelle la consommation. La révolution digitale parachève l’ère de la consommation de masse. L’hypermarché est désormais dans son domicile. À travers les supports visuels, vidéos, les consommateurs sont en permanence stimulés pour acheter. La publicité prend de nouvelles formes avec l’apparition d’influenceurs, de bloggeurs affiliés à des marques. Le consommateur devient aussi son propre moteur en étant producteur de données. Ses achats, ses intentions d’achat, ses promenades physiques ou virtuelles sur des lieux de vente donnent lieu à des données qui permettent aux marques de mieux le cerner, de le relancer, de déterminer ses besoins et attentes, de le manipuler à son corps défendant. Ces données servent également à améliorer en permanence les produits et les services en accélérant la remontée d’informations.
La mode, activité marginale de la consommation, reste une locomotive des envies. Les « fashion week » à Paris, à Londres, à New York ou à Milan drainent un grand nombre de personnes. Elles donnent le « la ». Elles sont des évènements incontournables pour les marques et pour les villes dans lesquelles elles ont lieu. À Paris, le prix des chambres d’hôtel augmente de plus de 30 % durant ces semaines dédiées à la mode. La consommation digère les grands mouvements mêmes contestataires. Le phénomène rock des années 60/80 ou le punk des années 80 sont mis en exergue par les marques. Le rap qui est devenu la musique la plus écoutée est très associé aux phénomènes de mode et de consommation. Les rappeurs se caractérisent par leurs tenues logotées. Leurs clips font la part belle aux symboles de réussite sociale que sont les grosses voitures, les jets et les bijoux. Les sportifs professionnels, en premier lieu les footballers, sont de plus en plus des sponsors et des égéries des grandes marques. La force des marques se traduit par le recul des enseignes généralistes qui proposaient à leurs clients une sélection de produit. Dorénavant, elles vendent des linéaires à des marques qui sont responsables de leurs ventes. Les grands magasins qui étaient au bord de la liquidation au début des années 80 enregistrent un nouvel essor en s’étant transformées en une série de « showroom ». La FNAC, le magasin symbole des années 70, des classes moyennes qui accédaient à la chaine hifi et à la télévision, a opté pour ce mode de développement avec des corners destinés aux marques comme Apple ou Dyson.
La phase 3 de la consommation, le consommateur devient un producteur
Avec le digital, les frontières s’estompent entre le monde de la consommation et de la production. Internet ne remet pas néanmoins en cause les grands principes des phases 1 et 2 de la consommation. Bien au contraire, les capacités de communication, de diffusion se sont accrues. Avec le développement des ventes en ligne qui ont conquis autour de 10 % des achats, la consommation évolue. Elle se digitalise. Elle se tertiarise mais elle demeure omniprésente.
La vente en ligne constitue une amplification des anciens catalogues de vente, la Redoute, la Camif, les Trois Suisses, en offrant un nombre infini ou presque de références qui sont actualisées en temps réel. Autrefois limité par les horaires d’ouverture, la consommation était limitée dans le temps. Cette entrave a disparu. Internet permet d’acheter à n’importe quelle heure. La mobilité horaire rejoint ainsi la mobilité géographique. Autrefois vécue comme un loisir collectif, la consommation, à l’image de la société, s’individualise. Les achats sont réalisés avec son ordinateur ou son smartphone. Auparavant, la famille, les amis, les relations de travail pouvaient influencer l’acquisition de tel ou tel produit, aujourd’hui, cette influence peut provenir des réseaux sociaux, des vidéos de « YouTube » ou des blogs. La publicité sur Internet dépasse désormais celle réalisée à la télévision.
Quand l’achat devient un service
Avec la progression des revenus, avec le vieillissement, le consommateur privilégie les services. Ils se détournent des biens physiques qu’ils possèdent déjà en grande quantité. Il veut être traité, choyé et protégé. Les centres commerciaux deviennent des centres de loisirs accueillant de multiples activités, cinémas, restaurants, musées. La possession des objets ne suffit plus à procurer du bonheur. Les grandes surfaces de bricolage proposent désormais des cours et des conseils. La vente de vin est associée à des cours d’œnologie. La santé et le bien-être deviennent des priorités. Le bio devient un atout maître pour l’alimentation. Il a supplanté en matière de chiffre d’affaires le « light » jugé nocif du fait de son association aux produits chimiques.
Le consommateur du XXIe siècle souhaite s’échapper du flot incessant de mauvaises nouvelles. Cette soif de quiétude fait le succès des psychologues, psychanalystes, professeur de yoga, astrologues et autres professionnels du « bien-être ». Les activités sportives connaissent également un essor important. La course à pied, la natation, le vélo, la gymnastique sont plébiscités. La pratique est de plus en plus individuelle. Elle se doit de ne pas être contraignante.
