Le Coin des Tendances – Etats-Unis – football – la dette – shutdown
La dette et le précipice
Les querelles budgétaires sont consubstantielles aux démocraties. A travers l’histoire, elles sont à l’origine de conflits entre la majorité et l’opposition. Depuis quelques semaines, aux États-Unis, les Démocrates et les Républicains n’en jouent pas moins avec le feu en s’étripant sur le relèvement du plafond de la dette publique. Faute d’accord d’ici le 1er juin, les États-Unis pourraient être en situation de défaut de paiement. Janet Yellen, la Secrétaire d’État au Trésor, a déclaré que son département pourrait ne plus payer les factures des administrations publiques. Les investisseurs commencent à évaluer le risque de ce qui serait le tout premier défaut souverain américain depuis la guerre de Sécession.
Avec les taux d’intérêt faibles, les opposants à l’endettement étaient rangés, ces dix dernières années, dans la catégorie des « idiots du village » par les tenants de la théorie monétaire moderne qui invitaient les États à s’endetter. Avec l’épidémie de covid, ces derniers ont mis en pratique ce recours à l’endettement, en augmentant de plus de 10 points leurs dettes. L’espoir qu’un monde sans inflation puisse permettre le maintien des taux d’intérêt nuls voire négatifs a disparu avec le retour de cette dernière. Les taux d’intérêt sont désormais orientés à la hausse. Même s’ils demeurent négatifs en valeur réelle, le service de la dette des États est en augmentation. Le gouvernement japonais dépense plus de 8 % de son budget en intérêts.
L’endettement devrait se poursuivre, et le simple financement de la progression des dépenses de santé et de retraite lié au vieillissement devrait représenter 3 % du PIB d’ici 2030. Selon les évaluations de The Economist, le déficit public américain pourrait atteindre 7 % du PIB d’ici 2030, un niveau de déficit que les États-Unis n’ont pas connu en dehors des périodes de guerres et de crises économiques. Ce déficit tendanciel inquiète de moins en moins. Il y a une fatalité face à la dette publique tant aux États-Unis qu’en Europe. La Chine qui a longtemps critiqué le laxisme budgétaire occidental multiplie depuis quatre ans les politiques de soutien économique amenant à une progression rapide de son endettement. Pour les pays émergents, ce surcroît atteindrait 2 % du PIB. La Chine devra gérer d’ici 2035 plus de 420 millions de retraités sur une population totale de 1,3 milliard d’habitants. De nombreux États, devront par ailleurs faire face la forte hausse des dépenses militaires tout comme celles liées à la transition énergétique.
Les États entendent réduire leurs déficits publics avec beaucoup de modération. Censée diminuer les déficits publics, la loi américaine sur la réduction de l’inflation devrait, au contraire, les creuser. En octroyant des subventions sans limite aux entreprises investissant afin d’accélérer la transition énergétique, cette loi pourrait, selon Goldman Sachs, coûter 1 200 milliards de dollars, contre 391 milliards de dollars initialement prévu.
Le projet de loi visant à relever le plafond de la dette américaine, adopté par les républicains à la Chambre des représentants le 27 avril, est jugé irréaliste. Il plafonne les dépenses en 2024 à leur niveau de 2022, puis prévoit d’augmenter les budgets de 1 % par an. Plus du quart des dépenses auraient été occultées. Les dépenses de santé, de retraite et de défense n’auraient pas été intégrées dans le calcul.
En zone euro, le gouvernement allemand pense que ses partenaires pourront respecter des critères budgétaires visant à faire redescendre leurs dettes publiques en-dessous de 60 % du PIB. Avec une dette publique de plus de 150 % du PIB, l’Italie n’est pas prête à les appliquer, il en est de même pour la France. Les pouvoirs publics allemands souhaitent rassurer son opinion publique mail nul n’imagine dans les faits qu’il soit crédule en matière budgétaire à l’encontre de l’Italie, de l’Espagne ou de la France.
