Le Coin de la Conjoncture – croissance française – monétisation des dettes – l’Allemagne paiera
La croissance frappe à la porte de la France
Selon la Banque de France, en 2021, le PIB de la France progresserait de 5,75 % en moyenne annuelle, soit plus d’un point au-dessus de la moyenne de la zone euro après avoir reculé plus fortement que les autres États membres en 2020. La croissance du PIB s’établirait ensuite à 4 % en 2022, puis à 2 % en 2023. La croissance potentielle retrouverait donc en 2023 le même rythme que ce que l’on estimait à cet horizon avant la crise sanitaire. L’activité économique commencerait à dépasser son niveau pré-Covid à compter du premier trimestre 2022, soit un trimestre plus tôt que dans la projection de mars de la banque centrale.
Une demande intérieure dynamique
En 2021 et 2022, la croissance du PIB serait portée par la demande intérieure. Le pouvoir d’achat des ménages qui n’a pas baissé l’année dernière, serait orienté à la hausse en 2021 et 2022. La bonne tenue du revenu des ménages permettrait un rebond rapide de leurs dépenses dès le second semestre 2021. Ils rattraperaient ainsi une partie de leur sous-consommation de 2020 et 2021. Les ménages pourront puiser dans leur surplus d’épargne accumulé durant la crise sanitaire. L’investissement serait également en nette hausse jusqu’en 2022. Pour les entreprises, leur taux de marge reviendrait dès 2021 au niveau pré-Covid, et leur taux d’investissement, après avoir bien résisté à la récession de 2020, se situerait à un niveau historiquement élevé.
La France pénalisée à l’extérieur par sa spécialisation dans l’aviation
La demande mondiale adressée à la France bénéficierait de la vigueur de la reprise à l’échelle mondiale. Les performances à l’exportation de la France, mesurées par le rapport des exportations à la demande qui est adressée par nos partenaires, resteraient néanmoins à un niveau inférieur à celui de 2019, en particulier du fait d’une situation encore dégradée dans les secteurs de l’aéronautique et des voyages d’affaires.
Un repli attendu mais mesuré de l’épargne
Le taux d’épargne des ménages baisserait de 22 % du revenu disponible brut au deuxième trimestre 2021 à 17 % au dernier trimestre de l’année. Après avoir atteint 115 milliards d’euros fin 2020, le surplus d’épargne financière augmenterait à un rythme plus modéré en 2021, grâce au repli du taux d’épargne financière des ménages. Il atteindrait néanmoins 180 milliards fin 2021. La Banque de France s’attend à une baisse plus importante de l’épargne financière en 2022 et 2023 pour revenir en-dessous de son niveau d’avant crise sanitaire (15 %), avec une révision à la baisse par rapport aux prévisions de mars dernier, ce qui permettrait aux ménages de dépenser environ 20 % du surplus accumulé à fin 2021. L’essentiel du surplus d’épargne financière serait lié à la sous-consommation en 2020 et 2021 (à hauteur d’environ 90 %), le sous-investissement en 2020 représentant environ 10 % de l’épargne financière supplémentaire. L’épargne covid-19 étant concentrée sur les ménages les plus aisés, leur propension à consommer est plutôt faible mais en revanche ils sont davantage susceptibles de réaliser des dépenses d’investissement. La Banque de France a étudié la possibilité d’une utilisation plus importante du surplus d’épargne financière des ménages, de l’ordre de 40 % au lieu de 20 %. Cela conduirait, selon elle, à accroissement du PIB de 2021 à 2023 d’environ 0,3 %. Par rapport à la situation qui prévalait avant la crise, les ménage conserveraient une enveloppe supplémentaire d’épargne de 120 à 140 milliards d’euros. Depuis une vingtaine d’années, à l’occasion de chaque crise, les ménages ont toujours conservé une partie de l’épargne accumulée augmentant d’autant leur patrimoine. Le maintien d’une encaisse plus importante est lié à la crainte de la survenue d’une nouvelle crise. Il s’explique également par le vieillissement de la population.
