Le Coin des tendances – tourisme – transports aériens
Le tourisme face à la crise inimaginable
Pendant des siècles, les femmes et les hommes ont été des nomades, se déplaçant pour se nourrir. Les premières traces de sédentarisation de la population datent du néolithique. Entre l’an 12 500 et l’an 7 500 avant Jésus-Christ, de petites communautés humaines s’organisent au sein de villages permanents. Elles développent l’agriculture en complément de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Elles pratiquent ensuite l’élevage et enfin cultivent les arts du feu, la poterie et la métallurgie du bronze. Ce passage du nomadisme à la sédentarité est lié à des changements de mode d’alimentation et à l’utilisation des graines. La sédentarisation permet une meilleure alimentation de la population et génère une création de richesse. Sédentaires, les femmes et les hommes doivent se protéger des invasions en construisant des châteaux forts et en finançant des armées. Du fait des dangers encourus, les voyages sont rares. Après la chute de l’Empire Romain, les routes commerciales se réduisent même si les échanges entre cités perdurent. Durant tout le Moyen Âge, les voyages prennent la forme de conquêtes ou d’évangélisation. Ils sont réalisés par des guerriers et des hommes d’église. Avec la Renaissance, des aventuriers guidés par l’esprit de la découverte de nouvelles terres, de routes commerciales ou au nom de la foi montent des expéditions durant plusieurs années nécessitant des moyens importants. Au XVIIIe siècle, les aristocrates et les philosophes des Lumières parcourent l’Europe pendant des mois dans des voitures tirées par des chevaux et remplies de malles, de domestiques et même de meubles. Ces voyages sont réservés à une élite. Ils sont rendus possibles par l’amélioration et la sécurisation du réseau routier. Au XIXe siècle, un changement de dimension intervient. Avec les chemins de fer, avec le développement des bateaux à vapeur, les personnes aisées peuvent se déplacer sur de longues distances. Pourtant, jusqu’à récemment, peu de gens allaient loin. Les déplacements étaient lents, difficiles et coûteux lorsqu’ils dépendaient du vent ou de la puissance. Une cabine de première classe sur le Titanic en 1912 était proposée au prix de 30 livres soit l’équivalent de 3 500 dollars de 2021. Un billet transatlantique sur le dirigeable Hindenburg coûtait 400 dollars en 1936, soit plus d’un an de salaire pour un ouvrier de l’époque. En 1950, seulement 25 millions de personnes avaient voyagé à l’extérieur de leur pays. En 1970, voyager demeurait un luxe. Un vol aller-retour de New York à Londres coûtait environ 500 dollars, (l’équivalent de 3 500 dollars en 2021). La démocratisation est intervenue ces trente dernières années avec l’apparition des low-costs et la création d’une flotte de long courrier à forte capacité (Boeing 777, Airbus A380). Entre 1995 et 2014, le prix des billets a diminué de moitié en termes réels, selon l’Association Internationale du Transport Aérien (IATA). Le nombre de touristes internationaux est ainsi passé de 500 000 en 1994 à 1,5 milliard en 2018, la barre du milliard ayant été franchie en 2011.
Avec l’industrialisation, les bagages s’allègent. Auparavant, les voyageurs emportaient tout ce qui était nécessaire pour vivre ; à partir du XIXe siècle, ils prennent avant tout des vêtements. La valise remplace les malles. Au XXe siècle et surtout après la Seconde Guerre mondiale, l’aventurier, le voyageur cède la place au touriste. Les infrastructures de transports, routes, gares, aéroports, sont adaptés pour accueillir des millions de passagers qui partent en vacances durant quelques jours à quelques semaines. La valise devient de plus en plus petite ; elle dispose de roulettes pour être déplacée facilement au sein d’aéroports de plus en plus grands. Certains l’abandonnent au profit de sac à dos quand d’autres se font fort de partir au long cours les mains dans les poches.
Le développement de l’industrie des vacances est à la base de l’essor des déplacements internationaux. Les vacanciers sont responsables de 55 % des voyages, contre 11 % pour les déplacements pour affaires. Le solde est constitué par les déplacements pour motifs familiaux, religieux (2 millions par an) ou médicaux (15 millions). Le tourisme au sein de l’OCDE représente plus de 4 % du PIB en moyenne et plus de 8 % pour les pays à fort potentiel touristique comme la France, l’Italie ou l’Espagne. Les voyages et le tourisme représentent plus de 330 millions d’emplois, soit un sur dix du total mondial, selon le World Travel and Tourism Council (WTCC).
