Le Coin des Tendances – intelligence artificielle – France stop ou encore – Ukraine guerre agricole
Mesure et démesure à la Française
Au cours du premier semestre, la France a connu deux crises : la réforme des retraites et les émeutes dans certains quartiers en lien avec la mort d’un adolescent de 17 ans provoquée par la balle tirée par un policier. Ces deux crises de nature différente ont profondément marqué le pays et n’ont pas contribué à atténuer le fort sentiment de défiance qui traverse la population. La réforme des retraites a prouvé tout à la fois le refus de la part de la population du changement pour faire face au vieillissement démographique et l’incapacité des pouvoirs publics à construire du consensus sur ce sujet majeur. La fusillade mortelle et les émeutes qui s’en sont suivies ont souligné une violence de plus en plus difficile à canaliser. En la matière, la France détient un taux de détention parmi les plus élevés au sein de l’Union européenne. Le pays comptait 74 000 détenus au 1er juillet 2023, pour un peu plus de 60 500 places opérationnelles dans les prisons.
Des réussites souvent méconnues ou injustement dépréciées
Au-delà des gros titres dans les médias et des invectives sur les réseaux sociaux, la France a un autre visage, celui d’un pays qui arrive à surmonter les crises qui se succèdent à un rythme effréné depuis plusieurs années. Au deuxième trimestre 2023, la croissance française est une des plus élevées au sein de l’Union européenne. Depuis 2018, la croissance cumulée du PIB a été deux fois supérieure à celle de l’Allemagne, et devant la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne. Le taux de chômage est revenu à un niveau inconnu depuis quarante ans. Celui des jeunes de moins de 25 ans est en net recul. Il est passé en quelques années de 25 à 16 %.
L’économie française bénéficie de moyens de transports modernes grâce notamment au réseau de train à grande vitesse. Le pays dispose d’un nombre d’aéroports sans comparaison en Europe. Le réseau autoroutier, plus de 11 000 kilomètres, irrigue l’ensemble du territoire (sauf la Corse). Si le recours à des entreprises privées est contesté par certains, il offre un niveau d’entretien supérieur ce qui est constaté au sein des autres pays européens. La France, avec ses 56 réacteurs nucléaires produit l’électricité la moins carbonée d’Europe. Ces réacteurs fournissent plus de 66 % de l’électricité de la France, même si en 2022 des problèmes de maintenance ont provoqué une chute de production. Six réacteurs de nouvelle génération sont en projet s’ajoutant à celui en cours de construction.
La France compte plus d’entreprises dans le top 100 mondial, mesuré par la capitalisation boursière, que tout autres pays européens. Elle le doit en grande partie à ses géants du luxe dont la rentabilité a progressé au cours de la dernière décennie. Les marques de luxe françaises étaient, en 2022, plus rentables que les entreprises technologiques américaines. LVMH est la première capitalisation boursière. La France dispose également de la première banque européenne avec BNP Paribas. Entre 2017 et 2022, le pays a, par ailleurs, augmenté sa part des exportations mondiales d’armes de quatre points. Les parts de marché de la France pour ce marché s’élèvent à 11 %. L’année dernière, la France a déposé plus de brevets que la moyenne de ses grands voisins européens, et près de deux fois plus que la Grande-Bretagne. Le plateau de Saclay est en voie de devenir le plus grand cluster de haute technologie en Europe capable de rivaliser avec ceux de Californie ou de Boston.
La France est le pays de l’OCDE où la création d’entreprises est la plus dynamique. Si longtemps, le nombre d’entreprises de taille intermédiaire ou les licornes (start-up valorisée à plus d’un milliard d’euros) était insuffisant, une évolution est en cours. En 2022, la France comptait ainsi 25 licornes. Dans les écoles de commerce comme dans celles d’ingénieurs, les étudiants sont de plus en plus attirés par les start-ups et globalement par la création d’entreprises. Avec l’appui du gouvernement, quatre giga-usines de batteries sont en cours de construction dans le nord de la France autour des villes Dunkerque, Douvrin et Douai dans l’ancien bassin minier. La France devrait être l’un des plus grands producteurs de batteries électriques en Europe d’ici cinq ans. La France est redevenue, en 2022, un des principaux pays d’accueil des investissements internationaux
Le taux de pauvreté français est inférieur à la moyenne de ses voisins européens et près de deux fois plus faible à celui des États-Unis. Il est stable depuis plus de dix ans autour de 14 %. Les dépenses sociales, plus du tiers du PIB sont les plus élevées de l’OCDE. Elles assurent plus de 50 % des revenus des Français les plus modestes. L’école est obligatoire dès l’âge de trois ans, ce qui fait de la France un des pays en pointe en la matière. L’espérance de vie est une des plus longues de l’OCDE. Elle est supérieure de six ans à celle des Américains.