La Chine suit le mouvement général en s’endettant. Elle masque une partie des déficits publics dans des véhicules de financement opaques. Les collectivités locales pratiquent « le shadow banking » sans limite. En intégrant toutes les dettes publiques directes et indirectes, le montant total dépasse 120 % du PIB et pourrait atteindre, selon le FMI, 150 % d’ici 2027. Le gouvernement chinois a besoin d’un fort taux d’épargne des ménages et du maintien d’un fort excédent commercial. Cette situation rend compliqué le rééquilibrage intérieur de la demande.
Si la hausse des taux se poursuit, les États n’auront pas d’autres solutions que d’augmenter les impôts. Aux États-Unis, l’introduction de la TVA pourrait être imaginée. En Chine, le gouvernement pourrait instaurer la taxe foncière promise de longue date. L’instauration d’une taxe carbone pourrait également s’imposer dans de nombreux pays.
L’endettement de tous les États constitue-t-il une bonne nouvelle ? Si l’erreur est commune, elle sera peut-être moins lourde à porter. Dans le passé, le surendettement a toujours été sanctionné mais il n’était pas aussi pratiqué de manière uniforme. La question est de savoir si tous les États courent vers le précipice ou si la vitesse acquise permettra de l’éviter….
Les États-Unis face au 20e « shutdown » de leur histoire
Sur un mur de Manhattan, non loin de Times Square, l’horloge de la dette américaine égrène les milliards de dollars. Elle est passée de 3 000 milliards de dollars lors de son inauguration en 1989 à plus de 31 000 milliards de dollars aujourd’hui. Aux États-Unis, le gouvernement ne peut pas s’endetter au-delà d’un plafond, fixé par le Congrès. Le plafond actuel de la dette brute est de 31 400 milliards de dollars, soit l’équivalent de 117 % du PIB. Ce montant devrait être atteint dans les prochains jours. Le 1er juin, sauf adoption d’une loi relevant le plafond, les États-Unis connaîtront un nouveau « shutdown » ou, pire, un défaut de paiement sur la dette.
Les États-Unis, depuis 1977, ont connu 19 « shutdown ». Si le 20e survient prochainement, le gouvernement américain sera alors en incapacité de payer son administration. Les fonctionnaires qui ne sont pas essentiels seront mis au chômage technique et les agences fédérales paralysées. Plus de 850 000 employés fédéraux seront ainsi en congés sans solde. Ils n’auront pas le droit de travailler même bénévolement sous peine de poursuites. Les musées et les services fiscaux seront fermés. Les militaires continueront de travailler mais ne seront pas payés. Généralement, quand le « shutdown » prend fin, les fonctionnaires qui ont continué à travailler sont payés rétroactivement. La durée moyenne d’un shutdown est de quelques jours, le temps pour le Congrès d’adopter le projet de loi de relèvement du plafond. Cette paralysie de l’administration américaine n’est pas sans conséquence sur la croissance. La perte de production est évaluée à plusieurs milliards de dollars. Bill Clinton détient le record de durée pour un « shutdown », 7 jours du 14 au 19 novembre 1995 puis 21 jours du 15 décembre au 6 janvier 1996 (21 jours), soit 28 jours au total. Ronald Reagan détient le nombre record de « shutdown », à savoir huit durant ses deux mandats (1981-1989). Le dernier date de 2017 lors du le premier anniversaire de Donald Trump à la Maison Blanche.
Les shutdown ont tendance à se multiplier à proximité des échéances électorales et en période de cohabitation, ce qui est le cas actuellement avec une Chambre des Représentants contrôlés par les Républicains.
Les États-Unis pourraient, à compter de juin, être confrontés à un défaut souverain, qui saperait la confiance dans le système financier le plus important du monde. Ce précédent serait susceptible de provoquer une hausse des taux et accroître les difficultés rencontrées par les banques américaines. L’onde choc sur l’ensemble des places financières pourrait être importante.
