Le Coin de la Conjoncture – croissance – compétences – transition énergétique
Comment réussir l’après rebond ?
Dans son rapport annuel sur la France publié le 18 novembre dernier, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) souligne que si les autorités ont rapidement réagi sur le plan économique à la situation spécifique générée par la crise sanitaire, elles doivent désormais s’employer à transformer le rebond de l’activité en reprise durable.
Au vu de l’évolution de la conjoncture, l’OCDE a révisé à la hausse ses prévisions de croissance pour la France en la portant à 6,8 % pour 2021 et 4,2 % pour 2022. Tout en mettant en garde contre un retrait « prématuré » des aides, les économistes de l’OCDE considèrent que le soutien budgétaire doit devenir plus sélectif. La priorité doit être accordée aux transformations nécessaires de l’économie et plus particulièrement à l’éducation et à la transition écologique. La poursuite des réformes dont celle des retraites constitue une nécessité tout comme l’assainissement des finances publiques. L’OCDE prend position en faveur du report progressif de l’âge de départ à la retraite à 64 ans. L’organisation est assez critique sur la politique de transition énergétique manquant, à ses yeux, d’ambition.
Un système scolaire perfectible
L’OCDE juge que le niveau des dépenses publiques est trop élevé en France avec un degré d’efficience améliorable. Elle s’inquiète des mauvais résultats scolaires des jeunes Français, résultats qui dépendent plus que dans d’autres pays membres de l’organisation du milieu familial des élèves. Des mesures doivent être prises pour réduire le risque de décrochage scolaire, ainsi que pour améliorer les relations entre les entreprises et le système éducatif. Il serait possible de développer encore l’apprentissage, comme le prévoit la réforme de l’enseignement professionnel, en renforçant sa composante de formation en entreprise.
Un système fiscal à améliorer au nom de la croissance
Les aides fiscales à la recherche-développement, très importantes en France, ont un rendement relativement faible. Les dépenses fiscales (niches fiscales) telles que celles liées aux heures supplémentaires, aux taux réduits de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou les subventions aux combustibles fossiles génèrent un manque à gagner élevé tout en ne favorisant pas la croissance à long terme. L’OCDE réclame une gouvernance des finances publiques plus transparente avec des évaluations pluriannuelles plus fines et sur plus longue période.
De nouvelles réformes du système de retraite
Selon l’OCDE, l’âge effectif de sortie du marché du travail est l’un des plus bas des États membres. Dans le même temps, l’espérance de vie à 65 ans est la seconde plus élevée. Dans ces conditions, un relèvement de l’âge minimum de départ à la retraite en fonction de l’espérance de vie est demandé tout comme une meilleure intégration des seniors dans les entreprises.
Une augmentation nécessaire du taux d’emploi et de la productivité
Dans son rapport annuel, l’OCDE souligne que les travailleurs ayant des compétences inadaptées sont trop nombreux, et que leur taux d’emploi reste faible. Des mesures doivent être prises afin d’augmenter le niveau des compétences des actifs français.
Des gains de productivité pourraient être obtenus grâce à une plus grande diffusion des technologies digitales au sein des PME, diffusion qui devra s’accompagner d’un effort spécifique de formation.
L’indispensable résorption du manque de logements
L’OCDE signale un manque chronique de logements dans les zones dynamiques qui constituerait un obstacle à la mobilité résidentielle, notamment pour les jeunes. Un plus grand nombre de logements permettrait de lutter contre la montée des inégalités sociales.
L’accélération de la transition écologique
Même si la France est un des pays de l’OCDE les moins émetteurs de gaz à effet de serre, la baisse de ses émissions est jugée lente. Les espaces artificialisés, la demande de transport et le volume des déchets ne cessent d’augmenter. La France se caractérise par une agriculture intensive ayant recours à un volume important d’intrants chimiques. Elle est un des pays les plus confrontés à la réduction de la biodiversité. La qualité de l’air est considérée comme médiocre en lien avec une densité élevée de particules provenant des moteurs diesel.
