Le coin de la conjoncture – transition énergétique – Asie –
Les multiples facettes de la transition énergétique
Dans le cadre des Accords de Paris, l’Union européenne a pris l’engagement d’atteindre une neutralité carbone d’ici 2050. Pour atteindre cet objectif, l’Europe doit supprimer sa consommation de charbon, réduire de 85 % celle de pétrole et de 55 % celle de gaz naturel. Le processus de transition énergétique devra s’accélérer dans les prochaines années sachant que lors de ces dix dernières années, la zone euro a réduit de 20 % ses émissions de CO2. De 1990 à 2020, sur le plan énergétique, la zone euro a réduit sa consommation de charbon de 60 % et celle de pétrole de 5 %. En revanche, la consommation de gaz a augmenté de 55 %. Sur la même période, la part de l’énergie renouvelable est passée de 1 à 11 % de l’énergie totale produite.
Selon les calculs de l’économiste Patrick Artus, le besoin d’investissement au niveau de la zone euro nécessaire pour substituer les énergies renouvelables aux énergies fossiles serait de 1 600 milliards d’euros, soit une cinquantaine de milliards d’euros par an ou 0,5 % du PIB. Ces investissements représentent un tiers de ceux indispensables pour réaliser la transition énergétique, le reste étant consacré à l’isolation, aux changements d’infrastructures dans les transports ou dans la production de biens industriels, etc. Les pays de la zone euro devraient consacrer entre 1,2 et 1,5 % de leur PIB chaque année à la transition énergétique. Compte tenu de l’excès d’épargne de la zone euro, ce montant apparaît en l’état supportable sous réserve que les agents économiques acceptent de financer des investissements dont la rentabilité s’exprime sur le long terme.
La transition énergétique modifie en profondeur les chaînes de valeur au niveau du système productif et le budget des ménages. Elle provoque une obsolescence d’équipements industriels et d’infrastructures. Ainsi, les entreprises automobiles démantèlent leurs chaînes de production de moteurs diesel et doivent investir dans la fabrication de batteries et de piles à hydrogène. Renault a ainsi conclu un accord avec l’entreprise américaine Plug Power pour développer ces piles qui pourraient équiper les utilitaires dans les prochaines années. Les fournisseurs d’électricité et de gaz ainsi que les compagnies pétrolières sont amenés à revoir leur politique d’investissement et à fermer certaines unités trop émettrices de CO2.
Les importations d’énergie diminuent depuis plusieurs années et ce phénomène devrait s’accélérer. Elles sont passées de 5 à 2 % du PIB de 2008 à 2020. Cette baisse est imputable à un effet volume mais surtout à un effet prix en raison de la chute des cours du pétrole et du gaz. La production énergétique sera d’origine plus nationale dans les prochaines années, ce qui devrait réduire les ressources de certains pays émergents. Ces derniers sont aujourd’hui plutôt des moteurs de la croissance mondiale en achetant de nombreux équipements et biens de consommation d’autant plus que leur population augmente. La réduction de leurs importations pourra avoir des conséquences pour certaines filières économiques au sein des pays avancés (automobile, luxe, agro-alimentaire). La Chine profite de la transition énergétique en étant un fournisseur important des cellules solaires et des batteries. En revanche, l’Europe produit 80 % des éoliennes installées sur son territoire.
La décarbonisation de l’énergie génère d’importants surcoûts. Le prix réel des énergies renouvelables reste, en moyenne, trois fois plus élevé que les énergies fossiles. Une des raisons majeures de cet écart provient de l’intermittence de la production (le solaire produit 15 % du temps, l’éolien onshore 30 %, l’éolien offshore 50 %). Face au risque de sous-production, les producteurs d’énergie électrique sont obligés de disposer de capacités de production excédentaires (centrales thermiques classiques) et de structures de stockage (batteries, production d’hydrogène). Le surcoût des énergies renouvelables est aujourd’hui masqué par les aides abondantes des pouvoirs publics. Avec leur massification, leur prix devrait diminuer mais cela exigera plusieurs années. Pour l’Union européenne, le recours croissant aux énergies renouvelables est susceptible de dégrader la compétitivité des entreprises, les autres zones économiques étant moins avancées dans la transition énergétique. Les consommateurs d’énergie, entreprises et particuliers, sont potentiellement les perdants de la transition. Pour le moment, la France est plutôt dans une situation avantageuse grâce au poids du nucléaire dans la production électrique. Avec le vieillissement des centrales et l’intégration progressive dans le prix du kilowattheure des coûts de démantèlement de ces centrales, l’avantage relatif de la France tend à diminuer. Les excédents commerciaux générés par la vente d’électricité sont en très forte baisse et pourraient disparaître à court terme. Les pouvoirs publics prennent, par ailleurs, de plus en plus en compte les effets de leurs mesures sur le pouvoir d’achat des ménages. En France, la crise des « gilets jaunes » a révélé au grand jour la fracture au sein de l’opinion publique sur le sujet de la réduction des émissions de CO2. Le projet d’interdire l’installation des chaudières à gaz pour les logements neufs à compter de 2023 ou les obligations de rénovation des logements ayant des taux de déperdition énergétique élevés n’est pas sans créer des tensions tant au niveau de la filière du gaz que des propriétaires fonciers. Le durcissement des normes au niveau des véhicules avec des contraintes croissantes pour la circulation de ceux qui sont les plus polluants est également une source de conflits. L’augmentation des malus conduit de nombreux acheteurs à se tourner vers le marché de l’occasion au détriment du neuf.
