Le Coin de la Conjoncture
L’inondation monétaire
Les pays de l’OCDE sont aujourd’hui confrontés à une inondation monétaire avec la croissance très rapide de l’offre de monnaie due à la monétisation des déficits publics. De 2002 à 2020, la base monétaire est passée de 2 000 à 20 000 milliards de dollars pour les pays de l’OCDE. Les montants respectifs sont pour la masse monétaire de 15 000 à 25 000 milliards.
Une augmentation massive de la monnaie disponible provoque, selon Patrick Artus, un rééquilibrage de portefeuille. Les agents économiques réinvestissent l’excès de monnaie afin de maintenir le poids de chaque classe d’actifs relativement constant. Comme le poids des obligations augmente avec l’endettement croissant des acteurs, les investisseurs privilégient les actions et la pierre afin de ramener la structure de portefeuille à la normale. Cela conduit à l’augmentation du prix des actifs immobiliers et des actions. La sortie de crise espérée en 2021 devrait s’accompagner d’une diminution de l’aversion au risque. Logiquement, elle devrait aboutir à une hausse des taux d’intérêt mais la politique des banques centrales devrait au contraire conduire à les maintenir bas, favorisant une hausse des cours boursiers. La réaction des marchés après les annonces sur les vaccins des laboratoires Pfizer-BioNTech, Moderna et AstraZeneca-Oxford University, a provoqué une forte hausse des cours, facilitée par l’abondance de monnaie. Au niveau de l’OCDE, les indices boursiers sont en hausse de 10 points par rapport à leur niveau du 1er janvier 2020. Pour le S&P, la hausse est de 15 %. l’Eurostoxx reste en retrait de 3 points en raison de la moindre présence des valeurs technologiques. Néanmoins, ce dernier a progressé de 10 points depuis les annonces relatives aux vaccins. En sortie de crise, le phénomène d’appréciation des cours boursiers pourrait donc s’accélérer avec un risque évident de constitution d’une bulle boursière.
En attendant 2021, quoi de neuf docteur ?
La grande récession de 2009 sera ravalée au rang de vague quand celle de 2020 pourra être assimilée à un tsunami. Il est certes trop tôt pour apprécier l’importance des dégâts en raison du caractère inédit de cette crise, cependant c’est la première fois que toute la planète a été confrontée, au même moment, à une épidémie et, par effet ricochet, à une récession provoquée par la mise sous cloches généralisée de l’économie afin de restreindre les contacts. Dix mois après les premiers confinements, l’économie évolue au rythme de l’épidémie. Les médecins sont devenus les maîtres des horloges de l’économie. Leurs préconisations guident l’action des pouvoirs publics dans tous les pays.
L’épidémie de Covid-19, comme celles qui l’avaient précédée, est marquée par des phases de flux et de reflux imputables aux mesures prises et, a priori, au climat. La mise en place de grands programmes de vaccination devrait commencer à avoir une incidence positive sur la pandémie à partir du deuxième semestre 2021. Pour éradiquer la maladie, un taux de vaccination de 95 % serait nécessaire (taux admis par la communauté médicale en matière d’éradication de la rougeole). Un tel taux sera difficile à atteindre sans le passage par une obligation vaccinale. Quoi qu’il en soit, l’année 2020 donnera lieu à un recul du PIB d’au moins 10 % et le premier semestre 2021 devrait encore donner lieu à des mesures restrictives touchant, en priorité, les secteurs du tourisme et des loisirs.
Les montagnes russes de la croissance
L’économie française est en régime montagnes russes. Après un recul d’un cinquième de son PIB à la fin du deuxième trimestre par rapport au quatrième trimestre 2019, l’écart avait été ramené à 3,7 % grâce au fort rebond du troisième, avant de repartir à la hausse au cours du dernier trimestre. Le deuxième confinement a freiné l’activité mais de manière moindre que lors du premier. Le recul est évalué, selon l’INSEE dans son dernier point de conjoncture, à 12 % contre 31 % en avril dernier. La perte d’activité en décembre en raison du maintien de la fermeture des bars et restaurants ainsi que des lieux de loisirs (cinémas, théâtre, salles de sports, etc.) serait de 8 %. Pour l’ensemble du trimestre, elle serait également de 8 %. Selon des données à fréquence rapide (déplacements, paiements par carte bancaire, consommation d’électricité ou de gaz à domicile, etc.), la reprise d’activité aurait été forte dès la réouverture des commerces le 30 novembre avec de nombreux déplacements et achats de la part des ménages.