L’utilisation rapide du surplus d’épargne n’est pas sans limite au niveau de l’offre. Des ruptures de produits se font déjà jour. Ce phénomène est accentué par le fait que l’ensemble des pays sont en phase de redémarrage. Par ailleurs, au niveau de l’investissement, les carnets de commande des professionnels du bâtiment sont pleins jusqu’en 2022.
La Banque de France ne croit pas au retour de l’inflation sur longue période
Pour l’inflation, la Banque de France prévoit un taux de 1,5 % en moyenne annuelle en 2021 avec cependant des mouvements infra-annuels marqués, évoluant en glissement annuel entre 0,8 % et 2,1 %. L’inflation sous-jacente devrait augmenter en raison de la progression des prix des biens manufacturiers tout en restant inférieur au seuil des 2 %. En 2023, l’inflation est prévue à 1,2 % en 2023. Tout en reconnaissant une possible révision à la hausse de l’inflation, la Banque de France considère peu probable son emballement. Elle souligne qu’en dépit des difficultés rencontrées en matière d’approvisionnement dans certains secteurs, les prix des produits manufacturés sont stables, pour le moment, essentiellement en raison de prix en baisse dans le secteur de l’habillement-chaussures et des produits pharmaceutiques. Des hausses de prix plus importantes sont néanmoins constatées sur certains produits (comme l’électroménager ou les meubles). Elles seraient induites par des tensions sur les prix du transport de marchandises et de certains intrants (notamment les métaux, le bois, et les semi-conducteurs), mais elles restent plutôt modérées et localisées à ce stade.
Un marché du travail résilient
Le marché du travail devrait confirmer sa résilience, grâce à l’ensemble des mesures d’urgence mises en place pour limiter les destructions d’emplois au cœur de la crise, puis à des créations nettes d’emplois assez significatives de 2021 à 2023. Compte tenu d’une rapide remontée de la population active qui rattraperait sa tendance pré-crise, le taux de chômage atteindrait 9,3 % au cours du premier semestre 2022, avant de décroître pour revenir nettement en dessous de 9 % en 2023.
Des finances publiques dégradées
La Banque de France reprend les prévisions du ministère de l’Économie et des Finances pour le solde public qui se dégraderait à -9,4 % du PIB en 2021, contre -9,2 % en 2020. Le déficit demeurera élevé du fait de la montée en charge du plan de relance – dont les dépenses atteindraient près de 30 milliards d’euros en 2021 – et en raison de la prolongation des principales mesures d’urgence telles que le fonds de solidarité ou l’annulation des cotisations sociales pour les secteurs les plus touchés, le dispositif de chômage partiel et les dépenses de santé supplémentaires. La baisse des impôts de production prévue dans le cadre du plan de relance pour environ 10 milliards d’euros et les baisses de prélèvements obligatoires décidées avant la crise (notamment dégrèvement de la taxe d’habitation et baisse du taux d’impôt sur les sociétés) réduisent le montant des recettes. Si les mesures d’aide ne se pérennisent pas le déficit public pourrait redescendre à -4,5 % du PIB en 2023 d’autant plus que l’État bénéficiera des versements des fonds européens pour financer les dépenses du plan de relance. Le déficit restera malgré tout plus élevé qu’en 2019 où il s’établissait à -2,2 % du PIB hors effet du double compte du CICE. Les dépenses publiques (hors crédits d’impôt) devraient se maintenir à près de 55 % du PIB en 2023, contre 53,8 % avant la crise en 2019, tandis que les prélèvements obligatoires s’établiraient un peu au-dessus de 43,5 % du PIB, contre 44,7 % (hors effet du double compte du CICE) en 2019. Le ratio de la dette publique par rapport au PIB diminuerait temporairement en 2022 grâce notamment à une croissance du PIB toujours forte et au début de repli du déficit, mais il remonterait de nouveau en 2023 à plus de 115 % du PIB étant donné un déficit public plus important que le niveau requis pour stabiliser ce ratio.