Avec les États-Unis, le Danemark est un des rares pays de l’OCDE à avoir fixé un plafond de dettes publiques. La signature de ces États dépend d’une décision politique pouvant aboutir à une banqueroute générale. Afin d’éviter un nouveau shutdown, le Congrès américain est invité à discuter et à adopter la proposition de loi de Kevin McCarthy, président républicain de la Chambre des représentants, qui vise à reporter le plafond jusqu’en 2024 tout en réduisant de plusieurs milliards de dollars le montant des dépenses au cours de la prochaine décennie. Cette proposition de loi entend réduire les crédits destinés à la lutte contre le changement climatique ce qui a provoqué l’opposition des démocrates. Le projet de loi a été ainsi adopté par la Chambre contrôlée par les républicains le 27 avril dernier, mais pas par le Sénat dont la majorité est démocrate. Pour surmonter ce problème, les démocrates à la Chambre proposent l’adoption d’une pétition de décharge, permettant une simple augmentation du plafond. Son adoption suppose un vote en sa faveur de cinq Républicains. Or avant une année électorale, peu de membres républicains de la Chambre des Représentants souhaitent prendre ce risque de se désolidariser de leur parti.
Les États-Unis connaissent un déficit structurel important. Sans la force du dollar et la puissance économique du pays, l’État ne pourrait pas poursuivre son processus d’endettement. Au cours du dernier demi-siècle, le déficit fédéral américain a atteint en moyenne 3,5 % du PIB par an. Dans sa dernière mise à jour en février, le Congressional Budget Office (CBO), prévoit que le déficit américain serait en moyenne de 6,1 % par an au cours de la prochaine décennie. D’autres instituts évaluent le déficit moyen plutôt autour de 7 points de PIB. Les Républicains estiment que les Démocrates mettent en danger les finances publiques avec l’Inflation Reduction Act qui pourrait aboutir à une augmentation des dépenses publiques de 1 200 milliards de dollars, ces dépenses visant à soutenir la transition énergétique du pays.
Dans son estimation, le CBO a retenu le principe que les réductions d’impôts décidées par Donald Trump en 2015 tomberont en 2025. Or il est fort probable qu’elles soient reconduites. Outre son plan de lutte contre le réchauffement climatique, Joe Biden entend annuler une partie de la dette étudiante qui serait ainsi reprise par l’État.
Avec le vieillissement de la population, la tendance du déficit est plutôt 7 voire 8 % en 2040 que 3 % annoncés. D’ici le milieu du siècle, la dette publique pourrait atteindre 250 points de PIB, contre 117 % actuellement. L’horloge de Manhattan devra alors être changer pour passer de 14 à 15 chiffres.
La hausse des taux d’intérêt ne fera que compliquer la situation. Début 2022, le CBO prévoyait des taux d’intérêt à trois mois de 2 % en moyenne pour les trois prochaines années. Il a corrigé cette prévision à 3,3 %à la fin du mois d’avril dernier. Quand sur ces cinq dernières décennies, le service de la dette représentait la moitié des dépenses du ministère de la défense, il pourrait en représenter plus d’un tiers d’ici 2033. Les États-Unis ont besoin des capitaux extérieurs pour financer leur dette et leur économie. Les investisseurs pourraient exiger des taux plus élevés au regard des risques encourus.
Les États-Unis pourraient être amenés à faire des économies budgétaires comme les autres pays de l’OCDE. Or, comme ces derniers, la protection sociale est responsable de la grande partie des dépenses. Les dépenses publiques annuelles en faveur des personnes âgées seront équivalentes à toutes les dépenses consacrées à l’éducation, à l’environnement, à la défense nationale, aux sciences et aux transports d’ici 2033. Sans relèvements des impôts et cotisations, les organismes de protection sociales risquent de ne plus pouvoir faire face aux dépenses d’ici 2030.
