Le Coin de l’Economie – vieillissement – cours des actions – inflation
La hausse du cours des actions est-elle irrationnelle ?
Depuis le début de l’année, le cours des actions se maintiennent à un niveau élevé malgré la résistance de l’inflation et la hausse des taux directeurs. Les gains atteignent pour les principaux indices boursiers plus de 12 %. Pour d’autres, cette valorisation est liée aux bons résultats des entreprises et aux espoirs d’un retour de la croissance d’ici la fin de l’année qui devrait intervenir en même temps que la fin des relèvements des taux directeurs.
L’augmentation des taux d’intérêt depuis le milieu de l’année 2022 a été brutale en lien avec les nombreux relèvements des taux directeurs des banques centrales. Le taux d’intérêt à 10 ans des emprunts d’État est passé de 0 à 3 % en zone euro et de 1 à 4 % aux États-Unis. Les indicateurs économiques américains ou européens (PMI et ISM) ne témoignent pas en faveur d’une reprise rapide de l’activité. Si l’inflation décroît depuis plusieurs mois, elle demeure néanmoins élevée de part et d’autre de l’Atlantique. L’inflation sous-jacente reste au-dessus des objectifs fixés par les banques centrales de plusieurs points. Les indices boursiers demeurent malgré tout au plus haut en Europe et ont, en grande partie, réduit les pertes de 2022 aux États-Unis.
L’augmentation du cours des actions en 2023 est-elle exagérée et témoigne-t-elle de l’existence d’une bulle spéculative telle que nous avons pu en connaître à la fin des années 1990 lors du développement d’Internet (bulle Internet) ?
La croissance du PIB a été de 2,1 % en 2022 aux États-Unis et devrait se situer autour de 1 % en 2023 et 2024 avant d’augmenter à 1,8 % en 2025. Le bénéfice par action a connu une forte croissance en 2022, +7,1 %. En revache, une stabilisation est attendue en 2023. En 2024 et 2025, une forte hausse est attendue selon les études de Standard and Poor’s (+11 % pour chacune des deux années). Pour la zone euro, le PIB a progressé de 3,5 % en 2022. La hausse devrait être de 0,9 % en 2023, de 1,5 % en 2024 et de 1,6 % en 2025. Le bénéfice par action a cru de 22 % en 2022. Une stabilisation est attendue cette année. En 2024 et 2025, la hausse devrait être de 7,7 % (chiffres Eurostoxx). La croissance des bénéfices par action devrait donc être forte tant en 2024 qu’en 2025. Elle sera plus rapide que celle du PIB aussi bien aux États-Unis que dans la zone euro.
Le PER (price earnig ratio) qui est le résultat de la division du cours de l’action par le bénéfice net par action dépasse 20 aux États-Unis, que ce soit sur les résultats courants ou les résultats futurs des entreprises. Ce ratio est de 10 pour les résultats courants et de 12 pour les résultats futurs au sein de la zone euro. Le PER est à un niveau relativement élevé aux États-Unis quand il se situe dans sa moyenne de longue période en ce qui concerne la zone euro. La prime de risque qui correspond au rendement d’une action, par rapport à celui d’un actif sans risque (obligation d’État) est supérieure à 4 au sein de la zone euro et est de 2 aux États-Unis. Cette prime de risque élevée en Europe pourrait conduire à des arbitrages en cas de poursuite de la hausse des taux directeurs.
Le cours des actions est favorisé par les plans de rachats que les entreprises mettent en place. Ces derniers représentent près de 2 points de PIB aux États-Unis comme en zone euro. Les entreprises utilisent une partie de leurs bénéfices pour effectuer ces rachats ce qui augmente la valeur des actions restantes sur le marché. Le montant des rachats reste néanmoins inférieur à leur niveau d’avant covid et d’avant crise financière de 2008.
La valorisation des cours de bourse repose sur le pari d’une décrue rapide de l’inflation qui mettrait un terme à la hausse des taux directeurs de la part des banques centrales. En cas de persistance de l’inflation, une correction pourrait intervenir de manière assez brutale. La poursuite de l’augmentation du prix du pétrole et des tensions accrues en Ukraine pourraient modifier le scénario plébiscité par les investisseurs.
Le vieillissement démographique, un défi de grande ampleur
La zone euro est entrée dans une période de vieillissement démographique, la proportion des retraités augmentant plus vite que l’ensemble de la population. Cette évolution en l’absence d’une progression des gains de productivité est synonyme d’une croissance potentielle faible et d’une augmentation des déficits publics. Dans les prochaines années, le défi du vieillissement sera un des plus difficiles à résoudre avec celui de la transition énergétique, d’autant que les populations se montrent de plus en plus rétives à l’immigration.
