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L’économie mondiale et ses failles
Après avoir connu en 2020 un recul de son PIB sans précédent depuis 1945, l’économie mondiale pourrait, cette année, enregistrer un taux de croissance tout aussi historique. Les entreprises face à l’augmentation de la demande peinent à trouver de la main d’œuvre, des matières premières ou des biens intermédiaires. Le prix de l’énergie est en forte hausse. En 2021, les bénéfices des sociétés pourraient atteindre un niveau record. Pour autant, le rétablissement demeure précaire. Il est avant tout la conséquence d’un accroissement sans précédent des dépenses publiques et d’une monétisation des dettes qui reste, quoi qu’en on dise, une alchimie périlleuse. L’économie mondiale est traversée par plusieurs failles qui peuvent, à tout moment, remettre en cause le retour de la croissance.
La première faille concerne la vaccination. Seuls les pays ayant de forts taux de vaccination peuvent espérer juguler l’épidémie sous réserve qu’un variant réfractaire aux vaccins ne fasse son apparition. La décision de la France de généraliser le pass sanitaire traduit bien la fragilité de la reprise. L’existence d’un très grand nombre de foyers épidémiques constitue une menace réelle et permanente. Au niveau mondial, seulement une personne sur huit est totalement protégée. L’Afrique et l’Asie (hors Chine) ont des taux de vaccination très faibles.
La deuxième faille pour l’économie mondiale est liée aux risques de surchauffe qui provoquent des pénuries (microprocesseurs, produits électroniques, voitures neuves, bois, matériaux de construction, etc.). Les délais de livraison s’allongent et les coûts augmentent. Les frais d’expédition des marchandises de la Chine vers les ports de la côte ouest des États-Unis ont quadruplé par rapport à son niveau d’avant la pandémie. Les conteneurs sont en nombre insuffisants en Chine pour livrer l’Europe et l’Amérique du Nord. Le manque de main-d’œuvre commence à devenir un réel problème dans plusieurs secteurs d’activités. Ainsi, au moment où les consommateurs souhaitent tous aller dans les bars et les restaurant, peu de personnes souhaitent y travailler. Face à ces risques, certains estiment qu’il est nécessaire de revenir avec une politique monétaire plus traditionnelle. Une remontée des taux provoquée par l’arrêt des rachats d’obligations par les banques centrales pourrait casser nette la reprise. Le risque inflationniste est certainement exagéré. Même si, aujourd’hui, le nombre de postes vacants progresse aux États-Unis comme en Europe, les différents pays de l’OCDE n’ont pas encore retrouvé le niveau d’emploi de 2019. En France, il manque plus de 200 000 postes à l’appel. Aux États-Unis, le nombre de personnes travaillant dans les loisirs et l’hôtellerie est inférieur de 12 % à celui d’avant la pandémie. Avec le maintien du chômage partiel et l’allongement des allocations chômage, des actifs retardent leur retour sur le marché du travail. Certes, la crise a certainement modifié le regard de certains d’entre eux sur leur emploi. Les contraintes horaires et la pénibilité des emplois dans la restauration ou dans le nettoyage apparaissent moins supportables. L’apparition de nouvelles activités (livraison à domicile) ou la réorientation vers d’autres secteurs offrant de meilleures rémunérations (bâtiment) expliquent les difficultés de la restauration pour retrouver leurs salariés. Chez les cadres et chez les jeunes actifs, de plus en plus souhaitent changer de vie en optant par exemple pour la commercialisation de chambre d’hôtes, de gîtes ou de services aux entreprises réalisables en ligne. Jusqu’au mois de juin, près de 13 % des salariés français n’avaient pas retrouvé d’activité à temps plein. Le risque de surchauffe ne concerne pas l’Europe. Un arrêt brutal des aides pourrait provoquer un choc, au niveau mondial, comparable à celui que la zone euro avant connu après 2011.
La troisième ligne de faille est de nature sociale. Au moment où l’inflation redémarre, les demandes de revalorisation salariale risquent de se multiplier d’autant plus que le prix des logements n’en finit pas d’augmenter. Durant la crise, les ménages ont bénéficié, au sein de l’OCDE, d’une certaine forme de garantie de revenus qui n’a pas vocation à être pérennisée. De même, le soutien aux entreprises devrait se tarir, ce qui peut provoquer un rebond des faillites. Certes, la bonne tenue de la demande devrait en réduire la portée mais, pour les personnes concernées, un sentiment d’injustice pourrait se manifester surtout si les bénéfices et les revenus de certaines entreprises et de certains dirigeants augmentent fortement. Les gouvernements sont conscients des colères plus ou moins rentrées de certaines catégories de leur population. La crise des gilets jaunes a démontré que quelques mesures incomprises pouvaient déboucher sur des révoltes. Les cassures d’avant crise ne se sont pas résorbées depuis. Une culture complotiste se diffuse au sein des États attisée notamment par les réseaux sociaux.