Une défiance incrustée
La France est un pays où la population est traditionnellement révolutionnaire ou contestataire. Le dénigrement est devenu une religion. Il est de bon ton de critiquer le gouvernement, les grands chefs d’entreprise, voire tous ceux qui ont réussi à l’exception peut-être des stars du ballon rond. Les Français estiment que le pays est profondément inégalitaire. Les inégalités de revenus comptent parmi les plus plus faibles de l’OCDE. Le rapport des revenus des 10 % les plus aisés par rapport à ceux les 10 % les plus modestes après redistribution et prélèvements est de 3,5 ; ce rapport étant globalement stable depuis des années. Les inégalités à la différence de ce qui est constaté au Royaume-Uni ou aux États-Unis n’ont pas, en effet, progressé ces vingt dernières années. Si dans ce dernier pays, les milliardaires sont encensés, en France, ils sont raillés en France sur fond d’amalgame, la valorisation boursière de leur patrimoine étant bien souvent confondue avec leurs revenus. En 2022, six des dix premiers milliardaires européens étaient français. Cette présence de milliardaires donne lieu à des demandes d’augmentation des impôts. Il a ainsi été demandé durant le débat sur la réforme des retraites que Monsieur Bernard Arnault verse les 10 milliards d’euros correspondant au gain du report de l’âge de départ.
Des faiblesses évidemment mais que la France partage avec d’autres pays
Comme d’autres pays européens, la France est confrontée à la crise de son système de santé notamment provoquée par le vieillissement de sa population. La concentration de la population au sein de grandes agglomérations a eu comme conséquences une désertification accrue du milieu rural. Les salaires réels moyens sont restés stables, depuis une dizaine d’années. Ces derniers ont progressé moins vite qu’en Allemagne ou aux États-Unis. Cette évolution n’est pas sans lien avec le développement des transferts sociaux pour lesquels la France détient le record au sein de l’OCDE. Ces dépenses sociales élevées visent à compenser les faibles revenus mais elles freinent, par ricochet, les revalorisations salariales. La désindustrialisation qui s’est accompagnée d’une polarisation des emplois explique la faible augmentation des salaires. L’industrie emploie 12 % des actifs français en 2022, contre plus de 20 % dans les années 1980. La multiplication des emplois à faible valeur ajoutée dans les services domestiques contribue au sentiment de défiance.
L’incapacité des pouvoirs publics, depuis cinquante ans, à assainir les comptes publics est une épée de Damoclès pour le pays. Celui-ci doit également faire face, comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, à un solde industriel négatif qui est néanmoins compensé par les exportations de services et les flux générés par les touristes étrangers. Tant pour la croissance que pour les salaires, le point le plus inquiétant est la baisse de la productivité dans les prochaines années. La France n’est pas la seule à être confrontée à ce problème. Elle partage ce problème avec l’Espagne et les États-Unis.
À force de noircir le trait, les Français auraient-ils perdu le sens de la mesure ? En étant la première destination touristique au monde, le pays est reconnu comme un modèle en ce qui concerne les conditions de vie. Son offre en services publics et en loisirs demeure enviée. À l’étranger, la France étonne avant tout par sa capacité à maintenir un taux de croissance honnête avec des prélèvements obligatoires élevés, un droit du travail strict et une administration parfois tatillonne. L’autre source d’étonnement est le pessimisme qui transcende le pays et cela depuis des années. L’écrivain Sylvain Tesson avait parfaitement synthétisé le paradoxe français en écrivant que « La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer ».
Ukraine, quand la Russie manie l’arme agricole
Au printemps 2022, la guerre en Ukraine a entraîné de vives tensions sur les marchés de l’énergie et des matières premières ainsi que celui des produits agricoles. Le conflit met face à face deux grandes puissances agricoles. La Russie est le premier exportateur de céréales devant les États-Unis quand, avant-guerre, l’Ukraine se classait à la quatrième place. Toujours avant-guerre, l’Ukraine était alors le premier exportateur mondial d’huile de tournesol et le quatrième pour le blé et le maïs. L’arrêt ou la réduction des exportations de cette dernière a fait craindre des pénuries ce qui a provoqué une forte augmentation des cours. En deux ans, l’Ukraine a vu sa production de céréales diminuer pratiquement de moitié.
