Le Coin des Tendances
La France, un pays géographiquement égalitaire mais à mobilité sociale réduite
En 2017, en France métropolitaine, en Martinique et à La Réunion, le niveau de vie annuel médian des 27 875 000 ménages fiscaux regroupant 63 938 000 personnes était de 21 030 euros. Ce montant correspond à un revenu disponible de 1 750 euros mensuels pour une personne seule ou de 3 680 euros pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans.
Les écarts de niveau de vie médian entre les différentes régions françaises sont assez faibles. Ils sont avant tout liés à la composition des populations. L’Île-de-France possède un niveau de vie médian de 23 320 euros par habitant quand les autres régions à l’exception des DOM se situent entre 19 500 et 21 500. L’Île-de-France a un niveau de vie supérieur par habitant car elle rassemble un plus grand nombre de cadres que les autres régions (30 % contre 18 % en moyenne nationale). Celles qui, en revanche, comprennent une proportion plus élevée de retraités ont des niveaux de vie médians plus faibles. Cela concerne en premier lieu la Corse. Le niveau de vie médian est le plus faible dans les Hauts-de-France ainsi qu’en Martinique et à La Réunion, où les taux de chômage sont plus élevés et la part des cadres et des professions intellectuelles supérieures plus faible.
Au niveau des départements, le niveau de vie médian à Paris est 1,8 fois supérieur à celui à La Réunion. Quatre départements ont un niveau de vie médian supérieur à 25 000 euros. Il s’agit de Paris, des Hauts-de-Seine, des Yvelines et de la Haute-Savoie. Dans ce dernier département, le niveau de vie est dopé par la proximité avec la Suisse qui accueille 120 000 travailleurs frontaliers, et par l’installation d‘un nombre croissant de Suisses dans la partie française du Grand Genève. À l’opposé, le niveau de vie médian est inférieur à 19 000 euros à La Réunion et en Martinique et dans cinq autres départements, la Seine-Saint-Denis, l’Aude, le Pas-de-Calais, la Creuse et les Pyrénées-Orientales. Le faible niveau en Seine-Saint-Denis s’explique par une surreprésentation des jeunes et des personnes au chômage.
Au niveau des intercommunalités, les plus hauts niveaux de vie médians se situent dans les zones littorales où résident des retraités aisés et des professionnels libéraux. Figurent également dans cette catégorie, les intercommunalités à proximité de la frontière suisse dont celle d’Annecy ainsi que le cœur des grandes métropoles françaises. Le niveau de vie médian des habitants des communes denses est en effet supérieur de 1 100 euros à celui des communes très peu denses.
Dans les communes denses, les inégalités sont plus importantes. Le rapport interdécile, qui mesure l’écart entre le niveau de vie « plancher » des 10 % les plus aisés et le niveau de vie « plafond » des 10 % les plus modestes, est, selon l’INSEE, de 4,2 pour les communes denses, comparé à 2,9 pour les communes très peu denses. Ce rapport s’établit en moyenne à 3,5 pour la France métropolitaine, la Martinique et La Réunion. Les inégalités sont plus fortes en Île-de-France, notamment à Paris (6,3) et dans les Hauts-de-Seine (4,9), mais aussi à La Réunion (4,4) et en Martinique (4,2). Si, en Île-de-France, les inégalités sont principalement dues aux forts niveaux de vie des plus aisés, c’est l’inverse dans les deux DOM où elles sont plutôt liées aux faibles revenus des plus modestes. En revanche, les inégalités sont plus faibles (rapport inférieur à 2,9) dans les Pays de la Loire et en Bretagne, où les niveaux de vie se concentrent plus autour de la médiane.
Les grandes agglomérations concentrent les personnes à faibles revenus. Ainsi, le taux de pauvreté est de 18,2 % au sein des grandes agglomérations quand la moyenne nationale s’élève à 14 %. Elles rassemblent 46 % de la population pauvre pour 37 % de l’ensemble de la population. À l’inverse, dans les communes peu denses, ces proportions sont respectivement de 30 % et 21 %, avec un taux de pauvreté de 10,8 %.
La composition du niveau de vie moyen des personnes varie selon les territoires. En Île-de-France, les salaires, les revenus du patrimoine et les impôts sont supérieurs à l’ensemble des autres régions métropolitaines, tandis que les pensions et retraites sont moins élevées, en lien avec une part plus faible de personnes âgées de plus de 65 ans. En Martinique et à La Réunion, les prestations sociales représentent une part très élevée du niveau de vie moyen des ménages en comparaison de la métropole : sur 19 900 euros de niveau de vie annuel moyen, 3 200 proviennent de prestations sociales, dont 52 % des minima sociaux.
