Le Coin de la Conjoncture
L’économie française en basses eaux
Au 23 avril 2020, compte tenu des informations disponibles, l’activité économique serait, inférieure de l’ordre de 35 % à « la normale », selon l’INSEE. La contraction est de 41 % pour les seules branches marchandes et de 49 % pour les branches marchandes hors loyers. Cette baisse est la conséquence de la mise au chômage partiel de la moitié des salariés du secteur privé (plus de 10 millions de personnes concernées). Le confinement a des effets économiques très importants en France en raison de l’importance du tourisme et des services de proximité.
Cette situation se matérialise également à travers l’indicateur de l’INSEE sur le climat des affaires qui, en avril, est fort logiquement en forte baisse. Avec 62 points, il a perdu, en un mois, plus de 30 points, en lien avec le confinement d’une grande partie de la population. Cette baisse est la plus importante jamais enregistrée par cet indice depuis sa création en 1980. Le précédent niveau plancher datait de mars 2009 avec 69 points.
De son côté, le climat de l’emploi a perdu 25 points en avril, après en avoir perdu 11 en mars. À 70, il se situe à son plus bas niveau depuis le début de la série (1991). Le précédent niveau plancher était à 71 et avait été atteint en mars et mai 2009.
Cercle de l’Épargne – données INSEE
Des taux d’activité très différent selon les secteurs
Dans les branches agricoles, la perte d’activité est évaluée désormais à 13 %. L’absence de travailleurs saisonniers, essentiellement étrangers, constitue le principal problème rencontré par le secteur d’autant plus le temps des récoltes s’annonce avec le printemps (asperges, salades, etc.).
Dans l’industrie, une légère reprise se manifeste. Le recul de l’activité est estimé à 39 % (contre 43 % lors de la précédente étude de l’INSEE du 9 avril). Depuis le milieu du mois d’avril, la production industrielle est en légère hausse avec des remises en fonction d’usines. Les industriels pensent atteindre un niveau de production de 70 % au moins de juin avec des effectifs réduits de 30 % afin de garantir la santé de leurs salariés. L’industrie automobile devrait être en capacité de relancer la production à la fin du mois d’avril. En raison de son poids économique, elle a un effet d’entraînement sur les industries de la métallurgie, de la plasturgie, de l’électronique et du textile.
Pour la construction, avec la réouverture de certains chantiers, la diminution de l’activité est de 79 % par rapport à l’année dernière contre -88 % début avril.
Dans les services marchands, la perte d’activité demeure faible avec un taux de 38 %. La perte d’activité atteint 91 % pour l’hébergement / restauration. La proportion de salariés qui ne sont pas au travail (chômage partiel, arrêt maladie, droit de retrait) est de 86 %. À l’opposé, dans le secteur de l’information-communication, l’activité est à 66 % de la normale, la part de salariés travaillant sur site, en télétravail ou à distance est de 73 %.
Une consommation amputée d’un tiers
Selon les informations disponibles au 23 avril, les dépenses de consommation des ménages se sont contractées de l’ordre de 33 % par rapport à une période « normale » d’activité. Les ménages ont fortement réduit leurs achats de carburant, de véhicules et de biens manufacturés. Par rapport à l’estimation de fin mars, cette baisse est moins forte de de deux points.
Évolution de la consommation des ménages
En attendant la décrue du chômage partiel
La qualité de la reprise conditionne la sortie de crise de l’économie française qui s’est arrêtée plus nettement que celle de ses partenaires et qui reprend l’activité plus tard que la moyenne. Une des clefs majeures de la reprise sera la capacité à remettre en activité le plus rapidement possible les 10 millions de salariés en chômage partiel. La décrue suppose la levée d’un grand nombre de contraintes pesant sur la circulation et la vente.
Cercle de l’Épargne – DARES
Quelle reprise pour le bâtiment et les travaux publics ?
Pour la construction, la situation pourrait rester délicate pour plusieurs raisons. Le secteur fait face à des problèmes d’approvisionnement. Le secteur étant composé d’une multitude de petites entités, celles-ci ne disposent pas des moyens d’assurer la sécurité de leurs salariés. Par ailleurs, par crainte d’impayés, les dirigeants préfèrent rester sous la protection du régime du chômage partiel et des aides de trésorerie de l’État. Le report du deuxième tour des élections municipales et la proximité croissante des élections régionales et départementales pèsent également fortement sur la commande publique, ce qui pénalise le secteur des travaux publics.
