Le Coin de la Conjoncture
Les Français plus productifs que les Allemands mais moins nombreux au travail
Les travailleurs français sont plus productifs que leurs homologues allemands mais cela ne se traduit pas en termes de compétitivité et de richesse par habitant. Ainsi, La productivité par tête est plus élevée en France qu’en Allemagne de 15 %. En 1998, la productivité par tête était de 70 000 euros en France contre 64 000 en Allemagne. En 2018, les chiffres respectifs sont 83 000 et 71 000. Au niveau des PIB par habitant, si en 2003, les deux pays étaient à parité, l’écart, en défaveur de la France, atteint 13 points. Le décrochage commence à partir de 2003 mais s’accélère nettement à compter de 2010.
Cette situation paradoxale est la simple conséquence d’un taux d’emploi (le pourcentage de la population en âge de travailler qui a un emploi) plus faible en France qu’en Allemagne. Le taux d’emploi est de 91 % en Allemagne en 2019 contre 78 % en France, soit un écart de 13 points quand en 1998 il n’était que de 6 points (respectivement 75 et 70 %).
Le fort taux d’emploi en Allemagne est la conséquence d’un fort taux de participation de la population (proportion de personnes ayant l’âge de travailler qui sont réellement sur le marché du travail). Ce taux est Outre-Rhin de 94 % en 2019. Il s’est fortement amélioré depuis 20 ans. Il était de 82 % en 1998. En France, il a certes progressé mais dans une moindre proportion en passant sur cette même période de 78 à 85 %. Depuis 2010, la grande différence entre les deux pays provient du taux de chômage. Le chômage a fortement chuté en Allemagne, passant de 8 à 3,2 % de 2010 à 2019 quand, en France, la baisse n’a commencé qu’à compter de 2017 et dans des proportions bien plus faibles. Le taux de chômage est ainsi passé de 10 à 8,5 % lors de ces trois dernières années. L’avantage de l’Allemagne par rapport à la France est net au niveau du taux d’emploi des jeunes de 15 à 24 ans (écart de 17 points avec des taux respectifs 47 et 30 %). Chez les actifs de plus de 55 ans, la France est très en retrait par rapport à son partenaire. L’écart est de 7 points entre 55 et 59 ans et de 30 points entre 60 et 64 ans.
Le niveau d’études des actifs ne constitue pas un critère discriminant. En Allemagne, le taux d’emploi est élevé même pour les non-diplômés. L’écart avec la France est de 12 points pour les personnes ayant un niveau d’éducation primaire, de 15 points pour ceux ayant un niveau secondaire et de 7 points pour ceux ayant un diplôme de l’enseignement supérieur. L’exposition au chômage est bien plus importante en France pour les non-diplômés qu’en Allemagne (respectivement 12 et 7 % en 2019) que pour les diplômés de l’enseignement supérieur (4 et 2 %).
Le problème de l’emploi en France concerne les hommes non diplômés, les deux pays faisant jeu égal pour l’emploi des femmes. L’écart de richesse par habitant tend à s’accroître en raison de la difficulté croissante d’insérer les jeunes hommes dont une proportion croissante est en situation de décrochage scolaire et professionnel. L’autre problème récurrent de la France est l’emploi des seniors qui demeure faible malgré les progrès accomplis en la matière depuis 2010.
En 2018, en France, 963 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation (NEET) selon la définition d’Eurostat. En 2015, ils étaient 1 025 000 en 2015. En 2018, les jeunes NEET représentent 12,9 % des jeunes âgés de 16 à 25 ans et 27,9 % de ceux sortis sans formation initiale. Ces proportions étaient respectivement de 13,7 % et de 29,4 % en 2015.
Les deux tiers des jeunes sortis du système éducatif au cours du premier cycle de l’enseignement secondaire (au collège) ou ayant abandonné en cours de CAP ou BEP avant la dernière année ne sont ni en emploi ni en formation, contre un tiers des jeunes ayant obtenu un CAP ou un BEP, et un jeune diplômé de l’enseignement supérieur sur six.
