Le Coin de la Conjoncture – inflation – dollar
Dollar, dépréciation ou appréciation, que choisir ?
Toute variation du dollar a des conséquences économiques, financières voire politiques à l’échelle planétaire en raison de son rôle particulier. La moitié des échanges et plus de 60 % des réserves de change sont libellés en dollars. L’euro est la deuxième monnaie mondiale mais son poids est trois fois moins important en ce qui concerne les réserves de change.
Les États-Unis sont confrontés à une série de dilemmes en ce qui concerne la valeur de la monnaie. Le Président Donald Trump a accusé à plusieurs reprises les Européens de peser sur le cours de leur monnaie afin d’améliorer leur compétitivité à l’exportation. Il a, à diverses occasions, demandé à la Réserve Fédérale de réduire ses taux directeurs afin notamment de faire baisser le taux de change de la monnaie américaine.
Un dollar faible n’est pas sans conséquence au niveau de l’inflation et sur la politique d’investissement à l’extérieur des entreprises américaines. Or, les politiques publiques américaines mises en œuvre depuis le début de la crise sanitaire conduisent logiquement à la dépréciation du dollar.
La politique de relance portant sur près de 4 000 milliards de dollars double le déficit budgétaire et extérieur des États-Unis. Elle favorise la progression de l’inflation qui se traduit par une hausse des rendements obligataires américains. Cet enchainement devrait provoquer une dépréciation du dollar. Depuis sa nomination en janvier dernier, la Secrétaire au Trésor, Janet Yellen, n’évoque pas la nécessité de maintenir un dollar fort au nom de la défense des intérêts des États-Unis. Son positionnement est interprété comme un signal favorable à la baisse du taux de change du dollar. Elle a sur ce sujet mentionné que « la valeur du dollar américain et des autres devises devrait être déterminée par les marchés ». Un dollar faible est censé faciliter les relocalisations en diminuant le coût relatif du travail américain, ce que souhaite l’administration Biden. Une forte reprise de l’activité avec une augmentation rapide de l’inflation sans réaction de la part de la banque centrale provoquerait une pentification des taux d’intérêt. Celle-ci amènerait une forte baisse du cours des actions et une dépréciation du dollar. Les Américains sont-ils prêts à prendre ce risque ?
Le dollar n’est pas une monnaie comme les autres. Elle est une valeur refuge comme l’a prouvé sa forte appréciation au début de la crise sanitaire au mois de mars 2020. Si depuis, elle s’est dépréciée, elle reste au-dessus de sa moyenne de long terme. La normalisation de la situation sanitaire et économique devrait conduire à une baisse de la devise américaine. Néanmoins, compte tenu de la situation incertaine dans nombre de pays, la demande en dollars pourrait rester forte, d’autant plus que la hausse des taux des obligations américaines continuera à attirer les investisseurs. Pour drainer l’épargne mondiale en leur faveur, les Américains n’accepteront pas une dépréciation trop forte de leur monnaie.
Si, au contraire, la Réserve fédérale durcit sa politique, d’abord en réduisant ses achats d’actifs, puis en augmentant les taux d’intérêt, le dollar pourrait s’apprécier surtout si la BCE maintenait une politique monétaire accommodante. La hausse des taux américains contribuerait à atténuer les pressions inflationnistes et peut-être même à limiter la hausse des rendements obligataires longs. Une telle politique montrerait en outre aux investisseurs internationaux la volonté des États-Unis de protéger la valeur réelle du dollar, ce qui conforterait son statut de monnaie de réserve. Il limiterait le risque de défiance contre la monnaie américaine, ce qui faciliterait le financement de la dette extérieure. La Chine pourrait tirer profit d’un dollar faible pour accroître son poids dans le système monétaire tout comme la zone euro. Les États-Unis sont pleinement conscients de l’avantage que leur procure le dollar pour ne pas le brader.
La valeur du dollar influe sur l’ensemble de l’économie mondiale. Un dollar fort met en danger les pays émergents et en développement. Il pénalise les pays dont la balance commerciale est fortement déficitaire. A contrario, pour des régions telles que la zone euro, un dollar faible signifie des exportations entravées. Si en plus les taux américains poursuivaient leur hausse, l’effet en ricochet sur les taux européens nuiraient à la croissance en Europe. La BCE entend s’opposer à ce double risque en maintenant autant que possible ses taux le plus bas possible. Si l’inflation venait à augmenter également en zone euro, cette position serait encore plus délicate à maintenir. Les pays en développement et émergents pourraient profiter d’une baisse de la monnaie américaine car leur dette extérieure est, en grande partie, libellée en dollars. La perte de compétitivité de leurs exportations serait compensée par un plus faible service de la dette en dollars exprimé en monnaie nationale.
