Le Coin de l’Economie – emploi – industrie allemande – zone euro – Russie et Chine – politique monétaire
La zone euro face à la pénurie de main d’’œuvre
En quelques mois, après la fin des confinements, de nombreuses entreprises européennes se sont retrouvées confrontées à des problèmes de recrutement. Ces problèmes d’embauche sont liés à l’évolution de la population, l’inadéquation entre les besoins des entreprises et la main d’œuvre disponible (en termes de compétences, de types de formation…) et la rotation plus forte des salariés. Figurent également parmi les facteurs contribuant à la pénurie, des besoins de recrutement très élevés, dus soit à une croissance forte, soit à l’absence de gains de productivité.
Au sein de la zone euro, le nombre d’entreprises rencontrant des difficultés de recrutement a doublé entre 2019 et 2022. En France, des secteurs comme le bâtiment, la restauration ou l’hébergement sont confrontés à des problèmes récurrents de main-d’œuvre. De nombreux restaurants, en zone à forte intensité touristique, ont été contraints de réduire leur activité durant la période estivale. Le manque de personnel ne s’est pas atténué avec la fin de l’été. Le nombre réduit de travailleurs immigrés en provenance de l’Est a obligé des restaurants sur la Côte d’Azur ou en Corse à fermer de manière précipitée. Dans le bâtiment, la demande étant importante, faute de personnel, les délais s’allongent et les prix augmentent.
La première explication des pénuries de main-d’œuvre est la diminution de l’offre de travail. Plusieurs pays au sein de la zone euro connaissent une stagnation voire une déclin de leur population active. Le nombre de départs à la retraite augmente fortement quand, dans le même temps, les entrées sur le marché du travail se font plus rares. En France, dans les prochaines années, plus de 800 000 départs à la retraite sont attendus par an. À ce jeu mécanique de la démographie, s’ajoute celui lié au recul de l’offre de travail constaté après la crise de la Covid. Si ce phénomène a été marqué aux États-Unis, il ne concerne pas, pour le moment, la zone euro où le taux d’emploi est en augmentation. En revanche, l’analyse sectorielle souligne qu’un nombre non négligeable de salariés refusent les emplois pénibles à horaires décalés. Le bâtiment, la restauration, l’hôtellerie, le secteur social sont les plus concernés. La hausse du nombre de démissions dans la zone euro depuis la reprise post-Covid génère des tensions sur le marché du travail. Les salariés changent plus souvent d’entreprises optant pour des emplois moins pénibles et mieux rémunérés. Le nombre de démissions a été multiplié par deux en quatre ans. La multiplication des arrêts maladie conduit également les entreprises à recourir à d’avantage de CDD ou à l’intérim, ce qui est également une source de tensions sur le marché.
Le deuxième facteur entrant en ligne de compte pour les pénuries de main-d’œuvre est l’inadéquation entre l’offre et la demande de travail, c’est-à-dire le fait que les salariés ont des compétences, des qualifications qui ne correspondent pas aux besoins des entreprises. Fréquemment avancé par les chefs d’entreprise, cet argument est relatif car tous les secteurs sont confrontés aux problèmes de recrutement. Si cet argument s’avérait exact, cela signifierait qu’aucune formation n’est adaptée. Le problème résiderait non pas dans l’inadéquation de la formation mais dans le manque de qualification de la population active de la zone euro. Si en France, cette insuffisance a été, à maintes reprises, soulignée, elle n’était pas relevée dans les pays d’Europe du Nord ou en Allemagne. Or ces pays ont des problèmes importants de recrutement.
Les besoins de main-d’œuvre sont élevés en raison du rebond économique post-covid et de la baisse de la productivité. Pour une même production, il faut plus d’emplois. La diminution du temps de travail par tête, -7 % depuis 2014, est un des signes de cette baisse de la productivité. Les besoins des secteurs sociaux sont importants en lien avec la crise sanitaire et le vieillissement de la population.
Si le ralentissement de la croissance pèse sur le nombre de créations d’emplois, il ne fera néanmoins pas disparaître l’ensemble des pénuries de main-d’œuvre. L’évolution de la démocratie et le changement des comportements des actifs impacteront le marché du travail pour plusieurs années. Pour changer la donne, il conviendrait d’augmenter le temps de travail tout comme le taux d’emploi.
