Le Coin des Tendances
Le retour du risque souverain
Les gouvernements de nombreux pays pauvres ont été confrontés à des choix difficiles : soutenir leur population pendant la crise du covid-19 et garantir le paiement des créanciers afin d’éviter une éventuelle banqueroute. Pour éviter d’ajouter une crise financière à la crise sanitaire, le 14 octobre, les ministres des Finances du G20 ont décidé de proroger, jusqu’en juillet 2021, la suspension du service de la dette de 73 pays comptant parmi les plus pauvres du monde. Cette décision intervient après une période de forte augmentation de la dette publique des pays pauvres. Celle-ci est passée de 29 % à 43 % du PIB de 2012 à 2019. Selon le FMI, elle pourrait atteindre 49 % en 2020. L’effondrement des recettes fiscales et l’augmentation des déficits rendent le remboursement des emprunts de plus en plus difficile pour des États ne pouvant compter sur des excédents extérieurs et un niveau élevé d’épargne. Selon les données de la Banque mondiale, au moins 33 des pays éligibles au moratoire sont menacés de banqueroute. Pour l’ensemble des pays concernés, le service de la dette représentait, pour la période courant de mai à décembre 2020, plus de 31 milliards de dollars. L’Éthiopie, le Mozambique et la Zambie qui ont, par ailleurs, des niveaux de prélèvements obligatoires élevés, sont les premiers concernés par un risque de défaut de paiement.
La situation aurait été encore plus grave si les grandes banques centrales n’avaient pas abaissé leurs taux d’intérêt et si les institutions financières internationales n’avaient dès le mois d’avril distribué des fonds d’urgence. De plus en plus de voix se font entendre pour mettre en place un programme de restructuration des dettes afin d’éviter des défauts de paiement désordonnés. La procédure de moratoire des services de la dette tarde à prendre effet et ne résout par le fond du problème. Jusqu’à présent, seuls 5 milliards de dollars environ de paiements dus pour cette année ont été suspendus. Le G20 fait de plus en plus pression sur les investisseurs privés pour consentir à des remises de dettes ou pour favoriser des restructurations. Les pays pauvres ne sont pas toujours favorables à ces opérations qui aboutissent à des révisions à la baisse de leur notation. Celles-ci les empêchent de recourir à des nouveaux emprunts ou les conduisent à devoir accepter des taux d’intérêt plus élevés.
Les pays en proie à des difficultés de remboursement dépendent de moins en moins des pays occidentaux. Un quart de la dette des 33 pays les plus en difficulté est détenu par la Chine. Ce pays n’est pas membre du Club de Paris qui rassemble les créanciers publics occidentaux. Il entend résoudre les problèmes de remboursement dans le cadre des relations bilatérales et non multilatérales ce qui risque de générer quelques tensions géopolitiques et financières. La Chine, tout en ne récusant pas le moratoire a indiqué que la Banque chinoise de développement, qui accorde des prêts de développement, n’était pas un prêteur officiel et devait donc être exclue de ce programme. Une prochaine réunion du G20 au mois de novembre est censée traiter le problème de la dette des pays les plus pauvres avec comme objectif une coordination des politiques des différents créanciers.
La crise sanitaire et économique déstabilise de nombreux pays pauvres qui dépendent de l’exportation des matières premières et de l’énergie. La baisse d’activité dans de nombreux pays occasionne un ralentissement du commerce international dont ils sont les premières victimes. La dépréciation de leur monnaie et l’augmentation des taux en raison de primes de risque en hausse provoquent de réels problèmes de remboursement pouvant amener des défauts de paiement. Les États avancés et émergents peinent pour le moment à élaborer des solutions communes comme dans les années 1980 et 1990.
Les décrocheurs et l’emploi, un chemin de croix ?
Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics entendent réduire le nombre de jeunes qui sortent sans diplôme de l’enseignement secondaire et qui ne trouvent pas de travail. Si, en moyenne, 122 000 jeunes sortaient du système éducatif sans diplôme ou avec au plus le brevet des collèges à la fin des années 2000, ce chiffre a été ramené, selon la direction statistique du Ministère du Travail à 90 000 par an en moyenne entre 2015 et 2018. 12 % d’une génération seraient néanmoins concernés. Les « décrocheurs » qui sortent du système éducatif sans diplôme se retrouvent durablement aux marges du marché du travail. En 2018, 67 % des jeunes de 16 à 25 ans sortis de formation initiale sans diplôme étaient sans emploi ni formation. En 2019, 47,1 % des jeunes sortis sans diplôme et ayant achevé leur formation initiale depuis 1 à 4 ans étaient toujours au chômage
Le Ministère du Travail a développé plusieurs programmes de soutien à ces jeunes. Ainsi, le plan d’investissement dans les compétences (PIC) lancé sur la période 2018-2022 vise à accompagner et former 1 million de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et 1 million de jeunes éloignés du marché du travail sur 5 ans. Plusieurs études ont, en revanche, remis en cause l’utilité des contrats aidés (Emplois d’avenir, Parcours emploi compétences), cumulant subvention à l’emploi et accès à la formation. Ces emplois ne permettraient pas une véritable sortie de l’échec professionnel. Les formations proposées en question ne conduisent pas toujours à une certification reconnue, et moins encore à un diplôme ou à un titre de niveau équivalent. Pour apprécier les capacités d’intégration des décocheurs, la DARES a effectué en 2018 un testing de cv de décrocheurs auprès d’employeurs. Le testing est une méthode utilisée généralement pour constater des comportements discriminatoires. Il permet de présenter des profils factices mais réalistes à un employeur, identiques en tout point sauf pour une caractéristique distinctive bien précise. La différence de traitement potentiellement observée entre les profils peut alors être imputée à ladite caractéristique. 10 938 candidatures ont été envoyées pour les métiers de cuisinier et de maçon. Après envoi de leur candidature, 27,9 % des candidats non-décrocheurs ont été rappelés par les recruteurs pour une demande d’information complémentaire, une proposition d’entretien ou une embauche. Le taux de rappel des jeunes décrocheurs restés principalement inactifs pendant 2 ans (sans expérience ni formation continue) est de 10 %. Les décrocheurs scolaires restés principalement inactifs pendant deux ans ont ainsi une probabilité d’être rappelés par un employeur, réduite de deux-tiers.
Le suivi d’une formation professionnel change la donne. Ainsi, le taux de rappel des candidats décrocheurs ayant obtenu un titre ou un diplôme en formation professionnelle continue est assez proche de celui des candidats ayant acquis une expérience professionnelle sans formation complémentaire. Une expérience professionnelle ou une formation professionnelle certifiante permet donc de compenser en partie le handicap lié au décrochage scolaire Quand les candidats disposent d’une expérience professionnelle et d’un CAP obtenu par une formation continue, leur situation se rapproche de celle des non-décrocheurs et environ un candidat sur quatre est rappelé (26,1 %). Les différences de taux de rappel entre les candidats décrocheurs et non-décrocheurs sont quant à elles globalement semblables quelle que soit la taille de l’entreprise. Une nuance est toutefois à apporter sur le fait que les entreprises avec plus de dix salariés favorisent moins les candidats sans diplôme. Le taux de chômage influe sur le taux de rappel des non-décrocheurs et des décrocheurs. Ainsi, dans les régions ayant un taux de chômage supérieur à la moyenne, le taux de rappel est bien plus faible. Il est divisé par près de deux.
Le temps de transport pour aller au travail, le lieu du domicile et la nature du contrat influent sur la probabilité de retrouver un travail pour les décrocheurs. Ils sont ainsi jugés peu à même d’occuper des postes de CDD, les entreprises exigeant une prise de fonction immédiate avec peu de temps de formation. Issus souvent de territoires en difficulté, les employeurs sont réservés sur leur capacité à s’intégrer dans leurs entreprises.
