Le Coin de l’Economie – zone euro – Etats-Unis – BCE – inflation
La zone euro, à la recherche de capitaux !
Depuis 2012, la zone euro est traditionnellement dans une situation d’excès d’épargne du fait de son excédent de sa balance courante généré par l’États, les Pays-Bas et les États d’Europe du Nord. Or, la zone euro pourrait souffrir d’un manque d’épargne avec la détérioration de sa balance commerciale en lien avec la hausse des prix de l’énergie, avec le vieillissement démographique qui diminue la croissance potentielle et accroît les besoins en dépenses publiques. Ce manque aura de nombreuses conséquences dont une possible hausse des taux d’intérêt et une augmentation des prélèvements obligatoires.
Depuis la crise des subprimes et celle des dettes souveraines qui ont imposé un rétablissement des comptes extérieurs des États dits périphériques, la zone euro se caractérisait par un important excédent d’épargne. Celui-ci était la conséquence d’un solde positif de la balance courante de près de 4 points de PIB entre 2012 et 2020 et d’un taux d’investissement faible depuis 2013. Depuis dix ans, il est constamment inférieur au taux d’épargne. En 2022, les taux respectifs étaient de 24,5 et 26 % du PIB.
En 2022, la zone euro est passée d’un excédent à un léger déficit de sa balance courante en lien avec la hausse des prix de l’énergie, des matières premières et des produits agricoles. La balance courante de la zone euro a été altérée par la baisse des exportations de biens manufacturés en raison des problèmes d’approvisionnement que l’industrie a rencontrés durant l’année 2022.
Les besoins de financement devraient augmenter dans les prochaines années en lien avec les investissements à réaliser dans le cadre de la transition énergétique dont le coût est évalué annuellement à quatre points de PIB. Actuellement, l’effort d’investissement en la matière est de deux points de PIB, expliquant la lenteur de la réduction des émissions de CO2.
Les entreprises européennes pour améliorer leur compétitivité devraient augmenter leur taux d’investissement. Elles sont, en effet, en retard en matière de digitalisation et de robotisation par rapport à leurs concurrentes américaines ou asiatiques. Le déficit d’investissement par rapport aux États-Unis est de deux points de PIB. En ce qui concerne la recherche et développement, l’écart en 2022 est de plus d’un point de PIB.
Les États de la zone euro sont confrontés à une forte augmentation de la demande en dépenses publiques : transition énergétique, réindustrialisation, recherche-développement, éducation, santé, retraite, dépendance, défense, etc. De 1999 à 2022, les dépenses publiques ont progressé de 40 %. En France, elles représentent désormais près de 59 % du PIB, contre 56 % avant la crise sanitaire. Les gouvernements sont appelés de plus en plus à compenser les effets des crises sur les entreprises et les ménages en multipliant les dispositifs de soutien. La totalité de la hausse des dépenses publiques ne sera pas financée par une augmentation des prélèvements obligatoires. Elle aboutira à une progression des déficits publics qui absorberont une partie de l’épargne.
Le vieillissement démographique conduit normalement à une baisse du taux d’épargne des ménages puisque les ménages âgés sont censés désépargner pour soutenir leur consommation. Par ailleurs, les fonds de pension devront céder des actifs pour financer les pensions à verser à leurs retraités qui seront de plus en plus nombreux. La population âgée de plus de 65 ans qui représentait 16 % de la population de la zone euro en 1999, en représente 24 % en 2023. Ce ratio atteindra 28 % en 2040.
Les prix de l’énergie devraient rester élevés dans les prochaines années, provoquant un transfert au profit des pays exportateurs de pétrole et de gaz et donc une ponction sur l’épargne. Le sous-investissement dans le secteur des énergies fossiles et la volonté des pays producteurs de maximiser leurs rentes avant l’abandon de ces dernières rendent, en effet, probable le maintien des prix de l’énergie, d’autant plus que la demande mondiale devrait demeurer dynamique.
Ces différents facteurs contribueront à une situation d’insuffisance de l’épargne nationale pour la zone euro, rendant nécessaire pour cette dernière d’attirer des capitaux pour financer l’investissement. Après une longue période de taux d’intérêt faibles, ces derniers devraient être en hausse, renchérissant le coût de l’endettement. Jusqu’à maintenant, les excédents d’épargne servaient à financer essentiellement les États-Unis et les pays émergents. Ces derniers devront également rechercher de nouvelles sources de financement. La tentation pour les États de la zone euro sera d’accroître les prélèvements obligatoires avec, comme limite, leur niveau actuel de 40,5 % du PIB laissant peu de marges de manœuvre.
Vers la fin de l’objectif des 2 % pour la Banque centrale européenne ?
Après une période de faible inflation, les pays occidentaux et tout particulièrement ceux de la zone euro sont confrontés à sa résurgence. Les pouvoirs publics veulent croire en son caractère éphémère et à son retour rapide dans la zone cible des 2 % retenue par les autorités monétaires. De nombreux facteurs structurels sont néanmoins susceptibles de maintenir l’inflation au-delà des 2 %. Par ailleurs, les États ont peut-être intérêt à accepter une inflation plus forte que dans le passé afin de financer le surcroit de dépenses publiques ou pour élimer de manière plus ou moins indolore les pensions de retraite par exemple.