Ces grandes failles sont-elles à même de compromettre la reprise. Leurs effets ne sont pas certains compte tenu du haut niveau d’incertitudes auquel sont confrontés tous les pays. L’économie mondiale est loin d’en avoir fini avec le virus. Les échanges entre les États restent complexes. Les frontières du Canada, de l’Australie, du Japon, de la Corée du Sud, voire des États-Unis, restent très hermétiques. Plusieurs pays émergents sont confrontés à une nouvelle vague épidémique qui fragilise leur économie. L’Indonésie, redéploye l’oxygène de l’industrie vers les hôpitaux. En 2021, les pays les plus pauvres, qui manquent cruellement de vaccins, devraient croître plus lentement que les pays riches pour la troisième fois en 25 ans. Les pays émergents comme les pays pauvres sont confrontés à un risque d’augmentation des taux qui pourrait engendrer des problèmes financiers. Le Brésil, le Mexique et la Russie ont récemment augmenté leurs taux d’intérêt. La Chine étend sa zone d’influence notamment en Afrique en proposant aux États de s’affranchir du dollar. La pandémie n’a pas arrêté la compétition entre les États-Unis et l’Empire du Milieu. Elle l’a accélérée que ce soit sur le terrain de la technologie ou sur celui de la défense. Les autorités chinoises s’enorgueillissent d’avoir vaincu l’épidémie sans connaître une chute de leur PIB en 2020. Grâce à leurs exportations de matériels de santé et d’électronique, le pays en sort même renforcé. Il a profité de la crise pour imposer ses vues à Hong Kong et répète que le jour de la réintégration de Taïwan se rapproche. Les pays occidentaux tentent, mais de manière divisée, de réduire leur dépendance face à la Chine au niveau des énergies renouvelables, de l’informatique ou de la santé. Quand le virus aura reflué, la question chinoise pourrait redevenir un sujet majeur des relations internationales.
La bataille du ciel ne fait que commencer
Le secteur aérien a payé et continue de payer un lourd tribut à la crise sanitaire. Avec les blocages et les interdictions de voyager, la pandémie a frappé les compagnies aériennes du monde. Selon l’Association Internationale du Transport Aérien (IATA), les revenus par passager-kilomètre ont diminué de 66 % en 2020. Pour 2021, cet organisme s’attend à ce que le niveau soit inférieur de 57 % aux niveaux d’avant crise. Les professionnels du secteur estiment que le niveau de 2019 ne sera pas retrouvé avant 2024.
Les pertes annuelles totales des entreprises pourraient atteindre 48 milliards de dollars en 2021, s’ajoutant aux 126 milliards de dollars en 2020. Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, de nombreuses compagnies ont bénéficié de plans de soutien pour éviter leur dépôt de bilan. Face à cette crise sans précédent, toutes les compagnies ne sont pas dans la même situation. Les compagnies américaines et chinoises peuvent compter sur leur vaste marché intérieur de plus en plus exempt de virus pour rebondir. Celles de l’Union européenne ne bénéficient pas de cet atout. Aux États-Unis, les vols intérieurs représentent 60 % des voyages aériens, contre environ 10 % en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique. En Chine, le marché est dominé par trois compagnies, Air China, China Southern et China Eastern qui ont restauré assez rapidement leurs résultats grâce au retour à la normale dès le printemps 2020. Seule China Eastern a nécessité un renflouement important de la part de l’État chinois. En Europe, en revanche, le marché reste fragmenté par les frontières nationales, le nombre de vols court-courriers est toujours inférieur de 55 % à ce qu’il était avant le covid-19.
Les compagnies dont la rentabilité est assurée par les vols long courrier comme Air France auront plus de difficultés à retrouver l’équilibre car ces vols seront les derniers à retrouver leur rythme de croisière. Un taux de remplissage de 60 % de la classe affaires est nécessaire pour les compagnies généralistes ; pour le moment, ce taux tourne autour de 30 %. Les voyages internationaux et ceux d’affaires pourraient être durablement pénalisés en raison de la persistance de l’épidémie. Les voyageurs d’affaires substituent Zoom ou Teams aux déplacements en avion. Les entreprises à bas coûts qui se sont spécialisées dans les vols moyen-courrier seront moins affectées. Leur flotte est en outre plus récente et moins consommatrice de kérozène. La possibilité de faire des trajets long courrier avec des avions monocouloirs comme l’A321 leur donne même la possibilité d’étendre leur sphère de chalandise.