L’OCDE réclame une augmentation des investissements verts privés. Elle préconise la suppression des exonérations fiscales bénéficiant aux secteurs fortement émetteurs et le relèvement des taux des taxes environnementales. Le prix du carbone devrait être augmenté. Pour empêcher une aggravation des inégalités et améliorer l’acceptabilité sociale de telles mesures, l’OCDE suggère la mise en place d’aides en faveur des ménages et les entreprises les plus vulnérables.
Pour l’OCDE, la récente hausse des ventes de voitures électriques n’est pas suffisante pour enrayer l’augmentation des émissions liées au transport routier. Les critères d’éligibilité de la prime à la conversion du parc automobile et le barème du malus écologique devraient être plus sélectifs. L’organisation souligne le retard pris par la France pour la modernisation de son parc de bâtiments dont les émissions des gaz à effet de serre sont stables depuis des années. Les mesures d’aide aux travaux de rénovation énergétique ne favorisent pas l’engagement d’opérations efficaces dans ce domaine. Les aides publiques devraient être subordonnées au respect d’un critère d’efficacité énergétique minimale et s’accompagner de contrôles rigoureux des travaux de grande envergure.
Transition énergétique, un choc d’une grande ampleur
Grâce aux politiques de soutien des pouvoirs publics, la crise sanitaire n’a pas entraîné, de destruction du capital productif. Il pourrait en être différemment avec la transition énergétique. Celle-ci nécessite un effort important d’investissement pour opérer le renouvellement des infrastructures, comme après une guerre.
Pour financer l’effort d’investissement, le maintien de taux d’intérêt durablement négatifs apparaît comme la solution la plus facile à mettre en œuvre. La mobilisation des capitaux pour la décarbonation de l’économie pourrait s’accompagner d’une diminution de la production potentielle amenant à un regain d’inflation.
Après la Première Guerre mondiale comme après la Seconde, le taux d’investissement avait augmenté en France de 10 points par rapport à la période d’avant-guerre pour pallier les destructions. Le taux d’investissement a alors atteint 30 % pour revenir progressivement autour de 25 %. Un phénomène comparable avait été constaté en Allemagne, au Royaume-Uni et au Japon. La conséquence est à chaque fois une montée rapide du taux d’endettement. Il s’est élevé à plus de 250 % du PIB, en 1949, au Royaume-Uni et France, à plus de 200 % du PIB au Japon, et à plus de 110 % du PIB aux États-Unis ainsi qu’en Allemagne. L’endettement américain était avant tout imputable à l’effort de guerre et à la reconversion de l’outil productif une fois celle-ci achevée.
La transition énergétique pourrait produire des effets comparables en provoquant l’obsolescence accélérée d’une partie du capital productif. Les secteur des transports et de l’énergie – dont la valeur ajoutée représente 6 % du PIB au sein de l’OCDE – sont condamnés à revoir l’ensemble de leur processus de production d’ici à 2050. À cela, il faut ajouter la transformation du système de chauffage des logements (pompe à chaleur, isolations, etc.). Le taux d’investissement des différents États membres de l’OCDE se situe autour de 20 % du PIB (hors 2020). Pour atteindre les objectifs fixés par les Accords de Paris, il devrait passer à 25/27 % du PIB, sachant qu’en 2020, les énergies renouvelables ne représentent que 9 % de l’ensemble de la production énergétique totale. Pour réaliser cette transformation, les États disposent de peu de marges de manœuvre compte tenu du niveau élevé de leur endettement. La dette publique des États de l’OCDE dépasse 135 % du PIB, contre 120 % en 2019.