Dans ce contexte, l’INSEE estime que le recul du PIB pour l’année 2020 s’établirait à 9 %. Pour 2021, l’organisme statistique prévoit que le déficit d’activité par rapport à la période d’avant crise serait ramené à 5 % au premier trimestre, puis à 3 % au deuxième. Il parie sur un acquis de croissance de 6 % pour le premier semestre. Si la situation épidémiologique se stabilisait à la fin du premier trimestre 2021, le deuxième confinement serait effacé sur le plan économique. L’économie tournera à 95 % au premier trimestre 2021 et 97 % au deuxième par rapport à son rythme de fin 2019. Le PIB rebondirait ainsi de +3 % au premier trimestre 2021, puis de +2 % au deuxième. L’inflation, quasi nulle fin 2020, devrait légèrement augmenter d’ici juin 2021. Pour l’ensemble de l’année 2020, le PIB reculerait de 9 à 11 % quand il augmenterait de 5 à 6 points en 2021.
Cercle de l’Épargne – données BdF, Ministère de l’Économie et OFCE
Au troisième trimestre, la France a enregistré un des plus forts taux de croissance de l’OCDE, +18,2 %, après un recul très important de son PIB au deuxième trimestre (-13,7 %). Ce résultat a prouvé les capacités de résilience de l’économie française avec, à son actif, une forte flexibilité. La forte croissance du troisième trimestre a été rendue possible par les mesures de soutien des pouvoirs publics qui ont notamment permis de maintenir, en grande partie, le niveau de vie de la population. Les revenus des ménages auraient baissé de 5 % quand le PIB serait en diminution de plus de 10 points sur l’année. Au-delà de ces résultats conjoncturels, la crise a modifié en profondeur le comportement des acteurs économiques.
Les ménages même s’ils ont diminué leur effort d’épargne au troisième trimestre n’ont pas puisé dans leur cassette « Covid-19 ». Le taux d’épargne est passé de 26,7 à 16,5 %. Il devrait remonter autour de 18 % pour le troisième trimestre. Les dépenses de consommation ont retrouvé leur rythme de croisière mais sans phénomène de rattrapage. Leurs dépenses d’investissement sont inférieures de 5 points à leur niveau d’avant crise. Une forte contraction des mises en chantier est intervenue avec le début de la crise, contraction qui n’a pas été compensée depuis.
La France évolue en mode dégradé depuis dix mois. Si l’embellie du troisième trimestre témoigne d’une capacité de rebond, elle souligne également que des pans entiers de l’économie sont en souffrance conjoncturelle et structurelle. Les secteurs les plus à la peine sont ceux de l’énergie, des industries extractives, du raffinage, des matériels de transport, de l’hébergement-restauration et des services de loisirs. Par réduction de leurs recettes ou par l’arrêt des commandes des entreprises, les secteurs de l’information et de la communication ainsi que celui des services aux entreprises n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant crise.
Une consommation en dents de scie
La consommation des ménages, principale composante de la demande, devrait être en recul de 7 % sur l’année 2020 et contribuerait pour environ 4 points à la baisse du PIB. Au mois de novembre, la consommation s’est contractée de 15 %, soit deux fois moins qu’en avril. La consommation des ménages, qui aurait chuté en novembre à 15 % sous son niveau d’avant-crise, comblerait en décembre près des deux tiers de cet écart pour revenir à 6 % sous le niveau du quatrième trimestre 2019.
Une situation toujours confuse au niveau de l’emploi
Après le rebond vigoureux observé au troisième trimestre (+400 000 créations nettes entre fin juin et fin septembre), l’emploi salarié reculerait à nouveau au quatrième trimestre (-300 000 prévu). La population active se contracterait également du fait que des personnes ont dû arrêter de rechercher un emploi. Dans ce contexte particulier, une nouvelle baisse en trompe-l’œil du taux de chômage serait alors observée (8 % prévu en fin d’année, après 9 % au troisième trimestre). Entre le quatrième trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2020, 600 000 emplois salariés (700 0000 en incluant les non-salariés) seraient détruits, soit 2,3 % du niveau d’avant-crise. La difficile appréciation de la situation de l’emploi aboutit à des prévisions très disparates de la part des grands centres d’analyse de la conjoncture.