Comme en France, les responsables publics américains ont répété depuis trente ans que les États-Unis n’étaient pas en faillite et que le pays était riche. Les réformes les plus difficiles ont été reportées faute de consensus. L’âpreté du combat politique depuis l’élection de Bill Clinton empêche l’adoption de mesures impopulaires. En période de cohabitation, les membres de la majorité à la Chambre des Représentants ne prennent pas le risque de prendre des mesures qui pourraient leur être reprochées au moment des élections. La durée courte des mandats n’incite guère à l’impopularité. Au fil des années, les Républicains ont appris qu’il est toxique de réduire les droits, tandis que les démocrates ont appris à éviter les hausses d’impôts. Le résultat de cette impasse est une augmentation sans fin des déficits.
Le monde impitoyable du football
Le football fascine, attire les fortunes plus ou moins bien gagnées. Le film « le corps de mon ennemi » d’Henri Verneuil de 1976 relatait déjà les passions parfois sombres que pouvaient générer le football dans une ville du Nord de la France, passions associant dirigeants d’entreprises, élus et parfois représentants du milieu. Depuis cinquante ans, ce sport bénéficie de flux financiers croissants. En Europe, les clubs appartiennent de plus en plus à des investisseurs étrangers à la recherche de reconnaissance et de pouvoir d’influence.
Des clubs de plus en plus internationalisés
Plus de la moitié des clubs français de la Ligue 1 sont détenus par des investisseurs étrangers. Le passage sous contrôle étranger concerne de grands clubs comme des clubs plus modestes. Le PSG illustre la transformation du monde du football en France, transformation qi a été également constatée dans d’autres pays d’Europe dont notamment au Royaume-Uni. Le PSG, créé en 1970, notamment par Daniel Hechter qui en fut le premier Président a été racheté en 1991 par Canal + qui le revend, en 2006, à un fond américain Colony Capital qui le cède, en 2011, à Qatar Sports Investments (QSI), une filiale du fonds souverain qatarien Qatar Investment Authority (QIA).
Parmi les autres clubs passés sous contrôle étranger, il faut citer l’Olympique lyonnais racheté récemment par l’Américain John Textor. Ce dernier est également propriétaire des clubs de Botafogo (Brésil) et de Molenbeek (Belgique). Il possède 40 % du capital de Crystal Palace (Angleterre). Clermont est la propriété du Suisse Ahmet Schaefer depuis 2019. Outre le Clermont Foot, l’homme d’affaires est propriétaire du club de Lustenau (Autriche). En 2020, Toulouse a été racheté par le fonds américain RedBird Capital. En 2019, le club de Nice est passé sous le contrôle du pétrochimiste britannique Ineos, dirigé par le milliardaire Jim Ratcliffe, qui a dépensé 100 millions d’euros pour l’acquérir. Outre l’OGC Nice, son groupe détient le FC Lausanne (en Suisse), l’équipe cycliste professionnelle Ineos Grenadier ainsi qu’un tiers des parts de l’écurie de Formule 1 Mercedes-AMG Petronas. L’Olympique de Marseille est la propriété de l’homme d’affaires américain Frank McCourt qui a fait fortune dans l’immobilier aux États-Unis. Le club lillois, le LOSC, appartient au fonds luxembourgeois Merlyn Partners. L’AJ Auxerre est la propriété du Chinois James Zhou qui a fait fortune dans l’industrie de l’emballage et a racheté le club en 2016. En 2011, la principauté de Monaco a accepté de céder le contrôle du club, en l’occurrence au milliardaire russe, Dmitri Rybolovlev. L’homme d’affaires, qui a fait fortune dans la potasse, possède 66,67 % des parts de l’AS Monaco, le reste étant détenu par l’exécutif monégasque. Dmitri Rybolovlev qui a des relations distanciées avec son pays d’origine, a réussi à ne pas être concerné par les sanctions prises à l’encontre des ressortissants russes. Depuis 2020, l’Estac est majoritairement détenue par City Football Group (CFG), contrôlé un fonds de private equity proche de la famille royale d’Abu Dhabi.