Le 22 juillet 2022, l’ONU et la Turquie ont négocié, avec la Russie et l’Ukraine, un accord visant à ouvrir un corridor humanitaire maritime en mer Noire. Grâce à cet accord, plus de 1 080 navires chargés de 30 millions de tonnes de céréales et d’autres denrées alimentaires ont quitté les trois ports ukrainiens de Chornomorsk, d’Odessa et de Yuzhny/Pivdennyi. 64 % des exportations de blé dans le cadre de cet accord ont eu pour destination les pays en développement. Le maïs est exporté dans des proportions presque équivalentes vers les pays développés et les pays en développement. L’accord qui n’a pas été reconduit a pris fin lundi 17 juillet. La Russie a indiqué, par le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, qu’elle était prête à reconsidérer sa décision quand les embargos concernant les exportations alimentaires seraient levés. À l’occasion du sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg le 27 juillet dernier, le président russe Vladimir Poutine a publié un article sur le site Internet du Kremlin pour justifier pourquoi il a abandonné l’accord sur les céréales. Il a affirmé que cet accord n’enrichissait que les entreprises occidentales et que les promesses d’exempter les exportations russes des sanctions avaient été rompues. Dans les faits, les sanctions occidentales ne concernent pas les exportations de produits agricoles. Depuis la fin du mois de juillet, les forces russes frappent les ports ukrainiens pour empêcher les exportations de céréales. Les prix de ces dernières sur les marchés mondiaux qui avaient, au cours du premier semestre 2023, presque retrouvé leur niveau d’avant-guerre, sont, à nouveau, en hausse.
Sur la base des productions, en 2023-2024, l’Ukraine devrait exporter 6 millions de tonnes de blé et 10 millions de tonnes de maïs en moins, par rapport à la campagne précédente. Les prévisions de production sont pour ce pays de 25 millions de tonnes de maïs et 17,5 millions de tonnes de blé pour 2023-2024, contre 42 millions de tonnes de maïs et 33 millions de tonnes de blé en 2021-2022, selon le dernier rapport du ministère de l’agriculture américain.
Pour pallier les difficultés de transports par la mer, l’Union européenne a mis en place des « solidarité lanes », des corridors terrestres et fluviaux, destinés à faciliter les exportations ukrainiennes à travers l’Europe. La Fondation Farm, estime qu’actuellement la moitié des exportations ukrainiennes passent par ces voies, notamment à travers la Pologne et la Roumanie. La question posée par la fin de l’accord est la possibilité d’accroître les exportations par voie terrestre. L’Union européenne souhaite améliorer l’offre terrestre, notamment avec un projet d’harmonisation du gabarit ferroviaire (écartement des rails) mais cela exige du temps et de l’argent.
Potentiellement, il n’y a pas de risque de pénurie de céréales. Les récoltes ont été bonnes l’année dernière et les prévisions pour la campagne 2023 le sont également. La Russie qui est le premier exportateur dispose de stocks importants, soit plus de 12 millions de tonnes. Son blé est en outre le moins cher au monde et accessible aux pays en développement. Pour le maïs, la Chine qui était le premier bénéficiaire de l’accord sur le corridor pourrait se tourner vers le Brésil qui a de fortes capacités d’exportation avec des prix compétitifs. Pour le blé, la situation sera plus tendue en particulier pour le pays les plus pauvres comme l’Égypte ou l’Afghanistan.
La Russie en mettant un terme à l’accord sur les corridors en Mer noire utilise l’arme agricole pour accentuer les divisions au sein de la communauté internationale dans le cadre du conflit qui l’oppose avec l’Ukraine. Vladimir Poutine a indiqué que son pays était disposé à fournir gratuitement en céréales des États africains en difficulté. En empêchant l’Ukraine d’exporter, les autorités russes visent à réduire les recettes d’exportation de ce pays ce qui rendra plus difficile l’achat d’équipements militaires. Les produits agricoles et les produits alimentaires représentent les deux cinquièmes des exportations ukrainiennes qui s’élevaient en 2021 à 68 milliards de dollars en 2021. Ces exportations sont, depuis, en chute libre en raison des combats.