L’activité touristique représentait 11,8 % du PIB en 2019 pour l’Epargne, 7,5 % pour la France et 9 % pour le Mexique. Pour des pays émergents ou en développement, le tourisme est souvent un secteur clef pour accéder aux devises. Un quart du PIB de nombreuses îles caraïbéennes est lié au tourisme. Le nombre de touristes internationaux est passé en Thaïlande de 10 millions en 2001 à 40 millions en 2019, dont un quart provenait de Chine. L’activité touristique a contribué en 2019, pour ce pays, à 18 % de son PIB.
L’Europe est le premier continent d’accueil pour les touristes étrangers. Plus de la moitié d’entre eux se rendaient chaque année dans un ou plusieurs Etats européens . C’est deux fois la part de la région Asie-Pacifique, la deuxième région la plus populaire. L’Europe capte 37 % du total mondial des recettes du tourisme, près de 620 milliards de dollars. La France et l’Espagne sont les pays les plus populaires. Lors de ces vingt dernières années, le tourisme a connu une révolution chinoise. En 2018, plus de 150 millions de Chinois ont voyagé à l’extérieur de leurs frontières contre moins de 10 millions en 1999.
La pandémie a cassé net cette évolution. Les arrivées internationales se sont contractées de 74 % d’après les dernières données de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT). Le nombre de touristes aurait baissé d’un milliard en raison de l’instauration généralisée de restrictions sur les voyages. La crise économique mondiale de 2009 n’avait provoqué qu’une diminution de 4 %. La perte de recettes pour le secteur du tourisme est évaluée à 1 300 milliards de dollars, soit plus de 11 fois celle enregistrée pendant la crise économique mondiale de 2009. La crise menace de 100 à 120 millions d’emplois directs dans le tourisme, dont beaucoup dans de petites et moyennes entreprises. L’Asie-Pacifique, la première région à subir les effets de la pandémie et qui a institué les plus hauts niveaux de restrictions sur les voyages, connaît une contraction de 84 % du nombre de touristes. La baisse atteint 75 % au Moyen-Orient et en Afrique. Le nombre d’arrives en Europe a diminué de 70 % en 2020 malgré un léger rebond durant l’été. L’Europe a perdu 500 millions de touristes en un an. Les Amériques enregistrent une baisse de 69 % des arrivées internationales. Le tourisme a effacé en une année trente ans de croissance.
La crise de la covid-19 sera-t-elle une simple pause dans l’essor du tourisme ou marquera-t-elle le début d’un changement de cap ? La question des émissions des gaz à effet de serre issues en particulier des avions a été soulevée avec une force sans précédent. Même s’ils ne sont responsables que de 2 à 4 % des émissions, une forte pression publique s’est fait jour afin de réduire le trafic aérien et pour arrêter la construction ou l’agrandissement d’aéroports.
Avant la pandémie, trois milliards de touristes internationaux étaient prévus en 2030. Avec la chute du Mur de Berlin et l’essor des classes moyennes au sein des pays émergents, le tourisme connaissait une croissance exponentielle qui n’est pas sans poser des problèmes de soutenabilité pour les pays d’accueil. À Venise comme à Barcelone, la population demande la régulation du tourisme. Amsterdam envisage d’interdire aux non-résidents d’acheter du cannabis dans ses célèbres cafés, afin d’encourager une meilleure tenue des touristes. Le Machu Picchu, où les sentiers étaient envahis, a imposé une limite pré-covid de 5 000 visiteurs par jour. Ce montant sera ramené à 675 pour assurer la distanciation sociale. Au nom de la transition énergétique, plusieurs grandes villes prennent des mesures contre les cars de touristes et veulent restreindre massivement la circulation routière.
Avec l’augmentation des classes moyennes, en particulier, au sein des pays émergents, la demande de voyage et de dépaysement demeure présente. Il pourrait y avoir un rebond rapide si l’épidémie est jugulée grâce aux vaccins. Après plus d’un an de restriction de circulation, de nombreuses personnes voudront profiter de la liberté de déplacement retrouvée. Une majorité des experts estime néanmoins que le retour à la normale n’est pas attendu avant 2023. La baisse de l’activité touristique pourrait, de ce fait, avoir des conséquences économiques et sociales importantes en particulier au sein des pays en développement. Selon le WTCC, environ 80 % des entreprises touristiques dans le monde, des hôtels aux restaurants en passant par les guides touristiques, sont de petites entreprises. Les grandes chaînes hôtelières disposent des fonds et des compétences nécessaires pour reconfigurer leurs établissements. Les petites entreprises manquent probablement de fonds propres pour surmonter la crise et investir afin de moderniser leurs équipements.
