Le Coin de l’Economie – Etats-Unis – emploi – productivité – épargne
Pourquoi les États-Unis sont-ils toujours les plus forts ?
Les États-Unis et l’Europe se ressemblent sur bien des aspects d’autant plus que lors de ces quarante dernières années, avec la mondialisation, les produits vendus sont les mêmes de part et d’autre de l’Atlantique. Si dans les années 1980, tout voyage à New York permettait aux Européens d’acquérir des biens technologiques inconnus dans leur pays d’origine, tel n’est plus le cas aujourd’hui. Il en est de même au niveau des services. Les chaînes de restauration sont implantées de manière indifférente dans toutes les grandes villes tout autour de la planète. Pour autant, les Américains et les Européens diffèrent sur certains points, notamment sur leur regard face à l’avenir, la consommation ou l’épargne.
Depuis la fin des confinements, la croissance américaine est supérieure à celle de la zone euro (près de deux fois plus élevée). Cet écart ne provient pas d’une différence d’orientation des politiques monétaires ou des politiques budgétaires ni de différences ou de l’investissement. Les taux directeurs de la FED sont plus élevés que ceux de la BCE et devraient donc donner un avantage de croissance à la zone euro. Les déficits publics sont assez proches, 3,5 % du PIB en zone euro et 4,5 % aux États-Unis. L’investissement des ménages a baissé plus fortement aux États-Unis qu’en zone euro quand celui des entreprises est un peu plus élevé chez les premiers.
La grande différence provient de l’état de confiance des consommateurs aux États-Unis. Ces derniers sont nettement plus optimistes que leurs homologues européens. Il en résulte une préférence marquée pour la consommation aux États-Unis. Ce phénomène n’est pas récent. La consommation a augmenté de 38 % de 2010 à 2022 aux États-Unis, contre +10 % en zone euro. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les Européens augmentent leur effort d’épargne au détriment de la consommation quand les Américains puisent dans leur cagnotte covid pour maintenir voire accroître leur consommation. Le taux d’épargne des ménages européens dépasse, au premier semestre 2023, 15 % du revenu disponible brut quand il est inférieur à 10 % aux États-Unis et qu’il est inférieur à son niveau de 2019. Dans ce pays, 70 % de l’épargne excédentaire accumulée durant la crise de la Covid a été dépensée. La cagnotte covid aura disparu d’ici la fin de l’année. Dans la zone euro, cette épargne excédentaire a continué à croître
L’autre grande différence de part et d’autre de l’Atlantique est liée à la politique de soutien à l’investissement. Les États-Unis ont mis en place, en août 2022, l’Inflation Reduction Act, qui prévoit des crédits d’impôt pour les investissements de transition énergétique réalisés aux États-Unis. L’Europe a développé l’European Green Deal (le Pacte vert pour l’Europe) pour accélérer la transition énergétique. Les montants de l’Inflation Reduction Act et de l’European Green Deal sont comparables, mais le programme européen est fondé avant tout sur des régulations et des subventions alors que le programme américain s’appuie sur des crédits d’impôt. Le taux d’investissement des entreprises américaines est en forte hausse quand celui des entreprises de la zone euro a tendance à baisser. Le taux d’investissement des entreprises, aux États-Unis, est de 13,5 % du PIB, contre 13,1 % en zone euro. La politique américaine est plus directe que celle de la Commission européenne. Sa mise en œuvre est facilitée par le caractère unifié du marché américain.
La croissance américaine résiste mieux aux relèvements des taux directeurs que la zone euro. Celle-ci a été plus durement touchée par la hausse des prix de l’énergie et des matières premières après le début de la guerre en Ukraine. Son industrie est sensible aux évolution des coûts de production et est confrontée aux tensions internationales (Chine, Russie) et aux impératifs de la transition énergétique. Les États-Unis peuvent compter sur le caractère unifié de leur marché, sur la puissance du dollar qui continue à attirer les capitaux du monde entier et sur une énergie abondante et moins chère qu’en Europe.
L’emploi, la productivité et la croissance
La croissance potentielle de la zone euro est la somme des gains de productivité (lissés) et de la croissance de la population en emploi. Celle-ci dépend de l’évolution de la population en âge de travailler et de la croissance du taux d’emploi. Pour avoir une croissance potentielle élevée, il faut donc une augmentation du nombre de personnes âgées entre 16 et 64 ans qui soient, en outre, sur le marché du travail. Au sein de la zone euro, depuis 2018, la croissance potentielle est restée positive, malgré la stagnation de la productivité et le recul de la population en âge de travailler, grâce à la croissance du taux d’emploi. En cas de poursuite du déclin de la productivité, la zone euro pourra-t-elle espérer maintenir sur la durée un taux de croissance potentielle positive ?