Entre 1945 et 1955, pour financer la reconstruction, les États avaient bénéficié de taux d’intérêt réels négatifs, voire très négatifs, en raison de la politique menée par les banques centrales et de la forte inflation. Entre 1945 et 1949, le taux d’intérêt réel en France a ainsi été négatif de plus de 30 points. L’absence de capacités de production disponibles entraînait alors une forte inflation qui dépassait alors les 10 %. En France, une pointe à plus de 50 % a été ainsi constatée après la Seconde Guerre mondiale. Le Japon et l’Italie ont connu également une vague d’inflation assez poussée au même moment. Afin de ne pas entraver la croissance, les banques centrales ont alors maintenu des taux directeurs très faibles. Pour le moment, ces dernières recourent à la même technique. Elles ne répondent pas à la hausse des prix par un relèvement de leurs taux. Pour justifier leurs décisions, elles soulignent que celle-ci est temporaire et qu’elle devrait s’estomper en 2022. Il est à noter que leur discours évolue. Si initialement, elles prévoyaient un retour à la normale au début de l’année 2022, elles considèrent désormais que celui-ci interviendra dans le courant de l’année prochaine. Elles répètent que la fin des politiques monétaires accommodantes sera progressive et qu’elles ne veulent pas rééditer l’erreur de la sortie de la crise de 2008/2009 où elles avaient relevé trop vite leurs taux.
Les différentes facettes de la soutenabilité des dettes publiques
Le faible niveau des taux d’intérêt pratiqués sur les obligations d’État semble indiquer que les épargnants ont confiance dans la solvabilité des États, et considèrent que ces derniers ont la capacité de rembourser leurs dettes. Cette conviction est en partie biaisée par l’interventionnisme des banques centrales qui rachètent une part non négligeable des obligations publiques. Il n’en demeure pas moins que les investisseurs ne fuient pas pour le moment ; ni devant la monnaie, ni devant les obligations d’État toujours considérées comme un placement sans risque.
La dette publique américaine est passée de 5 000 à 25 000 milliards de dollars de 2000 à 2020. Celle du Japon représente plus de 260 % du PIB en 2021, en hausse de 150 points en vingt ans. La dette publique française a doublé depuis 1997. Pour l’ensemble des pays de l’OCDE, l’endettement public dépasserait 61 000 milliards de dollars en 2021, contre 47 000 milliards en 2019. Si après la Seconde Guerre mondiale, avec l’instauration du FMI, le principe de la maîtrise des dettes s’est imposé afin d’éviter une stabilisation monétaire, un relâchement s’est opéré à compter des années 1970. Depuis une cinquantaine d’années, les pays occidentaux s’endettent avec des effets ressauts lors des crises. Les États recourent à l’emprunt pour financer une part croissante de leurs dépenses. L’affaiblissement de la croissance pèse sur l’évolution des recettes publiques quand les dépenses sont en progression afin de limiter les effets économiques et sociaux des crises qui se sont multipliées depuis 1973. La France n’a, ainsi, pas connu d’excédent budgétaire depuis 1974. À chaque nouvelle crise, le déficit est plus important et peine à revenir à son niveau d’avant. Les faibles taux de croissance et d’inflation ont contribué à augmenter le niveau de l’endettement public même si ce dernier trouve son origine dans l’accumulation des déficits.
La dette est un problème quand le débiteur n’a plus les moyens de rembourser. Faute de pouvoir compter sur des recettes suffisantes, en jouant sur les taux, le curseur de la soutenabilité a été fortement déplacé. La baisse des taux d’intérêt a considérablement allégé la facture de la dette pour les États qui, en outre, ont comme atout d’être supposés éternels. Cette spécificité leur permet de pouvoir s’endetter pour rembourser le capital venant à terme. Par leur politique, les banques centrales pèsent sur les taux de long terme, que ce soit avec la baisse de leurs taux directeurs ou leurs rachats d’obligations. En 1980, le taux moyen de la dette publique française était de 9 %, il n’est plus que de 1,5 % en 2021. Au niveau de l’OCDE, les taux d’intérêt à 10 ans des emprunts d’État sont, fin 2021, au vu du niveau de l’endettement, très bas, entre -0,5 et 2 % pour les grands États de l’OCDE.