De 2022 à 2050, la population en âge de travailler de la zone euro diminuera de près de 20 % quand la population globale augmentera de moins de 10 %. Pour enrayer la baisse de la population en âge de travailler, les États tentent d’augmenter le taux d’emploi en reculant par exemple l’âge de départ à la retraite. Le taux d’emploi des 20/64 ans est ainsi passé, au sein de la zone euro, de 2010 à 2023 de 68 à 74 %. Les marges de manœuvre en la matière sont de plus en plus limitées. La France et l’Italie demeurent les rares pays pour lesquels une progression du taux d’emploi est possible pour les moins de 25 ans et pour les 55/64 ans. L’autre facteur permettant de compenser le recul de la population active concerne les gains de productivité. Or, depuis 2017, ceux-ci ne progressent plus. La productivité est même en baisse dans plusieurs pays dont la France et l’Espagne. Depuis une dizaine d’années, les gains de productivités sont de plus en plus faibles en Europe comme dans les autres pays de l’OCDE. Entre 2010 et 2022, la productivité par tête n’a augmenté que de 6 % en zone euro.
Sans redressement des gains de productivité, et avec une progression moindre du taux d’emploi, la croissance potentielle de la zone euro de 2023 à 2050 devrait être proche de 0 %. Le PIB par habitant pourrait ainsi diminuer favorisant le développement de tensions sociales. L’absence de croissance intervient au plus mauvais moment car les États devront financer les dépenses en hausse en matière de retraite, de santé, de dépendance, de défense et d’éducation. Ils devront également consacrer une part de plus importante de leur budget à la transition énergétique. Depuis 2010, les dépenses publiques augmentent de plus d’un point par an. Naturellement, sans réalisation d’arbitrages, cette progression devrait s’accentuer. De 2023 à 2050, les dépenses publiques pourraient augmenter de plus de 27 %. A pression fiscale inchangée, la hausse des dépenses publiques en 2050 pourrait représenter 14 points de PIB. Depuis la crise financière, de nombreux États ont joué sur la dette publique pour financer le surcroît de dépenses publiques. Celle-ci a augmenté de plus de 10 points de PIB pour la zone euro entre 2010 et 2022, l’augmentation atteignant 27 points de PIB pour la France.
Le recours à l’endettement était relativement facile quand les taux d’intérêt étaient nuls. Il devient de plus en plus difficile avec le retour de taux normaux. Pour la France, le service de la dette s’est accru de 15 milliards d’euros en 2022. La nécessaire maîtrise de la dette devrait contraindre les États à augmenter les impôts et à réaliser des arbitrages au niveau des dépenses. Seront exposées aux éventuelles économies, celles liées à la retraite en raison de leur poids et de leur forte progression.
Le vieillissement démographique n’explique pas tout
Plus une population vieillit, plus la proportion de l’épargne investie dans des produits de long terme est censée diminuer. En effet, l’aversion aux risques augmente avec l’âge. L’horizon de placement étant plus court, les placements en actions seraient pénalisés. Par ailleurs, les ménages à la retraite doivent logiquement puiser dans leur épargne pour maintenir leur pouvoir d’achat, ce qui devrait aller à l’encontre des placements « actions » et provoquer une baisse des cours. Ce désengagement des ménages de l’épargne de long terme conduit les États à jouer un rôle croissant d’intermédiation, de transformation de l’épargne de court terme en ressources de long terme. Cette fonction de transformation est d’autant plus indispensable que, dans le même temps, la transition énergétique suppose la réalisation de nombreux investissements à la rentabilité différée dans le temps.
Au sein de la zone euro, la population de plus de 60 ans représentait 28 % de l’ensemble de la population en 2022, contre 19 % en 1995. Sur cette même période, la proportion de l’épargne financière risquée (actions et obligations d’entreprises) est passée de 32 à 26 %. Cette baisse concerne tous les grands États membres de la zone euro (France, Allemagne, Espagne, Italie). Au Japon, la part des plus de 60 ans dans la population est passée de 20 à 35 % de 1995 à 2022, et la proportion de l’épargne financière risquée de 30 à 19 %.
Cette baisse de la détention financière en produits risqués qui est globale au sein de l’OCDE n’est pas du seul fait des épargnants les plus âgés. Au sein des États membres, ces produits restent, en effet, essentiellement possédés par les plus de 50 ans (55 ans aux États-Unis). Le rajeunissement des actionnaires constaté en France, depuis 2020 demeure, pour le moment, limité.
Au Japon comme en Europe, les retraités sont des épargnants nets au moins jusqu’à 75 ans. Ils continuent à investir dans des produits financiers. L’aversion aux risques serait plus manifeste chez les jeunes actifs. Le coût de l’immobilier les dissuaderait de placer leur épargne sur des produits de long terme.
La baisse de l’épargne financière de long terme serait la conséquence des difficultés économiques que rencontrent les actifs de moins de 45 ans et de la préférence donnée à l’immobilier et à l’épargne de précaution. Les crises à répétition ont modifié le comportement des ménages qui maintiennent un volant de liquidité plus important que dans le passé. Cette frilosité induit un interventionnisme croissant des banques de l’État et des banques dans l’intermédiation pour financer des projets de long terme. Cette intermédiation a un coût et peut déboucher sur une allocation des ressources financières pas totalement optimale. La mise en place de véhicules d’épargne de long terme (unités de compte, fonds actions, fonds d’infrastructure) est souhaitable afin de rallonger le terme de l’épargne. Les épargnants ont également tout à gagner du développement d’un département d’épargne longue afin de bénéficier de meilleurs rendements.