Quand l’Asie prend le pouvoir
La crise sanitaire accélère la montée en puissance de l’Asie qui arrive, du moins pour le moment, à mieux juguler l’épidémie et à maintenir voire à accroître ses capacités de production. Le poids économique des États de la zone Asie Pacifique devrait continuer de s’accroître dans les prochaines années. Convaincus par la supériorité de leur modèle de développement reposant sur les échanges, quinze pays de cette zone ont signé, le 15 novembre dernier, un accord de partenariat régional économique global (RCEP pour Regional Comprehensive Economic Partnership) instituant le plus vaste espace de libre échange au niveau mondial. Parmi les quinze pays figurent notamment la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, l’Indonésie et le Viet Nam. En 2020, ces pays représentaient 32 % du PIB mondial (en parité de pouvoir d’achat), contre 22 % en 2002. Ils bénéficient d’une population active qui continue d’augmenter de plus d’un point par an quand elle diminue de 0,5 point pour le reste du monde. La croissance de la productivité par tête y est supérieure de deux points par rapport à celle du reste du monde. La croissance potentielle des quinze pays serait, pour les dix prochaines années, de 2 points supérieure à celle du reste du monde (respectivement 4 % et 2 %). À ce rythme, l’Asie représentera 50 % du PIB mondial en 2043, inversant la situation qui prévalait avec l’Occident en 1990.
Cette forte croissance permettra à la Chine de passer du statut de pays en développement à celui de pays développé. Le seuil de basculement, retenu par la Banque mondiale, était de 12 536 dollars par habitant en 2019. La Chine dont le PIB par habitant était de 10 262 dollars en 2019 devrait franchir le cap des 12 500 dollars d’ici 2022. Pour le PIB global, la Chine rattrapera celui des États-Unis certainement en 2028. Quand le pays a adhéré à l’OMC, en 2001, son PIB était environ sept fois inférieur à celui des États-Unis. En vingt ans, il a été multiplié par vingt.
La poursuite du développement asiatique se traduira par des flux de capitaux croissants qui s’accompagneront d’une appréciation durable des monnaies. Les cours boursiers des entreprises asiatiques et de celles du reste du monde ayant une forte exposition à cette zone devraient augmenter. L’essor des marchés domestiques et l’augmentation rapide des revenus seront favorables au secteur du luxe.
Si des années 1940 aux années 2010, les pays occidentaux étaient déterminants dans la fixation des prix des matières premières et de l’énergie, ce sont désormais les pays asiatiques qui le sont. Les quinze États membres de l’accord de libre-échange réalisaient 65 % de la consommation des métaux précieux à l’échelle mondiale en 2020, contre 30 % en 2002. Pour le gaz naturel, leur poids est passé de 10 à 18 % sur la même période.
Les pays d’Asie, en
premier lieu la Chine, pourront exiger un rôle plus important au sein des
instances internationales. Ces demandes concerneront notamment le FMI, la
Banque mondiale et l’OMC. En cas de désaccord avec les États-Unis, la tentation
de développer des structures de coopérations internationales qui leur seraient
propres sera forte. La Chine devra renoncer assez rapidement à son statut de
pays émergent, ce qui entraînera la perte d’avantages au niveau des échanges
internationaux (statut de la nation la plus favorisée) tel que la possibilité
de restreindre sans pénalité l’accès à son marché tout en bénéficiant des
meilleures conditions pour accéder à ceux des autres États membres de
l’OMC.