L’ascension sociale n’est pas homogène sur tout le territoire
La possibilité pour les enfants d’avoir un niveau de vie supérieur à celui de leurs parents diffère d’un département à un autre. L’accès à une formation de qualité et à des emplois à forte valeur ajoutée et bien rémunérés constituent le sésame pour améliorer la situation d’une génération à une autre. Les mieux lotis sont les enfants d’ouvrier ou d’employé originaires d’Île-de-France, des départements frontaliers de la Suisse ainsi que du Puy-de-Dôme, suivis par les Côtes d’Armor, le Morbihan et l’extrême Sud-Ouest (Landes, Pyrénées-Atlantiques, Ariège, Haute-Garonne), avec un niveau de vie médian supérieur à 1 700 euros.
Perspectives de niveau de vie des enfants d’ouvrier ou d’employé,
par département
Le plus grand écart entre deux départements, 430 euros, se situe entre le Pas-de-Calais et la Haute-Savoie en faveur de ce dernier.
L’ascension sociale dépend du diplôme et du nombre d’emplois et de leurs caractéristiques. Longtemps, les pouvoirs publics ont incité à la mobilité géographique pour favoriser l’élévation des revenus et la lutte contre le chômage. Cette politique a conduit à l’accroissement de la taille des métropoles avec un inconvénient une dévitalisation plus rapide encore des zones en difficulté. La tendance actuelle serait inverse. Il conviendrait de faciliter l’implantation d’activités structurantes pour maintenir la population sur place. La faible ascension sociale dans le Sud de la France serait liée à la croissance d’emplois présentiels en lien avec l’activité touristique et à l’absence de pôles de recherche. Le Sud de la France est faiblement doté en centres hospitaliers universitaires par rapport au Nord. En Corse, il n’y en a aucun.
« La Monarchie de Juillet », une oubliée bien proche
Il y a cent quatre-vingt-dix ans, Charles X a été contraint à abdiquer après avoir promulgué des ordonnances limitant la liberté de la presse, modifiant la composition de la Chambre des députés ainsi que le mode de scrutin et procédant à des nominations au Conseil d’État. Quarante ans après le début de la Révolution française et quinze ans après la défaite de Napoléon 1er à Waterloo, les « élites » sont divisées entre royalistes, bonapartistes et républicains, tout comme le peuple. La solution de la branche royale cadette, la famille d’Orléans, s’impose à travers la personne de Louis Philippe qui dispose de nombreux atouts dont celui d’avoir 57 ans, laissant présager un règne court. En outre, son histoire peu commune l’amène à être l’homme du compromis. Le Duc d’Orléans, fils de Philippe Égalité qui vota l’exécution de Louis XVI, a participé aux guerres révolutionnaires. En tant que lieutenant-général, aux batailles de Valmy, Jemappes, son nom figure sur l’arc de triomphe de l’Étoile. Durant la Terreur, son père est exécuté ; il est, de son côté, emprisonné puis condamné à l’émigration. Durant son exil, il se rendit aux États-Unis, en Suisse, dans les pays scandinaves et en Sicile. Louis Philippe tira de nombreux enseignements de sa formation et de ses voyages, en particulier au niveau des relations internationales et de l’économie.
La Monarchie de juillet dura dix-huit ans avec un seul monarque. Pour accéder au trône, il accepta le drapeau tricolore et la charte constitutionnelle de 1814 qui fut amendée. Il prit le titre de Roi des Français. Ce régime particulier, coincé entre la Restauration des Bourbons et l’arrivée au pouvoir de Louis Napoléon est souvent passé sous silence. Il a même plutôt mauvaise presse. Dès le départ, la légitimité du pouvoir est contestée. Les opposants, les « carlistes », les tenants de la famille ainée, les bonapartistes et les Républicains menèrent un travail de sape contre le Roi, qui fut brocardé par la presse. Il fit l’objet de nombreuses caricatures dont celles de Daumier. Pour certains, la Monarchie de juillet était une démocratie censitaire, un système hybride dont l’objectif était de rassurer les bourgeois après plusieurs décennies de troubles. Le bilan du règne de Louis Philippe est loin d’être négligeable ; la France entra de plain-pied dans la Révolution industrielle en optant pour une politique libérale. Au niveau institutionnel, le pays fit sa première expérience du parlementarisme qui par sa forme n’est pas sans parenté avec la pratique de la Ve République. Le Roi, par caractère et par goût, se constitua un domaine réservé, la défense et les affaires étrangères. Il aimait passer au-dessus de son chef de gouvernement en envoyant des instructions directement aux ministres. Ces derniers étaient responsables devant le Roi et devant le Parlement. Par ailleurs, la formalisation des grandes règles budgétaires intervient durant la Monarchie de juillet.
