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Quand Alphabet en perd son latin
Google est de loin le premier moteur de recherche dans le monde. Seules la Chine et la Russie font exception. En France, neuf recherches sur dix sont effectuées via Google. Le deuxième moteur au niveau mondial est Bing. Il ne possède que 4,71 % des parts de marché. Chaque seconde de chaque jour, Google traite peut-être 100 000 recherches sur le Web, soit près de 7 milliards par jour. Avec une telle fréquentation, les entreprises, les collectivités publiques paient des sommes importantes en publicité pour être visibles sur la première page de présentation des résultats des recherches. Le chiffre d’affaires d’Alphabet, la société mère de Google, a connu une croissance continue de 2011 à 2021, avec un taux annuel moyen de plus de 20 %. Ses bénéfices ont atteint 76 milliards de dollars en 2021. Avec 1 200 milliards de dollars de capitalisation début 2023, elle se classe au troisième rang mondial derrière Apple et Microsoft.
Depuis 1995, Google n’a jamais changé de modèle économique voire technologique, à la différence d’Apple et de Microsoft. Apple, initialement un producteur de biens technologiques (ordinateurs, IPod, smartphones) est devenue une société de services vendant des applications. Microsoft, producteurs de logiciels, s’est également mue en société de services, en élargissant ses domaines d’activité. Cette société est désormais un acteur important dans le domaine des jeux vidéo et dans celui des réseaux sociaux. Google a certes multiplié les acquisitions, une centaine, comme YouTube ou Motorola, mais sans remettre en cause le cœur de son activité. Google est avant tout une gigantesque régie publicitaire. Ce modèle de développement est depuis quelques mois mis en doute par les investisseurs. Le cours de l’action Alphabet a perdu plus du tiers de sa valeur depuis le mois de décembre 2021. Son bénéfice net du quatrième trimestre est ressorti inférieur aux prévisions des analystes à 13,6 milliards de dollars, au lieu de 20,6 milliards l’année dernière. Les recettes publicitaires du groupe californien ont baissé sur un an de près de 4 % pour Google et de 8 % pour YouTube (-7,8 %). Après des années de forte croissance, Alphabet a été contraint, pour la première fois de son histoire, d’annoncer un plan social portant sur 12 000 suppressions de postes dans le monde, soit un peu plus de 6 % de ses effectifs totaux.
La fin de l’oligopole ?
Depuis vingt ans, les GAFAM se sont partagé l’univers du digital en ne s’attaquant qu’à la marge. Ce « Yalta » du digital semble s’achever avec comme conséquence une remise en cause de la position dominante d’Alphabet tant dans le domaine du moteur de recherche et des annonces que dans celui des vidéos.
À la fin des années 1990, Google a révolutionné la recherche sur Internet grâce à son algorithme qui classe les pages Web en fonction du nombre d’autres sites Web qui y sont liés. Cet indicateur s’avère un critère de pertinence assez fin. Google a réussi à rentabiliser ses recherches en affichant des annonces liées aux mots clés. Il a détrôné rapidement les premiers moteurs de recherche comme Altavista ou Yahoo. Depuis quelques années, des plateformes de services et des réseaux sociaux concurrencent directement Google sur le terrain des annonces publicitaires. Instagram ou Facebook de Meta permettent de chercher des restaurants. TikTok est également utilisé par les jeunes pour trouver des boutiques de vêtement ou des bars à la mode. Netflix, par son essor, concurrence également YouTube. Avec Amazon, les internautes peuvent également effectuer des recherches pour des achats en ligne. Aux États-Unis, Amazon détient désormais 23 % des recherches publicitaires, contre 3 % en 2016. Ces entreprises prennent des parts de marché sur les créneaux à forte rentabilité d’Alphabet.
La menace pour Google en tant que moteur de recherche provient de ChatGPT, un chatbot d’intelligence artificielle conçu par une startup appelée Openai dans laquelle Microsoft a investi 10 milliards de dollars. ChatGPT est capable de rédiger des notes, de poèmes, des essais d’histoire, du code informatique, etc. Depuis son lancement en novembre 2022, ChatGPT a gagné environ 100 millions d’utilisateurs actifs par mois, un exploit qui avait pris neuf mois à TikTok, jusqu’à maintenant le réseau social ayant enregistré la croissance la plus rapide. Pour Bill Gates, le co-fondateur de Microsoft, ChatGPT constitue une rupture dans le monde du digital. Il peut également répondre à toutes les requêtes qui peuvent être posées à Google. Microsoft a décidé de l’intégrer dans son moteur Bing afin de rendre ce dernier plus performant. En Chine, pays dans lequel Google est interdit, Baidu, le premier moteur de recherche local, a décidé d’associer à ces derniers des robots d’intelligence artificielle.