La France se caractérise par un nombre important d’actifs sans formation et ayant rompu depuis de nombreux mois tout lien avec le monde professionnel. Ce nombre est deux fois plus élevé qu’en Allemagne. Cette situation pose de nombreux problèmes économiques et sociaux. Elle est une des sources de la perte de contrôle de certains territoires et de l’essor de systèmes économiques parallèles qui trouvent à faible prix une main d’œuvre désœuvrée et fragile.
Comment sortir de l’enfer ?
Les 150 années qui courent du début du 19e siècle au mitan du 20e siècle furent marquées, en particulier pour l’Europe, par une série de conflits dévastateurs et par plusieurs épidémies dont l’intensité s’est effacée de la mémoire collective avec la fuite du temps. Des guerres napoléoniennes à la Seconde Guerre mondiale en passant par la Guerre de 1870 et par celle de 1914/1918, la violence est allée crescendo avec à la clef un nombre toujours plus élevé de victimes et de destructions. Si avant 1870, le pillage, les viols, la liquidation des femmes ainsi que des enfants et la politique de la terre brûlée étaient légions, avec la guerre franco-prussienne, il se double de démolition systématique du système productif du pays envahi. L’importance prise par l’industrie avec la production d’armement lourd explique cette évolution. Les armées prussiennes incendièrent de nombreuses usines et des villes afin de désorganiser l’économie et rendre impossible l’approvisionnement des fronts. Si dans le passé, les rois battus pouvaient être amenés à verser un tribut, que ce soit en 1870 ou en 1918, les montants demandés visaient à affaiblir durablement les pays militairement défaits. La France fut ainsi contrainte d’acquitter une réparation de guerre de 5 milliards de francs or. Le Gouvernement réussit à payer cette indemnité en deux ans, entraînant la fin de l’occupation prussienne. L’afflux d’argent en Allemagne provoqua la Grande Dépression (1873/1896).
Les leçons de la Première Guerre mondiale
En novembre 1918, la France est meurtrie dans sa chaire avec 1,4 millions de soldats tués, un sur cinq et par la mort de 200 000 à 400 000 civils auxquels il faut ajouter les victimes de la grippe espagnole (400 000 décédés essentiellement entre septembre et novembre 1918 durant la seconde vague). Financièrement, le pays est exsangue après cinq années de conflit. L’endettement public atteint 200% du PIB, soit deux fois plus qu’en 2020. La Première Guerre mondiale a entraîné de fortes destructions dans le Nord et l’Est de la France, le reste du pays fut en revanche peu touché. Plus de 620 villes et villages ont été détruits, de même que 300 000 bâtiments. 3 millions d’hectares agricoles ont été endommagés par les conflits. L’historien Fernand Braudel estime le coût de la reconstruction à plus de 35 milliards de franc-or. D’après l’historien Alfred Sauvy, la guerre a entraîné une explosion du rapport dépenses publiques/revenu national, atteignant en 1921 270 %. Les dépenses liées à la dette ont, de ce fait, fortement augmenté, représentant ainsi 1,6 % du revenu national en 1912, 4,9 % en 1920 et jusqu’à 7,3 % en 1923.
