Le Coin de la Conjoncture – croissance France – croissance et transition énergétique – politique de la demande
Les politiques de soutien de la demande et leurs effets pervers
Depuis le début de l’épidémie, tant en Europe qu’aux États-Unis, les pouvoirs publics ont opté pour des politiques de soutien de la demande en laissant filer les déficits publics, en organisant des rachats de dette et en laissant des taux d’intérêt très bas. Le pouvoir d’achat des ménages a été préservé, permettant de maintenir leur consommation du moins quand ils n’étaient pas assujettis à des confinements. Les politiques de soutien de la demande restent dynamiques au cours de l’année 2021 avec des déficits publics qui dépassent 7 % du PIB au sein de la zone euro et 15 % du PIB aux États-Unis. La base monétaire s’élève à plus de 8 000 milliards de dollars contre 4 500 en décembre 2019 aux États-Unis. Pour la zone euro, les chiffres respectifs sont 6 000 et 3 800 milliards d’euros. Depuis plusieurs mois, les taux d’intérêt sont redevenus nuls au sein de la zone euro et sont repassés en-dessous de 1,5 % aux États-Unis.
Après avoir soutenu le pouvoir d’achat à travers le chômage partiel, le versement direct de compléments de revenus ou à travers la distribution de prêts garantis, les gouvernements ont, depuis quelques mois, engagé de vastes plans de relance qui commencent à se concrétiser sur le terrain. Ces politiques de demande pratiquées en même temps par les différents États occidentaux ne sont pas sans limite. Elles peuvent même être contreproductives.
Une augmentation rapide de la demande au sein d’économies ouvertes se traduit fréquemment par une progression des importations. Celle-ci est d’autant plus nette que l’appareil productif a été confronté aux effets des confinements qui ont désorganisé les circuits d’approvisionnement. La dégradation de la balance commerciale de la France traduit ce risque. Aux États-Unis, les importations ont augmenté de plus de 10 % en volume depuis le début de l’année.
Un soutien massif de la demande met sous tension les services en premier lieu les commerces, les restaurants et les hôtels qui éprouvent des difficultés à embaucher. Malgré un taux d’emploi inférieur de 5 points à son niveau d’avant-crise, le nombre de postes vacants est en forte augmentation. Aux États-Unis, 40 % des entreprises rencontreraient des difficultés de recrutement durant cet été. Dans une moindre proportion, la situation est identique en Europe. Le maintien des aides n’incite pas certains actifs à retourner sur le marché du travail. Par ailleurs, les emplois disponibles concernent avant tout les services (restauration – hébergement) et le bâtiment quand de nombreux demandeurs sont issus du secteur industriel.
Les différents goulots d’étranglement tant au niveau de l’emploi que de la production peuvent conduire à une hausse des prix. Pour le moment, celle-ci concerne avant tout les matières premières et l’énergie mais elle pourrait s’étendre au début de l’automne à certains produits finis. Depuis la fin 2019, les métaux non-précieux se sont appréciés de 60 % quand les produits agricoles ont augmenté de 40 %. Si la progression des salaires reste très modérée en Europe, aux États-Unis, elle dépasse 4 % en rythme annuel depuis le début de l’année.
Face à la persistance de l’épidémie et de la montée en puissance des risques économiques, les ménages pourraient, après une phase d’euphorie, revenir à un comportement prudent en épargnant. L’économie connaîtrait alors un rapide ralentissement faisant suite à une accélération. Une croissance en mode montagnes russes pourrait dissuader les entreprises d’investir. Les politiques en faveur de la demande pourraient avoir, de ce fait, une faible efficience. Au regard des montants injectés, les prévisions de croissance peuvent être considérées comme modestes. Les instituts de conjoncture tablent sur un étiolement assez rapide du rebond, ce qui signifierait que les politiques engagées ont peu d’effet sur la croissance potentielle. Une action centrée sur l’offre et notamment sur l’innovation devrait accompagner les politiques de demandes mises en place depuis le mois de mars 2020.