Le service de la dette, le paiement des intérêts, qui est intégré au budget des États est en constante diminution au sein des pays occidentaux. Pour la France, il est passé de 46 à 37 milliards d’euros de 2011 à 2021 avec une dette en augmentation de plus de 30 points de PIB. En 2020, l’État en France s’est endetté à taux négatif. L’effet boule de neige longtemps craint ne s’est pas produit grâce à la chute des taux. Par leur politique, les banques centrales sont perçues comme les prêteurs en dernier ressort. Elles jouent le rôle d’assureur ultime expliquant la baisse des primes de risque souverain qui étaient mi-novembre, inférieurs à 25 points de base en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis ou au Japon. Pour l’Italie, le CDS (Credit Default Swap) souverain avoisine 90, bien en-dessous de son niveau de 2012, où il atteignait alors plus de 600 points de base. La dette n’est pas jugée comme un problème car les États trouvent les moyens de financement nécessaires pour couvrir leurs dépenses. Pour les tenants de la théorie monétaire moderne, les États doivent s’endetter autant que possible du moins tant qu’il n’y a pas de surchauffe…
La soutenabilité, une question pour demain et après-demain ?
Si aujourd’hui la question de la soutenabilité de la dette publique ne se pose pas, il pourrait en être tout autrement demain ou après-demain. Plus le poids de la dette est élevé, plus l’État est exposé en cas d’augmentation des taux. Nul ne peut affirmer que ces derniers resteront faibles pour la nuit des temps. Or, les besoins de financement des États occidentaux sont très importants, en particulier celui de la France. Pour cette dernière, ils devraient atteindre 292 milliards d’euros en 2022 selon le projet de loi de finances initial.
La soutenabilité de la dette dépend de plusieurs facteurs : les taux d’intérêt à long terme, le taux de croissance nominale de long terme et l’existence, le cas échéant, d’un excédent budgétaire. Plus la croissance du PIB est forte, moins les taux réels sont élevés et plus la soutenabilité augmente.
Comment assurer la solvabilité des États ?
- La réduction des déficits voire la réalisation d’excédents budgétaires
L’Allemagne a été un des rares États, avec les Pays-Bas et certains pays d’Europe du Nord, à avoir réduit le poids de sa dette publique après la crise de 2008 grâce à une politique d’excédents budgétaires. Sur la même période, la France n’a réussi à ramener son déficit que de 7 à 3 % du PIB, sa dette publique continuant à progresser. A partir des années 2010, les trajectoires de déficits et de dettes ont fortement divergé entre la France et les États d’Europe du Nord. L’augmentation des dépenses publiques, plus de 1 % par an en valeur réelle, explique cette divergence. Après 2010, la France a opté pour un relèvement des prélèvements obligatoires pour éponger une partie du déficit quand les autres pays recouraient à une maîtrise de leurs dépenses publiques. La France ne dispose, de ce fait, que de peu de marges de manœuvre en matière de prélèvements pour réduire son déficit post-covid.
Au vu des déficits prévus en 2022, aucun État occidental, selon Patrick Artus, Directeur de la recherche et des études de Natixis, n’a les moyens de stabiliser sa dette publique. Les États-Unis, le Japon et l’Allemagne sont simplement dans une situation plus favorable que la France, l’Espagne et l’Italie. La France est dans une position délicate avec un déficit primaire de 2,9 points supérieur au niveau qui permettrait une stabilisation de la dette. L’effort que devra réaliser la France pour se retrouver dans la moyenne de l’OCDE sera important. L’effort sera d’autant plus délicat à mener que de nombreux postes de dépenses publiques sont amenés à augmenter avec le vieillissement de la population. La transition énergétique est également une source de nouvelles dépenses en raison des infrastructures à réaliser (nouvelles centrales électriques, réseaux à aménager, bâtiments à rénover, aides aux secteurs touchés par la transition, etc.).
- Le retour de la croissance, la meilleure des solutions
Avant la crise sanitaire, la croissance du PIB des pays occidentaux avait tendance à s’éroder. Pour la France, elle se situait sur moyenne période autour de 1 % en valeur réelle sur fond de baisse des gains de productivité. La digitalisation est censée s’étoffer dans les prochaines années et faciliter la croissance. En revanche, du moins dans un premier temps, la transition énergétique devrait peser sur la croissance. Dans un second temps, elle pourrait permettre une utilisation plus efficiente de l’énergie et offrir des gains de productivité. Le problème avec la croissance est que sa formule est complexe. Elle suppose un contexte porteur (juridique, sociologique, etc.), du progrès technique, du capital et du travail. Avec des populations actives stagnantes et un rejet croissant du progrès technique, les pays occidentaux ne sont pas les mieux placés, actuellement, pour être à l’origine d’un cycle de croissance. Cependant, en 1945, après des années de guerre et une population alors vieillissante, la situation n’était pas favorable ce qui n’a, pourtant, pas empêché l’éclosion des Trente Glorieuses.