L’environnement familial joue un rôle important dans le rapport des jeunes aux études et à l’emploi. Les plus concernés par le décrochage scolaire et professionnel sont sans surprise ceux dont un ou les deux parents sont au chômage. Les enfants issus d’une famille monoparentale sont également plus exposés à ce risque. Les enfants qui restent chez leurs parents sont également plus souvent en situation d’échec. Le taux d’emploi des jeunes de 18 à 24 ans ayant décohabité est supérieur de plus de 20 points à celui des jeunes vivant chez leurs parents. Le handicap est évidemment un facteur important. Ainsi, en 2018, 52 % des jeunes sortis de formation initiale ayant un handicap reconnu administrativement sont NEET, soit 24 points de plus qu’en moyenne.
États-Unis, zone euro : peut-il y avoir récession avec des prix du pétrole bas ?
L’époque est à la décarbonisation. La transition énergétique doit aboutir à l’abandon des énergies fossiles au profit des énergies dites renouvelables. Pour autant, la dépendance des économies au pétrole est forte. Les cycles économiques s’expliquent par l’évolution du cours du pétrole. La hausse du prix du baril a provoqué la rupture de la croissance à maintes reprises que ce soit en 1973, en 1980, en 1990, en 2000 et en 2008. À chaque fois, la hausse du prix du pétrole a provoqué une recrudescence de l’inflation et de l’inflation sous-jacente (par les effets de second tour) conduisant à une augmentation des taux d’intérêt et un recul du revenu réel qui affaiblissaient l’activité. Lors de ces cinq crises, la corrélation entre hausse du prix du pétrole, hausse de l’inflation et des taux d’intérêt ainsi que chute de la croissance est nette.
La forte hausse du cours du pétrole est à l’origine de la crise de 2008. Avec un baril de Brent à 140 dollars, les banques centrales augmentent leurs taux entraînant un ralentissement de l’économie. Les souscripteurs à taux variables sont touchés ce qui conduit à une hausse des défaillances et à la mise sur le marché de biens immobiliers acquis par emprunts. La titrisation des emprunts immobiliers a permis à des personnes à revenus modestes d’acquérir un logement. Cette catégorie de la population est la plus vulnérable en cas de retournement conjoncturel. La mise sur le marché de nombreux biens immobiliers provoqua une baisse de leur valeur. Avec le jeu de la titrisation, la crise se répandit comme une traînée de poudre sur l’ensemble de la planète. La crise de la demande, de facture classique, se mua en crise immobilière puis en crise financière de grande ampleur. La crise grecque de 2010/2012 est également en partie due au prix du pétrole. La remontée des cours au-delà de 100 dollars le baril pèse sur la croissance de ce pays dont le solde extérieur est fortement dégradé. Les investisseurs commencent à douter de la capacité du pays à rembourser les dettes accumulées et retirent leur soutien financier.
A contrario, la chute des cours a permis le retour de la croissance en Europe à partir de 2016. Le baril atteint un point bas en février 2016, à 26 dollars le baril de Brent. Les principales économies européennes enregistrent leur meilleur taux de croissance en 2017. L’expansion de la France atteint alors 2,2 % du PIB. La chute des cours a généré un surcroit de revenus de l’ordre de 1 000 euros par ménage entre 2016 et 2017.