Une énergie plus chère
L’énergie devrait coûter plus chère demain. La transition énergétique impose de substituer des énergies renouvelables à celles carbonées. Or, cette substitution suppose la réalisation d’investissements coûteux. En raison du caractère aléatoire des énergies renouvelables, des infrastructures de substitution et de stockage devront être prévues. La transition énergétique provoquera une obsolescence des équipements passés sans que ces derniers aient été obligatoirement amortis, ce qui induit également des surcoûts.
Des coûts salariaux en hausse
La baisse du taux de chômage en lien avec la stagnation voire le déclin de la population active devrait accroître le pouvoir de négociation des salariés et donc la croissance des salaires. Le taux de chômage est, en effet, tombé en-dessous de7 % en zone euro. Le vieillissement démographique devrait se faire ressentir jusqu’en 2050. Il conduit à des besoins de main-d’œuvre dans les services domestiques. Le rejet des emplois pénibles ou à horaires décalés par un nombre croissant d’actifs devrait également inciter à des augmentations de salaires. Les entreprises ne peuvent pas, en outre, compenser les augmentations des salaires par des gains de productivité, ces derniers étant faibles voire nuls depuis plusieurs années.
Le renouveau du protectionnisme
Les relocalisations industrielles au nom du souverainisme économique devraient s’accompagner d’une hausse de prix. Elles devraient aboutir à des transferts de production de pays à faibles coûts salariaux vers les pays de la zone euro. Par ailleurs, la mise en place de la taxe carbone aux frontières pourrait également conduite à une hausse des prix.
La hausse des déficits publics
Les gouvernements ont augmenté les dépenses publiques pour limiter les effets des crises à répétition. L’épidémie de covid-19 et la guerre en Ukraine ont provoqué une progression de la dette publique de 20 points de PIB, en moyenne, au sein de la zone euro. Tout déficit est par nature inflationniste. Compte tenu des besoins en dépenses publiques dans les prochaines années, les déficits devraient rester élevés sauf à augmenter fortement les prélèvements obligatoires. Les gouvernements sont confrontés à une demande croissante en matière de défense, d’éducation, de santé, de retraite ou de dépendance. Ils devront financer une partie des équipements pour la transition énergétique et compenser les effets de celle-ci sur les ménages les plus modestes. Toute augmentation des taux provoque celle du service de la dette. Avec un déficit de plus de 4 points de PIB, les effets sont immédiats.
La politique monétaire accommodante de la BCE
La Banque centrale européenne mène une politique tout en retenue en matière monétaire. Pour éviter des problèmes de solvabilité, elle a relevé avec modération ses taux directeurs. La hausse est bien moins forte et plus lente que celle effectuée par la FED. Les taux d’intérêts réels restent amplement négatifs en Europe. Sans changement de la part de la BCE, la résorption de l’inflation sera lente. Si la BCE entendait faire revenir l’inflation dans la zone cible des 2 %, elle devrait augmenter plus fortement ses taux directeurs ce qui pourrait provoquer des tensions financières non négligeables. Une hausse des taux affaiblirait le taux d’investissement des entreprises au moment où elles doivent l’accroître pour rattraper les retards accumulés ces dernières années. La hausse des taux devrait également limiter l’investissement en logement des ménages qui est déjà en retrait depuis le milieu de l’année 2022. Elle pourrait amener ainsi une récession ; or, compte tenu de l’état des opinions en Europe, la survenue d’une récession est redoutée par les gouvernements.
Dans ce contexte, l’inflation sera sans nul doute supérieure aux 2 % réglementaires. Une inflation plus élevée a plusieurs avantages pour les pouvoirs publics. Elle permet une érosion de la valeur relative de la dette publique. Les épargnants seront perdants, l’inflation jouant le rôle d’une taxe implicité. Une hausse des prix favorisera les rémunérations indexées par rapport à celles qui ne le seront pas. Les pouvoirs publics pourraient insidieusement rogner le pouvoir d’achat de certaines prestations dont celles liées à la retraite afin de favoriser les actifs.
Le marché unifié des capitaux, un objectif à atteindre pour l’Europe
La mise en place de l’euro en 1999 visait à parachever le marché unique qui était devenu une réalité en 1993. Elle devait s’accompagner d’une unification des marchés de capitaux en lien avec la libre circulation de ces derniers. Ce marché unifié est une nécessité afin de permettre des financements asymétriques des déficits. Depuis 1999, l’évolution des flux de capitaux au sein de la zone euro n’a pas été linéaire, le processus d’unification restant à réaliser.