L’empire Google contrattaque
Face à l’essor de l’intelligence artificielle dans le monde de la recherche, Alphabet a indiqué, au début du mois de février, avoir investi 300 millions de dollars dans Anthropic, une startup spécialisée dans l’intelligence artificielle en charge de développer son chatbot Bard qui sera prochainement intégré au moteur de recherche Google dans quelques semaines. Les investisseurs n’ont pas été pour le moment convaincus par la réponse d’Alphabet à la menace générée par ChatGPT.
La technologie de ChatGPT est différente de celle du moteur de recherche de Google. Elle repose sur une analyse préalable de millions de textes récupérés sur Internet en retenant un grand nombre de variables. Elle permet la production de réponses fluides en lieu et place d’une série de liens. Elle offre une synthèse plus pertinente et évite à l’Internaute d’ouvrir en vain un grand nombre de sites. Cette technologie correspond aux besoins des utilisateurs d’Internet dont la taille a cru en vingt ans de manière exponentielle. Chaque seconde, 29 000 Gigaoctets (Go) d’informations sont publiés dans le monde, soit 2,5 exaoctets par jour et 912,5 exaoctets par an. Afin de trier dans cette masse d’informations, les chatbots avec l’intelligence artificielle disposent d’un grand nombre de variables capables d’évoluer dans le temps. À la différence des moteurs de recherche traditionnels, ces chatbots ont la possibilité de générer des textes, de la musique voire des images originales. GitHub, une plate-forme appartenant à Microsoft qui héberge des programmes open source, dispose d’un chatbot appelé Copilot capable de créer des lignes de code à partir de requêtes qui lui ont été adressées. Des gains de productivité importants sont attendus de l’usage de ces outils. Booking.com entend appliquer ce nouveau mode de recherche pour la sélection des hôtels et des lieux de vacances.
L’intelligence artificielle n’est pas sans faille
Microsoft a pris de l’avance sur ses concurrents en ayant codéveloppé ChatGPT. Disposant d’importantes capacités de calculs, d’informaticiens en grand nombre et de moyens financiers presque sans limite, cette entreprise a les moyens de révolutionner une nouvelle fois le secteur du digital. Ayant prouvé tout à la fois sa résilience et sa mobilité, Microsoft, deuxième capitalisation mondiale, peut se replacer dans la course des moteurs de recherche et des applications utilisant l’intelligence artificielle. Pour le moment en matière de publicités associées aux recherche, Bing de Microsoft ne possède que 5 % des parts de marché. Celle-ci pourrait s’accroître sous réserve que ChatGPT se révèle à la hauteur des espoirs de ses créateurs. Son succès pourrait être remis en cause par son incapacité à distinguer les vraies et les fausses informations. Les chatbots travaillent à partir de toutes les données qui se trouvent sur Internet, les vraies comme les fausses. Ces dernières ayant une capacité à se multiplier plus vite que les premières, les chatbots risquent de les mettre en avant. En 2022, Meta a été contraint de déconnecter son chatbot scientifique, Galactica qui s’avérait diffuser des informations fausses voire complotistes.
L’autre limite à l’essor des chatbots est leur coût. Une réponse à une requête ChatGPT coûte entre deux cents à sept fois plus cher qu’une recherche Google du fait de la puissance de calcul nécessaire. Si 10 % des recherches Google utilisaient l’intelligence artificielle, le surcoût pourrait atteindre 11 milliards de dollars. En outre, les requêtes de recherche conversationnelles pourraient générer moins de recettes publicitaires. Les liens en haut des pages de recherche se fondent dans le contenu global. Les Internautes cliquent sans s’en rendre compte sur ces liens qui génèrent automatiques des recettes à Google. Avec un texte écrit par le chatbot, l’insertion des liens publicitaires devra être revue. Une entreprise comme Neva demande à ses clients d’acquitter un abonnement pour accéder à son chatbot. Pour 20 dollars par mois, les utilisateurs obtiennent ainsi des réponses plus rapides et un accès privilégié durant les heures de pointe. Openai prévoit également de concéder, sous licence, la technologie à d’autres entreprises mais les volumes de recettes potentielles ne sont pas a priori de la même ampleur que ceux qu’engrangent actuellement Google. Une possibilité consisterait à afficher moins d’annonces mais à les facturer plus chères, le chatbot étant susceptible de n’offrir que quelques suggestions en réponse à une requête de recherche avec beaucoup plus de précisions que les moteurs de recherche actuels. Microsoft parie que sa recherche d’informations assistée par chatbot attirera de nouveaux utilisateurs, qui privilégieront Bing comme moteur de recherche au détriment de Google. Microsoft s’attend à ce que pour chaque point de part de marché gagné dans la recherche, ses revenus publicitaires annuels augmentent de 2 milliards de dollars.