Plusieurs pays dont la Turquie pourraient faire pression sur la Russie afin de proroger l’accord de 2022. La Turquie est, en effet, un des principaux importateurs de blé ukrainien. Une augmentation du prix des céréales pénalisera ce pays déjà touché par une forte inflation. En cas d’échec d’une éventuelle médiation turque, un risque d’escalade n’est pas à exclure. Les alliés de l’Ukraine pourraient livrer des missiles de longue portée afin de menacer les navires de guerre russes en Mer noire. Ils pourraient également décider de protéger les convois de céréales ce qui pourrait évidemment provoquer des mesures de rétorsions de la part des autorités russes. Les alliés souhaiteront sans nul doute éviter une montée aux extrêmes sur cette question céréalière et trouver des solutions moins belliqueuses comme le développement des exportations terrestres.
La météo au temps de l’intelligence artificielle
Conçu à Princeton aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, l’ordinateur « Maniac »pouvait effectuer 10 000 calculs par seconde. Cette puissance, extraordinaire à l’époque, a été exploitée essentiellement pour la modélisation des explosions thermonucléaires et la météorologie. En 2023, les supercalculateurs sont capables d’effectuer plus d’un milliard d’opérations par seconde. Ils demeurent utilisés tant par les armées que par les services de météorologie. La prévision du temps mobilise des ressources croissantes et est un enjeu social, économique voire politique majeur. La survenue de sécheresses, de canicules, de cyclones, d’orages, de chutes de neige fait l’objet de prévisions de plus en plus fines. En Corse, les services de Météo France ont été accusés de n’avoir pas alerté en amont du danger de la tempête du 18 août qui a ravagé l’île. Depuis, Météo France a installé de nouveaux radars et affecté des ressources informatiques pour traiter les données. Au-delà de ces évènements graves, la météo s’est imposée dans la vie quotidienne. Les détenteurs de smartphone regardent, en permanence, les applications de météorologie pour leur plaisir ou pour adapter leurs activités ou leurs vêtements.
Selon la Banque mondiale, les avantages de la prévision numérique du temps sont évalués à 162 milliards de dollars par an. L’intelligence artificielle avec l’intégration des mécanismes d’apprentissage automatique devrait améliorer, dans les prochaines années, les prévisions en la matière. Jusqu’à maintenant, le marché de la météorologie était relativement fermé car le coût des données et de leur traitement était élevé. Avec l’intelligence artificielle et la multiplication des données disponibles (en raison du nombre croissant de satellites en orbite), de nouveaux entrants devraient arriver. Ces derniers devraient avoir une vision plus commerciale et s’adapter plus finement aux besoins de leurs clients. L’intégration des systèmes d’intelligence artificielle permettra d’associer aux prévisions météorologiques des éléments issus des modèles de réchauffement climatique.
L’objectif des météorologues est de disposer de modèles leur permettant de prévoir les évènements climatiques le plus en amont possible afin de pouvoir alerter les autorités et les populations. Disposer d’un préavis de 24 heures pour chaque évènement destructeur permettrait de réduire les dommages de 30 %. Si les pays en développement étaient dotés de systèmes d’alerte précoces, ils économiseraient en termes de dégâts une dizaine de milliards de dollars par an. Des milliers de morts pourraient être également évités. L’Organisation météorologique mondiale a ainsi fait de « l’alerte précoce pour tous » d’ici 2027 sa priorité. Avec un taux d’équipement mondial en téléphone portable de 75 %, les autorités ont désormais la possibilité de transmettre des alertes en temps réel or seulement la moitié des pays disposent de systèmes d’alerte météorologique. Un investissement de quelques milliards de dollars serait nécessaire pour équiper les pays en développement et émergents. Les prévisions météorologiques sont incontournables non seulement pour la sécurité, l’agriculture, l’énergie, mais aussi pour les assurances. Afin de réduire les dommages sur les biens comme sur les personnes, les assureurs ont besoin d’informations fiables pour les adresser à leurs assurés. Les données météorologiques permettent également d’établir les grilles tarifaires. En mixant ces données avec celles liées au réchauffement, les assureurs établissent des probabilités en ce qui concerne les évènements extrêmes, ce qui leur permet d’ajuster, par voie de conséquence, le niveau des couvertures et de primes.