Quelques grands clubs sont restés contrôlés par des capitaux français. Lens est ainsi contrôlé, depuis 2016, par le franco-libanais Joseph Oughourlian qui a fondé le fonds d’investissement Amber Capital. Outre le RC Lens, le dirigeant est actionnaire majoritaire du Calcio Padoue (Italie), du Millonarios de Bogota (Colombie), et minoritaire du Real Saragosse (Espagne). Le Stade brestois est dirigé depuis 2016 par Denis Le Saint, propriétaire du club en compagnie de son frère Gérard. Les deux frères gèrent une entreprise familiale spécialisée dans la distribution de fruits et légumes, produits de la mer, viandes et surgelés. Depuis 2007, le FC Nantes est détenu par l’homme d’affaires franco-polonais Waldemar Kita. Ce dernier a notamment cofondé Corneal, entreprise spécialisée dans l’ophtalmologie qu’il a revendue par la suite. Il dirige depuis les laboratoires Vivacy. Le club de Lorient est contrôlé par Loic Féry, depuis 2009. Il est le dirigeant de Chenavari Investment managers, une société de gestion d’actifs spécialisée dans les marchés de crédit et de financement. Le SCO Angers est aux mains de Saïd Chabanne, homme d’affaires franco-algérien et fondateur du groupe Cosnelle, spécialisé dans le négoce de charcuterie. Racheté par Louis Nicollin, il y a plus de quarante ans, le Montpellier Hérault Sport Club (MHSC) demeure dans le patrimoine familial depuis son décès, en 2017. Le club est présidé par son fils Laurent Nicollin, également codirigeant du groupe Nicollin spécialisé dans la gestion des déchets avec son frère Olivier. Revenu en quelques années du monde amateur après une relégation administrative, le Racing Club de Strasbourg est détenu par plusieurs actionnaires « historiques » ainsi que par Marc Keller, ex-joueur du club et désormais président. Le Stade rennais est contrôlé par Artémis, la holding patrimoniale de la famille Pinault qui dirige le groupe de luxe Kering. Le Stade de Reims possède plusieurs actionnaires, dont deux principaux : Jean-Pierre Caillot, dirigeant d’une entreprise de transport, et Didier Perrin propriétaire d’une agence de publicité. Les maisons de champagne Thiénot et Taittinger possèdent également des parts. L’ACA, le club d’Ajaccio, le plus petit budget de la Ligue 1, est la propriété de la holding Ajaccio Imperial Corse Investissement, présidé par Alain Orsoni et qui rassemble des responsables économiques de l’Île.
Des clubs de Ligue 2 ont également fait l’objet de rachats par des fonds étrangers. Bordeaux appartient ainsi à l’homme d’affaires hispano-luxembourgeois Gerard Lopez, qui a racheté le club au fonds américain King Street, actionnaire du club entre 2018 et 2021. Le fonds d’investissements américain Oaktree et le producteur français Pierre-Antoine Capton ont racheté 100 % des parts du club de Caen en septembre 2020. L’homme d’affaires américain Vincent Volpe est devenu président et actionnaire du club du Havre. Le club sochalien, longtemps propriété de Peugeot est contrôlé par des capitaux chinois (groupe immobilier chinois Nenking). Dans la catégorie inférieure, la Nationale, deux clubs historiques français sont détenus par des capitaux étrangers : le club parisien, le Red Star cédé en mai 2022 à 100% au fonds d’investissements américain « 777 Partners », pour un montant s’élevant à 15 millions d’euros et l’AS Nancy Lorraine, contrôlé par le groupe d’investisseurs Partners Path Capital, comprenant le Sino-Américain Chien Lee, ancien actionnaire de Nice.