La Chine et la Russie loin derrière l’OCDE
La Chine est la deuxième puissance économique mondiale et aspire à occuper, d’ici 2049, la première place. La Russie dispose a priori de la deuxième armée du monde et souhaite redessiner les relations internationales. Elle possède des positions fortes au niveau de la production de l’énergie et des matières premières. Elle est également un acteur clef pour certaines productions agricoles. Depuis 1973, l’OCDE semble être en déclin, amenant certains à douter du système d’économie libérale qui la caractérise. Néanmoins, à l’horizon 2050, l’OCDE conserve de nombreux atouts.
À compter de 2026, les populations de la Russie et de la Chine diminueront quand celle de l’OCDE continuera à augmenter avant tout grâce aux États-Unis. La baisse de la population active est nette pour les deux régimes autoritaires. D’ici 2050, ils perdront plus de 100 millions de personnes en âge de travailler quand la population active de l’OCDE devrait rester globalement stable.
Si ces dernières décennies, les gains de productivité de la Chine étaient trois à quatre fois supérieurs à ceux de l’OCDE, l’écart tend à se réduire. Ils seraient respectivement de 2,5 et 1,5 % sur la période 2020/2050. L’affaissement des gains de productivité chinois ralentira le comblement de l’écart qui existe avec les États-Unis.
En 2022, le PIB de l’OCDE représente 280 % fois celui de la Chine et de la Russie. En 2050, au vu de la productivité et de l’évolution de la population active, il représentera en dollars constants 220 %. Le PIB par habitant restera nettement favorable aux pays occidentaux.
Les dépenses de recherche et développement atteignent pour l’OCDE 1 400 milliards de dollars, contre 400 milliards de dollars pour la Russie et la Chine. Elles représentent respectivement 3 et 2,4 % du PIB. L’écart technologique ne sera pas comblé d’ici 2050 d’autant plus que l’Occident accroît depuis quelques années ses efforts de recherche.
Les dépenses militaires s’élèvent à 2,5 % du PIB pour l’OCDE, contre 2 % du PIB pour la Chine et la Russie. En volume, en dollars courant, les montant respectifs sont 1 200 et 350 milliards de dollars.
Grâce aux États-Unis, la production de pétrole et de gaz de l’OCDE dépasse celle de la Russie et de la Chine. La première produit près de 30 millions de baril jour de pétrole contre 15 millions pour les seconds. Si ces derniers ont une production stable depuis 2010, les États membres de l’OCDE ont augmenté la leur de 80 % en dix ans. Pour le gaz, l’OCDE produit 1 400 MTEP par an contre 800 MTEP pour la Chine et la Russie. La production des premiers a augmenté en 10 ans de 30 % quand celle des seconds n’a progressé que de 10 %. Pour les terres rares, la Chine et la Russie ont disposé pendant de nombreuses années d’un quasi-monopole, celui-ci est battu en brèche avec l’essor de la production australienne et américaine.
D’ici 2050, le rapport de force entre l’OCDE et le bloc constitué de la Chine et de la Russie ne devrait pas fondamentalement évoluer. Le déclin de leur population handicapera ces derniers. La réduction des échanges avec l’Ouest et le bloc occidental pourrait freiner leur croissance et ralentir la diffusion du progrès technique.
Des marges de manœuvre étroites pour les banques centrales européennes
La menace d’une nouvelle crise des « gilets jaunes » inquiète le gouvernement français voire les autres gouvernements de la zone euro. Ce risque est en revanche jugé plus faible aux États-Unis qui sont pourtant confrontés à un taux de pauvreté plus élevé. La sensibilité de l’opinion européenne aux aléas de la conjoncture est plus élevée qu’outre-Atlantique. Cette différence explique en partie la divergence de positions des banques centrales même si d’autres facteurs sont à prendre en compte comme le poids de l’endettement en Europe ou la nature importée de l’inflation quand celle-ci est en partie générée aux États-Unis par les plans de relance.