- L’épargne, une nécessité fragile
La soutenabilité de la dette dépend également du montant de l’épargne. Le Japon peut supporter une dette supérieure à 250 % du PIB grâce à l’effort d’épargne de ses concitoyens. Ces derniers absorbent 90 % des obligations de l’État. Avec le vieillissement de la population, le taux d’épargne tend à augmenter au sein des pays occidentaux. L’État est ainsi amené à dépenser en lieu et place des ménages.
La France fait appel aux investisseurs étrangers pour financer sa dette. Ses derniers possèdent environ la moitié de celle-ci. Elle n’est pas dans la situation du Japon où les résidents détiennent plus de 80 % de la dette publique. La France a donc besoin d’attirer des capitaux extérieurs pour financer le déficit public, besoin d’autant plus important qu’elle est confrontée à un solde négatif croissant de sa balance des paiements courants. La mobilisation de l’épargne au profit des administrations publiques peut générer un effet d’éviction au détriment du secteur privé. Ce dernier qui doit tout à la fois réussir sa transition énergétique et sa digitalisation devra investir et aura donc potentiellement besoin de capitaux. Quoi qu’il en soit, la soutenabilité de la dette dépend de la confiance des épargnants résidents et non-résidents. S’ils estiment que la dette est porteuse de risques, ils pourraient s’en détourner.
- L’inflation, un outil pas toujours maitrisable
L’inflation réduit le montant du capital à rembourser. Après la Seconde Guerre mondiale, elle a contribué à alléger le poids des dettes des pays européens. La France a connu alors un taux d’inflation de plus de 40 %, ce qui a réduit la facture de la dette. Cette érosion monétaire s’est alors accompagnée d’une croissance forte et durable. Par ailleurs, le niveau des prélèvements était plus faible qu’aujourd’hui. En outre, l’arme de l’inflation n’est efficace que si les taux d’intérêts réels restent faibles. Ce fut le cas entre 1945 et 1955. Les épargnants ont été les victimes de cette conjonction.
Par ailleurs, l’inflation ne se décrète pas et génère, en cas d’emballement, des effets pervers. Elle nuit à la compétitivité économique et pénalise les personnes dont les revenus ne sont pas indexés.
De la fausse solution de l’effacement à la délicate mutualisation européenne
De l’effacement des dettes publiques portées par les banques centrales au cantonnement de celles liées à la crise sanitaire, plusieurs idées ont fusé, ces derniers mois, pour améliorer la solvabilité des États.
La dette détenue par les banques centrales pourrait être effacée aisément car elle est indirectement détenue par les États contrôlant ces dernières. D’un trait de plume, il serait facile de supprimer, par exemple, 25 % de la dette publique française qui est logée au sein des différentes banques centrales de la zone euro. Cependant, ce serait faire fi de l’indépendance des banques centrales. Les États de l’Europe du Nord seraient peu enclins à accepter une telle pratique qui nuirait à l’honorabilité de l’euro et conduirait à une hausse des taux. C’est, en effet, oublier qu’après l’effacement, autrement dit une banqueroute partielle, les États seraient amenés à s’endetter à nouveau, les déficits étant toujours présents. Or, les investisseurs, par crainte d’être les prochaines victimes, exigeraient une prime de risque importante conduisant à une hausse des taux et donc du montant du service de la dette. Le gain de l’effacement serait annulé voire inférieur aux surcoûts ainsi engendrés. Cette idée a été vite repoussée par les responsables des banques centrales comme des gouvernements. En revanche, celle liée au cantonnement de la dette covid a plus de succès. Le ministère de l’Économie a décidé d’individualiser cette dette avec l’affectation de taxes spécifiques en vue de son remboursement. Ce cantonnement n’est qu’un effet d’affichage et n’est, en soi, pas une nouveauté. Il reprend la formule en vigueur pour la dette sociale qui est logée dans la CADES.