Le secteur du transport aérien a toujours été financièrement complexe. Entre 2008 et 2018, seulement 30 des 70 compagnies suivies par l’IATA ont été rentables sur la période. Ce secteur est très sensible aux variations de la conjoncture, de la réglementation, du prix du kérozène et aux problèmes de sécurité. La forte concurrence qui y règne ne facilite pas la tâche des gestionnaires. L’interventionnisme étatique est de mise. Les compagnies aériennes sont considérées comme des entreprises stratégiques et des symboles de puissance. Les États du Golfe ont ainsi créé des compagnies bénéficiant du large soutien de leurs propriétaires comme Emirates. Il en va de même pour Singapore Airlines (qui est cotée mais contrôlée par le gouvernement de la cité-État) et Cathay Pacific (le porte-drapeau de Hong Kong). Au sein de l’OCDE, 30 % d’entre-elles ont comme actionnaire de référence des États qui régulièrement sont contraints de les recapitaliser. Ainsi, depuis le début de la crise sanitaire, les gouvernements ont doté leurs compagnies pour plus de 225 milliards de dollars. Ce soutien a conduit à un nombre réduit de faillites dans ce secteur : 43 en 2020, contre 46 en 2019 et 56 en 2018. Les dirigeants des compagnies aériennes doivent tenir compte des intérêts politiques de leurs actionnaires. Le Groupe Air France/KLM est obligé de maintenir deux hubs (Roissy et Schiphol) et a été obligé de supprimer des lignes au nom de la transition énergétique. Aux États-Unis, les transporteurs aériens ont réussi à éviter une montée au capital de l’État fédéral. Ils ont fait appel au marché pour rembourser au plus vite les aides publiques. En mars 2021, American Airlines a émis pour 10 milliards de dollars d’obligations qui ont servi à rembourser des prêts publics. En avril, United Airlines a levé 9 milliards de dollars avec un objectif similaire. En Europe, plusieurs augmentations de capital ont été réalisées. En France, l’État a porté sa participation dans Air France-KLM à près de 30 %, l’Allemagne a pris une participation de 20 % dans Lufthansa et Alitalia est désormais entièrement détenue par l’État italien. Compte tenu de l’évolution du marché et des impératifs environnementaux, les compagnies doivent rapidement investir dans de nouveaux aéronefs. Le temps des hubs géants construits pour recevoir des A380, Boeing 747 ou Boeing 777 semble, pour le moment, révolu. Les passagers privilégient les liaisons directes et les compagnies les flottes de monocouloirs qui peuvent être affectés à des vols moyen et long-courrier. Pour réduire les empreintes carbone, les transporteurs aériens optent de plus en plus pour de nouveaux modèles (A320 Neo ou Boeing 737 Maxx). United Airlines vient de passer une commande de 270 nouveaux avions, la plus importante jamais enregistrée. Air France/KLM a lancé un programme d’achats de 160 avions visant à remplacer ses vieux A320 et B737. Delta et Southwest ont également prévu d’acheter des nouveaux avions.
Le paysage des transporteurs aériens pourrait donc évoluer rapidement dans les prochaines années. Les low-costs devraient accroître leurs parts de marché. Leur situation financière est moins dégradée que celle des transporteurs traditionnels. Faiblement investis sur les longs courriers, ils bénéficieront rapidement de la reprise des vols courts et moyens courriers. Ils sont peu dépendants du tourisme d’affaires. Plus de huit passagers sur dix voyageant avec Ryanair et Wizz Air sont des voyageurs de loisirs, contre sept sur dix pour Lufthansa et Air France/KLM. Les investisseurs croient à la victoire des low-costs. En bourse, les deux compagnes Ryanair et Wizz Air valent plus qu’avant la pandémie. Les transporteurs traditionnels sont obligés de réduire la voilure en mettant au rebus des avions et en libérant des créneaux horaires. Aux États-Unis, trois low-costs Allegiant, Frontier et Spirit qui ont doublé leur part de marché à 10 % au cours des cinq dernières années devraient continuer à gagner des parts de marché. JetBlue, une compagnie aérienne américaine à bas prix, prévoit de lancer des vols transatlantiques sur des jets à fuselage étroit monocouloir qui sont beaucoup moins chers à exploiter que les gros porteurs.
Les transporteurs aériens traditionnels européens sont les plus exposés à la crise, devant faire à une remise en cause de leur modèle économique qui reposait sur la vente de billets business sur de longs courriers. L’instauration d’une taxe sur le kérozène sur les vols européens et les pressions pour limiter certaines lignes constituent également des freins au rétablissement des comptes.