La location, l’abonnement changent le mode de consommation mais non sa nature. Les dépenses de location progressent fortement. Les Français prennent des abonnements pour le téléphone, les services Internet, la télévision ou les services de vidéo à la demande. La voiture n’est plus achetée mais louée dans le cadre d’opérations de leasing. Les vélos ou les trottinettes électriques sont loués. En matière d’informatique, les logiciels sont de moins en moins achetés. Ils font l’objet de contrats de locations annuels permettant une mise à jour permanente.
La tertiarisation des activités s’étend ainsi aux biens. La location prend le pas sur la possession. Des biens de consommation courante sont maintenant disponibles par abonnement en particulier dans le cadre des « box » beauté, vins, type Birchbox et Dollar Shave Club, etc. qui touchent aujourd’hui des millions d’abonnés. En contrepartie d’un abonnement, les souscripteurs reçoivent, par exemple, tous les mois, des produits sélectionnés. Le digital a changé les repères de la propriété. La musique, la photo, la vidéo sont devenues plus accessibles, voire gratuits. Le partage de fichiers et le streaming ont remplacé l’achat de disques et de films. Certes, par snobisme, le vinyle retrouve une seconde jeunesse mais les chiffres de vente n’ont rien à voir avec ceux des années 70/80. Cette évolution avait été également constatée avec la photographie. Au temps de la mobilité et de l’individualisme triomphant, la télévision, la musique, la presse ne se regardent plus, ne s’écoutent plus et ne se lisent plus de la même manière. Les écrans et en premier lieu le smartphone ont supplanté le téléviseur, la chaîne hifi et la presse papier.
La consommation à l’image du smartphone, de plus en plus mobile
La consommation a pris le pli de la société mobile dans laquelle nous évoluons actuellement. Les jeunes ménages déménagent plus fréquemment que dans le passé tant pour des raisons professionnelles que du fait des séparations ou des divorces. Ces changements plus nombreux favorisent le développement de la location en meublés. En outre, la réglementation a incité les propriétaires à recourir à cette formule. De ce fait, les ménages ne s’embarrassent plus de meubles encombrants. Au sein des métropoles, le coût élevé des logements a plusieurs conséquences. Il a entraîné l’augmentation de la colocation avec à la clef la mutualisation des équipements. En pesant sur le budget des ménages, il conduit à des arbitrages limitant l’achat d’autres biens.
La réduction du temps de travail et un souhait croissant de « découverte » se traduisent par une augmentation des dépenses consacrées au tourisme et au transport. Si les ménages au sein des grandes villes acquièrent de moins en moins de voitures, ils consacrent une part croissante de leur budget aux transports collectifs. À Paris, moins 40 % des habitants de plus de 18 ans possèdent une voiture. En-dehors du cœur des grandes agglomérations, ce budget augmente avec l’allongement des trajets domicile/travail et la hausse du prix du carburant.
Les Français passent moins de temps dans les bureaux et à domicile. Plus mobiles, ils mangent plus souvent à l’extérieur (restauration rapide, plats à emporter, etc.). Quand ils déjeunent ou dînent à la maison, les plats préparés remplacent de plus en plus les recettes familiales.
Depuis une quinzaine d’année, la question du développement durable est devenue un thème d’actualité. La société de consommation, avec ses gaspillages et sa mondialisation entraînant un éclatement des chaines de production, est mise au banc des accusés. De nouvelles valeurs se font jour comme l’économie circulaire, le partage, la colocation, le retour au local, etc. La consommation s’habille en vert. Les marques s’impliquent de plus en plus dans des actions de protection de l’environnement. Tout en consommant,
Dans une économie plus flexible, plus mobile, la possession laisserait la place à l’usage et à la mutualisation. Les plateformes de partage, les places de marché numériques traduisent cette évolution. Cette dernière est également le produit de contraintes purement budgétaires. La non-possession par les jeunes d’une voiture est avant tout la conséquence des coûts qu’elle engendre. Selon une étude du CREDOC datant de 2016, plus de 60 % des jeunes n’ayant pas de voiture souhaiteraient en acquérir une. Malgré tout, toujours selon le CREDOC, l’idée du partage des biens se diffuse au sein de la population. 65 % de la population française en 2017 contre 54 % en 2014 se disent ouverts au partage des biens. Ce dernier s’impose essentiellement chez les jeunes ainsi que chez les classes moyennes supérieures résidant dans les grandes agglomérations. 75 % des cadres supérieurs, 73 % des habitants de la région parisienne et 72 % des diplômés de l’enseignement supérieur partagent cette idée. Les plateformes collaboratives ont donné une nouvelle jeunesse à certaines pratiques non marchandes alternatives à la propriété comme le troc ou le don. La pratique de la récupération tend également à se développer avec le glanage sur le trottoir des encombrants. Des livres sont également mis à disposition gratuitement par des particuliers dans des boites prévues à cet effet ou directement sur la voie publique.