L’activité dans la construction était en diminution de 79 % à mi-avril par rapport à l’année précédente (contre -88 % début avril). Dans l’industrie du bâtiment, 65 % des entreprises signalent des difficultés « autres » que le manque de personnel, les problèmes d’approvisionnement, et l’équipement insuffisant, liées au covid-19.
Un guide des bonnes pratiques destiné à favoriser la reprise des chantiers dans des conditions de sécurité optimales au regard de la crise sanitaire a été élaboré par les organisations professionnelles et l’Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux Publics (OPPBTP).
Les premières estimations montrent que le respect des protocoles OPPBTP pourrait engendrer un surcoût global supérieur à 10 %. Mi-avril, seulement 26 % des entrepreneurs estimaient possible de relancer les chantiers. La reprise progressive de l’activité observée courant avril concerne essentiellement les chantiers extérieurs.
Avec une sortie du confinement au milieu du mois de mai et en retenant le principe d’une amélioration progressive de l’activité, la baisse de l’activité sur l’année serait de 15 %. Les travaux publics seraient plus affectés encore en raison de la suspension des commandes publiques dans l’attente de l’installation des exécutifs communaux et intercommunaux.
Comment sortir d’une année noire pour le secteur de la restauration ?
Les bars et restaurants ne connaîtront la date de leur réouverture qu’à la fin du mois de mai. Pour les régions touristiques, la perte du mois de mai, marquée par de nombreux jours fériés, et celle du mois de juin qui est de plus en plus choisi par les jeunes actifs sans enfants pour leurs vacances, constituent un manque à gagner important. Ce secteur qui emploie avec les hôtels près d’un million de personnes dont 775 000 salariés, structure de nombreuses villes en France sur le plan économique. La sortie du confinement sera d’autant plus complexe qu’elle s’accompagnera de mesures sanitaires contraignantes.
Un secteur à l’arrêt ou presque
Selon une enquête de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie (UMIH) réalisée entre le 30 mars et le 8 avril 2020, 92,5 % des établissements sont fermés. Parmi les restaurants restés ouverts, 4,1 % pratiquent de la vente à emporter et 2,3 % de la vente en livraison. Les hôtels ouverts accueillent une clientèle d’affaires, des soignants et des routiers (le Groupe Accor a lancé une campagne par mail pour indiquer aux professionnels les hôtels disponibles à la réservation).
Selon l’enquête de l’UMIH les sondés sont :
- 60 % à avoir fait valoir la garantie perte
d’exploitation ;
- 75% à avoir sollicité le dispositif d’activité partielle ;
- 80 % à avoir obtenu une réponse favorable à une demande d’activité partielle ;
- 80% à penser faire appel au fonds de solidarité ;
- 45% à souhaiter déposer une demande de Prêt Garanti par l’État auprès de leur banque.
Compte tenu de la fermeture des établissements, seuls 5 % des dirigeants pensaient mettre en œuvre des actions de formation.
Selon une étude réalisée par « Food-Service Vision », la baisse du chiffre d’affaires du secteur de la restauration pour la période du 16 au 30 mars est estimée à 74 %. Elle serait identique pour le mois d’avril. La restauration à table, scolaire, d’entreprise ou de concession aurait perdu entre 90 et 100 % de son chiffre d’affaires. Pour la restauration rapide, la perte est évaluée entre 70 et 85 %. Au mois d’avril, les Mc Donald ont progressivement ouvert en drive permettant une légère remontée de l’activité. Les restaurants ayant opté pour la livraison et la vente à emporter ont réussi à sauver entre 30 à 40 % de leur chiffre d’affaires.
La restauration de santé, celle des maisons de retraite, des armées ou des prisons est restée stable. Pour le mois d’avril, le nombre de repas perdus chaque semaine est estimé à 160 millions, soit 1,2 milliard de chiffres d’affaires. Pour le premier trimestre, l’effet est estimé à 430 millions de repas perdus, dont 310 millions en restauration commerciale.
La lente sortie du confinement
L’amélioration sera lente sachant qu’une part non négligeable de l’activité est réalisée avec des touristes étrangers qui ne seront pas de retour avant la fin de l’année. L’absence de touristes étrangers pénalisera l’Île-de-France, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et la Corse.
La mise en place des règles de distanciation sociale pourrait, par ailleurs, provoquer une baisse du chiffre d’affaires de 30 à 50 %. La sortie du confinement pourrait être compliquée par l’application de dates différentes selon les régions.
