Le Coin de la Conjoncture – inégalités, USA/Europe – conjoncture France –
Une croissance moins forte que prévu en 2022 pour la France
Dans sa note de conjoncture du mois de décembre, la Banque de France a confirmé que l’activité économique en France avait retrouvé son niveau d’avant-crise dès le troisième trimestre de cette année. La croissance du PIB en moyenne annuelle devrait être de 6,7 % en 2021. Celle-ci devrait être de 3,6 % en 2022 et de 2,2 % en 2023, avant un retour sur un rythme proche du potentiel autour de 1,4 % en 2024. En ce mois de décembre marqué par une résurgence de l’épidémie et la persistance de difficultés d’approvisionnement, qui affectent certains secteurs comme l’automobile, la Banque de France a révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour 2022. Après un rebond notable sur les trois premiers trimestres de 2021, l’activité économique en France progresserait à un rythme plus modéré fin 2021 et début 2022.
Reprise en suspension
Si le PIB au troisième trimestre est revenu à son niveau de la fin de l’année 2019, il reste encore à combler un écart par rapport à la tendance qui aurait dû prévaloir en l’absence de crise. Pour le quatrième trimestre 2021 et le premier trimestre 2022, la Banque de France prévoit un taux de croissance du PIB de respectivement 0,6 % et 0,2 % avec les tensions sur les approvisionnements et la recrudescence de l’épidémie. Sur l’ensemble de l’année 2021, la croissance s’élèverait à 6,7 % ; elle serait de 3,6 % en 2022, de 2,2 % en 2023 et d 1,4 % en 2024. Si pour 2021, la Banque de France a rehaussé sa prévision de 0,4 point, elle l’a réduit de 0,1 point pour 2022. En 2023, elle l’a améliorée de 0,3 point. Le niveau d’activité atteint en fin d’horizon de prévision serait assez proche de la trajectoire d’avant-crise. La perte définitive de PIB du fait de la crise sanitaire serait ainsi très limitée, grâce notamment au dynamisme du marché du travail. En 2021 et 2022, la forte croissance serait notamment portée par le rebond de toutes les composantes de la demande intérieure. En revanche, après la forte baisse de 2020, la contribution nette du commerce extérieur ne se redresserait pas en 2022 dès lors que le rebond des exportations resterait en partie entravé dans certains secteurs. La contribution des variations de stocks serait globalement négative en 2022 en raison des tensions sur les approvisionnements.
Inflation, sommet en vue ?
La Banque de France estime que l’inflation atteindrait son point culminant à la fin de de l’année avec un taux de 3,5 % fin 2021 et qu’elle devrait repasser en dessous de 2 % d’ici la fin de l’année 2022. Elle s’établirait à un rythme de 1,5-1,6 % en 2023 et 2024, portée alors par la dynamique retrouvée des prix des services. Au cours des derniers mois, la hausse marquée de l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation harmonisée s’explique, en grande partie, par la poursuite de la remontée des prix du pétrole et du gaz depuis leurs faibles niveaux atteints en 2020. Les prix des produits manufacturés sont affectés par les tensions sur les prix des intrants, augmentant fortement, ceux des services étant également orientés à la hausse. En 2023 et 2024, l’inflation totale (1,5 % en 2023 et 1,6 % en 2024) serait portée par sa composante hors énergie et alimentation, stable mais dynamique autour de 1,7 % en moyenne annuelle. Le retour des variations des prix des produits manufacturés vers leur moyenne historique serait contrebalancé par le dynamisme des prix des services, reflétant la bonne situation du marché de l’emploi, de façon assez similaire à la première.