La loi de finances du 26 décembre 1914 consacra pour la première fois le droit individuel à une réparation des dommages subis du fait de la guerre. Les pays étrangers suivirent rapidement l’exemple français. Dès le 16 novembre 1917, un Ministère des Régions libérées avait été créé. Un ministère des dommages de guerre est institué à la fin du conflit dont les services persistèrent jusque dans les années 1960. En 1918, contre l’avis de Keynes, les Français imposent des réparations importantes à l’Allemagne afin de financer la reconstruction et pour l’affaiblir durablement. 132 milliards de marks or sont exigés. Le montant des annuités est fixé à deux milliards de marks or. Le plan de versement décidé en 1921 s’interrompt dès 1922. Poincaré est alors obligé d’accepter la renégociation des réparations. L’Allemagne est autorisée à emprunter sur 25 ans pour s’acquitter de ses dettes. Le remboursement des emprunts cesse avec la crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale. Le 27 février 1953, un accord est signé à Londres prévoyant de nouvelles modalités du remboursement des emprunts. La référence au mark or est supprimée permettant une économie de 40 %. En outre de nombreux titres papiers ont disparu durant la guerre. d’après-guerre réduisant d’autant les remboursements. Si la RFA accepta de s’acquitter du principal, elle refusa de payer seule les intérêts indiquant que la RDA devait également participer à l’effort. Le paiement des emprunts fut donc renvoyé à une hypothétique réunification. L’Allemagne réunifiée en 1989 accepta de respecter ses engagements afin de rassurer ses alliés. Le dossier du remboursement des réparations de la Première Guerre mondiale est clos depuis le 3 octobre 2010 avec le remboursement des dernières obligations Dawes et Young. Au total l’Allemagne aura remboursé 23 milliards de marks de 1918, soit 17 % du total initialement prévu . Ces réparations ont néanmoins permis à la France de dégager des excédents budgétaires dans les années 1920.
La reconstruction réussie de la Seconde Guerre mondiale
Pour la Seconde Guerre Mondiale, presque toute la France fut touchée par des destructions en raison du grand nombre de bombardements. La guerre concerna plus les civils que les militaires. 567 000 Français perdirent la vie dont plus de 350 000 civils. Des villes comme Le Havre, Caen, Brest, Saint-Nazaire, Saint-Lô, Rouen, Evreux, Amiens, Boulogne, Beauvais connurent des destructions massives. Rennes, Marseille et Toulouse n’échappèrent pas aux destructions. Cinq fois plus d’établissements industriels ont été endommagés qu’en 1914 et 1918 et quatre fois plus d’exploitations agricoles ont détruites. La dette de l’état est multipliée par 4 pour la France. Au total, 1,3 millions immeubles d’habitations ont disparu tout comme 534 000 exploitations agricoles ainsi que 160 000 bâtiments industriels et commerciaux. Les infrastructures routières et ferroviaires sont en grande partie détruites. 2 000 ouvrages d’art (tunnels, viaducs, ponts ferroviaires) sont à refaire, 20 000 km de voies ferrées sont inutilisables et 115 gares ont été détruite.
En mars 1946, le Plan estimait que les investissements de reconstruction et de modernisation cumulés atteignaient un total compris entre 1 000 et 1 200 milliards de francs de 1938, soit plus de trois fois le total du revenu national de 1 945, calculé en francs de 1 9388. En novembre, le Rapport général sur le premier plan de modernisation et d’équipement évaluait à 2 250 milliards de francs courants le financement des investissements nécessaires jusqu’en 1950, soit la nécessité théorique de consacrer chaque année le quart environ du revenu national prévisible à l’investissement. En octobre 1947, Jean Monnet, le Commissaire Général au Plan, souligne que la moitié des établissements industriels et commerciaux étaient reconstruits. L’Etat peut compter sur l’inflation pour effacer en partie la facture de la reconstruction et sur le plan Marshall. La France en fut le deuxième bénéficiaire derrière le Royaume-Uni avec 23 % du total des aides.
En France, le 1er décembre 1949, les derniers tickets de rationnement, sur le sucre, l’essence et le café disparaissent. Les Trente Glorieuses peuvent alors commencer ; elles prendront tout leur relief dans la décennie 1960. En 1962, le Ministre de l’Economie et des Finances, Valéry Giscard d’Estaing, peut se réjouir de ne plus avoir besoin de l’aide américaine au niveau du budget. La dette publique amorce une forte décrue et n’est plus que de 21 % en 1981.