Le Coin de l’Economie – dette publique – immobilier – finances publiques – productivité
Comptes publics, l’heure des choix
Le gouvernement a prévu le retour du déficit public, en France, en-dessous de 3 % du PIB pour 2027, soit une réduction de 1,7 point en quatre ans. Compte tenu de l’évolution naturelle des dépenses, de l’accumulation des besoins en matière de défense, de retraite, de santé, d’éducation et des investissements à réaliser dans le cadre de la transition énergétique, l’assainissement des comptes publics constitue un véritable défi d’autant plus que la croissance potentielle tend à s’affaiblir et que la charge des intérêts de la dette est en augmentation.
Au sein de la zone euro, la France est le pays qui, depuis la survenue de la crise covid, enregistre les plus mauvais résultats en matière de finances publiques. Son déficit public après avoir atteint près de 9 points de PIB en 2020 reste, depuis, proche de 5 points de PIB. Après le « quoi qu’il en coûte » lié à l’épidémie, le gouvernement a décidé d’amortir les conséquences de la guerre en Ukraine pour les ménages et les entreprises. La dette publique a progressé de vingt points en quatre ans pour atteindre plus de 112 % du PIB. À la différence de nos principaux partenaires, la dette n’a pas connu, en France, de réelle décrue.
La situation des finances publiques est rendue délicate par l’affaiblissement de la croissance potentielle. Celle-ci dépend de l’évolution de la population active, du taux d’emploi et des gains de productivité. La population âgée de 20 à 64 ans baissera de 0,3 à 0,9 % l’an entre 2023 et 2030. Pour contrecarrer cette baisse, les pouvoirs publics peuvent améliorer le taux d’activité et le taux de chômage. La France se caractérise en effet par un faible taux d’activité chez les moins de 25 ans et après 55 ans. Le taux de chômage même s’il a fortement baissé depuis trois ans reste élevé, 7,3 % contre 6,3 % au sein de la zone euro et 3 % en Allemagne. Un des objectifs de la réforme des retraites est de faciliter l’augmentation du taux d’emploi des seniors. De son côté, la productivité par tête qui augmentait sur longue période de 1 % avant la crise sanitaire est en baisse depuis. La croissance potentielle de la France ne serait, dans ces conditions, que de 0,3 % par an sur la période 2023-2027 en France. La France ferait un peu moins bien que l’ensemble de la zone euro (0,5 % par an) en raison de la disparition des gains de productivité.
La hausse des taux d’intérêt complique également la donne. Après avoir atteint un point bas en 2020, (-0,3 %), ils sont – en lien avec le relèvement des taux directeurs et l’arrêt par la Banque Centrale Européenne, des rachats d’obligations – remonté à 3 %. Le poids des intérêts payés sur la dette publique qui était passé de 3 à 1,2 point de PIB de 2002 à 2020 a atteint 1,9 point de PIB en 2023. Si les taux des obligations à 10 ans se stabilisent à 3,5 %, la charge de la dette représentera, en 2027, 3,5 points de PIB. Pour l’ensemble de la zone euro, ce ratio devrait être de 2,9 points de PIB toujours à l’horizon 2027. Cette différence est liée au montant de la dette publique qui est en moyenne inférieure à celle de la France au sein de la zone euro (90 % du PIB en 2022).
L’évolution de la croissance potentielle et de la charge de la dette amène spontanément une aggravation du déficit public primaire (déficit avant paiement des intérêts de la dette) que Patrick Artus, le chef économiste de Natixis, estime à 0,3 point de PIB par an. Pour la zone euro, la dérive serait de 0,2 point de PIB.
Le gouvernement d’Elisabeth Borne est confronté à une menace d’emballement des déficits publics. Pour endiguer ce risque, le gouvernement a comme solution la mise en œuvre d’un plan de réduction des dépenses ou/et un relèvement des prélèvements obligatoires. Un durcissement de la politique budgétaire a comme inconvénient, à court terme, de réduire la croissance qui est déjà pénalisée par la hausse des taux d’intérêt. En revanche, sur longue période, un assainissement des comptes publics est, en règle générale, favorable à l’activité surtout s’il est le résultat d’une réduction des dépenses.
Un déficit de construction de logements préoccupant
Avec la hausse des taux d’intérêt enclenchée par les autorités monétaires afin de mettre un terme à la vague inflationniste occasionné par la crise covid et la guerre en Ukraine, les ménages réduisent leurs investissements en logements. Cette diminution contribue à déséquilibrer le marché de l’immobilier et à fragiliser le secteur du bâtiment.
Les taux d’intérêt sur les crédits immobiliers aux ménages sont passés de 1,4 % à près de 4 % de 2020 à 2023 en France et au sein de la zone euro. Ils ont retrouvé le niveau qu’ils avaient avant la crise financière de 2008/2009. Ils demeurent inférieurs à leur niveau de 2002 (6 %). Aux Etats-Unis, sur ces quatre dernières années, les taux d’intérêt pour les prêts immobiliers des ménages ont doublé pour atteindre 6 %. Ils sont à leur plus haut niveau sur ces vingt dernières années. L’investissement immobilier est dans ce contexte en fort recul tant en zone euro qu’aux Etats-Unis. La baisse est plus prononcée au sein de ce dernier pays (-15 % en rythme annuel lors du premier semestre 2023 contre -5 % en zone euro).