Un emploi moins dynamique pour les prochains trimestres
D’ores et déjà revenu aujourd’hui à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage continuerait, selon la Banque, à se réduire pour s’établir à 7,7 % fin 2024. La situation sur le marché du travail s’est normalisée au troisième trimestre 2021 en comparaison de la situation d’avant-crise. L’emploi salarié a enregistré plus de 108 000 créations nettes entre juin et septembre, après une progression de 309 000 sur les trois mois précédents. L’emploi se situe ainsi un peu au-dessus de son niveau d’avant-crise (+ 261 000 emplois salariés, soit + 1,0 %). La légère remontée du taux de chômage au troisième trimestre à 8,1 % selon la dernière enquête Emploi est essentiellement due à une forte progression de la population active qui retrouve sa trajectoire tendancielle, le taux d’emploi étant au plus haut (67,5 %). Dans le même temps, le nombre de salariés placés en activité partielle a fortement décru pendant l’été, passant à 160 000 emplois équivalents temps plein. Le nombre d’heures travaillées dans le secteur marchand demeurait néanmoins au troisième trimestre encore en deçà de – 0,6 %, de son niveau de fin 2019. Sur le début de l’année 2022, l’emploi pourrait perdre en dynamisme avec le ralentissement de l’activité, en lien avec les difficultés d’offre dans l’industrie et le risque d’une résurgence de l’épidémie. Le taux de chômage se stabiliserait à 7,9 % en 2022. Avec la normalisation du nombre d’heures travaillées par emploi, le volume total d’heures travaillées continuerait néanmoins de progresser en 2022 et dépasserait à partir du premier trimestre 2022 son niveau d’avant-crise. La baisse du taux de chômage reprendrait à la fin de 2022 et en 2023. Les créations d’emplois seraient alors plus dynamiques, avec aussi une progression du volume d’heures travaillées.
Des salaires en hausse
Les salaires par tête dans le secteur marchand devraient être orientés à la hausse. Hors effets du chômage partiel, ils progresseraient à un rythme proche de 4 % en 2022. En 2023-2024, ils continueraient d’augmenter à un rythme soutenu autour de 3 %, supérieur à celui de la période 2012-2019 et proche de celui du début des années 2000. De fait, les premiers accords salariaux conclus dans certaines branches depuis octobre 2021 suggèrent une progression des salaires négociés qui peut beaucoup varier suivant la situation de chaque branche, mais reste souvent supérieure à celle des dernières années précédant la crise de la Covid. Les fortes hausses de prix actuelles se transmettraient d’abord pour partie aux salaires, conformément aux régularités historiques. C’est le cas en particulier du SMIC, revalorisé automatiquement en fonction de l’inflation au début du mois d’octobre (+ 2,2 %). Cette influence de l’inflation sur les salaires n’est pas en général une indexation complète à court terme. La bonne tenue du marché du travail, avec en particulier le taux de chômage qui resterait à un niveau relativement bas, devrait conduire à des revalorisations salariales plus importantes que dans le passé. Avec la baisse de l’inflation, le pouvoir d’achat des actifs devrait augmenter en 2022 et en 2023.
Une consommation menacée par les nouvelles vagues de covid
A court terme, la consommation des ménages serait temporairement affectée par les contraintes d’offre et la situation épidémique, mais elle serait ensuite soutenue par des revenus dynamiques. Au troisième trimestre 2021, la consommation des ménages a été particulièrement dynamique (5 %), en particulier dans le secteur de l’hébergement-restauration à la suite de la levée des contraintes sanitaires. Ce dynamisme s’est accompagné d’un recul du taux d’épargne qui reste cependant supérieur à son niveau d’avant-crise (17% contre 15 % du revenu disponible brut). La croissance de la consommation devrait se ralentir entre la fin 2021 et le début 2022 en lien avec les difficultés d’approvisionnement des entreprises, notamment dans le secteur automobile, mais également du fait de l’incertitude autour de la cinquième vague épidémique et du nouveau variant Omicron. La Banque de France espère que, dès la mi-2022, la consommation retrouve une trajectoire plus soutenue grâce à des revenus en hausse et grâce à un dégonflement de la cagnotte « covid ». Celle-ci a atteint près de 170 milliards d’euros au troisième trimestre 2021. La banque centrale considère que les Français devraient affecter environ un cinquième d’ici à 2024 à la consommation.