Désinflation aux États-Unis, inflation persistante dans la zone euro
Les États-Unis se sont engagés plus tôt que la zone euro dans la lutte contre l’inflation. Ils commencent à engranger les premiers résultats quand le combat demeure incertain en Europe. Au-delà du décalage dans le temps dans la mise en œuvre des politiques monétaires restrictives, la nature différente de l’inflation explique cette différence entre les États-Unis et la zone euro.
La désinflation engagée aux États-Unis
L’inflation hors énergie, alimentation et hors loyers (effectifs et imputés) aux États-Unis, n’est plus, au mois de juillet 2023, que de 1,9 % en rythme annuel quand elle dépassait 7,5 % entre la fin de 2021 et le début de 2022. La seule source restante d’inflation hors énergie et alimentation demeure, aux États-Unis, dans les loyers. La progression des revenus des ménages a augmenté de moins de 3,5 % par an au deuxième trimestre 2023, contre plus de 5 % par an au début de l’année. Au sein de la zone euro, l’inflation hors énergie et produits alimentaires non transformés était, en juillet, de 6,6 % par an, contre 7,5 % au cours du premier trimestre. L’inflation hors énergie, produits alimentaires non transformés et loyers s’élevait à 7 % en juin 2023. La croissance du salaire nominal par tête est passée de 4 % au 1er trimestre 2022 à 5,2 % au 1er trimestre 2023.
L’inflation s’est manifestée aux États-Unis dès le début de l’année 2021 en lien avec les plans de relance mis en œuvre par l’État fédéral quand elle a réellement émergé en zone euro avec la guerre en Ukraine qui a provoqué une forte hausse des prix des matières premières et de l’énergie. La banque centrale américaine a commencé à réagir dès le début du printemps 2022 et a augmenté plus rapidement ces taux que celle de la zone euro qui n’a durci sa politique monétaire qu’à partir du mois de juillet 2022.
Aux États-Unis, l’inflation a une importante composante loyers. Le poids de cette composante dans l’inflation est de 33 % ; ce taux atteignant 43 % pour l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation). Les loyers continuent à augmenter aux États-Unis malgré la forte baisse des prix de l’immobilier. En règle générale, un décalage de 18 mois est constaté entre les variations de ces derniers et les loyers. Une baisse est donc attendue dans les prochains mois. La reprise du marché de l’immobilier depuis le début de l’été fait néanmoins craindre que cette baisse soit faible et de courte durée. En revanche, le freinage de la progression des salaires constitue une bonne nouvelle pour la maîtrise de l’inflation. Leur progression a été divisée par deux entre 2021 et la mi-2023. Dans ce contexte, l’inflation hors énergie, alimentation et y compris loyers sera, à la fin de l’année 2023,inférieure à 3 % aux États-Unis.
Au sein de la zone euro, la diminution de l’inflation est avant tout imputable à un effet base. L’évolution favorable des prix de l’énergie et des matières premières pèse favorablement sur les indices des prix. Après avoir connu un pic plus de 40 %, l’indice des prix à la consommation de l’énergie est devenu négatif au cours du deuxième trimestre 2023. Cette décrue demeure fragile comme le démontre la remontée des prix du pétrole depuis le mois de juillet 2023. L’inflation hors énergie et produits alimentaires non transformés et l’inflation hors énergie, produits alimentaires non transformés et loyers (les loyers augmentent assez lentement dans la zone euro) restent élevées. Au cours du deuxième trimestre 2023, l’indice des prix à la consommation des loyers était en hausse de 2,5 % en zone euro. Les loyers à la différence des États-Unis évoluent lentement en zone euro en lien avec leurs modalités de fixation. En France, depuis plus d’un an, les relèvements sont plafonnés. Concernant l’inflation sous-jacente, une légère décrue est constatée en Europe mais elle demeure faible et est plus lente que celle constatée aux États-Unis. Cette différence est imputable à l’accélération des hausses des salaires et des coûts salariaux unitaires qui s’accompagne, en outre, du recul de la productivité. Les tensions de plus en plus importantes sur le marché du travail contribuent à l’augmentation des salaires. De nombreux pays de la zone euro, dont l’Allemagne et les Pays-Bas, sont en situation de plein emploi. En France, le taux de chômage est au plus bas depuis 40 ans. Plus de la moitié des entreprises de la zone euro rencontrent des difficultés de recrutement.
Les États-Unis peuvent espérer sortir de la vague inflationniste à l’automne quand en zone euro, celle-ci pourrait perdurer quelques temps. La BCE pourrait être contrainte de relever encore à deux reprises ses taux directeurs avec comme risque de réduire à néant la croissance. Un des problèmes majeurs de la zone euro provient des tensions sur le marché du travail. L’amélioration du taux d’emploi est une nécessité tant pour réduire l’inflation salariale que pour augmenter le taux de croissance potentiel de la zone euro. Par ailleurs, la recherche de gains de productivité pour compenser les surcoûts salariaux est indispensable.