Le Coin des Tendance
La génération Y, des épargnants d’un troisième type
Les jeunes actifs de moins de 35 ans ont une culture et des comportements qui se distinguent de leurs aînés par le simple fait qu’ils ont toujours connu le digital. Ils sont depuis leur prime enfance adeptes des jeux vidéo, des applications sur smartphone, de la musique et des films en ligne. À la différence de leurs aînés, leurs sources d’informations ne se sont pas limitées aux parents, aux professeurs, à la presse et à quelques chaînes de télévision. Les réseaux sociaux, les moteurs de recherche ont pris une place majeure dans leur vie quotidienne. Moins friands de téléphone, ils privilégient les messageries instantanées et la communication via des photos et des vidéos. Par ailleurs, l’éducation scolaire et universitaire est de moins en moins fondée sur l’écrit, sur la culture générale ; Sciences Po a ainsi abandonné son examen d’entrée et ses épreuves de culture générale.
Ce changement de culture et de formation n’est pas sans incidence sur leur comportement en tant qu’acteur financier des milleniums. Leur rapport à l’argent est beaucoup plus décomplexé que celui de leurs aînés. Ils recourent à de multiples canaux pour investir. Ainsi, sur TikTok, le réseau social de mini-vidéos chinois, des milliers de traders amateurs prodiguent des conseils d’investissement. Ils trouvent également des conseils sur le site Reddit (classé 20e site web le plus populaire au monde et le 6e aux États-Unis, Reddit est un site web communautaire américain d’actualités sociales fonctionnant via le partage de signets permettant aux utilisateurs de soumettre leurs liens et de voter pour les liens proposés par les autres utilisateurs). Les jeunes épargnants plébiscitent également l’application d’investissement « Robinhood », sur laquelle ils peuvent accéder à des produits sophistiqués comme des dérivées d’actions.
Depuis le début de la crise sanitaire, les digital nativ sont plutôt pro-actifs. Ils sont plus joueurs que leurs aînés et ont exploité la baisse des cours du mois de mars pour réaliser des achats. En France, au cœur de la crise sanitaire, l’Autorité des Marchés Financiers a estimé à plus de 150 000 le nombre d’actionnaires, essentiellement jeunes, qui ont profité de la baisse des cours pour investir sur le marché « actions ». Dans les prochaines années, ce mouvement devrait s’amplifier. Les digital nativ représentent de 30 à 33 % de la population des pays avancés. Leur poids économique et financier se renforce d’année en année même s’ils sont en retard par rapport à leurs aînés. Leurs difficultés d’insertion et le coût de l’immobilier expliquent ce retard. Aux États-Unis, ils possèdent 9,1 milliards de dollars d’actifs, à peine 7 % du total. D’ici 2030, ce patrimoine devrait augmente assez fortement sous réserve que la crise actuelle ne change la donne. D’ici 2042, l’augmentation du nombre de décès chez les baby-boomers entraînera un transfert important de capital au profit de générations plus connectées. Tous les cinq ans, 5 % du patrimoine des ménages est transmis par succession. Ce taux devrait augmenter entre 2030 et 2060, le nombre de décès devant passer de 600 000 à 700 000 par an.
Les milleniums sont plus sensibilisés que leurs aînés à la question du financement des retraites. Ils sont méfiants à l’encontre des solutions collectives. Ils seront enclins à se constituer des suppléments individuels d’épargne retraite. Par ailleurs, habitués à l’instantanéité des jeux vidéo, ils sont naturellement plus adeptes des algorithmes pour gérer leur épargne. La démocratisation du trading électronique devrait avoir des conséquences sur la manière de placer son argent dans les prochaines années. Le coût d’un investissement de 100 euros en bourse est passé de 6 dollars en 1975 à moins d’un millième de centimes d’euros aujourd’hui. Plusieurs plateformes destinées au grand public proposent leurs services sans frais. Aux États-Unis, quatre grandes plateformes de commerce de détail – Charles Schwab, E*Trade, Fidelity et td Ameritrade – proposent une gestion sans commission tout comme Robinhood. Cette dernière plateforme est celle qui est préférée par les 30/40 ans aux États-Unis selon une étude BlacRock. La génération « smartphone » entend gérer son argent sans contact en quelques clics dans le métro ou à la maison. Aux États-Unis, l’âge moyen des utilisateurs des nouvelles plateformes de gestion de son épargne est de 35 ans. Selon le gestionnaire BlackRock, quatre milléniums sur cinq sont prêts à utiliser les robots et à ne plus passer par un conseiller. La question du rôle de ce dernier se pose pour cette génération. La montée en gamme avec le montage d’opérations complexes est la planche de salut, ce qui suppose de pouvoir faire le service.
