Le coin des tendances : protectionnisme – automobile – intelligence artificielle – BCE
Automobile, les dangers d’une guerre commerciale avec la Chine
La montée en puissance des ventes de voitures électriques chinoises en Europe conduit la Commission de Bruxelles à étudier l’idée d’une augmentation des droits de douane qui passeraient de 10 à 28 %. Un tel relèvement pourrait enclencher une guerre commerciale. La Commission de Bruxelles réagit aux demandes des constructeurs et des gouvernements européens qui craignent une invasion chinoise.
Le danger chinois, un danger surestimé ?
La montée en puissance des ventes de voitures électriques chinoises est réelle mais elle ne constitue pas un raz de marée. Au cours des sept premiers mois de 2023, 189 000 voitures chinoises ont été vendues en Europe, soit 2,8 % de toutes les ventes automobiles. Ce ratio monte à 8 % en ne retenant que les seules ventes de véhicule électrique. Ces ventes ont triplé de 2021 à 2023. Ces ventes sont réalisées par Polestar, MG, Aiways, Byd, Nio, Ora et Xpeng. D’autres marques chinoises devraient faire leur apparition en Europe comme Leapmotor. Selon La banque UBS, la part des constructeurs chinois dans les ventes de voitures, en Europe pourrait, d’ici 2030, atteindre 20 %. La progression des ventes de voitures électriques est une volonté du gouvernement chinois de s’imposer dans ce secteur à fort rayonnement. Elle est également la conséquence de l’atonie du marché intérieur chinois. Les constructeurs n’arrivant plus à vendre en Chine décident d’exporter une part croissante de leur production. Le marché américain étant protégé par des droits de douane plus élevés et des subventions favorisant les constructeurs automobiles nationaux, les entreprises chinoises privilégient l’Europe. Les modèles chinois compacts correspondent d’avantage aux goûts européens.
Les entreprises chinoises ont sans nul doute bénéficié d’appuis publics pour développer leurs programmes de véhicules électriques. De leur côté, les constructeurs européens reçoivent, comme ceux des États-Unis, d’importantes aides publiques. Les voitures chinoises sont moins chères que celles des autres pays grâce à une forte intégration verticale et de chaînes d’approvisionnement courtes. Les constructeurs chinois sont bien souvent fabricants de batteries.
Les Européens divisés par aux constructeurs chinois ?
Face à la menace chinoise, les constructeurs automobiles européens sont divisés sur le relèvement éventuel des droits de douane. Sur le segment haut de gamme, où la fidélité à la marque est forte, ils sont contre cette mesure. Vendant en nombre des voitures en Chine, Mercedes ou BMW seraient les premiers touchés par les mesures de rétorsion. En 2022, BMW a vendu 793 000 voitures en Chine , soit 33 % de ses ventes mondiales. Pour Mercedes, les chiffres respectifs sont 619 000 et 30 %. Pour Volkswagen, ils sont de 3,1 millions et 40 %. La moitié des bénéfices nets des constructeurs automobiles allemands provient de Chine. En revanche, des marques telles que Renault ou Peugeot, qui ne dépendent pas de la Chine mais sont confrontées directement à la concurrence chinoise en Europe souhaitent une augmentation des droits de douane. Cette hausse aurait comme conséquence des prix plus élevés pour les consommateurs. La Chine pourrait également pénaliser les constructeurs européens en relevant le prix des composants électroniques et des batteries dont sont dépendants les acteurs européens. 75 % des batteries produites dans le monde proviennent de Chine. L’entreprise chinoise CATL détient à elle seule 37 % du marché. La Chine est également en position de force pour la production et le raffinage de terres rares nécessaires pour les batteries.
