Le Coin des tendances
Les minima sociaux, des correcteurs relatifs des inégalités
En France, en 2018, 4,25 millions de personnes sont allocataires d’un minimum social. En tenant compte des conjoints et des enfants à charge, près de 7 millions de personnes, soit 11 % de la population, sont couvertes.
Un bénéficiaire sur deux est pauvre en conditions de vie
Selon la dernière enquête auprès des bénéficiaires de minima sociaux pour 2018 réalisée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), un ménage est pauvre en conditions de vie quand il cumule au moins 8 difficultés parmi une liste de 27 établie par l’Insee couvrant quatre dimensions : les contraintes budgétaires, les retards de paiement, les restrictions de consommation et les difficultés liées au logement. L’enquête 2018 révèle que la moitié des 6,6 millions de personnes bénéficiaires de revenus minima garantis (c’est-à-dire de minima sociaux ou de la prime d’activité) fin 2017 sont pauvres en conditions de vie selon l’indicateur usuel de l’Insee. C’est le cas de 61 % des bénéficiaires de minima sociaux et de 46 % des bénéficiaires de la prime d’activité.
Pour apprécier les effets des minimas sociaux, il convient également d’apprécier la pauvreté monétaire des allocataires. Le taux de pauvreté est calculé en fonction du revenu médian. Les personnes ayant un niveau de revenus inférieur à 60 % ce revenu média sont considérées comme « pauvres ».
Si les restrictions de consommation concernent fortement les bénéficiaires de la prime d’activité (45 %), elles sont encore plus fréquentes chez les bénéficiaires de minima sociaux : 65 % d’entre eux déclarent subir d’importantes restrictions de consommation, soit plus de six fois plus que l’ensemble de la population. Les restrictions alimentaires sont particulièrement répandues et conduisent 5 % des bénéficiaires de revenus minima garantis à avoir recours à des distributions de repas ou à des colis alimentaires, et 28 % à consommer des denrées données par leur entourage. 9 % reçoivent une aide alimentaire ou des denrées données par l’entourage et jugent cette aide très importante ou déclarent qu’ils ne pourraient pas vivre sans. Le renoncement aux soins est également important : 18 % des bénéficiaires de revenus minima garantis déclarent avoir renoncé à une consultation de médecin et 29 % à des soins dentaires pour raisons financières.
Près de la moitié des bénéficiaires de revenus minima garantis sont contraints sur un plan budgétaire. L’entourage permet néanmoins de desserrer en partie ces contraintes, en particulier dans les domaines de l’alimentation et du logement. En 2018, plus d’un quart des bénéficiaires de revenus minima garantis ont eu des retards de paiement. Cette dimension de la pauvreté en conditions de vie est la seule qui baisse par rapport à 2012 (-5 points). 14 % avaient encore des factures de l’année impayées fin 2018. Enfin, 19 % des bénéficiaires de revenus minima garantis rencontrent des difficultés de logement fin 2018. Notamment, un tiers des bénéficiaires du RSA vivent dans un logement surpeuplé. La difficulté de logement la plus répandue est celle pour chauffer son logement. Par ailleurs, 18 % des bénéficiaires de revenus minima garantis déclarent avoir renoncé à une consultation de médecin dans l’année pour raisons financières et 29 % à des soins dentaires.
En écho à l’enquête de la Drees, un nouvel indicateur européen de privation matérielle et sociale a récemment été défini. Il permet également de constater les difficultés des bénéficiaires de revenus minima garantis. Selon cet indicateur, environ deux tiers d’entre eux sont en situation de privation matérielle et sociale fin 2018 (au moins cinq difficultés sur treize) contre 14 % de l’ensemble de la population. Ils sont près de la moitié (46 %) en situation de privation sévère (au moins sept difficultés sur treize) contre 8 % de l’ensemble de la population.
Les bénéficiaires du RSA sont les plus touchés
Les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) sont les plus exposés à la pauvreté en conditions de vie (respectivement 68 % et 63 %). Les allocataires de l’ASS sont le plus concernés par le non-recours aux soins pour raisons financières, que ce soit pour une consultation chez le médecin (22 %) ou le dentiste (36 %). En revanche, les bénéficiaires du RSA s’en sortent mieux car ils bénéficient de la CMU-C.
Leur situation est toutefois relativement stable par rapport à 2012. À caractéristiques similaires (facteurs sociodémographiques, composition du ménage, etc.), un bénéficiaire du RSA a plus de risques d’être pauvre en conditions de vie qu’un bénéficiaire d’un autre revenu minimum garanti. D’autres facteurs peuvent expliquer un plus fort risque d’être pauvre en conditions de vie : être limité à cause d’un problème de santé dans les activités de la vie quotidienne, chômeur ou inactif, né à l’étranger, résider en région parisienne, être isolé de sa famille ou de ses amis.
En comparaison, les allocataires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et du minimum vieillesse ont des taux de pauvreté en conditions de vie plus faibles (respectivement 45 % et 59 %) que les bénéficiaires du RSA et de l’ASS. En revanche, ils voient leur situation se détériorer depuis 2012 (+6 et +9 points), en particulier en termes de restrictions de consommation.
La prime d’activité ne protège pas contre la pauvreté
Pour la première fois, l’enquête de la Dress s’intéresse aux bénéficiaires de la prime d’activité qui a été instaurée au 1er janvier 2016. Leur situation n’est guère plus enviable que celle des personnes percevant les minima sociaux. 45% des allocataires de la prime d’activité étaient pauvres en conditions de vie. 20 % des bénéficiaires de la prime d‘activité déclarent avoir renoncé à une consultation médicale pour des raisons financières contre 16 % des bénéficiaires de minima sociaux. Les conséquences de la crise économique sur l’emploi ne devraient pas améliorer leur situation.
Point important, les résultats de la Drees pourront être affinés dans la durée car la prime d’activité commençait à monter en charge au moment où l’enquête a été réalisée et peut ne pas avoir alors encore joué pleinement son effet. Pour rappel, le montant forfaitaire de la prime d’activité avait été revalorisé de 20 euros et porté à 551,51 euros à compter du 1er août 2018 à quoi s’ajoute la revalorisation exceptionnelle de 90 euros, à compter du 1er janvier 2019, du montant maximal de la bonification individuelle, passé de 70,49 euros à 160,49 euros.
La réforme des minima sociaux en suspens
L’étude de la Drees met en évidence la complexité des aides sociales et explique pour partie le non-recours aux prestations. Selon le ministère de la Santé, près de 30 % des personnes éligibles au RSA ne le réclament pas par méconnaissance du système ou pour éviter toute stigmatisation. C’est aussi le cas pour 25 % des personnes éligibles à la prime d’activité. Faciliter l’accès des bénéficiaires et gagner en simplicité, c’est tout l’enjeu de la concertation sur le revenu universel d’activité (RUA) lancée en 2019 par le gouvernement dans le cadre de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté présentée par le Président de la République en septembre 2018. L’objectif est de remplacer dans une prestation unique le RSA, la prime d’activité et les allocations au logement (APL), sous réserve d’autres prestations comme l’ASS ou l’allocation de solidarité aux personnes âgées qui pourraient-elles-aussi y être intégrées. Le 11 février 2020, à l’occasion de la Conférence national du handicap, Le Président de la république Emmanuel Macron a indiqué, en revanche, que l’AAH ne serait pas concernée.
La concertation, pilotée par la délégation interministérielle à la lutte contre la pauvreté est censée aboutir à un projet de loi en 2020 pour une entrée en vigueur du nouveau système autour de 2023.