Industrie, services et lutte contre le réchauffement climatique
Depuis plus de 20 ans, l’économie mondiale se tertiarise au détriment de l’industrie. Cette déformation de la production avait comme vertu de ralentir les émissions de gaz à effet de serre en réduisant la consommation de matières premières et de d’énergie. Depuis le début de la crise du Covid, la structure de la demande évolue fortement en faveur des biens. Les ménages tendent à acheter davantage de matériel informatique et électronique ainsi que des biens d’équipements pour leur logement quand, les entreprises, de leur côté, investissent dans des matériels nécessaires à la digitalisation, au télétravail et à la transition énergétique. Les plans de relance contribuent également à l’augmentation de la demande en produits industriels et en produits destinés au bâtiment ainsi qu’aux travaux publics. Cette évolution constitue donc une rupture par rapport à un cycle engagé dans les années 1990 et qui s’était accéléré avec la crise des subprimes.
Si jusqu’en 2002, la production industrielle pour les pays de l’OCDE progressait au même rythme que le PIB, un premier décrochage est intervenu entre 2002 et 2007. De 2010 à 2019, la production industrielle progresse faiblement en volume quand le PIB s’accroît de plus de 16 %. Ce phénomène est encore plus net pour l’ensemble de l’économie mondiale. Plusieurs facteurs ont contribué à la forte croissance du secteur tertiaire. Plus le niveau de vie des ménages augmente, plus la part du budget consacrée aux services progresse. Ces vingt dernières années, les populations des pays émergents ont connu une forte progression de leur pouvoir d’achat, conduisant à une expansion du secteur tertiaire. Les loisirs, les services à la personne et la santé connaissent une progression plus rapide que celle du PIB avec l’accroissement des classes moyennes. Au sein des pays occidentaux, le vieillissement de la population contribue au développement des services. La saturation des besoins en produits industriels a pu également jouer. Cette transformation de la demande a conduit à la création d’emplois dans les services, emplois moins sophistiqués et moins payés. Les pays de l’OCDE ont connu un vif mouvement de désindustrialisation, accentué par le développement industriel des pays d’Asie du Sud-Est. Cette mutation a pour conséquence une moindre progression des émissions des gaz à effet de serre. Pour l’OCDE, le volume des émissions ont, en vingt ans, pour un point de croissance, baissé de 60 %. Pour l’ensemble de l’économie mondiale, la diminution est de 40 %. Depuis 2009, la consommation de métaux au sein de l’OCDE a diminué de 30 % ; pour l’ensemble de l’économie mondiale, la hausse a été de 5 %. De 1990 à 2019, le ratio consommation de pétrole sur PIB a diminué de 40 %. La croissance est moins consommatrice de produits pétroliers. Cette évolution est la conséquence d’une plus grande efficience dans l’utilisation des matières premières et de l’énergie et de la moindre dépendance de la croissance à la production industrielle.
Cette évolution favorable au climat est-elle durable ? La crise sanitaire semble prouver le contraire. L’épidémie a provoqué une hausse rapide et forte de la demande en produits industriels. En raison des confinements et de l’essor du télétravail, les ménages ont augmenté leurs dépenses en produits informatiques et électroménagers ainsi que celles liées à l’équipement des logements.
La transition énergétique pourrait provoquer dans un premier temps une augmentation des émissions des gaz à effet de serre. Les investissements nécessaires pour la décarbonation de la production sont sources d’émissions de CO2. La fabrication d’éoliennes, de panneaux solaires, le remplacement des véhicules, l’isolation des logements, etc. donnent lieu dans le cadre des circuits de production à de fortes émissions de gaz à effet de serre. Faute de pouvoir circuler facilement ou librement, les ménages pourraient à nouveau privilégier l’équipement de leurs logements. Il en résultera une augmentation de la consommation de matières premières et des émissions de CO2. Pour respecter les objectifs climatiques, les États ne pourront plus compter sur le déclin de l’industrie, d’autant plus qu’au sein de l’OCDE, la tendance est à la relocalisation.