L’internationalisation du monde de football n’est pas de loin une spécificité française. Le championnat britannique a été précurseur en la matière. Seize des vingt clubs de la Premier League anglaise en 2022-23 sont contrôlés par des capitaux étrangers. Ce championnat qui est un des plus regardés au monde attire depuis quarante ans les fortunes étrangères. Un tiers des clubs sont aux mains d’investisseurs américains (Arsenal, Bournemouth, Chelsea, Crystal Palace, Liverpool et Manchester United, Fulham). Derrière, dix autres nationalités sont également représentées. Des propriétaires du Golfe (Manchester City, Newcastle) et un Chinois (Wolverhampton), mais également un Égyptien (Aston Villa), un Iranien (Everton), un Grec (Nottingham Forest), un Italien (Leeds), un Thaïlandais (Leicester), ou un Serbe (Southampton). Seuls Brentford, Brighton, Tottenham et West Ham sont contrôlés par des structures britanniques. En Italie, plusieurs clubs comme Milan ou Parme sont contrôlés par des capitaux étrangers. Tout comme en Espagne, l’état dégradé des finances des clubs impose de plus en plus le recours à des actionnaires étrangers. En Espagne, le groupe Chinois Wanda, spécialiste de l’immobilier, est entré au capital de l’Atlético Madrid. Le fonds de Singapour Meriton a pris, de son côté, le contrôle du FC Valence. Le Real Madrid et le FC Barcelone, ont préféré nouer des partenariats les fonds d’Abu Dhabi et du Qatar respectivement. En Allemagne, la législation freine les achats par des étrangers qui doivent s’associer avec des actionnaires locaux qui doivent posséder plus de la moitié du capital (règle 50+1).
Les investisseurs qui interviennent dans le monde du football ont de plus en plus des stratégies internationales. La société d’Abu Dhabi, CFG, propriétaire de Toulouse et de Manchester City. a progressivement construit un réseau d’une dizaine de clubs passant par les États-Unis (New York City FC), l’Australie (Melbourne City FC), l’Italie (Palerme FC), l’Espagne (Girona FC) ou l’Inde (Mumbai City FC). Le Prince saoudien Abdallah ben Moussaed et son United World Group ont racheté en mars 2021 le club de Chateauroux et possèdent quatre autres équipes : Sheffield United (Premier League), Beerschot (D1 belge), Kerala FC (D2 indienne) et Al Hilal United (D2 émiratie).Le fonds d’investissement RedBird Capital Partners, qui détient le Toulouse FC, possède également l’AC Milan, cette dernière acquisition ayant coûté plus de 1,2 milliard d’euros. La présence dans plusieurs clubs permet de mutualiser les risques. Ces derniers sont de plus en plus gérés comme des créateurs d’évènements. Le PSG s’offre ainsi des tournées en Asie, aux Etats-Unis ou au Moyen Orient.
Une progression exponentielle des dépenses
Si les budgets des clubs professionnels français ont augmenté au fil des ans, l’arrivée progressive des investisseurs étrangers a accéléré le phénomène. Le football a toujours été un sport business. Dans les années 1950, même en troisième division, les joueurs réputés amateurs étaient payés sous forme d’emplois fictifs par des entreprises locales. Avec la montée en puissance médiatique de ce sport, les sommes en jeu ont connu une forte croissance. Auparavant les transferts internationaux de joueurs étaient rares et limités à quelques vedettes, Kopa, Fontaine, Cruyff. A partir de Platini et surtout avec la fin de la limitation en Europe du nombre de joueurs étrangers par club, ils sont devenus légions. Le montant des transferts a dépassé, en 2017, 200 millions d’euros avec Neymar quand celui de Johan Cruyff avait atteint en 1973 un million d’euros. Au niveau des salaires, l’évolution est tout aussi impressionnante. Kylian MBappé a signé un contrat avec le PSG prévoyant une rémunération de 6 millions d’euros. En 1980, Platini gagnait 300 000 euros annuel à la Juventus, ce qui était considéré comme un salaire élevé à l’époque. En tenant compte de l’inflation, ce montant correspondrait à une somme d’un million d’euros aujourd’hui. Ainsi Mbappé gagne, en euros constants, six fois plus que Platini.