La productivité du travail stagne dans la zone euro depuis le milieu de 2017, et la population en âge de travailler recule. La productivité est inférieure de 3 % en 2022 par rapport à son niveau de 2019. La population en âge de travailler (20/64 ans) diminue au sein de la zone euro depuis 2011. La baisse était de 0,5 % en 2022. La croissance potentielle qui est la somme des gains de productivité et de la croissance de la population en emploi, n’est restée positive en zone euro que grâce à l’augmentation du taux d’emploi. De 2002 à 2022, ce taux d’emploi est passé, en zone euro, de 66 à 74 %. Le nombre d’emplois s’est accru grâce à l’amélioration du taux d’activité féminine et l’arrivée d’immigrés.
Les marges en matière de taux d’emploi sont de plus en plus réduites. Ce dernier peut encore progresser en France ou en Italie mais guère davantage dans les autres pays de la zone euro. Selon l’OCDE, le taux s’élève à 69 % en France, à 62 % en Italie, 78 % en Allemagne et 83 % aux Pays Bas. Il est de 80 % au Japon et de 72 % aux États-Unis.
La stagnation du taux d’emploi si elle ne s’accompagne pas d’une progression de la productivité débouchera sur une érosion de la croissance. Un des objectifs majeurs des gouvernements en reportant l’âge de départ à la retraite est, au-delà de la réduction des dépenses de retraite, d’améliorer le taux d’emploi et ainsi favoriser la croissance.
Depuis 2019, l’emploi progresse en lien avec la diminution de la productivité. Pour maintenir leur production, les entreprises sont contraintes d’avoir un nombre accru de salariés. Ce besoin de main d’œuvre s’explique par l’évolution du rapport au travail. Après les confinements, les salariés ont réduit le nombre d’heures supplémentaires. Les emplois à horaires décalés ou pénibles peinent à trouver preneurs obligeant les dirigeants d’entreprise de doubler parfois les postes. La tertiarisation de l’économie conduit naturellement à une moindre productivité. En France, le développement de l’apprentissage et de la formation par alternance conduit également à une baissé mécanique de la productivité, les apprentis n’étant que partiellement à leur poste de travail. Autre facteur de baisse de la productivité : la préférence affichée des chefs d’entreprise du maintien du personnel même en cas de baisse d’activité par crainte de ne pas trouver de nouveaux salariés au moment de la reprise. Les pénuries de main d’œuvre auxquelles sont confrontés de nombreux secteurs dissuadent les entreprises à opérer des licenciements. Certaines d’entre elles préfèrent anticiper les recrutements même s’ils ne sont pas immédiatement productifs.
Une moindre productivité avec des créations d’emploi se traduit par une compression des marges et donc une diminution des bénéfices. Après l’épidémie de covid, les entreprises disposaient d’importantes liquidités qui leur permettaient de supporter cette dégradation de leur taux de marge. Le maintien de la croissance les a incitées à maintenir leur niveau de production, voire à l’accroître ce qui a limité les effets négatifs de la baisse de la productivité. Si le ralentissement de la croissance se poursuivait, les entreprises pourraient être tentées d’ajuster leurs effectifs ou de limiter les hausses salariales. Pour redresser leurs marges, elles pourraient également opter pour des investissements de productivité prenant la forme de robotisation ou d’autonomisation. Logiquement, les créations d’emploi devraient se ralentir en raison de l’étiolement de la croissance potentielle. Une augmentation du taux d’emploi et de la productivité sont donc indispensables.
Quand l’épargne devient le nerf de la guerre !
D’un point de vue macro-économique, faut-il consommer ou épargner ? Pour la croissance immédiate, la consommation est préférable. Sur le long terme, l’épargne qui est le vecteur de l’investissement est indispensable. Des pays comme les États-Unis peuvent concilier consommation et investissement mais cela est lié à leurs capacités à attirer l’épargne d’investisseurs étrangers.
Dans les prochaines années, les besoins d’investissement seront en forte hausse nécessitant une épargne plus importante. L’arbitrage devrait donc s’effectuer au détriment de la consommation. Les besoins d’investissement concernent tant les entreprises, les ménages que les pouvoirs publics. Ces besoins sont en lien avec la transition énergétique, la gestion de l’eau, le maintien de la biodiversité et avec l’effort accru à réaliser en matière de défense, d’éducation ainsi que de formation.