Une des explications du long cycle de croissance de l’économie mondiale depuis la crise de 2009 se trouve en partie dans la faiblesse devenue structurelle des cours du pétrole. La forte augmentation de la production de pétrole de schiste a modifié en profondeur l’équilibre du marché pétrolier. La production américaine de pétrole est passée de 6 à 13 millions de barils jour de 2002 à 2019. Les prix du pétrole restent faibles malgré l’expansion économique. Cette situation concourt au maintien d’une inflation et de taux d’intérêt faibles. Le prix du baril est d’autant plus faible que le contenu de la croissance en énergie tend à diminuer. Par ailleurs, l’essor des énergies renouvelables ralentit la progression de la demande de pétrole. La faible inflation générée par le prix du pétrole se répercute sur les coûts du travail. Ces derniers constituent un facteur important dans les spirales inflationnistes. La faible inflation actuelle réduit les pertes de pouvoir d’achat des ménages. En 1973 comme en 1980, en 2000 et en 2007/2008, les salaires réels avaient enregistré des diminutions du fait de l’augmentation rapide des prix. Depuis dix ans, leur augmentation est faible mais le pouvoir d’achat progresse. Dans le premier cas, la demande avait été pénalisée avec la perte de pouvoir d’achat quand dans le second cas, elle peut poursuivre sa progression. Les États-Unis bénéficient de manière plus importante des cours faibles du pétrole car ce dernier est moins taxé qu’en Europe. Une chute du prix de pétrole brut s’y répercute plus nettement. Par ailleurs, l’économie américaine profite également de l’essor du pétrole de schiste en tant que producteur. Les autorités américaines souhaitent un cours du pétrole à un niveau intermédiaire, ni trop élevé pour favoriser les consommateurs ni trop bas pour ne pas pénaliser les producteurs de pétrole.
Malgré plus de dix ans de croissance, les pays occidentaux et, en premier lieu, les États-Unis, ne connaissent pas réellement d’augmentation des prix tout en étant en situation de plein emploi. Cette absence d’inflation explique en grande partie le caractère atypique du cycle de croissance actuelle et sa longévité. La très grande sensibilité des pouvoirs politiques face à toute menace de ralentissement économique joue également un rôle non négligeable en empêchant une remontée des taux d’intérêt. En 2019, les deux grandes banques centrales, BCE et FED, ont été contraintes d’abaisser leurs taux à la simple annonce d’une décélération de la croissance.
Ce cycle reposant sur un pétrole bon marché et sur des taux d’intérêt faibles permettant une croissance médiocre mais réelle peut s’interrompre soit du fait d’une augmentation rapide du cours du pétrole, soit de celle des taux d’intérêt provoquée par une crise de défiance. Le relèvement des cours du pétrole pourrait être provoqué par une crise majeure au sein du Moyen Orient. Les derniers évènements (attentat contre une raffinerie en Arabie Saoudite et tensions entre les États-Unis et l’Iran) ont eu peu d’impact sur le cours. La menace la plus réelle est celle liée à une guerre préventive contre l’Iran en cas de mise au point manifeste de leur bombe nucléaire. Parmi les autres menaces militaires figure une tentative de déstabilisation de l’Arabie saoudite par l’Iran mais cela aurait pour conséquence une rapide implication des États-Unis. Le deuxième risque est une stagnation de l’offre de pétrole par sous-investissement. Les faibles prix conduit les entreprises pétrolières à différer leurs programmes de recherche de nouveaux gisements. Par ailleurs, ces derniers exigent des moyens de plus en plus importants pour l’extraction. Compte tenu des cours actuels, leur rentabilité n’est pas assurée. Aux États-Unis, les producteurs de pétrole de schiste ont néanmoins réalisé d’importants gains de productivité afin de contrecarrer les conséquences de la baisse des cours. Une concentration des producteurs est également en cours afin de permettre une mutualisation des investissements. Du fait de la pression des ONG et de l’opinion publiques en faveur de la décarbonisation de l’économie, les compagnies pétrolières pourraient manquer de fonds propres pour assurer leur développement. La pénurie de capitaux pourrait amener celle de pétrole à moyen et long terme. Concernant les taux d’intérêt, la forte surveillance des banques centrales empêche pour le moment un réel dérapage. Le maintien des taux bas contribue peut-être à celui d’une faible inflation. La relation inflation/taux d’intérêt pourrait s’être inversée. En fixant des taux bas sur de longue période, les banques centrales auraient convaincu les investisseurs que l’inflation ne sera pas de retour de sitôt. Dans ces conditions, le cycle de croissance pourrait perdurer et continuer à battre les records de longévité.