Le budget additionné des clubs de Ligue 1 en l’an 2000 était de 915 millions d’euros, contre près de 2,4 milliards d’euros en 2022. Les capitaux étrangers représentent trois quarts du budget total des clubs de Ligue 1. Le budget moyen des clubs est ainsi passé en Ligue 1, 52 millions d’euros en 2011 à 116 millions d’euros en 2022. L’arrivée de capitaux étrangers ont accru les écarts entre les clubs le plus huppés et les plus modestes. Le budget du Paris Saint-Germain pour la saison 2022/2023 dépasse 700 millions et représente 30 % de l’ensemble des budgets des 20 clubs de Ligue 1. Les suivants, Olympique de Marseille, Olympique Lyonnais et AS Monaco ont des budgets évoluant entre 240 et 250 millions d’euros. Huit clubs ont un budget inférieur à 50 millions d’euros. Le club ajaccien, l’ACA a le plus petit budget de Ligue 1 (22 millions d’euros). Les six premiers clubs en termes de budget sont contrôlés par des capitaux étrangers. A la fin de la 34e journée de la saison 2022/2023, les cinq premiers clubs sont également détenus par des étrangers. Rennes qui est 6e est le premier club dont le capital est majoritairement détenu par des actionnaires français.
Le football un placement à risques
Le retour sur investissement dans le football est aléatoire et rarement financier. Les motivations pour les apporteurs de capitaux sont multiples sont avant tout la notoriété, et l’influence même si cela n’interdit pas l’espoir de réaliser quelques bonnes affaires. L’arrivée des capitaux étrangers a abouti à une forte augmentation des recettes. Ainsi, en 2011, celles-ci ne dépassaient pas 100 millions d’euros au PSG. Elles s’élevaient à plus de 560 millions d’euros en 2022. En une dizaine d’années, les droits télévisés ont connu une progression exponentielle. En 1999, les droits télé de la ligue 1 étaient de 900 millions d’euros ; en 2019, ils ont dépassé le milliard d’euros. Durant la même période, les droits de la Ligue 2 ont été également multiplié par trois. Les recettes dérivés (sponsoring, merchandising) ont connu un essor sans précédent. Au PSG, elles représentent plus de la moitié des entrées. Le PSG vend ainsi plus d’un million de maillots contre 80 000 en 2011. Il a également comme d’autres clubs émis des NFT sur la blockchain. De plus en plus de clubs réalisent des partenariats, que ce soit avec des éditeurs de jeux vidéo, des marques de luxe ou des organisateurs d’évènements. Une collection de vêtements avait été, en 2017, signée à la fois par le PSG et les Rolling Stones à l’occasion de la venue de ces derniers à Paris pour un concert.
Les stars du ballon génèrent des activités économiques multiples dont une partie est captée par les clubs que ce soit avec le merchandising ou les droits à l’image. Ces derniers peuvent donner lieu à des conflits avec les joueurs et leurs agents (exemple MBappé avec l’équipe de France et le PSG). Par ailleurs, le football est au cœur de la société de la communication et de l’information. Des milliers de sites, de blogs, de pages sur les réseaux sociaux relaient véritables et fausses informations afin de réaliser du buzz et générer des recettes. Cet univers associant journalistes, bloggeurs, influenceurs, fans, est obscure tant en ce qui concerne la véracité des informations que sur les ressources qu’il engendre.
Des clubs de football, des entreprises financières
Les clubs de football sont des entreprises qui donnent lieu à des valorisations. Celle-ci dépend de la valeur marchande et footballistique des joueurs, du potentiel économique du club et de l’image de ce dernier.
Selon Forbes, en 2022, le Real Madrid est le club donnant lieu à la plus forte valorisation (5,1 milliards d’euros. Détenant le record de coupes d’Europe gagnés, ce club génère depuis deux ans des bénéfices (200 millions d’euros). Il devance le FC Barcelone (5 milliards d’euros) et Manchester United (4,6 milliards d’euros). Le PSG est 7e avec une valorisation de 3,2 milliards d’euros. Le club de la capitale est pénalisé par sa non-possession du Parc des Princes qui appartient à la Ville de Paris. Par ailleurs, ce stade est plus petit que celui des clubs concurrents (47 000 places contre par exemple 81 000 pour le stade Santiago-Bernabéu du Real de Madrid et 76 000 pour le stade Old Trafford du Manchester United). Une valorisation importante permet au club d’accéder à des ressources de financement à meilleurs coûts. FC Barcelone a ainsi mis en avant sa capitalisation pour assurer le financement de la restauration de son stade.