Pour réduire le poids de la dette qui pèse sur les États de l’Union européenne, le principe d’un cantonnement partiel non pas au niveau national mais au niveau européen a été avancé. Ce principe reprend la philosophie du plan de relance qui repose sur l’émission de titres obligataires européens destinés à financer des investissements au sein des différents États membres. La répartition des crédits ne s’effectue pas exclusivement en fonction du poids des États membres mais en fonction des difficultés rencontrées depuis le début de la crise sanitaire. Au-delà du plan de relance, certains imaginent faire de même pour le financement de la transition énergétique. Parmi les partisans de cette pratique figure notamment la France. D’autres y sont, en revanche, opposés, estimant qu’elle aiderait surtout les États dépensiers et mal gérés.
Les États peuvent-il s’affranchir durablement du principe de rareté qui est sous-jacent à toutes les lois économiques ? Peuvent-ils sans fin accroître le niveau de leur endettement ? L’histoire prouve plutôt l’inverse. Toute période d’endettement ne se termine pas obligatoirement mal mais tout emballement mal ou peu contrôlé expose à de graves problèmes comme ceux qu’ont rencontrés la Russie en 1998, l’Argentine en 2002 ou la Grèce en 2012. La monnaie comme les États reposent sur la confiance, valeur subjective dont la remise en cause intervient souvent de manière impromptue et brutale.
Les compétences, le problème majeur de la France
Une enquête du ministère de l’Éducation nationale, publiée le 16 novembre dernier, souligne que les élèves des classes primaires, CP et CE1, avaient retrouvé les niveaux d’avant le premier confinement, durant lequel les classes avaient été fermées. 81,6 % des écoliers de CP, en français, ont obtenu un taux de maîtrise « satisfaisant » pour « manipuler les syllabes », alors qu’ils n’étaient que 79,3 % en 2020, et 81,3 % en 2019. 78,4 % des CE1 savent, en mathématiques, « lire des nombres entiers » en 2021 cette année, contre 74,7 % juste après le confinement et 75,6 % en 2019. En sixième, le niveau des élèves augmente très légèrement, mais reste faible en lecture, seulement la moitié des élèves ayant le niveau attendu. Dans les zones d’éducation prioritaire renforcée, ce taux n’est plus que de 33 %. Selon l’enquête du ministère, en sixième, en lecture, un collégien sur trois n’a pas le niveau requis en CE1. La lecture est en voie de marginalisation au sein des jeunes Français. Le Ministère de l’Éducation nationale reconnaît que ce problème est un « enjeu fort ». Il a décrété la lecture grande cause nationale de 2021.
Cette enquête post-covid s’inscrit dans le prolongement de celles menées au niveau international par différents organismes dont l’OCDE qui depuis des années indiquent la faiblesse du niveau des élèves français et surtout la baisse de ce dernier. En CM1, les Français se classent à l’avant-dernier rang pour les résultats en mathématiques au sein de l’Union européenne (la Roumanie étant la dernière), selon Timms (étude internationale publiée l’International Association for the Evaluation of Educational Achievement). Les élèves français affichent un score de 485 points, quand la moyenne internationale est à 527 et celle des pays de l’OCDE de 529. La baisse du niveau est régulière depuis une vingtaine d’années. La France se caractérise également par la surreprésentation des élèves ayant un faible niveau en mathématique ; 15 % des élèves sont dans ce cas contre 6 % des élèves au niveau européen. Si par le passé, la France était une terre d’excellence en mathématiques, ce n’est plus le cas. Seulement 3 % des élèves atteignent le niveau avancé en maths, contre 9 % des élèves en Europe. Pour les élèves de 4ème, le recul est très important. Ils affichent un résultat de 483 points en mathématiques, contre 530 en 1995. Cette baisse de niveau correspond à l’équivalent d’une année de scolarité perdue en vingt-cinq ans. Le nivellement par le bas est très important. La France compte de moins en moins de bons élèves. En 1995, 11 % des élèves en 4ème pouvaient être ainsi classés au vu de leurs résultats en mathématiques. Ils ne sont plus que 2 % en 2019. Selon l’enquête PISA de l’OCDE, le score de la France est passé de 507 à 494 de 2000 à 2018. Notre pays se place au dernier rang des grands pays loin derrière le Japon, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Corée du Sud ou les États d’Europe du Nord.