L’investissement ne connait pas la crise
Dès le deuxième trimestre 2021, l’investissement des ménages atteignait un niveau supérieur à celui de la fin d’année 2019. La hausse de l’investissement devrait se poursuivre en raison de la progression des dépenses de rénovation des logements et des achats sur le marché du logement neuf avec les dépenses associées. Sur le marché du logement ancien, le surplus d’épargne pourrait continuer à soutenir la dynamique des prix immobiliers et du crédit à l’habitat. Pour les entreprises, après un plus haut historique atteint début 2021, le taux d’investissement reculerait légèrement en 2022 en lien avec les contraintes d’approvisionnement en biens d’équipement, même s’il restait à un niveau très élevé. Il repartirait à la hausse en 2023 et 2024, sous l’effet notamment de conditions de financement toujours relativement favorables et des subventions accordées dans le cadre du plan de relance. Malgré la vigueur de l’investissement, le taux d’autofinancement des sociétés non financières resterait supérieur à 90 % et leur taux d’épargne serait également élevé. Leur taux de marge baisserait légèrement avec la fin des aides pour retrouver son niveau moyen des années 2015/2018.
Après s’être fortement repliées en 2020, les exportations françaises ont profité en 2021 de la reprise du commerce international et du retour de certains touristes étrangers durant l’été, en particulier ceux en provenance des pays européens voisins (Belgique, Pays-Bas, Allemagne). La reprise des exportations reste cependant en décalage par rapport au PIB en raison notamment des difficultés dans les secteurs du tourisme, de l’automobile, dont la situation se détériore depuis le mois de juillet 2021 en lien avec la pénurie de semi-conducteurs, et de l’aéronautique qui subit toujours les restrictions sur la mobilité internationale. À moyen terme, les exportations accéléreraient vers fin 2022 avec la dissipation progressive des difficultés d’offre sur le plan mondial, puis elles se normaliseraient en 2024.
Des finances publiques durablement affectées
Pour la Banque de France, en 2021, le solde public resterait dégradé à – 7,6 % du PIB, après – 9,1 % du PIB en 2020, en raison du maintien des mesures d’urgence et de la montée en charge des mesures de relance, et malgré le fort rebond économique et le premier versement de 5 milliards d’euros des fonds européens de la facilité pour la reprise et la résilience. Le taux de prélèvements obligatoires passerait de 2020 à 2021 de 44,5 % à 43,5 % du PIB 2021, du fait des mesures déjà votées (dégrèvement de la taxe d’habitation, réduction du taux de l’impôt sur les sociétés, diminution des impôts de production dans le cadre du plan France Relance). Les dépenses publiques seraient dynamiques en 2021 compte tenu de l’adoption de plusieurs mesures d’urgence contre la crise sanitaire (fonds de solidarité, activité partielle, dépenses exceptionnelles de santé, etc.) et de celles concernant la revalorisation de certaines rémunérations au sien de la fonction publique. A cela s’ajoutent les mesures de soutien au pouvoir d’achat des ménages, comprenant le chèque énergie, l’indemnité inflation et le « bouclier tarifaire » qui entreront progressivement en vigueur à la fin 2021. Les dépenses publiques (hors crédit d’impôt) continueraient donc à croître vigoureusement en 2021, de 4,2 % en valeur et 2,6 % en volume, après la forte croissance en 2020 (7,1 % en valeur et 6,9 % en volume). Avec le rebond du PIB, le ratio de la dette publique diminuerait légèrement, passant de 115,0 % en 2020 à 113,6 % en 2021. En 2022, le solde public s’améliorerait à – 4,9 % du PIB, du fait de la fin de la plupart des mesures d’urgence et d’une croissance économique toujours vigoureuse. En 2024, le déficit public pourrait atteindre – 3,5 % du PIB, soit un niveau supérieur à celui d’avant crise. L’année prochaine, toute chose étant égale par ailleurs, le ratio de dette publique sur PIB continuerait à diminuer légèrement. Il serait de 112,8 % en 2022,
La projection économique proposée par la Banque de France est évidemment sujette aux aléas sanitaires importants. L’adoption de mesures sanitaires restrictives en lien avec la diffusion du variant Omicron aurait un effet sur la trajectoire de l’économie française même si celle-ci, de vague en vague, fait preuve d’une résilience croissante.