La guerre commerciale, la pire des mauvaises solutions
Dans le passé, les guerres commerciales dans le domaine de l’automobile n’ont pas donné les résultats escomptés. En 2002, George W. Bush a eu recours à la section 201 de la loi sur le commerce de 1974 permettant d’augmenter les droits de douane pour protéger l’industrie américaine afin de soutenir les sidérurgistes. Le bilan a été négatif pour les États-Unis. Cette mesure aurait entraîné la suppression de 200 000 emplois dans le secteur de l’automobile. Les constructeurs ont, en effet, été confrontés à une augmentation de leur coûts de production. Par ailleurs, ils ont été contraints d’utiliser des aciers de mauvaise qualité et plus lourds, nuisant ainsi à leur compétitivité. La France avait dans les années 1980 décidé de limiter les ventes de voitures japonaises à 3 % ce qui a dans les faits faussement protégé les marques françaises qui ont perdu des parts de marché à l’exportation en raison d’une faible compétitivité.
La Banque Centrale Européenne, la force tranquille
« Rien n’est possible sans les gens. Rien n’est durable sans institutions », soulignait Jean Monnet, l’un des pères fondateurs de l’Union européenne. Ce dernier estimait que la fin de la rivalité historique entre la France et l’Allemagne passerait par l’économie. Furent ainsi créé un marché commun de l’acier et du charbon, un marché commun plus global avec l’introduction d’un tarif douanier unique (CEE 1957), un marché unique (1993) puis la monnaie unique (1999). Cette dernière a donné lieu à la mise en place de la Banque centrale européenne (BCE) qui est indépendante des gouvernements nationaux. La BCE, en un quart de siècle, a réussi à s’imposer comme l’institution numéro 1 de la zone euro. Elle est devenue le symbole fédéral d’une Europe qui est toujours en quête d’une expression politique. Elle a surmonté la crise financière de 2008/2009, la crise des dettes publiques entre 2010 et 2014, l’épidémie de covid en 2020 et la guerre en Ukraine. Elle a bénéficié de l’affaiblissement de la Commission de Bruxelles et des oppositions croissantes entre les États membres. Elle a comme mission d’assurer la stabilité des prix et du système financier. Au nom de la défense de la monnaie, elle joue un rôle clef dans la maîtrise des déficits publics. Elle peut par les outils dont elle dispose orienter les politiques économiques et interagir sur l’emploi et la croissance. Elle étend son champ d’action aux politiques climatiques et aux relations commerciales internationales notamment avec la Chine.
La BCE, une résilience à toute épreuve
Chaque crise a permis à la BCE d’élargir son périmètre. En 2010, en pleine crise grecque, Mario Draghi Président de l’époque de la BCE avait, pour rassurer les investisseurs, promis de faire « tout ce qu’il faudra » pour protéger l’euro. Des moyens de financement ont été mis en place afin d’aider la Grèce qui n’est pas sortie de la zone euro. La décision de Mario Draghi a évité un effet domino et fait depuis jurisprudence. À compter de 2015, la BCE a procédé à des rachats d’obligations pour lutter contre la déflation. Elle a également abaissé ces taux directeurs. Pendant le Covid-19, Christine Lagarde, l’actuelle présidente, la BCE, a mis en œuvre des plans importants de rachats d’obligations publiques et privées pour soutenir l’économie et faciliter le financement des dépenses publiques (plan de rachats de 1 700 milliards d’euros d’obligations). En 2022, elle a annoncé que la banque centrale pourrait, le cas échéant, effectuer des rachats sélectifs d’obligations pour venir en aide à des États en difficulté et dont les écarts de taux avec ceux de l’Allemagne augmenteraient. Cette annonce visait, en particulier, à éviter des attaques financières contre l’Italie dont la dette publique est la plus importante au sein de la zone euro. La simple évocation de ces rachats a permis – jusqu’à maintenant – d’écarter la résurgence d’une crise malgré la hausse des taux directeurs décidée pour lutter contre l’inflation. Même si cela n’était pas officiellement prévu par le Traité de Maastricht, la BCE est devenue le prêteur en dernier ressort des gouvernements de la zone euro. Afin de contourner l’interdiction du financement des États prévue par le traité, les responsables de la BCE sont contraints de placer leurs décisions sous le prisme de la stabilité de la sphère financière et notamment de la soutenabilité des dettes publiques.