Les prévisions économiques restent entachées de nombreuses incertitudes. Sur le plan sanitaire, les campagnes de vaccination sont censées empêcher le retour de l’épidémie à l’automne mais les variants demeurent une réelle menace. Par ailleurs, comme durant la période estivale de 2020, l’ampleur de la reprise peut surprendre. Celle-ci peut être néanmoins freinée par la multiplication des goulets d’étranglement (matières premières, biens intermédiaires, main d’œuvre).
Qu’y-a-t-il après la monétisation des dettes publiques ?
Les banques centrales n’ont pas vocation à acheter durablement des obligations d’État sauf à estimer, comme le préconisent les partisans de la théorie de la nouvelle politique monétaire, que ce mode de financement de l’économie est nécessaire tant que l’inflation ne se manifeste pas. L’arrêt des rachats d’obligations sera un exercice périlleux. Depuis 2015, la Banque Centrale Européenne (BCE) rachète aux établissements financiers des obligations émanant su secteur public, générant de la sorte de la monnaie. La base monétaire a été multipliée par plus de dix en vingt ans passant de 500 à près de 6 000 milliards d’euros. La BCE possédait, fin 2020, 4 000 milliards d’euros d’obligations publiques contre moins de 500 milliards en 2014. Selon l’OFCE, l’Eurosystème a absorbé en moyenne 72 % de la dette publique émise en 2020, soit 830 milliards sur les 1 150 milliards de dette publique supplémentaire. Cette part s’élève à 76 % pour l’Espagne, 73 % pour la France, 70 % pour l’Italie et 66 % pour l’Allemagne. La BCE détient 20 % de la dette publique de la zone euro. Les titres obligataires publics inscrits au bilan de la BCE représentent 40 % du PIB ; ceux possédés par les établissements financiers 45 % et ceux acquis par les ménages 5 % du PIB.
Ces achats ont contribué à la baisse des taux d’intérêt. Le taux à dix ans sur les emprunts d’État au sein de la zone euro est passé de 5 à 0 % de 2002 à 2020. Cette politique a permis de réduire les écarts de taux entre les différents États membres.
L’arrêt de ces rachats est logiquement prévu en 2022. Il pourrait certes être prolongé de quelques mois mais les statuts de la BCE ne lui permettent pas de rendre ces achats permanents. L’Allemagne et les États d’Europe du Nord souhaiteront au plus vite abandonner ces pratiques non orthodoxes. Dans les prochaines années, les besoins de financement des États resteront importants. Les déficits devraient rester élevés. Viendra par ailleurs s’ajouter le remboursement du capital des emprunts souscrits ces dernières années.
L’arrêt des rachats de la Banque centrale suppose que d’autres agents économiques prennent le relais. Les assureurs pourront augmenter leurs achats si une partie de l’épargne liquide est réorientée vers l’assurance vie ou les produits d’épargne retraite. Cette réallocation de l’épargne ira à l’encontre de la relance de la consommation et du financement des fonds propres des entreprises. Les investisseurs étrangers qui ont diminué leur exposition aux titres européens depuis 2015 pourraient revenir, ce qui suppose une hausse des taux d’intérêt. Mais cette dernière serait nuisible à la reprise et dégraderait la solvabilité des États.
L’Allemagne et les Pays-Bas paieront
Depuis la crise de 2008 et surtout depuis celle des dettes souveraines en 2012, l’Allemagne et les Pays-Bas ne souhaitent plus prêter leur excédent d’épargne aux autres pays de la zone euro. Ce recyclage avait permis la suppression des écarts de taux entre l’Europe du Nord et celle du Sud entre 1999 et 2008 et contribué à l’expansion de cette dernière durant cette période. La crise grecque a mis un terme à ce circuit de financement. En réalité, un autre type d’intermédiation de l’épargne des Allemands et des Hollandais a été mis en place, sans que ces derniers en soient conscients, afin de canaliser l’excès d’épargne de l’Allemagne et des Pays-Bas vers les autres pays de la zone euro.