La transition énergétique qui suppose la neutralisation carbone des activités d’ici 2050 nécessite, au minimum, un surcroît d’investissement de 3 à 4 points de PIB pendant au moins une trentaine d’années. En 2022, à l’échelle mondiale les émissions de CO2 ont progressé de plus de 2 %. Elles se sont élevées à plus de 34 milliards de tonnes, contre 24 000 en 2002. La part des énergies renouvelables au sein de la consommation totale d’énergie augmente mais demeure faible au regard des objectifs pris lors de l’Accord de Paris de 2015. En 2022, cette part est de 14 %. Elle a doublé en vingt ans. Une accélération des investissements apparaît nécessaire pour limiter le réchauffement climatique.
Face au besoin accru d’épargne, tous les pays ne sont pas dans la même situation. Au niveau d’une nation, la capacité d’épargne dépend du solde de la balance courante. Les pays qui ont un excédent d’épargne ont un solde positif au niveau de leur balance courante, les pays qui ont un déficit d’épargne ont un solde négatif au niveau de de leur balance courante. Les pays qui au niveau de leurs échanges de biens et de services avec l’étranger ont un déficit doivent solder leurs positions soit en s’endettant, soit en cédant une partie de leur patrimoine.
Les États-Unis connaissent, depuis des années, un déficit structurel de leur balance des paiements courants, entre 2 à 4 % du PIB. La zone euro qui durant les années 2010 a enregistré un excédent de plus de 4 % du PIB grâce à l’Allemagne et aux Pays-Bas a connu une dégradation de sa position extérieure avec le renchérissement du prix de l’énergie. En 2022, le solde était négatif de près de deux points de PIB. L’excédent de la Chine qui dépassait 3 % du PIB dans les années 2010 tend également à fondre. Il n’était plus que d’un point en 2022. De son côté, le solde de l’Afrique est négatif de quatre points quand celui de l’OPEP atteint des sommets à 10 % du PIB.
La course à l’épargne devrait s’amplifier, tous les pays ayant, en même temps, des besoins d’investissements élevés. Les États-Unis et la Chine sont entrés en compétition en matière de leadership. La zone euro doit refonder son économie pour ne pas être marginalisée. L’Afrique doit tout à la fois se développer pour gérer le doublement de sa population et décarboner son économie. Les pays de l’OPEP doivent préparer la fin du pétrole. L’épargne extérieure sera plus rare et plus chère car les besoins domestiques sont en forte augmentation. Les pays déficitaires au niveau de leur balance des paiements courants seront donc pénalisés, l’accès aux ressources financières seront limitées. Les États-Unis, grâce à la valeur refuge du dollar, seront moins pénalisés que les pays africains voire la France.
Face à ce besoin d’épargne, les États auront tout avantage à dégager des excédents au niveau de leur balance courante et d’arbitrer en défaveur de la consommation. La restauration des échanges extérieurs passe par une réindustrialisation des États membres de l’OCDE. La segmentation du commerce mondial risque néanmoins de poser des problèmes pour les États qui par le passé avec été les grands gagnants de la mondialisation comme l’Allemagne ou la Chine.
La possession d’actifs extérieurs constitue un atout non négligeable, ces actifs étant une source de revenus. Les actifs extérieurs nets américains représentent 4 % du PIB quand les États-Unis ont une dette extérieure de 60 % du PIB. La Chine dispose en la matière d’un solde positif de 15 % du PIB. En revanche, l’Afrique est confrontée à une dette extérieure de plus de 35 % du PIB tout comme l’Amérique latine. Les actifs extérieurs de l’OPEP s’élèvent à 34 % du PIB mais sont en fort repli. Ils représentaient plus de 50 % du PIB en 2013, preuve d’une utilisation de plus en plus interne des revenus issus du pétrole.
Les pays en situation de dette nette extérieure et de compte courant négatif seront donc contraints de réduire leurs investissements ou d’accroître l’épargne interne, ce qui passe par une moindre consommation. Ce schéma ne s’applique qu’imparfaitement aux États-Unis. Sur le papier, la situation de ce pays est fortement dégradée mais le rôle de valeur refuge du dollar lui permet de passer outre ses faiblesses structurelles. Une remise en cause du dollar comme monnaie internationale serait à même de le mettre en difficulté et de contraindre les Américains d’épargner au lieu de consommer.