Le Coin des Tendances
Les administrations publiques, la crise sanitaire et le digital
Les administrations ont été des consommatrices assidues de solutions digitales depuis le début de la crise sanitaire. Que ce soit pour le versement des prestations ou pour le recul des données, le recours aux applications en ligne s’est accéléré. La suppression des contacts physiques a posé dans un premier temps de réels problèmes aux administrations des pays avancés. Néanmoins, assez rapidement, elles ont réussi à s’adapter. Cette situation atypique devrait accélérer la digitalisation des administrations et donc nécessiter d’importants investissements.
Des administrations confrontées à des situations inédites
Au Royaume-Uni, plus de 73 000 mariages ont été reportés en raison de l’épidémie, en France, plus de 40 000 seraient concernés sachant que ceux-ci interviennent en règle générale au printemps ou au début de l’été. Le passage devant le maire ou son représentant constitue une étape qui pourrait être remise en cause à l’avenir. Coûteuse pour l’administration, elle mobilise du personnel et des élus durant le week-end. De plus en plus de voix s’élèvent pour numériser la procédure. Certes, le rite républicain y perdra en sens. À ce titre, il faut souligner que pendant la pandémie, les gouverneurs de New York et de Californie ont légalisé les mariages numériques. Cette procédure pourrait perdurer.
La crise sanitaire a révélé la vulnérabilité du système judiciaire. En France, les tribunaux ont fermé de mars à la fin mai. Les audiences n’ont pas plus se tenir. Du fait d’un équipement informatique peu performant, le personnel de l’administration judiciaire a éprouvé les pires difficultés pour continuer à travailler à domicile. Les couples qui traversent des divorces contestés n’ont pas été en mesure d’obtenir des jugements sur leurs différends financiers, donc l’arbitrage a prospéré. La gestion des cartes de résident et des visas est également très complexe depuis le mois de mars. Aux États-Unis, les demandes de carte verte ont été interrompues en avril et n’ont redémarré qu’en juin. En Grande-Bretagne, les rendez-vous pour prendre les détails biométriques des personnes demandant la résidence permanente ont également cessé en mars et n’ont repris que partiellement durant l’été.
L’accès aux établissements de soin a été compliqué. La faible informatisation des dossiers médicaux au sein de l’OCDE a été une source de perte de temps durant la crise. La réduction des effectifs a pesé sur l’accueil des patients au-delà du problème de saturation des services de réanimation.
Aux États-Unis, plus précisément en Floride, la pandémie a entraîné la fermeture de l’assurance chômage empêchant de nombreux demandeurs d’emploi de bénéficier des aides auxquelles ils avaient le droit. L’accès par mail ou par téléphone des services de l’emploi était très difficile durant tout l’été dans de nombreux États américains. En Italie, le site Internet de l’INPS, l’office italien de la sécurité sociale, a reçu 300 000 demandes d’aide sociale en une seule journée à la fin mars. Le site Web a été mis hors service par l’afflux des demandes. Les failles des systèmes informatiques ont constitué une opportunité pour de nombreux fraudeurs. Ainsi, dans l’État de Washington, entre 550 et 650 millions de dollars, soit un dollar sur huit, auraient été versés à des fraudeurs. En France ou en Italie, les dispositifs de chômage partiel auraient également donné lieu à de nombreuses fraudes.
L’administration virtuelle grande gagnante de la crise
Pour mesurer la croissance, les instituts statistiques officiels recourent à des enquêtes physiques et en ligne. Avec la crise, le travail sur le terrain était impossible. Néanmoins, ces instituts ont réussi à fournir des informations très précises sur la situation économique. L’INSEE a, tous les quinze jours, fourni des états des lieux en recourant aux données issues du système des cartes bancaires, de googles maps, des opérateurs téléphoniques, des sites relatifs à la circulation routière come Coyote, pour mesurer l’activité.