Découplage économique américano-européen
Les marchés de l’emploi aux Etats-Unis et en Europe évoluent, pour le moment, de manière asymétrique. A 76 % à fin 2021, le taux d’emploi aux Etats-Unis est deux points au-dessous de son niveau d’avant-crise, quand celui de la Zone euro atteint 80 %, soit son niveau de 2019. La Zone euro a un nombre d’emploi supérieur de 1 % à celui constaté fin 2019 quand les Etats-Unis enregistrent un déficit en la matière de 2 %. La crise de la Covid a provoqué aux États-Unis d’importants retraits de salariés, qui ont quitté le marché du travail. L’affaissement du taux d’emploi aux Etats-Unis ne dépend ni de l’âge, ni du niveau de qualification. Les jeunes comme les seniors, les diplômés de l’enseignement supérieur comme les non diplômés du secondaire enregistrent une baisse de leur taux d’emploi. Cette différence entre les Etats-Unis et l’Europe peut s’expliquer par les mesures prises au cœur de la crise sanitaire. Les Etats membres de l’Union européenne ont privilégié le chômage partiel évitant le licenciements des salariés quand les Etats-Unis ont opté pour des ruptures de contrat de travail et une forte indemnisation. Après avoir été licenciés, de nombreux Américains refusent de reprendre le chemin du travail en puisant dans leur épargne. La forte valorisation des cours boursiers et de l’immobilier permettrait aux diplômés et aux Américains appartenant aux 10 % les plus riches de prendre du recul par rapport à leur vie professionnelle. La notion de « Grande Démission » est née de ce refus de retour au travail. En Europe, les entreprises constatent de leur côté des difficultés pour faire revenir au bureau les télétravailleurs, ce qui peut s’assimiler comme un refus également de renouer avec les formes anciennes de travail. Des salariés en télétravail exercent également, en silence, leur reconversion en exerçant d’autres tâches sur leurs heures de travail.
Cette asymétrie de part et d’autre de l’Atlantique a pour conséquence une progression plus rapide des salaires aux Etats-Unis, les entreprises peinant à retrouver leurs salariés d’origine. Depuis mars 2020, le salaire nominal par tête a progressé de près de 6 % aux Etats-Unis, contre 1 % en Zone euro. Cet écart explique l’augmentation plus rapide de l’inflation sous-jacente Outre-Atlantique. En novembre, elle était de 4 % aux Etats-Unis, contre 2 % au sein de la Zone euro. La poussée inflationniste amène la Réserve fédérale américaine à sortir plus rapidement des politiques monétaires expansionnistes que la BCE. Les taux directeurs devraient passer en moyenne à 0,9 % fin 2022, contre 0,25 % actuellement. Le montant de la réduction des achats d’actifs est, par ailleurs, relevé de 15 à 30 milliards de dollars par mois. Ces derniers devraient prendre fin en mars 2022. La BCE a affirmé vouloir maintenir des rachats, certes en baisse, d’obligations durant toute l’année prochaine. Elle n’a pas, en outre, précisé son calendrier de hausse de ses taux directeurs. Ce décalage au niveau des politiques monétaires, de part et d’autre de l’Atlantique, devrait conduire à une dépréciation de l’euro.
Les Etats-Unis ont rebondi très rapidement après les premières vagues de covid en jouant sur une injection massive de crédits publics au sein de l’économie au risque de créer de nombreux déséquilibres. L’incapacité de redresser le taux d’emploi constitue une menace pour la croissance américaine. L’Europe est pour le moment moins concernée par le renoncement des salariés au travail.
