Le Coin des Tendances – récession – industrie musicale
Demain, la récession est-elle certaine ?
Aux États-Unis, la prévision de la croissance est un sujet récurrent. Avant la survenue de la crise sanitaire, l’apparition d’une récession était annoncée tous les trois mois pour être démentie par les faits, permettant ainsi aux États-Unis de connaitre la plus longue période de croissance depuis la Seconde Guerre mondiale.
Avec la résurgence de l’inflation et le resserrement de la politique monétaire, les prédictions d’une nouvelle récession se multiplient outre-Atlantique. Les grandes banques, d’éminents économistes et d’anciens responsables politiques affirment qu’une contraction du PIB est incontournable tout comme les trois quarts des directeurs généraux des cinq cents plus grandes entreprises américaines. Les recherches Google pour le mot « récession » sont en forte augmentation. Selon les observations de Larry Summers, l’ancien secrétaire au Trésor, chaque fois que l’inflation dépasse 4 % et que le chômage est inférieur à 4 %, les États-Unis connaissant une récession dans les deux ans qui suivent.
Aux États-Unis, de nombreux économistes estiment que l’inflation n’est pas le produit de problèmes temporaires d’approvisionnement ou de chocs d’offre liés à la guerre en Ukraine mais qu’elle est la conséquence d’une surchauffe générale de l’économie provoquée par la multiplication des plans de soutien et de relance. La demande est excessive. Une politique monétaire plus stricte serait nécessaire pour la ramener à un niveau normal.
De nombreux observateurs soulignent des similitudes entre la situation actuelle et celle qui prévalait au début des années 1980, quand la Fed de Paul Volcker a décidé d’éradiquer l’inflation au prix d’une forte récession. D’autres experts estiment que les États-Unis sont également confrontés à un ajustement boursier de première importance comme en 2000 quand les valeurs Internet s’étaient effondrées. Depuis le début de l’année, le Nasdaq a perdu plus de 25 %. Les évènements passés ne se répètent jamais à l’identique. L’inflation de 2022 est moins enracinée dans les circuits de production que celle des années 1970. La croissance est aujourd’hui moins dépendante du pétrole. L’économie est plus complexe, plus mondialisée qu’elle ne l’était il y a cinquante ans. La sphère financière occupe une place plus importante. Les banques centrales ont développé leur grille d’analyse et exercent une influence non négligeable sur le cours de l’économie. La communication est devenue aussi, voire plus, importante que les actes eux-mêmes. Les communiqués de presse des autorités monétaires sont décryptés mot à mot. En 2022, la situation financière des ménages et des entreprises est meilleure que celle de 1973 ou celle de 2007. Aux États-Unis, la dette des ménages représente environ 75 % du PIB, contre 100 % à la veille de la crise des subprimes. Le marché immobilier américain s’est assaini. En Europe, les taux d’épargne sont élevés. Les ménages disposent de liquidités importantes. L’encours de dépôts à vue, en France, dépassait 520 milliards d’euros au mois de mars, soit plus de deux fois le montant de décembre 2007 (195 milliards d’euros). Même aux États-Unis, les ménages ont constitué une épargne de précaution depuis le début de la crise covid qui s’élèverait à 2 000 milliards de dollars, soit près de 10 % du PIB. Avec la résurgence de l’inflation, ils commencent à puiser dans ce stock de liquidités mais il est loin d’avoir été épuisé. Dans ces conditions, leur endettement net a connu une croissance relativement faible. Si les entreprises se sont endettées depuis le début de la crise sanitaire, elles ont également accru leur trésorerie. Elles ont profité, ces dernières années, des taux historiquement bas. Elles investissent tant pour répondre à la demande que pour se moderniser et contribuer à la transition énergétique. Dans les années 1970 et 1980, les entreprises diminuaient leurs investissements pour limiter la dégradation de leurs ratios financiers. En Europe ou aux États-Unis, les entreprises qui seraient en grande difficulté du fait de leur endettement en cas de retournement brutal de la demande sont, selon une étude de Standard and Poors, deux fois moins nombreuses en 2022 qu’en 2008.