En attendant la reprise, les autorités ou les fédérations professionnelles de nombreux pays s’organisent. La France a consacré 20 milliards d’euros en soutien à la filière. Au Portugal, l’Autorité nationale du tourisme, finance des programmes de formation en faveur des salariés du secteur en chômage partiel. La Finlande et la Grèce mettent en place des programmes pour améliorer la présence numérique des entreprises touristiques.
Le tourisme de demain sera-t-il différent de celui d’hier ? Les pouvoirs publics souhaitent un meilleur étalement dans le temps et dans l’espace des flux touristiques. Cette antienne n’a toujours pas été réalisée. Les déplacements sur longue distance devraient souffrir plus longtemps que les autres. L’instauration d’un passeport vaccinal et le maintien des tests PCR seront des freins au tourisme international. Par ailleurs, les touristes semblent de plus en plus préférer les hébergements indépendants et privés par rapport aux hôtels. Les zones côtières et rurales, loin des foules, se rétabliront plus rapidement que les villes. Les professionnels des voyages continueront de vanter les paysages, l’histoire ou la cuisine des destinations mais y ajouteront un volet sanitaire. Les pays ayant réussi à éliminer l’épidémie et disposant d’un système de santé efficace retrouveront une activité touristique plus rapidement que pays les plus pauvres. La souscription d’assurances pour cause sanitaire devrait se maintenir dans les prochaines années, que ce soit de la part des professionnels du tourisme ou des touristes.
Les transports aériens en pleine tourmente
L’année dernière, avec la pandémie, le nombre de passagers aériens a diminué de 66 % passant de plus d’un milliard à moins de 400 millions. La baisse a été huit fois plus rapide que pendant les douze mois qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001. Près des trois cinquièmes des voyageurs internationaux utilisent l’avion. La disparition des passagers a conduit à la fermeture de nombreux terminaux d’aéroports voire d’aéroports entiers comme Orly entre avril et juin ainsi qu’à l’hivernage de plus de 30 % de la flotte d’avions en 2020
Selon l’IATA, le nombre de passagers a chuté de 75 % à l’international et d’un peu moins de 50 % sur les vols domestiques. La baisse atteint 72 % au Moyen-Orient. Le nombre de passagers a baissé de 70 % en Europe, de 69 % en Afrique et de 65 % en Amérique du Nord. La diminution est de 62 % en Asie et en Amérique Latine. Aéroports de Paris (qui gère les aéroports de Roissy-Charles de Gaulle et Orly) a annoncé avoir accueilli 33,1 millions de passagers sur 2020, soit une baisse par rapport à l’année précédente de 69 % (-71 % pour l’international, -72 % pour l’Europe et -58 % pour les vols domestiques en France). La réouverture complète de ces deux aéroports n’est pas programmée avant de longs mois. ADP a annoncé mi-février qu’il fermait à nouveau le Terminal 4 d’Orly.
Cercle de l’Épargne – données Eurostat
Depuis 1988, le nombre total de passagers-kilomètres payants (rpks) doublait tous les 15 ans avec une accélération au cours des dix dernières années. La croissance du trafic aérien était de 6,5 % par an avant crise. Les experts de Boeing et d’Airbus espèrent que le taux de croissance après 2023 reviendra autour de 5 %. Dans plusieurs pays, les vols intérieurs ont en grande partie retrouvé leur niveau d’avant crise. Il en est ainsi en Chine ou en Russie, pays qui en raison de leur superficie et de la faiblesse des réseaux routiers et ferroviaires recourent aux transports aériens de manière importante. Au sein des pays occidentaux, le trafic aérien est en baisse, au début de l’année 2021, de 60 à 80 %. En 2021, le nombre de passagers aériens devrait être inférieur à 1,8 milliard contre 4,5 milliards en 2019.