Le gouvernement américain semble disposer de plus de marges de manœuvres que les gouvernements européens pour juguler l’inflation. En parallèle à la hausse des taux directeurs plus forte que celle décidée par la zone euro, l’État fédéral a commencé à réduire le déficit public qui est passé de 13 à 4 % du PIB de 2020 à 2022. Cette réduction est rendue possible par l’arrêt des aides aux ménages et aux entreprises quand, en Europe, les États sont contraints de les maintenir pour atténuer les effets de l’augmentation des prix de l’énergie. Le déficit public de la zone euro continue à dépasser 5 % du PIB. Par rapport à 2020, au cœur de la crise covid, il n’a été réduit que de 2 points de PIB. Aux États-Unis, l’inflation combinée à l’arrêt des aides provoque un recul important du pouvoir d’achat des ménages (de plus de 5 %), quand la baisse est plus mesurée en Europe (entre 1 et 3 %). Le maintien d’un faible taux de chômage aux États-Unis, autour de 3,7 %, facilite le durcissement des politiques monétaire et budgétaire. Les risques de mouvements sociaux sont moindres qu’en Europe où certains pays ont des taux de chômage encore élevés (France, Italie, Espagne). En Europe, la menace d’une récession par pénurie d’énergie, menace inexistante aux États-Unis, peut aboutir à une forte récession qui s’accompagnerait d’une dégradation du marché de l’emploi. La BCE est donc contrainte de piloter les taux directeurs avec plus de prudence que la Réserve Fédérale. Par ailleurs, la question de soutenabilité de la dette publique se pose avec plus d’acuité en Europe qu’aux États-Unis, le dollar restant la valeur refuge par excellence, son appréciation améliorant par ailleurs son attractivité. La dépréciation de l’euro ou de la livre sterling favorise l’inflation sur le vieux continent et les départs de capitaux vers les États-Unis.
Les banques centrales européennes ont moins de latitude pour lutter contre l’inflation que la Réserve Fédérale américaine. Une augmentation brutale des taux peut tout à la fois déboucher sur une récession, une crise des dettes souveraines et une montée des tensions sociales. La sensibilité de l’opinion face à une dégradation du pouvoir d’achat est plus élevée qu’aux États-Unis. Les gouvernements sont contraints de mettre en place des mesures de soutien aux ménages et aux entreprises de grande ampleur que ce soit en France, en Allemagne ou en Italie. Ces dispositifs coûteux retardent l’assainissement des comptes publics. Ils alimentent par ailleurs l’inflation que les banques centrales tentent d’éradiquer. Le retour à la normale sur le front des prix pourrait être plus long en Europe qu’aux États-Unis.
La nécessaire coordination des politiques monétaire et budgétaire
Face à la résurgence de l’inflation, les banques centrales que ce soit aux États-Unis, en Angleterre ou en zone euro ont décidé de relever leurs taux directeurs. Elles cherchent à refroidir l’économie afin de casser la transmission de l’inflation. Dans le même temps, les États européens multiplient les mesures pour compenser l’inflation. Ces dernières entretiennent la demande finale que les banques centrales entendent freiner. L’annonce d’un plan de relance au Royaume-Uni par Liz Truss avait souligné les dangers d’une absence de coordination entre politique monétaire et politique budgétaire. Cette carence a placé le Royaume-Uni au bord de la crise financière. Cette coordination apparaît indispensable pour réussir l’atterrissage en douceur de l’inflation tout en limitant l’ampleur de la récession et en empêchant la survenue de problèmes de solvabilité.
Aux États-Unis, l’État fédéral et la banque centrale marchent de concert pour freiner les prix, le premier réduit le montant du déficit public qui est passé de 13 à 4 % du PIB de 2020 à 2002 quand la seconde augmente ses taux directeurs. Au Royaume-Uni et en zone euro, en revanche, les politiques monétaire et budgétaires sont, pour le moment, en opposition. Les gouvernements soutiennent la demande quand les banques centrales tentent de la freiner. En zone euro, la banque centrale est la seule à lutter contre l’inflation, sachant qu’elle doit également veiller à la bonne santé de la sphère financière et à la solvabilité des États. Ces derniers en s’endettant pour aider les ménages et les entreprises fragilisent leur solvabilité et cela d’autant plus que les taux augmentent. Au sein de la zone euro, les taux des obligations à 10 ans qui étaient nuls en 2020 s’élèvent désormais à 3 %. Cette augmentation accroît le coût du service de la dette et donc les dépenses de l’État au risque de générer une spirale de l’endettement.
L’absence de coordination en zone euro peut déboucher sur des hausses de taux plus élevés pour endiguer l’inflation avec, comme conséquence, une récession plus importante qu’aux États-Unis. À ce titre, l’inflation tend à continuer à augmenter en Europe quand un début de maîtrise semble se faire jour Outre-Atlantique. La zone euro s’expose à des problèmes de soutenabilité des dettes publiques et au risque de fragmentation avec l’élargissement des écarts de taux d’intérêt entre le Nord et le Sud. Ce manque de cohérence contribue à la dépréciation de l’euro, les investisseurs doutant de l’efficacité des politiques menées.