Jusque dans les années 2010, le plein emploi était synonyme d’inflation. Or les États-Unis et d’autres pays ont prouvé, entre 2010 et 2019, que cette causalité n’était plus automatique. Logiquement, quand les taux d’intérêt augmentent, le chômage aussi. En raison de la moindre progression, en Occident, des populations actives, cette règle ne semble plus tout aussi certaine. Jerome Powell, président de la Fed, a ainsi indiqué « qu’il existe une voie par laquelle nous pourrions modérer la demande sur le marché du travail et faire baisser les postes vacants sans que le chômage n’augmente ». Actuellement, les États-Unis compte 1,9 postes vacants pour un demandeur d’emploi. Pour Lawrence Henry Summers, la prudence doit être néanmoins de mise. La relation entre chômage et emplois vacants est plus compliquée que dans le passé. Les entreprises peinent à trouver les bons profils et les demandeurs d’emploi sont plus exigeants. Le nombre d’emplois vacants peut continuer à croître sans que cela ne se traduise par une baisse du chômage. Quoi qu’il en soit, malgré les incertitudes, malgré la reprise de l’inflation, l’emploi demeure bien orienté. Si en 1980, le taux de chômage était dans de nombreux pays de 10 %, il est aujourd’hui bien en-deçà et cela même en France (7,2 % en avril).
En 2022, le système financier est en meilleure santé qu’en 2008 au moment de la crise des subprimes. Avec le durcissement de la réglementation prudentielle, les ratios de fonds propres ont été accrus. Les marges de sécurité sont bien plus importantes. Les régulateurs réalisent des crash test régulièrement. Parallèlement, le shadow banking s’est développé. Aux États-Unis, les prêteurs non bancaires ont émis environ 70 % des prêts hypothécaires, en 2021, contre 30 % il y a dix ans. Idéalement, cela écarterait les risques des banques. Les fonds spéculatifs et les family offices prennent des risques croissants. Plus endettés qu’il y a 15 ans, ils comptent parmi les plus gros investisseurs en obligations d’entreprises moins bien notées. Malgré tout, la part des opérations de prêts américains qui passent en-dessous du radar des régulateurs est plus faible que la taille du marché hypothécaire en 2007. Le marché immobilier, malgré ou en raison de la hausse des prix, n’est pas actuellement une bombe à retardement. La crise des subprimes était intervenue, outre-Atlantique, dans un contexte d’augmentation de la construction de logements, or aujourd’hui, la construction est faible. Il y a une pénurie de logements, ce qui conduit à l’augmentation des prix mais sans provoquer un emballement des prêts auprès de ménages non-solvables.
La gestion de la politique monétaire est aujourd’hui plus fine que lors des dernières vagues inflationnistes. Les banques centrales pratiquent la réponse graduée en augmentant avec modération les taux afin de concilier croissance et assagissement de la hausse des prix. Compte tenu du niveau de l’inflation sous-jacente, les taux directeurs de la FED devraient être au minimum de 4 % et non comme cela est le cas au mois de juin de 0,75/1 %. La Banque centrale européenne a différé au maximum le moment du relèvement de ses taux qui devrait intervenir au mois de juillet. Les banques centrales parient sur une diminution de l’inflation d’ici le début de l’année prochaine et ne souhaitent donc pas surréagir. À la différence des années 1980, leurs marges de manœuvre sont plus faibles compte tenu du niveau d’endettement des États. Un relèvement brutal des taux pourrait poser un problème de solvabilité non seulement aux administrations publiques mais également à un certain nombre d’établissements financiers. En jouant la prudence, les banques centrales engagent leur crédibilité. En cas d’erreur de jugement, leur légitimité pourrait être atteinte. Elles auraient plus de difficultés à reprendre la main sur l’inflation.
La survenue d’une récession de grande ampleur aux États-Unis comme en Europe pourrait entraîner des conséquences sociales et politiques non négligeables. La sensibilité de la population aux crises est plus forte. L’accumulation rapide de ces dernières a fragilisé le tissu social. La récession pourrait provoquer des mouvements sociaux et favoriser les extrêmes. Le Président Joe Biden pourrait être confronté à un Congrès hostile après les élections de mi-mandat en novembre prochain. Compte tenu des plans de soutien mis en œuvre depuis le début de l’année 2020, les pouvoirs publics sont mal armés pour faire face à une éventuelle récession. Le risque serait un nouvel emballement de la dette publique qui pourrait provoquer des hausses de taux d’intérêt. Pour échapper à un cycle de stop and go, l’espoir est placé dans la réalisation de gains de productivité comme après la Seconde Guerre mondiale. Pour le moment, le numérique a déçu en matière de gains de productivité, mais il n’est pas interdit de croire qu’il pourrait, en lien avec la transition énergétique, être porteur d’un nouveau cycle de croissance.