La Monarchie de juillet est également une période clef dans la montée en puissance du mouvement ouvrier. Le règne est marqué par plusieurs révoltes dont celles des canuts de Lyon. Elle dut également faire face, à partir de 1832, à une épidémie qui alimenta la fronde sociale et politique durant plusieurs années. La pandémie de choléra, partie d’Inde en 1815 pour atteindre Paris autour du 20 mars 1832. Elle s’était diffusée auparavant en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni. À Paris, sur le seul mois d’avril, plus de 13 000 personnes périrent. Elle sévit de manière importante jusqu’en septembre, y faisant au total 18 000 morts. La maladie créa un mouvement de panique dans la population. Paris s’était alors vidé d’une partie de sa population. Le peuple, n’hésitant pas à soupçonner des empoisonneurs, rendit responsable le pouvoir en place. Ne pouvant plus travailler, les chiffonniers se révoltèrent contre les mesures d’hygiène ordonnées par les autorités par précaution sanitaire. Comme pour l’actuel coronavirus, la classe politique de l’époque fut particulièrement touchée. Au sein de la famille royale, la sœur du Roi, Madame Adélaïde, fut atteinte. Plusieurs ministres furent également contaminés dont d’Argout et Guizot. Le Président du Conseil, Casimir Perier, qui est allé le 1er avril 1832 avec le duc d’Orléans visiter les malades à l’Hôtel-Dieu, décèdera le 16 mai 1832 du choléra. Le général Lamarque qui était alors une des principales personnalités de l’opposition, décéda le 5 juin et ses funérailles, suivies par un cortège d’environ 100 000 personnes, débouchèrent sur une insurrection violemment réprimée. En raison du grand nombre de malades, les autorités réquisitionnèrent le grenier de réserve de Paris pour le transformer en hôpital. Cette épidémie conduisit le Préfet de police à développer le réseau d’égouts et à imposer des règles d’hygiène. La lutte contre les épidémies fut également à l’origine de la transformation de Paris par le Préfet Haussmann sous le Second Empire. Sous la IIIe République, au nom de la salubrité publique, le Préfet de la Seine, en 1884, Eugène Poubelle met en place le ramassage des ordures ménagères à Paris. Même si l’intensité eut tendance à diminuer, le choléra resta présent en Europe et en France en particulier jusqu’en 1875.
Au-delà des troubles politiques et sociaux, la Monarchie de Juillet, grâce à la période de paix que la France connait alors, se caractérisa par un essor économique important. La production agricole connut une vive augmentation permettant la disparition des famines en France. Le recours à de nouvelles techniques sélection des races (assolements, prairies artificielles, engrais) contribua à l’accroissement de la productivité. Avec la modernisation des transports, les marchés s’élargirent. La loi de 1835 sur les canaux et les routes permirent leur remise à niveau. La Charte de juin 1842 facilita les concessions ferroviaires. La construction des grandes lignes a été le produit d’un compromis associant l’État, des collectivités locales intéressées et l’industrie privée. De 1830 à 1848, le réseau est multiplié par près de quatre. La construction des chemins de fer entraîna le développement de la métallurgie même si cette dernière utilisait avant tout le charbon de bois. En 1846, la France comptait 304 hauts-fourneaux à bois contre 106 à coke. La production de fonte a enregistré néanmoins une forte progression passant de de 197 000 tonnes en 1824 à 439 000 à la fin du régime. Un processus de concentration eut également lieu au sein de ce secteur comme dans les autres. De grands groupes se formèrent appuyés par les grandes banques. Dans l’industrie textile, l’industrie cotonnière connut également une modernisation assez rapide. À Mulhouse, le nombre de broches passa de 500 à 1 150 000 de 1828 à 1847, tandis qu’il tripla à Rouen. De nouvelles industries apparurent liées au gaz et à la chimie.
Par ailleurs, le pouvoir réalisa de nombreux efforts pour améliorer la formation des jeunes. Grâce aux lois Guizot (1833) puis Falloux (1850), toutes les communes de France sont dotées d’une école, laquelle est gratuite pour les pauvres. La Monarchie de Juillet constitue un épisode libéral dans l’histoire de France avec comme figures de proue, les économistes, Jean-Baptiste Say qui meurt en 1832, Frédéric Bastiat, ainsi que le ministre puis Président du Conseil, François Guizot. Ce dernier était convaincu de la nécessaire modernisation de la France. À cet effet, il ne manquait pas de répéter « enrichissez-vous par le travail, l’épargne et la probité ». la Monarchie de Juillet, enfantée par les quatre journées révolutionnaires du mois de juillet 1830 se désagrégea au mois de février 1848 avec le soulèvement de Paris. Durant ces dix-huit années, le laisser faire et le laisser aller économique s’accompagnèrent d’une histoire politique et sociale tumultueuse. Le retour des cendres de Napoléon 1er en 1840 symbolisa cette période avec une volonté du pouvoir de faire oublier les multiples crises et de récupérer à son profit le culte de l’Empereur dans une période où la France abandonnait ses velléités guerrières. Ce retour accrut dans les faits les tensions et les envies de coups d’État. Ces dix-huit années sont celles d’une France divisée qui a la nostalgie des grandeurs passées, qu’elles soient royales, républicaines ou napoléoniennes. Elles permirent néanmoins une transformation profonde du pays et confortèrent le rôle de l’administration.