Avec une inflation dépassant les 5 %, les taux d’intérêt pour les crédits immobiliers sont en termes réels négatifs mais les ménages n’en profitent guère. Le niveau d’endettement de ces derniers est contraint par leurs revenus qui évoluent moins rapidement que les prix et les taux d’intérêt. Les capacités d’endettement des ménages n’augmentent pas voire se réduisent compte tenu des charges d’intérêt d’autant plus que les pouvoirs publics ont durci les conditions d’accès aux prêts. Par ailleurs, l’augmentation des taux d’intérêt se combine avec des prix immobiliers élevés. Ils ont doublé en vingt ans que ce soit en France ou dans la zone euro.
Que ce soit en France, en zone euro ou aux Etats-Unis, le recul de l’investissement immobilier entraîne une baisse du nombre de logements mis en chantier qui est désormais inférieur aux besoins des populations. En France, ce nombre était, en rythme annuel, fin juin, de 337 000 quand les besoins sont évalués à 500 000. Aix Etats-Unis, ce nombre est inférieur à 1,5 million quand il dépassait 2 millions avant la crise financière de 2008. Pour l’ensemble de la zone euro, les mises en chantier était au cours du premier semestre 2023 inférieures de 40 % à leur niveau de 2008.
Le déficit de constructions qui est manifeste depuis une dizaine d’années favorise la hausse des prix de l’immobilier. Il pénalise les locataires et les primo-accédants à la propriété qui sont confrontés à une raréfaction de l’offre. Cette situation provoque une hausse des loyers en particulier aux Etats-Unis (+8 % au premier semestre 2023). Le manque de logements crée une bulle spéculative, les prix de l’immobilier étant de plus en plus déconnectée de l’évolution des revenus des ménages.
Le recul de l’investissement immobilier a également des conséquences économiques importantes. L’emploi dans le secteur du bâtiment tend à diminuer. Ce secteur est confronté également à un problème de recrutement en raison de sa faible attractivité. Compte tenu du poids de ce secteur, de 3 à 5 % du PIB au sein de l’OCDE, ses difficultés ne sont pas sans incidence sur la croissance économique.
L’immobilier qui est un investissement de long terme est dépendant de l’évolution des taux d’intérêt à court terme. Les taux des prêts à 10 ou à 15 ans devraient être plus en lien avec les taux d’inflation sur longue période. Au-delà de la question des taux, la relance de la construction est nécessaire pour résoudre la crise du logement. Elle suppose une modernisation du secteur du logement et un accès facilité au foncier. Or, la volonté des pouvoirs publics de lutter contre l’artificialisation des sols réduit les possibilités de construire.
Les finances publiques face à la baisse de la productivité
Depuis 2017, la productivité du travail est orientée, au sein de la zone euro à la baisse. Après avoir augmenté, en France, de 5 % de 2010 à 2016, elle a baisse de 3 % de 2017 à 2023. En Allemagne, les chiffres respectifs sont 6 et 1 %, en Espagne de 5 et 2 % et en Italie de 0 et 0 %.
Si la tendance de la productivité du travail de 2010 à 2016 s’était prolongée de 2017 au 2e trimestre 2023, le niveau de la productivité du travail serait :
- supérieur de 8 % au 2e trimestre 2023 en Allemagne ;
- supérieur de 8 % au 2e trimestre 2023 en France ;
- supérieur de 6 % au 2e trimestre 2023 en Espagne ;
- le même au 2e trimestre 2023 en Italie.
Si cette faiblesse de la productivité se poursuit, le déficit de croissance sur la période 2023/2027 est évalué par Patrick Artus, le chef économiste de Natixis à
- 5 % en Allemagne ;
- 8 % en France ;
- 7,5 % en Espagne.
L’Italie n’ayant pas engrangé de gains de productivité ces quinze dernières années, n’est pas affectée par leur baisse. En revanche, le prix à payer pour ce pays est une croissance potentielle faible.
Une productivité déclinante pèse sur la croissance et contribue à une hausse du déficit public à fiscalité inchangée. Celui-ci pourrait être accru en 2027 de :
- 2 points de PIB en Allemagne ;
- 3,6 points de PIB en France ;
- 3,0 points de PIB en Espagne.
Les marges de manœuvre fiscales sont assez réduites. Les prélèvements obligatoires s’élevaient, en effet, en 2022, à 45 % du PIB en France, à 42,5 % en Italie, à 40,5 % en Espagne et à 38,9 % en Allemagne.
La restauration des gains de productivité est une nécessité pour éviter un dérapage des déficits publics qui ne serait pas supportable financièrement pour les pays de la zone euro. Les gouvernements ne peuvent guère compter sur les prélèvements pour équilibrer les finances publiques.