The show must go on
Mick Jagger aura 79 ans quand il terminera, en chantant « Satisfaction », au mois de juillet 2022, la tournée européenne des soixante ans des Rolling Stones. De nombreux groupes nés au début des années 1960 et au début des années 1970 arrivent au terme de leur existence. Ces derniers ont été à l’origine de l’essor de l’industrie musicale des années 1960 jusqu’à maintenant. Cette industrie a généré des revenus sans précédent dans le monde des loisirs. Les artistes, les tourneurs et les maisons de production ont bénéficié de flux de recettes élevés durant une cinquantaine d’années. La valorisation d’Universal Music atteint ainsi 40 milliards d’euros, soit cinq fois plus que la valeur du groupe Renault. La capitalisation de Live Nation qui organise des spectacles dans un grand nombre de pays s’élève à 8 milliards d’euros. Les grands concerts rassemblant des dizaines de milliers de spectateurs ont permis de surmonter la crise du disque. Les recettes d’une tournée des Stones peuvent atteindre plusieurs centaines de millions de dollars. En 2021, malgré la crise sanitaire, avec une dizaine de concerts, ils ont réussi à générer un chiffre d’affaires de 115 millions de dollars, les plaçant en tête des groupes les plus rentables sur scène. Même si Mick Jagger défie le temps, la probabilité pour l’organisation de nouvelles tournées diminue d’année en année. Les majors de l’industrie multiplient les innovations et investissent de nouveaux créneaux pour conforter leurs marges.
Le pari technologique de l’industrie musicale
Depuis un demi-siècle, la musique rock ou pop a surfé sur les grandes innovations du secteur de la communication et de l’information. Dès le départ, le rock et le cinéma, puis la télévision ont été intimement liés. Les Beatles et les Stones se sont mis en scène dans des films. Ils ont fait appel à de grands réalisateurs. De nombreuses chansons des Stones ont été utilisées dans des bandes son de films dont ceux de Martin Scorsese. Les films ont même servi à la promotion d’album ou de vedettes. Le succès des CD dans les années 1980 s’est accompagné de celui des vidéoclips dont a profité notamment la chaîne MTV. Le clip « Thriller » de Mickael Jackson de 1983 réalisé par John Landis ayant été l’un des plus connus. Le succès de YouTube a initialement reposé sur la possibilité de visionner les clips de ses artistes favoris, sans limite et sans frais, et a contribué à la popularisation d’Internet. À compter des années 1990, le monde de l’édition musicale a été victime des téléchargements illégaux. Aujourd’hui, les artistes musicaux s’adaptent en investissant les plateformes comme TikTok et les jeux vidéo. Le virtuel gagne de plus en plus de terrain. Avec les confinements, les artistes ont vendu des billets pour des évènements en ligne. Cette pratique se poursuit malgré le repli de l’épidémie. Les plateformes de jeux en ligne expérimentent des expériences hybrides musique-jeu. En mars de cette année, le groupe sud-coréen BTS, a diffusé un concert payant devant 2,4 millions de téléspectateurs en ligne et dans les cinémas. D’ici 2028, selon le cabinet d’études « Midia », les concerts diffusés en direct généreront entre 4 et 5 milliards de dollars par an, soit plus que durant la pandémie. L’année dernière, Live Nation qui est la plus grande société de divertissement, a acquis Veeps, une startup de diffusion en direct. Spotify et Deezer, des services de musique par abonnement, ont tous deux conclu des accords avec Driift qui intervient dans ce même secteur des concerts en ligne. Si dans le passé, des retransmissions dans des cinémas ou à la télévision de concerts avaient été organisées pour des grands groupes comme les Stones, elles sont désormais possibles par Internet et pour des groupes de moindre audience. Lors de la tournée du groupe britannique « Little Mix », la plateforme Driift a diffusé le spectacle final. Cette diffusion a été vendue à près de 60 000 personnes dans 143 pays et 29 000 autres ont payé pour regarder le flux dans les cinémas. les ventes totales de billets en streaming ont rapporté 1,5 million d’euros. La production et la transmission de vidéos coûte de moins en moins cher, autour de 300 000 euros.
Les groupes investissent également de plus en plus l’univers du jeu vidéo. Le site de jeux en ligne Fortnite organise ainsi des concerts. La musique sert de support aux jeux et les musiciens deviennent des acteurs de ces jeux. Roblox, une autre plateforme de jeux, a organisé un concert sur le thème du Far West dans lequel l’artiste Lil Nas X est apparu comme un cow-boy aux nombreux pouvoirs. Minecraft, un jeu en ligne de construction mondiale, a organisé des festivals de musique.