Les revenus des compagnies aériennes sont passés en un an de près de 900 milliards de dollars à 349 milliards de dollars. En moyenne, les bénéfices pour les entreprises de ce secteur avoisinaient 50 milliards d’euros. En 2020, les pertes ont atteint 118 milliards de dollars. Pour 2021, elles s’élèveront à au moins 40 milliards de dollars. Malgré les mesures de soutien, la mise en chômage partiel, la réduction des charges, les grandes compagnies aériennes perdent entre 6 à 8 milliards de dollars par mois. En l’état actuel, la grande majorité d’entre elles ne pourra pas survivre au-delà du premier semestre 2021. Les compagnies aériennes qui gèrent des réseaux de longs courriers sont plus exposées à la crise que les autres. De même, celles dont les résultats dépendaient du tourisme d’affaires seront pénalisées. Avec le développement des visioconférences, il est probable que cette clientèle se fasse plus rare dans l’avenir d’autant plus que les entreprises essaieront de restreindre leurs frais. Air France réalisait une grande partie de ses bénéfices essentiellement avec ses vols vers les États-Unis ou la Chine et avec sa clientèle affaires. Après l’annonce de la perte de 7,1 milliards d’euros en 2020, la question de la recapitalisation d’Air France KLM est ainsi posée. Son règlement supposera un accord entre La Haye, Paris et Bruxelles. La Commission européenne pourrait demander de nouvelles fermetures de lignes et une réduction des effectifs, ce qui sera difficile à accepter par les deux gouvernements intéressés qui, en outre, doivent gérer de prochaines échéances électorales. Cette recapitalisation fait suite à une aide de 7 milliards d’euros dont 3 sous forme d’un prêt. La Commission avait exigé pour la recapitalisation de Lufthansa qu’elle redonne des slots dans les aéroports de Francfort et de Berlin. De leur côté, les compagnies aériennes américaines ont obtenu près de 25 milliards de dollars d’aides de l’État fédéral.
Les low-costs spécialisés sur les courts et moyens courriers pourraient profiter plus rapidement du rebond de l’activité touristique. Néanmoins, cela n’a pas empêché certains low-costs de déposer le bilan comme la Norwegian Air Shuttle. Certaines compagnies comme Ryanair en Europe espèrent récupérer des slots abandonnés par les compagnies traditionnelles dans les grands aéroports comme Roissy, Orly, Heathrow ou Amsterdam-Schiphol. Ryanair a confirmé une commande de 75 Boeing 737max supplémentaires en décembre dernier, portant son total à 210 afin de disposer d’une flotte moderne et économique au moment du redémarrage de l’activité. La compagnie a certainement obtenu une importante remise de la part de Boeing qui tente de convaincre de la sûreté de son modèle moyen-courrier. Wizz Air, qui s’est spécialisée sur les jeunes voyageurs et sur les Européens de l’Est qui se rendent à l’Ouest pour travailler et reviennent rendre visite à leur famille, entend développer son réseau dans les prochains mois. Air Asia, basé en Malaisie, devrait connaître une forte croissance en 2021 avec le redémarrage rapide de l’activité en Asie Pacifique. Avec la réduction du nombre de vols, les prétentions salariales des pilotes sont à la baisse, ce qui devrait à terme améliorer la rentabilité des compagnies. De même, les aéroports qui depuis plusieurs années tarifaient de plus en plus chers leurs services seront contraints de revoir à la baisse leur grille tarifaire.
Plusieurs compagnies parient sur un changement de modèle pour les longs courriers. La crise sanitaire a eu raison des Airbus A380 qui n’étaient pas rentables. Elle a entraîné également la mise à la retraite anticipée des Boeing 747. Le 777X en cours d’achèvement qui est une version agrandie du 777 est menacé. L’avenir pourrait être au monocouloir à long rayon d’action. L’A321xlr d’Airbus, capable de traverser l’Atlantique, est bien moins coûteux à exploiter que les bi-couloirs. Il ne nécessite pas d’infrastructures particulières et peut être utilisés sur de nombreuses lignes.
Le secteur des transports aériens évolue en permanence. Les
compagnies historiques des années 1960 et 1970, comme Pan Am, TWA ou Eastern
Airlines ont disparu aux États-Unis dans les années 1990/2000 avec la
dérégulation du ciel. L’époque des grands Hubs censés concentrer les vols longs
courriers était en voie d’achèvement avant même la crise sanitaire. Les
passagers plébiscitent les vols directs en passant par des aéroports à taille
humaine. Ce souhait est certainement encore plus marqué avec l’épidémie de
covid-19. La pression des opinions contre les transports aériens accusés d’être
responsables d’émissions importantes de gaz à effet de serre et d’être bruyants
devrait peser sur leur rebond et imposera une mutation technique. Le recours à
l’hydrogène est une piste aujourd’hui étudiée par les deux grands
constructeurs.