La crise devrait amener à des changements au sein des métiers de la restauration et des cafés. Si la crise sanitaire est amenée à perdurer, la vente à emporter, la livraison à domicile, les services de traiteurs devraient se développer. L’application de normes d’hygiènes plus élevées devrait accroître la construction de restaurants avec des cuisines ouvertes.
Les revendications de la profession
Pour faire face aux pertes d’activités, les professionnels réclament un plan de relance d’urgence afin d’éviter la faillite de 30 à 40 % des cafés et des restaurants. Ils prônent la création d’un fond ouvrant droit à l’attribution d’une aide représentant 15 % du chiffre d’affaires de chaque entreprise pour couvrir les frais fixes. Ils demandent également la prise en charge des pertes d’exploitation des restaurateurs selon la répartition suivante : un tiers par l’État, un tiers par les assurances, un tiers par les propriétaires. Le 23 avril, le ministère de l’Économie et des finances a annoncé la création d’un fond d’investissement spécifique pour soutenir et aider le secteur de la restauration à démarrer en prenant des parts dans le capital de quelques centaines de petits hôtels-restaurants dans le pays. Le fond sera doté d’une enveloppe de 800 millions à un milliard d’euros et l’argent viendra de l’État, des régions et des assureurs. L’UMIH demande également l’exemption de paiement des charges sociales du 15 mars au 31 décembre, l’exemption des taxes et impôts pour l’année 2020, la prolongation des mesures d’activité partielle jusqu’au 15 mars 2021, l’annulation des loyers pour six mois à compter du 15 mars, ou encore le rehaussement rétroactif des seuils d’éligibilité au fonds de solidarité jusqu’aux entreprises réalisant 5 millions d’euros de chiffre d’affaires hors taxe.
Les premières réponses du Gouvernement
Les représentants de la profession se sont entretenus en visioconférence avec Emmanuel Macron, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et Jean-Baptiste Lemoyne, vendredi 24 avril, pour fixer les grandes lignes d’un plan de soutien. Le secteur bénéficiera d’une annulation de charges sociales et d’impôt sur les bénéfices portant sur 880 millions d’euros. L’accès au fonds de solidarité qui permet de percevoir une aide minimale de 1 500 euros sera élargi. Dès le 1er juin, les établissements toujours fermés pourront en bénéficier dans la limite de deux millions d’euros de chiffre d’affaires, contre un million d’euros actuellement. Le dispositif couvrira toutes les entreprises ayant jusqu’à 20 salariés, et non plus 10. Le plafond du deuxième étage du fonds qui permet aux établissements les plus en difficulté de percevoir 5 000 euros passera à 10 000 euros. Le dispositif de chômage partiel sera renforcé et prolongé pour l’hôtellerie-restauration. Le Ministre de l’Économie a confirmé que les grandes foncières avaient accepté l’annulation des loyers des trois derniers mois pour les hôtels et restaurants. Une médiation a été mise en place pour ceux qui n’entrent pas dans ce champ « pour voir comment on peut, soit annuler les loyers, soit étaler un peu plus cette charge, soit baisser le loyer », a souligné le Ministre. Un fonds d’investissement en faveur des cafés et des restaurants sera créé afin de faciliter le redémarrage et pourrait être doté d’un milliard d’euros.
Les commerces non alimentaires et la sortie de crise
Le secteur du commerce qui représente 10 % du PIB aurait enregistré, selon l’INSEE (23 avril) une perte d’activité de 55 % en lien avec la réduction des achats des ménages.
Selon le Conseil du Commerce de France (étude réalisée entre le 31 mars et le 8 avril 2020), 91 % des commerces non alimentaires sont sans aucune activité depuis la fermeture obligatoire des magasins le 16 mars dernier. 8 % des franchisés et indépendants ont pu maintenir une activité de vente à distance de produits, le commerçant privilégie la livraison à domicile. La réparation automobile, le bricolage et les pépinières (sur autorisation préfectorale) peuvent accueillir du public. Le taux d’ouverture est très variable selon les régions.
85 % des commerçants non alimentaires ont déclaré faire face à des problèmes de trésorerie. 66 % ont effectué une demande report d’échéances sociales et fiscales. 72 % ont placé tout ou partie de leur personnel en chômage partiel et 66 % ont fait appel au fonds de solidarité. Ils ont également demandé des demandes de report ou d’annulation de leur loyer et la mise en œuvre de l’assurance perte d’exploitation.