« Rock never die » ou quand le virtuel travaille pour l’immortalité des groupes
Le virtuel permet de faire revivre des stars décédés. Whitney Houston, disparue en 2012, s’est produite ou plutôt reproduite durant six soirs dans un hôtel de Las Vegas, de manière holographique. Buddy Holly, Roy Orbison, Maria Callas et Tupac Shakur ont été à l’affiche de concerts posthumes similaires.
Pour faire perdurer la magie des grands concerts et exploiter au mieux le filon de la nostalgie dans les vieux groupes, la haute technologie est appelée à l’aide. Le groupe Abba a été ainsi reconstitué par hologramme, le 26 mai à Londres. Les images des membres du groupe en trois dimensions ont été générées par ordinateur, capturées tels qu’ils étaient en 1979, et leurs voix sont un mélange d’enregistrements qui datent de près de cinquante ans. Le coût du spectacle a été évalué à 175 millions de dollars dont un tiers a été affecté à la réalisation de la salle de concert de haute technologie de Londres. Plus de 300 000 billets ont été vendus. Ce concert virtuel pourra à terme être reproduit dans de nombreuses villes.
Des copies aussi bonnes que les orignaux
Le rock se classicise. Les auteurs originaux laissent la place à des interprètes. Les groupes de reprises, appelés « coverband » ou « tribute » se multiplient avec ou sans l’assentiment des groupes originels. Autrefois raillés par la critique, ils font l’objet d’un intérêt et du soutien croissant des majors. The Australian Pink Floyd Show qui joue sans surprise du Pink Floyd remplit des grandes salles. AC DC, Led Zeppelin ou les Stones ont leurs groupes « tribute ». Les vieux tubes de la rock ou de la pop deviennent des classiques et sont repris par de multiples formations.
La gestion patrimoniale des portefeuilles musicaux
Avec la cessation d’activité, des stars des décennies passées, l’industrie musicale, à défaut de pouvoir en générer de nouvelles capables de transcender les générations et les classes sociales, exploitent autant que possible les actifs des anciennes. Les majors rachètent ainsi les droits des anciens groupes ou stars pour pouvoir récupérer les droits. Bruce Springsteen a ainsi vendu l’intégralité de son catalogue de chansons à Sony pour un montant estimé à 500 millions de dollars. Les catalogues de David Bowie, Bob Dylan, Paul Simon ou encore Neil Young ont été également cédés parfois pour plusieurs centaines de millions de dollars. Certains artistes comme David Bowie avait, de son vivant, titrisé ses chansons afin de récupérer immédiatement du capital. Le rachat des catalogues par les majors obéit au même objectif. La décision de porter la durée des droits des auteurs de 50 à 70 ans renchérit la valeur de ces catalogues que les auteurs essaient de monnayer au plus vite.
L’industrie musicale est amenée à gérer la fin de la vague née avec les babyboomers. En une cinquantaine d’années, la musique rock-pop qui puise ses origines dans le blues noir américain s’est imposée dans la quasi-totalité des pays. Si au début des années 1960, cette musique était clivante, en étant le porte-drapeau d’une jeunesse éprise de liberté face au monde adulte jugé conservateur, elle a été adoptée par les générations suivantes. Les concerts des Stones attirent une foule âgée de 7 à 77 ans voire 80 ans…. Avec l’affirmation du rap, de la techno, de la soul, le monde de la musique se fragmente à nouveau. Par ailleurs, la musique, à l’exception du rap, a perdu son rôle de marqueur social et culturel. Les jeunes se définissent moins que dans le passé par rapport aux groupes et aux stars qu’ils écoutent. La musique, omniprésente grâce au streaming ou smartphone, fait partie du quotidien. Elle ne bénéficie plus du même relais que dans les années 1960/1980 par les médias classiques (radio, télévision, presse écrite). Aujourd’hui, chacun compose sa setlist à sa convenance en passant par Deezer, Spotify ou YouTube. Comme au cinéma, l’arrivée de nouvelles stars sur le devant de la scène est plus difficile, Internet permettant un zapping permanent. Pour être en haut de l’affiche, dans un système où l’offre est abondante, la surenchère est de mise. Les rappeurs n’hésitent pas à multiplier les provocations pour se faire reconnaître. Ce phénomène n’est pas totalement nouveau, les Stones ne se sont-ils pas construits, en 1962, il y a soixante ans, une image de « mauvais garçons » pour se différencier des Beatles ?