Aux États-Unis, les établissements traditionnels multiplient les rachats de fintech afin de rattraper leur retard et de maitriser ce marché en plein essor. Ainsi, en 2019, Morgan Stanley a acheté Solium qui gère l’acquisition d’options d’achat d’actions pour les travailleurs de la technologie. Selon le cabinet de conseil Accenture, cette adaptation à la nouvelle donne est impérative car, à terme, les acteurs classiques de la finance pourraient perdre un tiers de leurs activités. Ils doivent en outre intégrer le fait que les jeunes générations sont sensibles à la question environnementale. Selon Morgan Stanley les moins de 35 ans sont deux fois plus susceptibles que les autres de refuser un placement (actions, fonds) s’ils considèrent qu’il est contraire à un développement durable sur le plan environnemental ou social.
Les générations nées au tournant du siècle ont, en moins de
vingt ans, subi trois crises, celle des subprimes, celle des dettes souveraines
et celle du covid-19. Elles ont freiné leur ascension professionnelle. Par
ailleurs, en raison de l’appréciation des actifs immobiliers et financiers,
dans un contexte de faible inflation, la constitution d’un patrimoine a été
rendue plus difficile. Comparés aux générations précédentes, les milleniums ont
un rapport au jeu et à l’argent différent. Leur approche des relations humaines
est également différente. Nourris à Google et aux réseaux sociaux, ils sont
moins enclins à croire un conseiller ou d’un aîné. La reconnaissance de
« l’expert » est moins naturelle que dans le passé. L’effet noria des
générations oblige le secteur financier à intégrer ses nouvelles règles du jeu
et à diffuser des techniques qui étaient réservées aux spécialistes des marchés
tout en faisant monter en gamme l’expertise.
La démocratie face aux réseaux sociaux
Avec des milliards d’abonnés, les réseaux sociaux sont devenus des forums planétaires jouant le rôle de caisse de résonnance, source d’information pour des milliards de personnes pour le meilleur et le pire. Concurrençant les médias traditionnels tout en ne disposant pas de réelles lignes éditoriales, ils sont aujourd’hui accusés de favoriser l’essor d’actes terroristes ou d’être le vecteur de comportements illégaux. La décapitation de Samuel Paty a révélé qu’ils pouvaient jouer le rôle de catalyseur pour le passage à l’acte de terroristes. Depuis une vingtaine d’années, les pouvoirs publics peinent à trouver des solutions pour réguler sans instituer une censure sur ces moyens d’expression publique.
Dans le passé, tous les moyens de communication ont donné lieu à une réglementation afin de réguler la teneur de certains contenus. La diffamation par voie de presse, la notion de crimes et délits par voie de presse, sont susceptibles de poursuite judiciaire. En France, la réglementation date de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Cette réglementation pose la question de la censure. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen fixait déjà le cadre. Son article 10 souligne que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » quand son article 11 précise que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas prévus par la loi. ». La restriction de la liberté d’opinion au nom de la morale publique ou pour raison politique s’est exprimée de différentes manières. La censure a été dans un premier temps de nature religieuse. La lutte contre la diffusion des écrits issus des églises réformées a été importante au cours du XVe siècle. La censure a concerné les livres et les pièces de théâtre comme celles de Molière. La télévision a été fortement contrôlée en France jusque dans les années 1970. Le cinéma a également fait l’objet de contrôles. Ainsi, une commission de contrôle des films cinématographiques a été instituée le 3 juillet 1945. Plus 3 000 longs-métrages ont été censurés de 1945 à 1975. 405 œuvres ont été totalement interdites, quand d’autres ont subi des coupes tels Easy Rider ou Orange mécanique.