Quoi qu’elle en dise, l’administration américaine restera attentive à l’évolution du taux de change du dollar dans les prochains mois. Le pilotage sera assuré afin de concilier reprise d’activité, financement des déficits et défense des intérêts internationaux des États-Unis. Si une baisse à court terme est probable, elle devrait rester mesurée dans ce contexte.
Pourquoi l’inflation reste faible en Europe ?
Depuis la crise des subprimes en 2008, la Banque centrale tente, par une politique monétaire accommodante, de faire remonter l’inflation sous-jacente à 2 %. Cet objectif n’a pas été atteint avant la crise sanitaire malgré plusieurs opérations de rachats d’obligations et le maintien de taux directeurs à des niveaux historiquement bas.
La faiblesse de la demande constitue un des facteurs clefs de la faible inflation. Le partage des revenus depuis le début du siècle s’est effectué au détriment des salariés, sauf en France et en Italie. La demande en biens et services a été freinée par une hausse du taux d’épargne surtout en France et en Allemagne.
Si les prix de l’immobilier se sont accrus au sein de la zone euro, en revanche, les dépenses en construction ont fortement baissé passant de 7 à 5,5 % du PIB de 2007 à 2019. Les logements coûtant de plus en plus chers, ils réduisent, par ailleurs, les dépenses autres des ménages. Les prix élevés de l’immobilier qui est une des conséquences des faibles taux d’intérêt empêchent une part croissante de la population d’accéder à la propriété, ce qui pèse également sur la demande.
L’investissement des entreprises n’a retrouvé au sein de la zone euro son niveau d’avant crise qu’en 2018 avant de rechuter avec la crise sanitaire. En ce qui concerne l’investissement, les stimuli monétaires ont mis beaucoup plus de temps à produire leurs effets qu’aux États-Unis. La demande extérieure adressée à la zone euro est également restée faible depuis une dizaine d’années. Les exportations n’ont pas pesé sur les prix.
Les États européens ont mené des politiques d’assainissement de leurs comptes publics. Au sein de la zone euro, le déficit public est passé de -6 % à -0,5 % de 2007 à 2019. Une maitrise des dépenses publiques est logiquement anti-inflationniste. La France et l’Italie qui ont été les moins enclines à adopter des politiques de rigueur, n’ont pas enregistré une inflation plus élevée. Il n’en demeure pas moins que les dépenses de l’État ont moins porté la croissance ces dernières années que dans le passé.
Une inflation faible peut être occasionnée par une offre structurellement abondante. La mondialisation a accru l’offre surtout entre 1990 et 2008. Les importations en provenance des pays d’Asie du Sud-Est ont pesé sur les prix en particulier pour les biens manufacturés. Depuis une dizaine d’années, cet effet tend à s’amoindrir. En revanche, le numérique a accru la concurrence. Un nouveau canal de distribution s’est imposé. Les plateformes permettent à un plus grand nombre de personnes d’offrir leurs services. Cette augmentation de l’offre pèse sur les prix.
La faible progression de la population active ne conduit pas à une augmentation de la production. Le vieillissement de la population est supposé être inflationniste même si le Japon, depuis les années 1990, prouve le contraire. De même, le caractère étale des gains de productivité devrait au contraire être inflationniste ; or, tel n’est pas le cas.
La politique monétaire de la banque centrale serait-elle trop rigide au regard de la situation économique ? La Banque centrale européenne a retenu pour ses taux directeurs des niveaux extrêmement bas. Depuis 2011, le taux repo réel est constamment négatif et le taux de dépôts est à -0,5 %. La question de l’efficacité de la politique monétaire pour redresser l’inflation se pose. Ces dernières années, cette politique a favorisé avant tout l’augmentation des prix de l’immobilier et ceux des actions.
La faible inflation au sein de la zone euro proviendrait essentiellement de la faiblesse de l’investissement des entreprises comme des particuliers. Ce faible investissement s’explique par une demande contrainte en lien avec le vieillissement de la population qui incite la population à épargner. La consommation est logiquement portée par les ménages de 30 à 40 ans qui acquièrent leur logement et qui s’équipent. Or, en Europe, le poids démographique des trentenaires tend à diminuer au profit des plus de 60 ans. Les prix élevés de l’immobilier et les difficultés d’insertion professionnelle pèsent également sur la demande des jeunes ménages. L’investissement des entreprises est en retrait au sein de la zone euro du fait de la tertiarisation de l’économie. Par ailleurs, les entreprises européennes, à la différence de leurs concurrentes asiatiques ou américaines, ont tardé à investir dans les robots ou dans les nouvelles techniques de l’information.