Ces valorisations subjectives ne sont pas celles retenues dans le cadre des rachats des clubs par des investisseurs. Ainsi, le PSG serait évalué à 4 milliards d’euros. QSI l’avait acheté 70 millions en 2011. Roman Abramovitch a de son côté vendu 5 milliards d’euros le club de Chelsea acheté 140 millions d’euros en 2003. Les actifs certains des clubs sont bien moins importants que la valorisation fondée sur la valeur marchande des joueurs, valeur qui peut être remise en cause par les résultats ou les éventuelles blessures.
Dans les années 2000, des clubs ont essayé de trouver des sources de financement auprès des marchés financiers en se faisant coter. En 2003, 37 clubs européens, principalement anglais, étaient ainsi inscrits à la bourse. En 2022, il n’en reste que quelques-uns parmi les grands clubs : le Borussia Dortmund en Allemagne depuis novembre 2000, l’Olympique Lyonnais en France depuis février 2007 ainsi que trois clubs italiens, la Juventus de Turin (2001) qui a rejoint l’AS Roma (2000), la Lazio de Rome (1998), Ajax d’Amesterdam, .Fenerbahçe Sportif Himzet, Galatasaray, Trabzonspor Sportif Yatir, Besiktas, Sport Lisboa E Benfica de Lisbonne, Futebol Clube Do Porto Sporting, Sporting Braga, etc. Les investisseurs séduits dans un premier temps se sont révélés plus rares dans un second compte des incertitudes qui pèsent sur ce type d’activité. La cotation en bourse exige une grande transparence financière ce qui n’est pas une pratique courante dans le milieu du football. Par ailleurs, les repreneurs entendent avoir les mains libres et ne pas dépendre d’actionnaires, ce qui explique que certains clubs ne soient plus cotés.
A défaut de chercher en bourse des actionnaires, les clubs peuvent ouvrir leur capital comme entend le faire QSI avec le PSG. Le Président Nasser Al-Khelaïfi étudierait la possible arrivée au capital à hauteur de 10 à 15 % de deux fonds américains. L’objectif serait d’avoir une nouvelle source de financement et faciliter la création d’une marque mondiale.
Les clubs de football sont devenus des marques qui génèrent de multiples recettes et d’importantes pertes. Les clubs de Ligue 1, en France, ont enregistré une perte cumulée de 600 millions d’euros en 2022, dont 370 pour le seul PSG. Au niveau européen, la pandémie aurait provoqué 7 milliards d’euros de perte pour l’ensemble des clubs de football. En 2021, après le départ de Messi, le FC Barcelone a accusé une perte de plus de 400 millions d’euros. De nombreux clubs de football sont ainsi fortement endettés. Ils ne peuvent survivre que grâce aux apports de leurs propriétaires mécènes. La dette de Tottenham dépasse un milliard d’euros, celle du Real Madrid, 967 millions d’euros et celle de Barcelone, 841 millions d’euros. Le PSG arrive en 10e position avec 90 millions d’euros.
Qu’est ce qui fait courir les investisseurs derrière le ballon ? L’achat d’un club relève de l’influence et de l’image. Le Qatar qui a investi depuis 2011 plus de 1,4 milliard d’euros dans le PSG a sans nul doute pris en compte les retombées sportives et diplomatique dans la perspective du Mondial de 2022. Le Qatar est lié par de nombreux accords à la France et au Royaume-Uni, pays dans lequel il est également footballistiquement présent. Le PSG sert de vecteur de communication internationale à ce pays. Ces retombées sont fragiles. Elles dépendent du parcours sportif du club et du comportement des joueurs. La stratégie d’influence n’est pas sans limite comme en témoignent les relations de plus en plus conflictuelles entre le Qatar et la mairie de Paris.