Cercle de l’Épargne – données BdF, Ministère de l’Économie et OFCE
Les entreprises au milieu du gué
Après avoir atteint un taux de 33 % en 2019 dans le barème des cotisations sociales, notamment grâce au CICE, le taux de marge des sociétés non financières (SNF) devrait s’établir à 29,4 % en moyenne en 2020. La chute de l’activité a conduit à accroître la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée des entreprises, ce qui a pesé sur le taux de marge. Cet accroissement a été limité par le dispositif d’activité partielle, qui a permis aux entreprises d’adapter leur masse salariale à leur niveau d’activité, tout en préservant les emplois concernés. Le fonds de solidarité a contribué à augmenter les subventions reçues par les entreprises en apportant une aide financière aux petites et moyennes entreprises touchées par une forte baisse d’activité. Dans le contexte du deuxième confinement, cette mesure a été renforcée : les entreprises éligibles peuvent désormais recevoir soit jusqu’à 10 000 euros, soit jusqu’à 20 % de leur chiffre d’affaires de 2019 dans la limite de 200 000 euros par mois.
Au niveau des secteurs d’activité, l’industrie a été moins touchée par le second confinement que par le premier. Le retour à la normale se poursuit avec néanmoins des écarts entre les différents secteurs. Ainsi, la construction aéronautique et celle des automobiles sont toujours en net retrait. Dans les services, les hétérogénéités seraient plus accentuées. En novembre, le recul lié au deuxième confinement est moindre qu’en avril mais néanmoins marqué, sauf évidemment pour la restauration et les bars qui sont toujours fermés. Pour l’INSEE, la reprise de l’activité conduirait la plupart des services à se situer en juin 2021 à moins de 3 % de leur niveau d’avant-crise. La perte d’activité pour les activités touristiques serait de 10 % par rapport à la période d’avant crise à fin juin 2021 et sous réserve d’une réouverture en janvier.
L’investissement des entreprises serait en baisse de son côté de 9 %. La contribution du commerce extérieur à l’évolution du PIB serait également négative, à hauteur de -2 points, la chute des exportations étant plus prononcée que celle des importations (-18 % et -11 % respectivement).
Le chemin de la croissance demeure donc incertain pour l’année 2021 avec un premier trimestre difficile à gérer, l’éclaircie escomptée se dessinant plutôt à partir de l’été. La France comme les autres pays occidentaux devrait donc supporter une année pleine marquée par l’épidémie. Au regard des expériences passées, cette durée est assez courte. Les principales pandémies ont, en moyenne, duré au moins deux ans. 2021 sera surtout l’année de la vaccination de masse, condition sine qua non pour retrouver le plus rapidement possible une vie normale. Avec des élections départementales et régionales au mois de juin, la perspective de l’élection présidentielle de 2022, l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche ainsi que le changement de chancelier en Allemagne, l’année prochaine sera également sensible sur le plan de la politique et des relations internationales.
Le moral revient après le deuxième confinement
Selon les chefs d’entreprise interrogés par l’INSEE entre le 27 novembre et le 14 décembre 2020, le climat des affaires en France s’améliore après la forte baisse enregistrée avec le deuxième confinement. L’indicateur qui le mesure s’accroît de 12 points. À 91, il retrouve son niveau d’avant le deuxième confinement (entre 90 et 92), tout en restant nettement au-dessous de sa moyenne de longue période (100). Le climat des affaires évolue au rythme des confinements. Compte tenu du contexte sanitaire et économique, il apparaît assez résilient. Les chefs d’entreprises demeurent relativement optimistes sur la capacité de rebond de la croissance.
Les chefs d’entreprise sont nettement moins pessimistes qu’en novembre sur l’activité à venir pour les trois prochains mois, qu’il s’agisse de l’activité de leur secteur dans son ensemble ou de celle de leur propre entreprise. Ce mouvement s’observe dans tous les secteurs interrogés en décembre (industrie manufacturière, services, bâtiment et commerce de détail). Dans le même temps, les soldes d’opinion relatifs à l’activité récente baissent dans l’industrie manufacturière, les services et surtout dans le commerce de détail, en lien avec le confinement instauré fin octobre.
Le climat de l’emploi s’améliore également. À 86, il gagne deux points par rapport à novembre mais continue de se situer très en deçà de son niveau d’avant-crise (au-dessus de 105). Ce petit rebond est principalement dû à la hausse des soldes d’opinion sur les effectifs prévus dans le secteur tertiaire – en particulier le commerce de détail et les services hors intérim – et, dans une moindre mesure, dans l’industrie manufacturière. Toutefois, la baisse du solde sur les effectifs passés dans les services hors intérim limite ce rebond.