De 1999 à 2010, les pays à excédent d’épargne, essentiellement Allemagne et Pays-Bas, l’ont prêté aux pays à déficit d’épargne (Espagne, Italie, Portugal, Grèce). Les excédents et les déficits de balance courante entre les deux groupes de pays étaient alors symétriques. La crise des dettes publiques en 2010 a mis un terme à ce recyclage des excédents commerciaux. Les pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas ont cessé de financer, à partir de l’épargne constituée à partir de leur solde commercial largement positif les États d’Europe du Sud jugés à risques et ont privilégié des investissements hors zone euro. Les États périphériques ont été contraints de rééquilibrer leur balance des paiements courants afin de stabiliser ou réduire leur taux d’endettement extérieur. Ce dernier était passé de 20 à 50 % du PIB de 1999 à 2010 pour l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce avant de revenir à 26 % en 2022. Les avoirs nets extérieurs de l’Allemagne et des Pays-Bas ont continué à augmenter entre 2010 et 2019 passant de 25 à 75 % du PIB. Depuis 2019, avec la réduction des excédents commerciaux de ces deux pays, leurs avoirs se sont stabilisés.
La réduction des déficits de la balance courante par les États périphériques s’est effectuée au prix d’une diminution de la demande intérieure et en particulier de l’investissement. Ce dernier a reculé de deux à trois points de PIB en Espagne, en Italie au Portugal ou en Grèce.
L’Europe a perdu en solidarité avec la segmentation des marchés de capitaux. La zone monétaire est ainsi devenue moins optimale. Une union des marchés de capitaux permettrait une allocation plus efficace de l’épargne, une diversification accrue des risques pour les épargnants et les investisseurs, une liquidité plus forte, un rôle international accru de l’euro. Le marché européen des capitaux en ayant plus de profondeur se rapprocherait de celui des États-Unis.
À partir de 2015, la Banque centrale européenne en rachetant des titres de dettes publiques a facilité le financement des pays à déficits publics élevés. Le plan de la Commission européenne « New Generation » adopté au moment de la crise sanitaire reposant sur un emprunt communautaire de 750 milliards d’euros alloué aux États membres sans prendre exclusivement en compte leur PIB est un instrument de nature fédérale qui concourt à un recyclage des excédents au sein de la zone euro. Même si cela reste encore modeste, les pays qui enregistrent des déficits de leur balance courante depuis quatre ans arrivent à se financer à l’extérieur. Les montants restent néanmoins insuffisants pour montrer un réel retour d’un marché unifié des capitaux. La zone euro manque de produits de nature fédérale que ce soit au niveau des émissions qu’au niveau des produits d’épargne.
Lutte contre l’inflation, avantage à la FED
L’inflation aux États-Unis et au sein des États européens en Europe n’est pas identique, tout comme la réaction des banques centrales. La réponse a été plus rapide et plus énergique chez les premiers que les seconds. Cette divergence des réactions induit des délais de résorption différents. Les États-Unis ont opté pour une politique monétaire plus dure afin de sortir le plus rapidement de la vague inflationniste.
L’inflation a commencé à se manifester aux États-Unis en 2021, à la fin des confinements. Elle est avant tout la conséquence d’une forte augmentation de la demande dopée par les plans de relance au moment où l’offre est atrophiée par les problèmes d’approvisionnement. En Europe, l’inflation a accéléré plus tardivement et a été essentiellement provoquée par la hausse des cours de l’énergie, des matières premières et des produits agricoles. En 2022, l’inflation était essentiellement d’origine importée en Europe. Dès le début de l’année dernière, la FED a décidé de relever ses taux directeurs quand la BCE a temporisé jusqu’à l’été. Elle considérait qu’une augmentation des taux directeurs n’aurait pas d’effet sur une inflation générée par le prix des produits importés. Ce n’est que dans un second temps qu’elle a décidé de mettre un terme à sa politique monétaire accommodante pour éviter l’enclenchement d’une spirale inflationniste avec une transmission de la hausse des prix sur les salaires.
En 2023, le durcissement de la politique monétaire est très relatif en Europe. Il commence, en revanche, à prendre forme aux États-Unis. Les taux d’intérêt réels à 10 ans pour les emprunts d’État sont négatifs de 5 points en zone euro, contre 2 points aux États-Unis. Malgré la hausse des taux directeurs, ils ont continué à baisser en Europe quand, aux États-Unis, ils remontent. Au début de 2022, ils étaient de -4 aux États-Unis et de -2 % en Europe. Les taux d’intérêt réels sur la dette des entreprises High Yield aux États-Unis sont positifs de +2,1 % quand leur équivalent sont négatifs pour la zone euro (-1 %). Pour les ménages, la situation est identique. Aux États-Unis, ils empruntent avec de taux réels positifs (+1 %) quand en zone euro, ils bénéficient toujours de taux négatifs (-4 %).
L’écart de taux entre les États-Unis et la zone euro explique que l’inflation sous-jacente se soit stabilisée voire diminue légèrement chez les premiers quand elle continue à augmenter dans la seconde. La BCE a opté pour une politique de relèvement modéré afin d’éviter la survenue d’une nouvelle crise des dettes souveraines. La BCE espère que la décrue des prix de l’énergie et l’effet base entraîneront le recul de l’inflation dans les prochains mois. L’augmentation de l’inflation sous-jacente pourrait néanmoins conduire à une réponse plus musclée de sa part, la transmission sur le prix des produits finis et sur les salaires se manifestant de plus en plus nettement.