Après son élection à la Présidence de la République, Valéry Giscard d’Estaing décida de limiter la censure en vigueur pour le cinéma et la télévision. Ce choix correspondait à sa vision d’une société plus libérale, plus apaisée.
Les livres font également l’objet d’un contrôle, leur diffusion passant par l’attribution d’un numéro d’enregistrement. La censure y a toujours été plus discrète, les pouvoirs publics pouvant intervenir sur les diffuseurs. Néanmoins, durant la Guerre d’Algérie, plus livres ne purent être publiés. 25 ouvrages ont été ainsi interdits en 1961.
La montée en puissance rapide d’Internet et des réseaux sociaux a surpris les pouvoirs publics qui ont adapté leur législation au fil de l’eau. La possibilité à tout un chacun de diffuser des données, écrites, vidéos, etc., a démultiplié le nombre d’émetteurs qui pour un nombre non négligeable restent anonymes. La question de la responsabilité des plateformes n’est pas réglée. Sont-elles de simples canaux ou ont-elles un rôle d’éditeur ? Même si elles récusent ce rôle, dans les faits, en censurant selon des codes pas toujours transparents tel ou tel compte, elles jouent bien une fonction de contrôle des contenus. Au nom de cette fonction, Twitter n’a-t-il pas censuré le Président des États-Unis ? Facebook interdit les photos de nus quand, en revanche, Twitter les publie. Cette différence de traitement prouve que chaque réseau a sa propre ligne éditoriale.
L’instauration d’une réglementation encadrant la liberté d’expression sur Internet donne lieu à de nombreuses oppositions de la part des opérateurs, des plateformes, d’associations ou d’influenceurs. La France a adopté, depuis 2004, de nombreuses lois afin de lutter contre les contenus pédopornographiques, et ceux liés au terrorisme, à la violence ou à la haine. La loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004 et la loi sur les droits d’auteur ont été contestées notamment par le Parlement européen. La loi HADOPI de 2009 permet de sanctionner des internautes de télécharger du contenu illégal. La loi LOPPSI 2 a autorisé la création d’une liste noire recensant tous les sites web pédopornographiques, établit par le ministère de l’Intérieur, que les fournisseurs d’accès à Internet se devront de bloquer. En 2011, le Conseil constitutionnel français valide l’Article 4 de la loi LOPPSI 2, permettant le filtrage des données consultées par les Internautes. Depuis la recrudescence des actes terroristes à partir de 2015, les pouvoirs publics ont accru leur contrôle sur Internet. Le 13 mai 2020 a été définitivement adoptée par l’assemblée nationale la proposition de loi contre les contenus haineux sur Internet aussi appelée Loi Avia, destinée à retirer des contenus terroristes et pédopornographiques. Les contenus concernés doivent selon les termes de la loi être retirés sous 24 heures des principaux réseaux sociaux, des plates-formes collaboratives et des moteurs de recherche. Le 18 juin 2020, le Conseil constitution a déclaré une grande partie de cette loi anticonstitutionnelle en raison des larges pouvoirs qu’elle donnait à l’administration en dehors de toute intervention judiciaire. Si la France reste un des pays qui respecte le plus la liberté d’expression en ligne, l’association « Freedom House » estime que cette dernière a fortement reculé ces cinq dernières années. La France est passée de la 6e à la 12e place en ce qui concerne la liberté d’Internet.