Si le partage reste encore un phénomène marginal, le recours aux places de marché digitales pour vendre des biens, pour fournir des services s’est rapidement imposé au sein de la population. Selon les résultats de l’enquête 2017 d’Eurostat, 17 % des personnes vivant au sein de l’Union européenne ont obtenu, via des sites web ou des applications, un hébergement (chambre, appartement, maison, résidence de vacances, etc.) auprès d’un autre particulier à des fins privées. Le recours à ce type de services est moins répandu pour les transports, puisqu’il n’est pratiqué que par 8 % des individus dans l’Union. L’utilisation des plateformes collaboratives pour voyager, pour se loger est plus forte chez des jeunes générations. 14 % des jeunes de 16 à 24 ans s’en servent pour se déplacer. Il est à noter que les actifs de 25 à 54 ans sont de plus en plus nombreux à réserver un hébergement via ces plateformes (22 % des individus les utilisent régulièrement). Les locations saisonnières passent de plus en plus par ce canal de distribution.
Le recours aux places de marché est très répandu au Royaume-Uni et en Europe du Nord. Il l’est moins au sein des pays latins, la France se situant dans une position intermédiaire.
Les locations saisonnières pratiquées par Internet ont connu un essor sans précédent obligeant les gouvernements à légiférer afin d’éviter une « airbnbisation » des villes à potentiel touristique. En 2018, les logements de tourisme proposés par des particuliers à travers les principales plateformes Internet comme Airbnb représentent 36 millions de nuits par logement occupé en France métropolitaine. À partir de l’hypothèse de trois personnes par logement, les locations de logements touristiques de particuliers représenteraient 107 millions de nuitées de voyageurs, soit 20 % du total des nuitées, incluant l’offre professionnelle (contre 92 millions de nuitées en 2017, soit 18 % du total).
Internet a permis une augmentation importante de l’offre. Les réseaux transforment également le rôle du consommateur aux frontières de celui joué par le producteur. À tout moment, désormais, en étant connecté, le consommateur envoie des données sur l’usage des produits qu’il a acquis, sur ses besoins, ses attentes. Il est géolocalisé. Ses déplacements sur les sites et les magasins sont analysés par des algorithmes. Ce retour d’information sert tout à la fois à améliorer en temps réel les produits et les services qu’à stimuler la demande. Avec les réseaux, le consommateur peut devenir producteur et inversement. Ainsi, pour les tenants d’un monde dominé par des réseaux décentralisés comme Jeremy Rifkin, tout un chacun, grâce aux nouvelles énergies renouvelables, peut à la fois produire, vendre et acheter de l’électricité en fonction des besoins. De même, le monde n’étant devenu qu’une grande place de marché, chacun peut vendre ses services et en recevoir. Les bricoleurs peuvent améliorer leurs revenus en vendant leurs compétences à ceux qui ne le sont pas. Il est possible d’être enseignant de Français afin de pouvoir se payer des cours d’Anglais. Tout peut être vendu ou loué, sa maison, sa piscine, sa voiture, sa perceuse. Ce modèle de « l’hypermarchandisation » de la vie a comme limites le principe de spécialisation et celui de la gestion du temps social. En vertu de la théorie des avantages comparatifs, tout individu tire avantage à se spécialiser dans les domaines où il est le moins mauvais. Il n’a aucun intérêt à vouloir être présent sur tout le spectre de la production. La marchandisation à l’extrême entre en contradiction avec les principes de solidarités, de liens affectifs qui sous-tendent toute société humaine.
La société du partage, le recours à la location via des particuliers est une source de revenus pour ceux qui en sont les acteurs. Cependant, sur le plan macro-économique, si elle peut, pour certains, favoriser la lutte contre le gaspillage, elle ralentirait, pour d’autres, la diffusion du progrès et de la croissance. Si le gain ainsi généré par les usages collaboratifs peut accroître le niveau de vie et déboucher sur de nouveaux achats, les nouveaux produits mettent plus de temps à se répandre au sein de la population quand sur le marché de l’occasion, les anciens sont facilement accessibles à des prix compétitifs.