La soutenabilité des dettes publiques en question
Quelle est le niveau de dette soutenable sur le plan financier et économique ? Durant de nombreuses années, les 60 % du PIB de dette publique a été considéré comme un niveau à ne pas dépasser par crainte d’un risque d’emballement. La barre des 100 % était également mis en avant comme seuil à partir duquel la dette porte atteinte à la croissance. Ces seuils sont avant tout symboliques car la soutenabilité de la dette dépend d’un grand nombre de facteurs, les taux d’intérêt, le taux d’épargne, le déficit public primaire (déficit avant paiement des intérêts), etc.
La dette publique a, en vingt ans, à l’exception de l’Allemagne fortement progressé dans les pays de l’OCDE. Elle est passée, de 2002 à 2022, de 150 à 250 % du PIB au Japon, de 110 à 150 % en Italie, de 60 à 120 % aux Etats-Unis, de 60 à 112 % en France, de 55 à 115 % en Espagne et de 45 à 100 % au Royaume-Uni. En Allemagne, la hausse est plus mesurée, la dette publique s’élevait en 2022 à 66 % contre 60 % en 2002. Au sein de l’OCDE, le Japon, les Etats-Unis et la France figurent parmi les pays où la dette publique demeure orientée à la hausse en raison d’importants déficits publics.
La hausse des taux d’intérêt rend plus complexe la gestion des dettes publiques. Elle accroit les intérêts à payer. Ce surcoût est d’autant plus sensible que la croissance tend à s’étioler. En la matière, la soutenabilité de la dette suppose que le taux d’intérêt réel à long terme soit inférieur au taux de croissance à long terme. En prenant en compte le taux d’intérêt réel à long terme (calculé comme la différence entre le taux d’intérêt à 10 ans et le swap d’inflation à 10 ans et le taux de croissance du PIB lissé sur 4 ans, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, l’Allemagne et la France sont dans une meilleure situation que l’Espagne ou l’Italie. Ces deux derniers pays pour maîtriser leur dette publique sont condamnés à dégager un solde budgétaire primaire (solde avant paiement des intérêts de la dette) positif. Ils pourraient être rejoint par d’autres pays de l’OCDE compte tenu de l’affaiblissement de la croissance potentielle en lien avec la diminution de la population en âge de travailler et de la productivité. Par ailleurs, la hausse des taux d’intérêt conduit à réduire voire à annihiler l’écart avec la croissance économique. La hausse des investissements en lien avec la transition énergétique s’accompagne de besoins de financement plus importants ce qui induit des augmentations de taux d’intérêt.
Si le processus de relèvement de taux d’intérêt se poursuit, tous les Etats seront amener à réduire leur déficit primaire qui se situent entre -5 et -1 % du PIB. Compte tenu de la hausse des dépenses publiques provoquée par le vieillissement de la population, l’effort de défense ou la transition énergétique, les marges de manœuvre des pouvoirs publics seront dans les prochaines années faibles. Ils pourraient être condamnés à augmenter les prélèvements obligatoires.
Compte tenu de l’état de l’opinion et du niveau déjà atteint par les prélèvements obligatoires, la France et l’Italie risquent d’éprouver des difficultés à réduire leur déficit primaire. La pression fiscale atteint dans ces deux pays respectivement 45 et 42 % du PIB. Les Etats-Unis avec un taux de prélèvements obligatoires de 27 %, l’Espagne avec un taux de 39 % ou l’Allemagne avec un taux de 20 % disposent de marges de manœuvre plus importantes. La France comme l’Italie pourraient être tentées par une fuite en avant en acceptant une augmentation de leur endettement mais avec comme risques une augmentation des taux d’intérêt. Par ailleurs, leurs partenaires européens au nom de la défense de la monnaie commune pourraient les sommer à assainir leurs comptes publics.
Pour avoir une vision globale de la soutenabilité de la dette publique, il convient également de prendre en compte le taux d’épargne. En la matière, la France, l’Allemagne et surtout le Japon bénéficient d’un réel avantage. Dans ces pays, les ménages épargnent des sommes importantes et acceptent de les placer sur des titres publics. Au Japon, la dette est à plus de 75 % détenue par les citoyens. Les Etats-Unis bénéficient de leur côté de la force du dollar qui leur permet d’attirer des capitaux du monde entier pour financer leur économie et leur dette publique. La forte croissance potentielle des Etats-Unis constitue également un atout pour le financement des déficits publics.
La soutenabilité de la dette publique dépend donc des taux d’intérêt, du déficit primaire, de la pression fiscale, des capacités d’épargne et de son allocation ainsi que de la croissance potentielle. Le point central en matière de soutenabilité de la dette publique reste la confiance. Tant que les investisseurs estiment qu’un Etat a la capacité de rembourser dans les prochaines années ses emprunts, il n’y a pas de problème. Si un doute s’immisce comme ce fut le cas, en 2010, pour la Grèce, une crise des dettes souveraines peut survenir. Un fort ralentissement de la croissance en lien avec, par exemple, une augmentation des prix du pétrole, la persistance de l’inflation obligeant le maintien de taux d’intérêt élevés pourraient créer une onde de choc surtout si des divergences de situation entre les Etats membres de l’OCDE apparaissaient.