Depuis une vingtaine d’année, les Allemands et les Néerlandais dégagent d’importants excédents commerciaux, supérieurs à 5 % du PIB. Jusqu’au début des années 2010, une symétrie existait entre l’excédent extérieur de l’Allemagne et des Pays-Bas et le déficit extérieur des autres pays, le solde global de la zone euro étant à l’équilibre. Avec la succession des crises, les épargnants-investisseurs, en Allemagne et aux Pays-Bas, se sont inquiétés de l’accroissement de la dette interne et de la dette extérieure des autres pays de la zone euro. Les agents économiques allemands et hollandais affichent leur méfiance face à l’augmentation des prêts non performants détenus par les banques hors Allemagne et Pays Bas, ce qui explique le recul des créances bancaires transfrontalières dans la zone euro. De fait, les banques allemandes et hollandaises ne veulent plus prêter aux autres banques de la zone euro. L’excès d’épargne de l’Allemagne et des Pays-Bas, a donc été prêté au Reste du Monde, hors zone euro, en particulier sous forme d’achats d’obligations aux États-Unis. La hausse de ces achats a été marquée à compter de 2010. L’encours de Treasuries américaines est passé de 400 à 1 200 milliards de dollars de 2010 à 2020.
Face à ce problème, le bouclage de l’épargne au niveau européen est assuré par la Banque Centrale qui joue un rôle d’intermédiaire. L’excès de liquidités des banques allemandes et néerlandaises est placé à la BCE qui le prête aux autres banques Centrales de la zone euro par l’intermédiaire de Target 2, ces dernières pouvant le prêter à leurs banques domestiques. Si jusqu’en 2008 les positions des banques centrales des États membres au vu de Target 2 étaient similaires, une divergence s’est depuis opérée. La position des banques centrales allemandes et néerlandaises est excédentaire de plus de 1 000 milliards d’euros quand celle des autres banques centrales est déficitaire de 1 200 milliards d’euros.
Avec le plan de relance européen, « Next Generation », un fléchage de l’épargne du Nord vers le Sud de l’Europe sera opéré. Les 750 milliards d’euros empruntés au niveau communautaire financeront des subventions (390 milliards d’euros) et des prêts (360 milliards d’euros). L’attribution des crédits ne sera pas réalisée au prorata des PIB mais en fonction des situations économiques et sociales des différents États membres. L’Espagne (69,5 milliards d’euros) et l’Italie (68,9 milliards d’euros) sont les grands bénéficiaires des subventions, bien plus que l’Allemagne (25,6 milliards d’euros) ou la France (39,4 milliards d’euros). L’Italie pourrait de plus recevoir plus de 120 milliards de prêts et l’Espagne près de 90 milliards d’euros. Le remboursement des crédits s’effectuera en fonction des PIB des États membres, ce qui aboutit à ce qu’une partie de l’excès d’épargne de l’Allemagne et des Pays-Bas soit utilisée dans les pays périphériques de la zone euro. Ce processus correspond à une intermédiation de l’épargne de l’Allemagne et des Pays-Bas par la Commission Européenne. Dans le passé, ce rôle était dévolu à Banque Européenne d’Investissement (BEI) qui depuis 2010 émettait entre 50 et 70 milliards d’euros d’obligations par an. Même si son concours est limité, la BEI a un mode d’intervention fédérale que le plan de relance amplifie.
Les institutions européennes contournent le refus des Allemands et des Néerlandais de prêter directement aux États périphérique. Tant que les gouvernements et les opinions de ces pays acceptent le financement de la BCE et celui via des emprunts communautaires, le risque de tensions financières au sien de la zone euro est écarté. À contrario, compte tenu des niveaux d’endettement dans le Sud, toute remise en cause de ces systèmes de recyclage de l’épargne pourrait aboutir à de forts écarts de taux débouchant sur une nouvelle crise des dettes souveraines. L’Allemagne et les Pays-Bas ayant besoin des pays du Sud pour exporter, le stratagème initié par les autorités de Bruxelles et de Frankfort peut perdurer sous réserve de ne pas trop indisposer l’opinion de ces deux pays.