La réouverture, à compter du 11 mai, devrait s’accompagner de mesures de protection des salariés (masques, protection de caisses, gel hydroalcoolique). Les commerçants demandent des facilités d’accès aux prêts garantis par l’État (PGE) et des mesures visant à atténuer le coût des loyers commerciaux qui peuvent représenter jusqu’à 20 % du chiffre d’affaires. L’annulation des loyers pourrait provoquer des effets dominos étant donné que les propriétaires ont pu s’endetter pour les acquérir ou les construire. Au-delà des foncières qui sont propriétaires des murs de 38 000 commerces souvent logés dans des centres commerciaux, les murs appartiennent souvent à des petits propriétaires qui doivent faire face aux charges afférentes au bien (copropriété, impôts, etc.).
L’évènementiel à la recherche d’une sortie de crise
Le secteur de l’évènementiel occupe en France une place importante en raison du nombre élevé de congrès, de salons professionnels ou grand public, de foires, de spectacles de loisirs (concerts, théâtre, etc.). Ce secteur dépend en grande partie de l’activité touristique. D’après l’Union des métiers de l’événement, plus de 4 500 événements ont été annulés et plus de 3 000 reportés depuis le 16 mars. Le Parc des Expositions de la porte de Versailles et celui de Villepinte à Paris sont à l’arrêt total. D’ici la fin de l’année, il sera difficile de programmer de grands évènements qui exigent la présence d’intervenants en provenance des pays étrangers. La réouverture du territoire français aux vols internationaux selon Alexandre de Juniac, Président-directeur général de l’Association internationale du transport aérien, ne pourrait pas intervenir avant le 1er octobre 2020. Le retour à la normale pour les compagnies aériennes est conditionné à la mise en place de plans de soutien sans précédent comme celui que l’Etat a prévu pour Air France et qui porte sur 7 milliards d’euros.
La perte de chiffre d’affaires pour le secteur de l’évènementiel a été évaluée par la fédération professionnelle à 15 milliards d’euros. L’annulation ou le report des évènements touche également l’hôtellerie, les commerces de luxe, les grands magasins les transports (avion, taxi, train.), etc.
En Chine, le Gouvernement a autorisé l’organisation des premiers salons pour le mois de juin au cas par cas, avec la mise en place de consignes fermes de sécurité. Compte tenu des restrictions de circulation, ces salons ne concernent que la population chinoise.
Le Président de Hopscotch, un groupe de conseil en communication, spécialisé dans les relations publiques, l’événementiel, le numérique et le Web, estime que pour le troisième et le quatrième trimestre, les évènements ne pourront guère compter plus de 100 personnes. Les participants seront équipés de masques. Plusieurs fabricants ont déjà reçu des commandes intégrant la présence d’un logo commercial ou en lien avec le salon (l’entreprise Dumas travaillerait ainsi pour plusieurs hôtels de luxe pour créer des gammes logotées de masques).
Le secteur de l’évènementiel devra donc s’adapter en multipliant les petits évènements, en multipliant les opérations sur tout le territoire et en recourant aux rencontres en ligne. Durant une période intermédiaire, l’activité sera avant tout nationale ou européenne.
Le livre en souffrance
Le confinement devrait conduire les Français à consacrer plus de temps à la lecture, mais le secteur de l’édition n’en bénéfice pas. Selon les données de l’institut GFK dévoilées par la publication professionnelle « Livres Hebdo », les ventes de livres ont diminué de 58,5 % en volume et de 66 % en valeur par rapport à l’an passé. Cette chute s’explique par la diminution des points de vente. Depuis le 16 mars, seuls les super et hypermarchés, les maisons de presse et les sites d’e-commerce distribuent les livres. Les magasins de la FNAC, qui est le premier vendeur de livres en France, sont fermés depuis cette date. Par ailleurs, du fait de l’arrêt des imprimeries et des problèmes d’acheminement, même les sites en ligne enregistrent une baisse des commandes. Sur le site Fnac.com, de nombreuses références de livres sont en rupture de stock et les délais de livraison peuvent se compter en semaine (milieu rural, Corse en particulier). Le livre audio et le livre numérique enregistrent une forte croissance, mais ils représentent moins de 10 % du marché global. Les Français utilisent peu les liseuses électroniques à la différence des Anglo-saxons.