Les raisons de l’enrayement de l’économie française au début de ce siècle
Aux débuts des années 2000, la France était montrée en exemple quand l’Allemagne était le pays malade de l’Europe. Cette dernière peinait à intégrer les Länder de l’Est et devait faire face à une perte de compétitivité ainsi qu’à des déficits publics en forte hausse. Dès le milieu de la première décennie du XXIe siècle, le rapport de force s’est inversé, la France connaissant une désindustrialisation rapide s’accompagnant d’un fort chômage structurel. Depuis, la France n’a jamais rattrapé son retard vis-à-vis de son principal partenaire, que ce soit au niveau du commerce extérieur, du taux d’emploi, de l’endettement public, ou du niveau de vie. Les écarts se sont creusés d’année en année.
Jusqu’en 2003, la France fait jeu égale avec l’Allemagne tant au niveau de la production industrielle qu’en termes de croissance, le décrochage n’intervenant qu’après. En vingt ans, l’écart de croissance a atteint 40 %. Le solde industriel de la balance commerciale était légèrement positif pour la France également jusqu’en 2003. Depuis, il a été constamment en déficit, celui-ci atteignant 80 milliards d’euros en 2020 quand l’Allemagne dégage des excédents dépassant régulièrement 300 milliards d’euros. En 2021, le taux d’emploi allemand est supérieur à celui de la France de dix points quand il ne l’était que de cinq points en 2001. En 2005, le PIB par habitant français représentait 97 % de celui de l’Allemagne. En 2021, ce ratio est passé à 85 %. Jusqu’en 2007, les niveaux de dette publique par rapport au PIB étaient comparables (65 %) dans les deux pays avant de profondément diverger. En 2021, la dette publique a atteint 116 % du PIB en France, contre 70 % en Allemagne. De 2010 à 2019, cette dernière a même été capable de réduite son taux d’endettement de près de vingt points de PIB.
La rupture entre les deux pays sur le plan économique est multifactorielle. Le premier facteur est celui du niveau de formation et des compétences des actifs. Selon les enquêtes PISA de l’OCDE mesurant le niveau des élèves, la France est en recul depuis vingt ans quand l’Allemagne, après avoir connu un point bas en 2009, améliore ses résultats. La proportion de jeunes de 15 à 25 ans déscolarisés et sans emploi en France était de 16 % en 2020, contre 10 % en Allemagne. Le taux de chômage des moins de 25 ans est de 5 % Outre-Rhin, contre 18 % en France. Pour le niveau de compétences des salariés, la France se retrouve dans le bas du classement des pays de l’OCDE en occupant la 21ème place loin derrière le Japon, la Finlande ou les Pays-Bas qui sont le podium, l’Allemagne se classant 14ème.
La faute à la réduction du temps de travail non fautive ?
La réduction du temps de travail est souvent mise en avant pour expliquer le décrochage de la France dans les années 2000. La corrélation n’est pourtant pas aisée à établir. Le temps de travail en France est ainsi supérieur à celui de l’Allemagne, 36 heures contre 34 heures. L’instauration des 35 heures a, certes, pénalisé les PME françaises et a contribué à dégrader une compétitivité qui était moyenne. L’économie françaises est essentiellement tertiaire, ce qui la rend plus sensible aux modifications de coûts du facteur travail que l’Allemagne, plus industrielle. Les coûts salariaux français sont supérieurs à ceux de l’Allemagne de 2003 à 2013, mais depuis la situation s’est renversée du fait de revalorisations salariales plus élevées Outre-Rhin. Le positionnement de la production des deux pays a plus d’incidences sur les résultats économiques que le coût et le temps de travail.
La question du positionnement de gamme
L’industrie française reste positionnée sur des produits de gamme moyenne concurrencées par ceux en provenance d’Europe du Sud, de Turquie et d’Asie, quand celle de l’Allemagne est centrée sur des produits haut de gamme à fortes marges. Ce mauvais positionnement français s’explique par la taille plus petite des entreprises, leur manque de fonds propres et par des réseaux de financement très centralisés. Par ailleurs, les grandes entreprises ont choisi, très rapidement, de délocaliser une part croissante de leur production obligeant leurs sous-traitants à les suivre ou à fermer. Le tissu économique de la France est moins dense que celui de l’Allemagne, notamment pour les entreprises de taille intermédiaire. En 2019, la France en comptait 5 300, contre 12 500 pour l’Allemagne. Les entreprises allemandes ont conservé leurs liens familiaux et sont intiment liées à leur territoire d’origine.