La pandémie a révélé à quel point la numérisation des services gouvernementaux permet de réduire les temps de réaction dans le traitement des dossiers. La mise en œuvre des plans de soutien en a été facilitée. En France, la digitalisation des relations entre les entreprises et l’administration fiscale a été une source de gains de temps dans la remontée des informations. Les administrations publiques françaises ont été capables de mobiliser des sommes importantes et d’en assurer rapidement le versement aux entreprises du chômage partiel et des prêts garantis. Le Président du Medef s’est réjoui publiquement de la réactivité de l’État. En Grande-Bretagne, le système de crédit universel, qui distribue des prestations sociales, a traité de manière instantanée l’inscription de près d’un million de personnes sans avoir qu’ils aient à se rendre dans un centre pour l’emploi. En Estonie, un pays en avance sur le plan numérique, tous les citoyens ont une identification numérique liée à leur compte bancaire et au système fiscal. L’administration a la possibilité de déterminer quels Estoniens étaient licenciés et d’effectuer le versement des prestations. Dans ce pays, il est également possible de voter aux élections en ligne. Taïwan, autre pays pionnier du numérique, a prévu qu’en utilisant sa carte d’assuré, il soit possible de retirer directement de l’argent aux distributeurs. Toujours, au Royaume-Uni, toutes les audiences du tribunal de la famille ont été annulées mais ont été remplacées par des audiences en ligne avec des juges prenant des décisions fondées sur des preuves envoyées par Internet.
Les administrations ont dû gérer en temps réel des problèmes d’indentification. Ainsi aux États-Unis comme au Royaume-Uni, il n’y a pas de cartes d’identité d’où la mise en place de procédure spécifique pour éviter la fraude et permettre d’affecter l’argent à la bonne personne. En France, les documents de sécurité sociale, qui devaient autrefois être envoyés par la poste, peuvent désormais être soumis par voie électronique. La téléconsultation médicale devrait se généraliser. Au Royaume-Uni, pays en avance sur ce sujet, le taux de téléconsultation est passé de 7 à 90 % durant le confinement. En France, le recours à la consultation en ligne a également un réel succès. Elle a été également pratiquée par les psychiatres.
Le digital est-il soluble dans les libertés individuelles ?
La pandémie a souligné le problème du respect des libertés individuelles. Dans la lutte contre la pandémie, les systèmes de suivi et de traçabilité exigent que les gouvernements sachent où se trouvent leurs citoyens et qu’ils puissent les contacter de manière fiable. En Grande-Bretagne ou aux États-Unis ainsi qu’en France, la mise en œuvre de ces moyens de contrôle est plus que délicate. En Estonie, cela ne pose pas de problème tout comme en Chine où les habitants doivent afficher des codes QR sur leur téléphone pour vérifier qu’ils ne se sont pas rendus récemment dans un hotspot viral.
En Grande-Bretagne et aux États-Unis, la gestion des clusters est difficile car les autorités ne disposent pas d’un fichier national de cartes d’identité. Dans ces deux pays, les dossiers de santé ne comportent pas d’identification professionnelle. Les administrations locales n’ont pas, par ailleurs, toujours accès aux archives du gouvernement central. En l’absence de moyen simple de relier les noms et les adresses, le gouvernement britannique a dû s’appuyer sur les données des vérifications de crédit pour vérifier l’identité des personnes avant de leur publier des tests de covid-19.
La lutte contre le virus, surtout en l’absence de vaccin, pourrait déplacer les lignes en matière de liberté et de droit. Le partage d’informations entre administration et entre pays pourrait s’imposer afin de mieux contrôler la diffusion du virus. Ainsi, aux Etats-Unis, l’existence de fichier digital national permettrait le recours aux votes électroniques et éviterait le débat sur l’organisation et la fiabilité du vote par correspondance. Dans tous les cas, les investissements sur les services administratifs en ligne devraient connaitre un essor dans les prochaines années, d’autant plus si les promesses de vaccins se faisaient attendre.