La consommation indémodable
La consommation est-elle condamnée ? Nullement mais le consommateur doit désormais supporter une double culpabilité. Il est tout à la fois coupable de ne pas assez consommer et de trop consommer. Il pénalise soit la croissance, soit la planète. Le consommateur subit des forces contradictoires. Incité de toute part, du matin au soir, à dépenser, il doit faire face tout à la fois à l’odieuse contrainte budgétaire et à l’impératif écologique. Tiraillé en permanence, il est ainsi menacé de dépression, de burn-out. La diffusion à grande échelle de la publicité a effacé les classes sociales et les frontières mais les différences de revenus et de culture demeurent. La mondialisation de la consommation de masse peut contribuer à la perte de repères. La consommation des temps nouveaux s’oriente vers de nouvelles pratiques plus émotionnelles, plus axées sur la santé, les services de proximité. La consommation se resegmente. Si elle est accessible médiatiquement à tous, les riches se recréent de nouveaux territoires privés. Le consommateur chérit toujours les marques mais l’infidélité fait partie du jeu. Le client fidèle se fait rare et devient même suspect. L’acheteur intelligent est censé changer afin de pouvoir au mieux négocier une ristourne. La téléphonie est devenue le terrain de jeu du consommateur vagabond et opportuniste. La consommation, rejetée, critiquée, est devenue une religion avec des temples ouverts en permanence. Il n’y a plus de temps mort. La consommation n’est plus une fête mais demeure incontournable. La société de la consommation a fusionné avec la société du spectacle. Elle est mue par les loisirs, le sport, l’hédonisme, le spectaculaire et l’individualisme.
Le défi de la transition démographique en Afrique
La population africaine sera multipliée par 11 en un siècle, passant de 287 millions à 2,5 milliards d’habitants de 1950 à 2050. À la fin du siècle, le continent africain pourrait compter plus de 4,2 milliards de personnes à moins que la transition démographique ne s’accélère. L’accroissement naturel est de 2,5 % par an et est assez proche de l’évolution du PIB, ce qui ne permet pas une amélioration substantielle des conditions de vie des habitants.
La forte croissance démographique est la conséquence d’une baisse sensible de la mortalité qui devance celle de la fécondité. Cette situation concerne essentiellement les pays d’Afrique subéquatoriale. Cette dichotomie a été enregistrée lors de toutes transitions démographiques, en Europe comme en Asie ou en Amérique latine.
La mortalité infantile en Afrique subsaharienne a été divisée par quatre de 1950 à 2018 passant de 31 à 8 %. Cette diminution ne s’est pas encore traduite au niveau de la fécondité. La réduction du nombre de naissances est faible en raison des mariages des femmes qui restent précoces. Plus de 50 % des femmes en Afrique subsaharienne ont été mariées avant 20 ans. Ce taux atteint plus de 75 % dans de nombreux pays. La contraception reste peu utilisée. Au niveau mondial, 63 % des femmes de 15 à 49 ans ont recours à des moyens contraceptifs. Ce taux est inférieur à 25 % en Afrique (hors Maghreb). Au Tchad, en Guinée ou en Mali, ce taux est inférieur à 10 %. Pour les Africains, avoir de nombreux enfants demeure une priorité. Au Tchad, selon une étude de l’ONU, les hommes souhaitent avoir plus de 13 enfants et les femmes 9.
L’évolution démographique de ces prochaines années dépendra de celle des comportements. Si le nombre d’enfants par femme passe de 5 à 3, la population africaine s’élèvera à 3 milliards contre 4,2 milliards selon le scénario moyen retenu par l’ONU. Plusieurs pays ont réussi, en mettant en place des moyens de formation des familles et des plans de contraception, à accélérer leur transition démographique. En Algérie, en Égypte, au Maroc et en Tunisie le nombre d’enfants par femme est ainsi passé de 5 à moins de 3 en une vingtaine d’année. Dans ces pays, 60 à 70 % des femmes de 15 à 49 ans ont recours à des techniques de contraception, ce qui correspond à la moyenne mondiale. La réussite des plans gouvernementaux en matière de régulation des naissances passe par l’éducation des femmes. En 2015, 39 % des femmes africaines n’avaient reçu aucune éducation ou n’avaient suivi aucun cycle primaire complet. Ce taux est de 30 % pour les hommes. Les pays comme l’Algérie ou le Maroc où le taux d’alphabétisation des femmes est élevé, connaissent des transitions démographiques plus rapides. Il en est de même pour les pays où les droits des femmes sont les mieux respectés.
La question démographique est majeure pour les pays de l’Afrique subsaharienne. Si elle n’est pas traitée, les risques de déstabilisation de la région, déjà élevés, ne pourront que s’accroître tout comme les migrations. Cette explosion démographique s’accompagnera d’une urbanisation importante nécessitant la réalisation d’infrastructures en matière de transports, d’alimentation en eau, d’assainissement, d’énergie et de communication. Il conviendra également d’améliorer les rendements de l’agriculture africaine afin de pouvoir approvisionner la population.