Afin de contenir l’augmentation de la température à l’échelle mondiale à 1,5 degré, ce dont doutent de plus en plus les scientifiques du GIEC, les États-Unis, l’Europe, le Japon et la Chine sont censés faire disparaître les émissions nettes de CO2 entre 2050 et 2060. Cet objectif ambitieux peut-il être réalisé en maintenant un taux de croissance de l’économie mondiale autour de 3 % nécessaire pour améliorer la situation des pays en développement et émergents ? Faut-il que les pays dits avancés acceptent une décroissance ? De 1990 à 2019, les émissions de CO2 ont progressé de 60 % ; depuis 2009, la hausse est plus contenue, +12,5 % sur ces dix dernières années en lien, par ailleurs, avec un affadissement de la croissance. La nécessité d’une décorrélation entre croissance et émission de gaz à effet de serre s’impose. Cela suppose de réelles avancées technologiques en matière d’énergie décarbonée, dans le domaine de la construction de bâtiments (l’acier, le béton et le ciment sont des importants émetteurs) ou de l’agriculture. La recherche d’une plus grande efficience dans les processus de production industrielle sera donc indispensable ; l’autre voie, difficilement acceptable, étant la décroissance.
France, une croissance toujours sous contrainte
Selon la Banque de France, la quatrième vague de covid-19 affecte peu la production et donc la reprise économique. Depuis le mois de juin, l’activité serait globalement stable dans de nombreux secteurs de l’industrie, du bâtiment et des services marchands. L’hôtellerie et la restauration avec la saison estivale continuent de se redresser. Les goulots d’étranglement semblent en revanche se multiplier, gênant la montée en puissance notamment de l’industrie et du bâtiment. En juillet, la proportion des entreprises indiquant des difficultés d’approvisionnement atteint dans l’industrie 49 %, contre 47 % en juin. Ce taux est toujours élevé dans le bâtiment (60 %). La part des entreprises indiquant des difficultés de recrutement s’accroît à nouveau passant de 44 à 48 % de juin à juillet.
Dans l’ensemble de l’industrie, le taux d’utilisation des capacités de production baisse légèrement pour le deuxième mois consécutif (78 % après 79 % en juin), mais demeure proche de son niveau d’avant-crise (79 % en février 2020). La baisse est notamment sensible dans les secteurs des produits informatiques, électroniques et optiques (de 82 % en juin à 80 % en juillet), du bois, papier et imprimerie (de 81 % à 79 %) et des équipements électriques (de 80 % à 78 %). Le taux d’utilisation des capacités de production baisse également dans l’automobile et l’industrie de l’aéronautique et des autres transports, qui restent à des niveaux bas (respectivement 69 % en juillet après 72 % en juin, et 72 % après 73 %). Il augmente, en revanche, dans l’industrie chimique, à 83 % en juillet après 82 % en juin.
Comme les mois précédents, les chefs d’entreprise de l’industrie soulignent, dans le cadre de l’enquête de conjoncture de la Banque de France, une hausse des prix des matières premières et des prix des produits finis. Pour le moment, ils reportent peu les hausses sur les produits finis. Dans les services marchands, l’activité est relativement stable dans la plupart des secteurs. Le niveau d’activité dans la restauration se situe désormais à 79 % du niveau jugé normal, contre 69 % le mois précédent ; dans l’hébergement, il atteint 72 %, après 54 % en juin. Les ménages semblent avoir privilégié les locations saisonnières ou l’hébergement chez des amis aux hôtels. La crise sanitaire accentue une tendance constatée depuis plusieurs années. Les hôtels pâtissent de la rareté de la clientèle internationale. Dans le secteur du bâtiment, l’activité est stable autour du niveau d’avant-crise.
L’opinion des chefs d’entreprise sur les carnets de commandes reste positive dans le bâtiment, tout comme dans l’ensemble de l’industrie, malgré un fléchissement en juillet. Dans les industries des équipements (produits informatiques, électroniques et optiques, équipements électriques et fabrication de machines et équipements), les carnets demeurent particulièrement bien garnis.
Pour le mois de juillet, la Banque de France estime la perte d’activité entre -1 % et -1,5 % par rapport à la situation qui prévalait avant la crise sanitaire. Les services connaîtraient une activité soutenue. Le pass sanitaire rendu nécessaire pour de nombreux déplacements pourrait légèrement pénaliser les secteurs de la restauration et des loisirs.