Le faible niveau de la formation initiale se reflète sur celui des compétences des actifs. Selon l’enquête PIAAC de l’OCDE, la France se classe 21ème. Le faible niveau des jeunes et des adultes en compétences scientifiques constitue un réel handicap pour la réindustrialisation et la numérisation de l’économie. Compte tenu du rôle du diplôme en France et des difficultés chroniques rencontrées par la formation continue, il est difficile de remédier au cours de la vie professionnelle au déficit de compétences à l’entrée. Sans diplôme, il est impossible ou presque d’accéder à certains emplois et de bénéficier de promotion. Les jeunes sans formation initiale sont cantonnés à des emplois précaires peu valorisants.
L’échec scolaire se répercute sur le contenu des activités économiques. Le nombre d’emplois sous-qualifiés est deux fois plus important en France qu’en Allemagne. La désindustrialisation n’est pas que la conséquence de coûts supposés élevés, les salaires allemands dans ce secteur étant proches de ceux de la France. Les entreprises industrielles sont à la peine pour trouver des ingénieurs et des techniciens. Les jeunes actifs diplômés sont de plus en plus réticents à s’installer dans des villes industrielles, villes qui se trouvent fréquemment aux marges des grandes agglomérations. Ils préfèrent occuper des emplois de services au cœur des grandes villes. Les politiques économiques mises en œuvre depuis trois décennies n’ont pas incité à la montée en gamme de l’industrie française. Les allègements sociaux sur les bas salaires ont permis des allègements de coûts mais ont dissuadé les entreprises à améliorer le niveau des compétences et à investir. La sous-capitalisation des entreprises a également pesé sur leur modernisation. Ces différents facteurs ont freiné leur montée en gamme. Un des symboles du retard de l’industrie française est la faiblesse du stock de robots. Il est deux fois moins important que celui de l’Allemagne (1,5 robot pour 100 emplois industriels en France contre 3 en Allemagne). Les entreprises françaises étant concurrencées par celles des pays émergents et à défaut de trouver des salariés qualifiés, elles ont opté pour les délocalisations.
Les États qui ont conservé un secteur industriel puissant se caractérisent par un niveau de formation élevé. C’est le cas du Japon, de la Corée du Sud, de l’Allemagne ou des pays d’Europe du Nord. Des compétences élevées de la population active sont également associées à un taux d’emploi élevé, à une modernisation forte des entreprises et à des salaires en croissance.
Un niveau élevé de compétences accroît l’employabilité de la population active et facilite la montée en gamme. Compte tenu de ces données, une action en faveur de la formation des jeunes et des adultes apparaît nécessaire en France, avec notamment une revalorisation des filières scientifiques. En 2019, la France compte deux fois moins d’élèves suivant des études scientifiques que l’Allemagne. Il convient de souligner que l’apprentissage connaît, ces dernières années, une croissance non négligeable, le nombre d’apprentis étant passé de 400 000 à 600 000 de de 2016 à 2020. Il reste néanmoins très en-deçà de celui de l’Allemagne (1 400 000).
La bataille des compétences conditionne l’évolution de l’économie française. La poursuite de la baisse du niveau de formation s’accompagnera de celle de la désindustrialisation. Ce processus conduit à une spécialisation sur des activités de services domestiques en lien avec le tourisme. Ce choix ou plutôt ce non-choix est générateur d’une faible croissance avec, à la clef, une progression du déficit extérieur qui pose d’ores et déjà un véritable problème.