La BCE, un acteur international de premier plan
La BCE joue un rôle international de premier plan en relation avec les autres grandes banques centrales. Elle peut influer non seulement sur le taux de change mais aussi sur les politiques des banques commerciales de la zone euro ou en-dehors. Ainsi, elle assure, en partie, l’approvisionnement en dollars de la Pologne qui n’est pas membre de la zone en euro. En revanche, elle ne le fait pas pour la Hongrie qui est bute avec les autorités européennes sur de nombreux points. Elle pourrait à terme aider l’Ukraine en acceptant des swaps en dollars. Sur ce dernier point, elle aura cependant besoin d’un accord du Conseil des Ministres des Finances de l’Union européenne. En ce qui concerne la guerre en Ukraine, la BCE intervient dans le cadre de la surveillance de la bonne application des embargos. Elle a pris position pour une sécurisation des gels des avoirs des ressortissants russes quand certains États auraient souhaité pouvoir les utiliser. Au niveau du FMI ou de la Banque mondiale, les positions de la BCE qui est la deuxième banque centrale au niveau mondial, comptent. Consciente du poids croissant de la monnaie commune, la BCE travaille à renforcer son internationalisation. Elle travaille sur l’éventuelle création d’une monnaie numérique, qui pourrait contribuer à faciliter les transactions. Elle a mené sur ce sujet des test grandeur nature lui permettant d’être en avance par rapport à la FED. Le développement d’un euro numérique pourrait placer la BCE comme un acteur clef dans le financement de l’économie en réduisant le rôle des banques commerciales.
La transition énergétique, la nouvelle frontière de la BCE
La BCE en tant que superviseur du système financier européen souhaite accélérer la transition énergétique. Pour justifier cette immixtion sur le terrain climatique, elle souligne notamment qu’une transition énergétique plus rapide réduira les risques de crédit des banques à moyen terme. Elle a, à cet effet, publié le 6 septembre dernier un test de résistance climatique allant dans ce sens. Christine Lagarde a évoqué la possibilité d’aller plus loin en prenant des considérations écologiques dans le cadre de la distribution des prêts.
La BCE qui, depuis sa création a été essentiellement présidé par des anciens ministres de l’Économie ou par des anciens hauts fonctionnaires issus des ministères financiers, n’est pas réellement contestée même si de temps en temps, des opposants soulignent son manque de légitimité démocratique. L’euro en jouant en rôle de paratonnerre depuis 1999 a convaincu un nombre croissant d’Européens. Les responsables politiques qui souhaitaient la sortie de leur pays de la zone euro se montrent, ce sujet, plus discrets. La légitimité de la construction monétaire européenne n’en demeure pas moins fragile en raison de sa nature supranationale et de sa jeunesse. En cas de forte récession, de difficultés majeures dans un État membre de première importance ou d’opposition tranchée d’un État membre au niveau de la politique budgétaire, la BCE pourrait être fragilisée. Ces faiblesses potentielles expliquent en partie le fait que l’euro ne constitue que 20 % des réserves de change mondiales loin derrière le dollar. Sa dépréciation ces dernières années en est également une illustration. Pour autant, l’euro constitue une véritable réussite de la construction européenne. Compte tenu des chocs subis, sans la monnaie commune, l’Europe aurait certainement connu de nombreuses crises monétaire et de change.