Les démences, des préjugés et des tabous
La démence concerne plus de 50 millions de personnes dans le monde, un nombre qui augmente rapidement du fait notamment du vieillissement. Selon certaines estimations, 1,7 % des 65 à 69 ans souffrent de démence et de son incidence. Le nombre de nouveaux cas double tous les cinq ans jusqu’à l’âge de 90 ans. À 85 ans, plus d’un tiers, des personnes seraient atteintes de démence. Cette dernière est un dommage collatéral de l’augmentation de la durée de vie. À l’échelle mondiale, en 1920, l’espérance de vie à la naissance n’était guère supérieure à 30 ans. En 1960, elle atteignait 52 ans. Aujourd’hui, elle est d’environ 70 ans pour les hommes et 75 ans pour les femmes. Pour les pays dits avancés, cet âge dépasse 80 ans. Malgré les progrès médicaux, la démence résiste obstinément aux efforts pour trouver un remède. Autrefois, la perte des capacités intellectuelles était qualifiée de démence sénile ou simplement de « sénilité ». En 1906, Alois Alzheimer, un psychiatre allemand, a réalisé une autopsie sur Auguste Deter, une femme relativement jeune qui avait développé une démence et a remarqué des anomalies. Ces dernières apparaissaient également parmi des personnes âgées. La pathologie appelée « maladie d’Alzheimer », représentant entre 60 % et 80 % des cas de démences. Mais il en existe une dizaine d’autres qui chacune représentant de 5 à 10 % des cas. Dans cette catégorie figurent notamment la démence vasculaire, causée par un flux sanguin insuffisant vers le cerveau, et la démence à corps de Lewy.
L’augmentation des cas de démence concernera avant tout les pays émergents et en développement qui connaissent un rapide vieillissement. Ces pays devraient concentrer les trois quarts des nouveaux cas d’ici 2030. Quelques 82 millions de personnes seront alors atteintes de démence et 152 millions d’ici 2050. Des recherches récentes encourageantes aux États-Unis et dans certaines États d’Europe soulignent que la prévalence des démences tendrait à baisser légèrement du fait des changements de mode de vie (alcool, tabacs). En 2018, l’Union européenne comptait environ 9,1 millions de personnes atteintes de démence, l’Amérique, environ 6 millions et le Japon 5 millions. La Chine est le pays qui compte le plus de personnes atteintes de démence, plus de 9,5 millions de personnes. En 2018, l’Inde, un pays plus jeune, avec un âge médian de 28 ans (par rapport à 38 ans en Chine) et une espérance de vie plus faible (70 contre 77), comptabilisait déjà 4 millions de personnes diagnostiquées. Pour 2030, 7,5 millions de personnes atteintes de ce mal sont attendues.
En raison de leur plus longue espérance de vie, les femmes sont plus exposées que les hommes au risque de démence. D’autres facteurs encore inconnus pourraient également jouer en leur défaveur. Aux États-Unis, les deux tiers des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer sont des femmes.
Les soins de santé liés à cette pathologie sont exigeants en main-d’œuvre et sont coûteux. Une estimation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) prévoit au moins un doublement des dépenses d’ici 2030. En 2018, le coût moyen à vie des soins pour un Américain atteint de démence a été évalué à près de 350 000 dollars. 70 % de ces dépenses sont avant tout des soins à domicile. Le coût des aidants, majoritairement des femmes, n’est pas pris en compte dans ces évaluations.
La pandémie de covid-19 a montré la fragilité de nombreux systèmes de soins de santé et en particulier des EHPAD qui accueillent des personnes atteintes d’Alzheimer ou de troubles connexes. Même si la maladie d’Alzheimer est aujourd’hui connue de tous, le sujet de la prise en charge des patients demeure dans tous les pays complexe avec à la clef beaucoup de préjugés et de tabous. La recherche sur la démence reçoit beaucoup moins d’argent que le cancer ou les maladies coronariennes. La première reçoit au Royaume-Uni 7,5 % des sommes affectées aux cancers. Une étude mondiale réalisée en 2018 a pointé 250 000 articles sur la démence, contre 3 millions sur le cancer. Ce relatif désintérêt s’explique par le fait que la démence soit perçue, par une grande partie de la population, comme une fatalité, une conséquence logique de l’âge. Ces allégations sont partagées par 62 % des médecins, selon une enquête réalisée en 2019 par Alzheimer’s Disease International (adi).
Dans les prochaines années, la part des dépenses à consacrer à toutes formes de démence augmentera dans tous les pays occidentaux. Avec la déstructuration des liens familiaux et la forte mobilité des populations, la prise en charge des personnes âgées par les enfants sera de plus en plus difficile. De moins en moins de ménages peuvent se permettre de perdre une source de revenus pour venir en aide à un aîné. La diminution des aidants se traduira par un transfert de charges sur les administrations publiques. Celles-ci devront en faire supporter le coût sur les contribuables au risque de pénaliser la compétitivité de l’économie ou de mobiliser une partie des actifs des retraités, sachant que la population active acquitte déjà des cotisations pour financer les pensions.