Cercle de l’Épargne – données INSEE
Une réduction limitée du pouvoir d’achat des ménages français
Selon l’INSEE, les revenus d’activité des ménages reculeraient de 4,7 % du fait de la diminution du nombre de CDD et de la baisse du temps de travail (chômage partiel, arrêts maladie pour garde d’enfants). La réduction du nombre d’heures supplémentaires pèserait sur les revenus professionnels. La masse salariale brute baisserait ainsi de 4,8 % sur l’année. Après avoir rebondi au troisième trimestre, (+13,1 %), la masse salariale brute se contracterait à nouveau au quatrième trimestre, du fait de la chute d’activité liée au deuxième confinement. L’ampleur de la contraction de la masse salariale (-2,4 %) resterait cependant bien moindre qu’au deuxième trimestre 2020 (-10,8 %). En 2020, l’excédent brut d’exploitation des entrepreneurs individuels baisserait de 4,4 %.
Les revenus de la propriété continueraient quant à eux leur chute au quatrième trimestre (-3,5 % prévu, après -1,7 % au trimestre précédent). Au total, la baisse atteindrait 15,9 % sur l’ensemble de l’année 2020, principalement en raison des moindres versements de dividendes et de la baisse des taux d’assurance-vie. À contrario, les prestations sociales auront contribué à soutenir le niveau de vie des ménages. Elles auraient connu une progression de 8,5 % après une hausse de 3,1 % en 2019 marquée par le plan « gilets jaunes ». Le dispositif de chômage partiel a contribué à réduire la perte de revenus des salariés tout comme les indemnités journalières telles que les arrêts maladie ou les gardes d’enfants, et les aides exceptionnelles. Par ailleurs, plusieurs décisions ont permis d’améliorer le pouvoir d’achat de plusieurs catégories de Français (détenteur de minimas sociaux, l’aide de 900 euros pour les travailleurs précaires et les jeunes à partir de novembre 2020, la prime de Noël). En moyenne annuelle, le pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages ne baisserait « que » de l’ordre de 0,3 % en 2020. Par unité de consommation, le pouvoir d’achat des ménages reculerait d’environ 1 % en 2020, soit un montant très faible au regard de la contraction du PIB qui a été avant tout prise en charge par l’État, les régimes sociaux et les entreprises.
Quand les défauts de paiement ne sont pas au rendez-vous
Un fort recul du PIB d’un pays s’accompagne logiquement d’une forte progression des défauts de paiement de la part des entreprises voire des ménages. Une contraction du PIB de grande ampleur signifie avant tout une diminution de la production consommée au niveau national. Deux autres composantes interviennent dans le PIB : le commerce extérieur et les variations de stocks. Mais leur influence est moindre. La diminution de la consommation génère moins de recettes pouvant amener des entreprises à ne pas pouvoir s’acquitter de leurs dettes. L’augmentation du chômage liée à la sous-activité peut provoquer le même phénomène pour les ménages. Compte tenu des niveaux élevés d’endettement, la crainte d’une multiplication des défauts de paiement est prise en compte par les pouvoirs publics et, en premier lieu, par la Banque centrale européenne ainsi que par la FED.
Pour le moment, contrairement aux précédentes crises, la baisse du PIB ne provoque pas une hausse du taux de défaut. Aux États-Unis, le taux de défaut Yield est de 8 % quand il devrait se situer entre 10 et 13 %. Pour la zone euro, il s’élève à 4 % quand il devrait être entre 6 et 9 %. Cet écart s’explique par les aides publiques dont bénéficient les entreprises que ce soit à travers les prêts garantis, les subventions et les baisses d’impôt et de charges.
En période de crise, les banques augmentent leurs taux pour faire face à d’éventuels défauts de paiement. Dans la mesure où ces derniers sont pour le moment faibles et l’économie bénéficie du soutien public, les taux restent bas. Logiquement, ces derniers devraient être de 180 à 200 points de base supérieurs à leur niveau actuel. Les interventions des banques centrales rendent moins cyclique la prime de risque. Une déconnexion s’opère entre le taux d’utilisation des capacités de production, le taux d’endettement, les taux d’intérêts et le taux de défaut. Les lois traditionnelles de l’économie sont mises ainsi entre parenthèses, du moins pour le moment. La gestion de l’atterrissage sera un exercice périlleux pour éviter la survenue d’une crise bancaire faisant suite à la crise économique générée par la Covid-19. Une augmentation des liquidations et du chômage en 2021 pourrait provoquer un mouvement de hausse rapide et important afin de compenser les risques pris par les banques en 2020. Un tel mouvement pourrait casser l’élan de la reprise. Les banques centrales veilleront à éviter une hausse des taux qui pourrait plonger les pays dans une récession et une déflation.