N’ayez pas peur de l’intelligence artificielle
Avec l’essor de l’intelligence artificielle (IA), les scénarii dystopiques se multiplient. Elle est accusée d’être une source de destruction d’emplois, de surveillance généralisée des populations, de discrimination, etc. Certains experts soulignent en revanche que l’IA permettrait de résoudre rapidement de nombreux problèmes que ce soit en matière de santé ou de lutte contre le réchauffement climatique. En permettant des gains de temps, elle accéléra le rythme des découvertes scientifiques. Elle ouvre la possibilité de mettre un terme à l’érosion des gains de productivité et de la croissance. Dans le passé, de nombreuses découvertes ont donné lieu à des espoirs qui n’ont pas été toujours concrétisés. Dans les années 1990, des experts affirmaient qu’Internet réduirait les inégalités, éradiquerait le nationalisme et augmenterait durablement la productivité.
L’IA mérite néanmoins un examen approfondi. Elle peut être assimilée aux découvertes du microscope ou des télescopes au XVIIe siècle qui ont changé profondément la science et la recherche. Les chercheurs ont privilégié les données tangibles, leurs observations sur les idées transmises de génération en génération depuis l’Antiquité. Ces découvertes ont permis de s’affranchir des interdits religieux. La conséquence fut de nombreux progrès en astronomie, en physique comme l’horloge à pendule ou la machine à vapeur, qui amorça la première révolution industrielle. Les avancées technologiques au cours du XIXe et XXe siècles ont été possibles par l’industrialisation des processus de recherche et de production. Les engrais artificiels, les produits pharmaceutiques et le transistor ont été rendus possibles par un traitement d’un nombre croissant de données. Les innovations donnent lieu désormais à des simulations et à des modélisations que ce soit en matière militaire, d’aviation, de météorologie ou de santé.
Le développement de l’informatique ainsi que des technologies de l’information et de la communication entraine une augmentation exponentielle des données qui pour être utiles doivent être traités et analysées. Or, les capacités humaines sont de plus en plus insuffisantes pour effectuer ce travail. Le recours à l’IA est nécessaire pour accélérer le traitement des informations ou pour réaliser des simulations et des modélisations. Les outils et techniques d’IA sont désormais utilisés dans presque tous les domaines scientifiques. En 2022, 7,2 % des articles de physique et d’astronomie publiés mentionnaient le recours à l’IA. Cette proportion est moindre dans les sciences vétérinaires (1,4 %) mais elle est en augmentation. L’IA offre la possibilité de mixer des données en temps réel et de mener de fronts plusieurs études qui interagissent. A la différence des systèmes de gestion informatique passés, l’IA est en capacité à analyser des textes littéraires pour rechercher de nouvelles hypothèses, connexions ou idées que les chercheurs auraient négligé ou oublié. Elle favorise le travail interdisciplinaire et l’émergence d’innovations aux frontières de plusieurs domaines. La création de robots scientifiques offre également des gains de temps appréciable. Les systèmes robotiques de recherche utilisent l’IA pour formuler de nouvelles hypothèses, fondées sur l’analyse des données et de la littérature existantes, puis testent ces hypothèses en réalisant des centaines ou des milliers d’expériences, dans des domaines tels que la biologie des systèmes et la science des matériaux. Contrairement aux scientifiques, les robots sont moins attachés aux résultats antérieurs et n’ont pas de préjugés.
Le principal frein à l’essor de l’IA provient des blocages sociologiques et du manque de formation des chercheurs. Certains d’entre eux refusent les nouveaux outils de recherche par crainte de perdre leur emploi ou par refus de l’innovation…
L’IA n’est en soi la garantie d’une nouvelle révolution industrielle mais elle peut y contribuer sous réserve évidemment qu’un nouveau luddisme ne prenne pas forme. Il ne faut pas en avoir peur. Elle ouvre à la science de nouveaux espaces et peur réduire le coût des innovations. Pour cela il faut éviter que l’IA ne devienne un enjeu de souverainisme économique en ces temps de retour du protectionnisme. L’IA n’a de valeur que si elle permet d’échanger et d’interpréter le plus grand nombre de données possibles en provenance de tous les continents.