Les lettres de créance d’Alphabet ont de la valeur
Alphabet dispose d’atouts indéniables pour résister à Microsoft et les autres entreprises du digital souhaitant empiéter sur son pré carré. Elle dispose de réserves financières conséquentes se chiffrant à plusieurs centaines de milliards de dollars lui permettant d’acquérir des start-up et de financer des recherches. Si Google a tardé à intégrer un chatbot dans son moteur de recherche, il investit depuis des années sur ce type de technologie et a déployé des applications d’intelligence artificielle dans d’autres domaines. Son chatbot, Bard, même si ses premiers pas sont hésitants, devrait s’améliorer rapidement. L’atout majeur d’Alphabet est la possibilité d’associer son chatbot et son moteur de recherche à Chrome, le navigateur maison qui est utilisé par deux personnes sur trois dans le monde (hors Chine et Russie). Google est également le moteur de recherche de plus de 90 % des smartphones en Occident. Ces atouts peuvent néanmoins être des freins. Alphabet n’a pas la culture du changement comme Microsoft ou Apple. Habitué à être numéro un depuis deux décennies, la nécessité de se révolutionner ne figure pas dans son ADN. Par ailleurs, Alphabet est soumise à de nombreuses enquêtes à travers le monde pour position monopolistique. Ces enquêtes mobilisent de l’énergie et conduisent l’entreprise à la prudence en matière d’innovations.
Les histoires de passion ne se terminent pas toujours mal
Dans les années 1990/2000, les candidats à l’emploi avaient tout avantage à mettre en avant leurs passe-temps lors de leur recrutement. Ces derniers devaient souligner leurs capacités à occuper l’emploi postulé sans pour autant s’avérer être chronophages. La lecture, le cinéma étaient souvent mentionnés. Le « sport loisir », comme la course à pied ou la natation, était bienvenu. Les candidats devaient faire preuve d’une originalité maîtrisée. Dans les années 2020, les hobbies ont cédé la place aux passions. Les recruteurs à la recherche de profils atypiques, à forte motivation, capables de s’adapter à toutes les formes d’organisation sont attentifs aux projets passionnels et personnels. La participation à des associations caritatives, de protection de l’environnement, d’insertion sociale, etc., est louée à condition évidemment qu’elle soit effective. Les candidats se doivent d’étonner quand hier ils se devaient d’être classiques dans leurs choix de vie. De nombreuses entreprises se battent désormais pour recruter des sportifs de haut niveau considérant que leurs passions constituent un atout majeur, que ce soit dans la production ou dans la vente.
Les candidats comprennent de plus en plus l’intérêt de valoriser leurs activités extraprofessionnelles. Selon une étude de Jon Jachimowicz et Hannah Weisman de la Harvard Business School qui a analysé plus de 200 millions d’offres d’emploi aux États-Unis, le nombre de personnes mentionnant explicitement leur « passion » a augmenté, passant de 2 % en 2007 à 16 % en 2019. Les algorithmes de sélection prennent de plus en plus en compte les parcours atypiques. La pratique de la pâtisserie est ainsi, aux États-Unis, un facteur positif de recrutement. Cette pratique est considérée comme un moyen de socialisation et de partage. La passion comme vecteur de recrutement ne s’arrête pas aux activités extraprofessionnelles. La présentation de son travail de manière passionnée facilite, selon une autre étude de Jachimowicz et de Ke Wang de la Harvard Kennedy School, la mobilité professionnelle et les promotions. Si les comportements colériques ou caractériels n’ont plus lieu d’être dans les entreprises, l’expression des émotions semble être un critère positif. Rire et pleurer ne seraient plus honteux du moins aux États-Unis.
La passion utile pour l’entreprise est une question de mesure car si elle est excessive, elle peut fausser le jugement. Pour les entreprises, l’erreur serait de récompenser l’engagement plutôt que la compétence. L’étude précitée de Jachimowicz et de Wang constate que la passion mal canalisée peut provoquer des erreurs de jugement importants. La gestion de salariés passionnés est plus complexe. La question du dosage au sein des équipes apparaît cruciale. Les psychologues d’entreprises estiment que la passion se doit d’être non pas obsessionnelle mais harmonieuse. Elle se doit être gérée de manière professionnelle comme sont amenés à le faire les sportifs de haut niveau. Elle ne doit pas devenir une contrainte et déboucher sur un comportement compulsif dans lequel les salariés concernés perdent tout recul. Une étude menée par des universitaires de l’Université Duke, de l’Université de l’Oregon et de l’Université d’État de l’Oklahoma a révélé que les salariés les plus passionnés et les plus motivés étaient ceux qui se voyaient confier les tâches que les autres salariés ne souhaitaient pas ou plus réaliser. Aussi étrange que cela puisse paraître, si le salarié passionné reçoit plus de promotions que les autres, il n’est pas gagnant sur le terrain des revalorisations. Comme quoi, la passion, un peu mais pas trop n’en faut.