L’industrie allemande peut-elle se réinventer ?
L’industrie allemande est de loin la première de la zone euro en termes de valeur ajoutée et d’effectifs. Grâce à cette demande extérieure, l’Allemagne dégage d’importants excédents commerciaux qui dépassaient 4 % du PIB avant la crise covid. Depuis deux ans, elle subit une série de chocs importants, des ruptures d’approvisionnement de biens intermédiaires comme les microprocesseurs, et une augmentation de prix de l’énergie. La transition énergétique impose par ailleurs une décarbonation des activités industrielles et des produits dont elle est à l’origine.
L’industrie automobile, symbole de la puissance économique de l’Allemagne est en première ligne. Cette série de chocs entraînera-t-elle l’industrie allemande dans le déclin suivant en cela le sort de celle de la France ou du Royaume-Uni ? L’efficacité industrielle de nos voisins Outre-Rhin leur permettra-t-elle de surmonter ces difficultés ?
En 2022, la valeur ajoutée de l’industrie allemande représente 19 % du PIB, contre 14 % en Italie, 10 % en Espagne et 9 % en France. L’Allemagne est, de ce fait, plus exposée que ses partenaires à l’augmentation du prix des matières premières, de l’énergie et des biens intermédiaires. Son industrie peut subir une forte contraction des ventes et en particulier des exportations qui génèrent une part non négligeable des ressources du pays. Dans le passé, elle avait réussi à surmonter les crises grâce à sa maîtrise des coûts, à sa capacité à imposer ses prix aux clients et grâce à des gains de productivité.
Le niveau de productivité par tête de l’industrie allemande est élevé tout en étant légèrement inférieur à celui de l’industrie française (respectivement 78 000 et 82 000 euros par tête et par an). Comme pour les autres pays européens, la productivité est en légère baisse depuis le début de la crise sanitaire. La baisse constatée en Allemagne est néanmoins moins marquée que pour la France (la productivité par tête est passée de 88 000 à 82 000 euros par tête de 2019 à 2022 contre 80 000 et 78 000 pour l’Allemagne).
L’Allemagne peut compter sur son effort de recherche qui est, dans ce secteur, plus élevé que dans les autres États de la zone euro. Les dépenses en R&D privé atteignent 2,1 % du PIB en Allemagne, contre 1,5 % en France, 0,9 % en Italie et 0,75 % en Espagne. Le nombre de brevets triadiques s’élève à 0,06 pour 100 emplois manufacturiers en Allemagne, contre 0,07 en France, 0,025 en Italie et 0,018 en Espagne.
Les taux marges en Allemagne se dégradent fortement depuis 2019 et sont assez proches de ceux constatés en France. Ils progressent en Espagne. Ils sont également en forte baisse en Italie. Le taux de marge est de 35 % de la valeur en France et en Allemagne, contre 48 % en Espagne.
Le taux d’investissement des entreprises industrielles était supérieur en Allemagne à celui de ses partenaires européens jusqu’en 2019. Il est en déclin depuis. Le taux d’investissement productif était de 12 % du PIB en 2018 ; il est revenu à 11 %. Ce taux est inférieur à celui constaté pour la France (11,5 %).
La baisse de l’euro constitue un handicap en renchérissant le coût des produits importés (énergie et biens intermédiaires). Les entreprises allemandes avaient fait le choix de maintenir en Allemagne leurs unités de production en important des biens intermédiaires à faibles prix. Ce modèle est actuellement remis en cause. La localisation en Allemagne de sites de production supposait également une maîtrise des coûts salariaux qui sont les plus élevés d’Europe. Pour compenser ses coûts, l’industrie allemande bénéficiait de services à faibles prix, les salaires étant dans le secteur tertiaire plus faible. À la différence de la France, l’écart des salaires entre le secteur industriel et le secteur des services y est important.
Les chocs encaissés par l’industrie allemande ont des effets importants sur l’économie du pays pouvant provoquer une désindustrialisation. En effet, malgré un l’effort de recherche élevé, la profitabilité est faible et l’investissement en recul. L’industrie allemande du fait de sa spécialisation dans l’automobile, la sidérurgie et la chimie est fortement exposée tant à la guerre en Ukraine qu’à la transition énergétique. En trois ans, la production industrielle allemande s’est contractée de 8 %. Pour endiguer ce processus, une reprise de l’investissement est indispensable pour maintenir une spécialisation sur des créneaux à forte valeur ajoutée et pour réduire la consommation énergétique.