La décapitation de Samuel Paty a relancé le débat sur le contrôle des réseaux sociaux. La ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, souhaite que le Parlement européen adopte rapidement un texte en cours de discussion sur le retrait des contenus terroristes en ligne et demande un durcissement des règles concernant la diffusion de messages haineux. La question de la responsabilisation des plateformes est directement posée. Ces dernières tentent de désamorcer le problème en mettant en avant la surveillance qu’elles opèrent depuis plusieurs années. Les dirigeants de Twitter avaient l’habitude de plaisanter en disant qu’ils étaient « l’aile de la liberté d’expression du parti de la liberté d’expression». Cette neutralité est de plus en plus relative. Les contrôles par algorithmes se multiplient. Facebook supprime deux fois plus de messages en 2020 qu’en 2018 sur le thème de la lutte contre la haine. Chaque jour, sur ce réseau, plus de 17 millions de faux comptes sont supprimés, plus du double du nombre d’il y a trois ans. YouTube, la plate-forme vidéo appartenant à Google qui compte environ 2 milliards d’utilisateurs mensuels, a supprimé 11,4 millions de vidéos au cours du troisième trimestre 2020, ainsi que 2,1 milliards de commentaires d’utilisateurs, contre 166 millions de commentaires au deuxième trimestre 2018. Avec une base plus petite d’environ 350 millions d’utilisateurs, Twitter a supprimé 2,9 millions de tweets au cours du second semestre de l’année 2019, soit plus du double du montant un an plus tôt. TikTok, un acteur chinois de courtes vidéos, a effacé 105 millions de clips au cours du premier semestre de cette année, soit deux fois plus qu’au cours des six mois précédents.
La suppression des messages indésirables est réalisée par intelligence artificielle. Plus de 99 % des messages de nudité enfantine supprimés par Facebook le sont automatiquement par reconnaissance visuelle avant que quiconque les ait signalés. En revanche, les robots peinent à supprimer les messages haineux. Ils peuvent également effacer des messages aucunement licencieux. Il y a deux ans, le logiciel de contrôle de Facebook a supprimé un élément de texte de la Déclaration d’indépendance car il contenait des mots à résonance raciste. Les réseaux emploient de plus en plus de personnes pour éviter la multiplication des erreurs d’interprétation des messages. Ainsi, Facebook dispose de 35 000 salariés pour modérer le contenu. Accusés d’influencer le résultat des élections, les réseaux sociaux entendent de plus en plus éviter la diffusion de « fausses informations (fakenews). Facebook a annoncé avoir embauché des contrôleurs parlant le swahili, l’amharique, le zoulou, le somali, l’oromo et l’haoussa, avant les élections africaines. Les algorithmes sont adaptés pour prendre en compte de nouvelles langues. La majorité des réseaux refusent la publicité politique durant les campagnes électorales. Twitter a interdit la publication de tweets du Président américain ou les a accompagnés d’un signalement soulignant leur caractère mensonger. Les frontières avec la censure sont de plus en plus fines. En Chine, les autorités restreignent la diffusion des réseaux occidentaux qui refusent de se plier aux règles du contrôle social.
Avec des milliards d’affiliés, les réseaux sociaux sont devenus des puissances médiatiques et économiques. Agissant au-delà des frontières, ils sont des acteurs de la vie politique et sociale des pays. Ils sont des accélérateurs de diffusion des informations. Ils sont à la base des nouveaux mouvements sociaux comme la crise des « gilets jaunes » l’a prouvé. La régulation de ces nouveaux moyens de communication tend à s’accroître même si les Gouvernements éprouvent des difficultés morales, juridiques et techniques à le réaliser. Outils de liberté d’expression dans les années 2000 et 2010, les réseaux sociaux présentent un risque évident du fait de leur possible transformation en instruments de contrôle des comportements. L’administration fiscale, en France, les utilisent pour lutter contre la fraude sociale. Les services de renseignement s’en servent pour surveiller des personnes susceptibles de réaliser des actes de terrorisme ou pouvant menacer l’ordre public. En Chine, ils sont scrutés pour éviter toute déviance politique.