Le système de charges sociales et les mécanismes d’exonération n’ont pas incité les entreprises à monter en gamme. Les exonérations étant plafonnées en fonction du salaire, elles n’avaient aucun intérêt à élever le niveau des compétences et celui des salaires.
La culpabilité des impôts de production
Plusieurs études de l’OCDE ont souligné l’effet négatif sur l’investissement et l’emploi d’un poids élevé des cotisations sociales des entreprises et des impôts de production. La France qui a le taux de cotisations sociales le plus élevé de l’OCDE se caractérise par un faible taux d’emploi inférieur à la moyenne. L’OCDE comme Patrick Artus, l’économiste en chef de Natixis, estiment que les prélèvements sociaux et les impôts sur la production ont contribué, en partie, à la désindustrialisation de la France lors de ces vingt dernières années. Les cotisations sociales des entreprises représentaient, en 2020, 11 % du PIB en France, contre 7 % en Allemagne. Le poids respectif des impôts de production était de 3,5 et 1 % du PIB. Les prélèvements obligatoires sont supérieurs dans leur globalité de plus de 5 points du PIB entre la France et l’Allemagne. Cet écart est imputable au montant des dépenses sociales. Les dépenses publiques pour la santé, la retraite, la famille, le logement et l’emploi s’élevaient à 25 % du PIB en 2019 en France, contre 20 % en Allemagne. Depuis le début du siècle, la France doit faire face à un véritable cercle vicieux. La faiblesse du taux d’emploi conduit en France à des politiques redistributives de grande taille qui nécessitent pour être financées une pression fiscale élevée sur les entreprises, laquelle réduit à nouveau le taux d’emploi et incite aux délocalisations.
Un déficit de recherche et d’innovations
En matière de recherche et d’innovation, la France décroche dès la fin des années 1990 au début de la révolution numérique. Les dépenses en recherche et développement sont passées de 2,3 à 2,2 % du PIB en France de 1995 à 2019 contre respectivement 2,1 et 3,2 % du PIB en Allemagne. Le nombre de brevets triadiques (déposés à l’Office japonais des brevets-OJB) et à l’Office européen des brevets-OEB et délivré par l’Office des brevets et des marques des États-Unis-USPTO) pour un million d’habitants était, en 2019, de 30 en France, contre 57 en Allemagne. Si en 1995, le stock de robots industriels pour 100 emplois manufacturiers était relativement proche en France et en Allemagne (respectivement 0,4 et 0,6), l’écart s’est creusé en 2019 (respectivement 1,6 et 3,1). Si en matière de recherche, la France est en retard, elle ne l’est pas en matière d’investissement. Le taux d’investissement des entreprises y est supérieur de deux points à celui de l’Allemagne (respectivement 15 et 13 % du PIB en 2019).
Le décrochage de la France par rapport à l’Allemagne serait avant tout dû au positionnement de l’outil de production, au financement des entreprises, ainsi qu’au recul de la qualité du système éducatif ainsi que de l’employabilité des actifs. A cette liste de facteurs, peuvent également ajouter la hausse des impôts des entreprises qui ont un effet négatif sur l’investissement et l’emploi et la diminution de l’effort de R&D, ainsi que le retard dans la modernisation des entreprises.
Inégalités, à chacun sa méthode pour les réduire
Depuis une dizaine d’années, la question des inégalités sociales au sein des pays occidentaux est devenue un sujet sensible pour l’opinion publique. La mondialisation et la digitalisation sont accusées de favoriser leur montée. La polarisation des emplois avec le développement des services domestiques, la désindustrialisation et la progression des rémunérations dans certains secteurs d’activité et pour certains postes (informatique, finance, emplois de créateurs, dirigeants de très grands groupes), contribuent à la montée des inégalités. Les pays occidentaux ne réagissent pas de manière identique face à cette situation. Si la priorité a été donnée au salaire direct aux Etats-Unis et en Allemagne, avec plus ou moins de succès, la réduction des inégalités en France est obtenue par une socialisation croissante des revenus. Aux Etats-Unis, la demande est soutenue par les pouvoirs publics à travers les commandes publiques ; en Allemagne, ce sont les entreprises qui en sont les responsables ; en France, elle est portée par les prestations sociales. La crise sanitaire a égalisé les pratiques. Les Etats-Unis ont délivré directement des chèques à la population quand la France et l’Allemagne ont eu recours au chômage partiel. Si la forme était différente, le résultat était identique.
Aux Etats-Unis, depuis la crise financière de 2008, les gouvernements maintiennent des politiques de soutien de la demande générant un fort déficit public, entre 6 et 15 % du PIB entre 2009 et 2021. L’accroissement des dépenses publiques facilite la création d’emplois et, à partir de 2016, la hausse des salaires. En Allemagne, les salaires étaient en hausse avant la crise sanitaire, hausse qui s’est accentuée depuis dans un contexte de relance. Si la productivité par tête aux Etats-Unis augmente plus rapidement que le salaire réel par tête entre 2002 et 2021, l’inverse est constatée en Allemagne. Aux Etats-Unis, les pouvoirs publics parient sur la création d’emploi pour réduire les inégalités quand, en Allemagne, ce sont les entreprises qui en sont à l’origine. La France utilise une tout autre stratégie se caractérise par d’importantes inégalités avant revenus qui sont réduites par le jeu de politiques redistributives de grande taille. Avant redistribution, l’indice de Gini mesurant les inégalités de revenus en France est supérieur à la moyenne de l’OCDE (hors France), soit 0,53 contre 0,50. En revanche, après redistribution, la France se situe en-dessous de la moyenne de l’OCDE (0,30, contre 0,35). Les transferts publics représentaient avant la crise sanitaire 34 % du PIB, contre 24 % pour l’OCDE (hors France). Avec la crise, les transferts publics ont atteint 38 % du PIB en France et 28 % en moyenne pour l’OCDE. La proportion des revenus socialisés augmente en France. Les prestations sociales assurent près de 50 % des revenus pour les 20 % des ménages ayant les plus faibles revenus. Une déconnexion entre les revenus et le travail est plus marquée en France que dans les autres pays occidentaux. Si cette politique réduit fortement les inégalités après prestations, les écarts de revenus issus du travail augmentent. La France se caractérise par un très grand nombre d’emplois non qualifiés, deux fois plus qu’en Allemagne. De nombreux jeunes actifs sont contraints de multiplier les CDD et les emplois à temps partiel. Le développement des plateformes de services en ligne s’accompagne d’un fort mouvement de création de micro-entreprises. En 2021, l’économie française compte plus d’un million de micro-entrepreneurs. 64 % des créations d’entreprises prennent cette forme juridique. La socialisation des revenus a pour corollaire un haut niveau de prélèvements obligatoires : plus de 45 % du PIB en France, contre 40 % en Allemagne et 26 % aux Etats-Unis. Les cotisations sociales acquittées par les entreprises représentent 14 % du PIB en France, 9 % aux Etats-Unis et 7,5 % en Allemagne.
Les différents moyens de réduction des inégalités ne sont pas exempts de défauts. Aux Etats-Unis, le soutien budgétaire est difficile à réduire. En Allemagne, l’industrie doit consentir des efforts permanents de formation pour maintenir sa compétitivité, effort que le patronat estime de plus en plus lourd financièrement à mener. L’Allemagne, à l’image de la France, doit faire face à la montée en puissance de « minijobs ». L’Etat fédéral a été contraint d’instituer un salaire minimum pour réduire les tensions sociales. La France qui est le pays ayant pris le parti le plus abouti de la socialisation des revenus est confrontée à un endettement important et à une insatisfaction de la population.