Le Coin de l’économie – inflation – Chine – taux d’intérêt – France
Une sensibilité accrue à la hausse des taux d’intérêt
La remontée brutale des taux d’intérêt depuis 2022 laisse présager un long refroidissement de l’économie. Or, dans le passé, des taux élevés n’ont pas été toujours synonymes de croissance atone. La sensibilité des acteurs économiques après une longue période de taux historiquement bas aurait-elle augmenté en modifiant leurs comportements ?
De février 2022 à octobre 2023, le taux d’intérêt à 10 ans sur la dette publique des États-Unis est remonté en octobre 2023, passant d’environ 1,2 à 4,75 % et celui de la dette de la zone euro est passé de près de 0 à 3,65 %. Beaucoup d’observateurs craignent un effet catastrophique de cette remontée ; pourtant les taux d’intérêt à long terme entre 2002 et 2007 étaient plus élevés que ceux observés aujourd’hui, et les économies des États-Unis et de la zone euro étaient en forte croissance. Ce n’est donc pas le niveau des taux d’intérêt à long terme qui importe, mais leur variation. La période de taux d’intérêt à long terme très faibles (2008-2021) a conduit à une hausse de l’endettement des États et des entreprises (depuis 2012 aux États-Unis, depuis 2018 dans la zone euro), ce supplément d’endettement n’étant pas compatible avec le retour des taux d’intérêt à long terme de la période 2002-2007. L’oubli par les banques centrales de l’objectif de stabilité financière à partir de 2016 est la cause du caractère insupportable de la hausse des taux d’intérêt aujourd’hui.
La remontée des taux d’intérêt est un des plus rapides de l’histoire post Seconde Guerre mondiale. Ses effets sont d’autant plus redoutés que depuis une vingtaine d’années, l’endettement de tous les agents économiques (entreprises, ménages et administrations publiques) a fortement progressé. L’investissement dans le logement réalisé par les ménages est ainsi en fort recul. Il est passé, de 2022 à 2023, aux États-Unis de 4 à 3 % du PIB et de 5,5 à 5 % en zone euro. L’investissement des entreprises résistent en revanche. Il s’élève en 2023 à 14 % du PIB aux États-Unis, ce qui correspond à son niveau moyen d’avant crise sanitaire (moyenne sur quatre ans). Pour la zone euro, il s’élève à 13 % du PIB. Il est légèrement inférieur à sa moyenne d’avant crise (14 %). L’augmentation des taux provoque celle du service de la dette publique. Les intérêts payés par les États sont en forte progression. Leur poids est passé de 2020 à 2023 de 3,6 à 4,2 % du PIB aux États-Unis et de 1,5 à 1,8 % du PIB en zone euro. Aux États-Unis, le service de la dette a retrouvé son niveau de 2010 quand il demeure inférieur de moitié en zone euro.
Jusqu’à la crise financière, les taux d’intérêt étaient relativement élevés d’autant plus que l’inflation était faible. De 2002 à 2007, le taux d’intérêt à 10 ans sur la dette publique des États-Unis était de 4,50 % et sur la dette publique de la zone euro de 4,0 %. Pour autant, cette période a été caractérisée par une forte croissance en lien avec la mondialisation et l’essor de nombreux pays émergents.
La sensibilité des pays occidentaux à la hausse des taux n’est pas sans lien avec la hausse sans précédent de l’endettement qui a été encouragée par les politiques monétaires non-conventionnelles mises en place entre 2008 et 2021. Les taux directeurs ont été quasi nuls aux États-Unis entre 2009 et 2016 puis entre 2020 et 2022. En zone euro, ils l’ont été de 2015 à 2022. La masse monétaire est passée de 1 000 à 9 000 milliards de dollars de 2007 à 2022 aux États-Unis et de 1 000 à 6 500 milliards d’euros en zone euro en lien avec les opérations de rachats d’obligations décidées par les banques centrales.
La baisse des taux et les rachats d’obligations ont alimenté un mouvement d’endettement rapide et important. La dette publique des États-Unis est passée de 72 à 125 % du PIB de 2007 à 2023, celle de la zone euro de 72 à 90 % du PIB sur la même période. La dette publique des entreprises non financières s’élevait à 120 % du PIB en zone euro en 2020, contre 80 % en 2007. Les chiffres respectifs pour les États-Unis sont 60 et 45 %. Les ménages se sont endettés pour acquérir leur logement dans la zone euro. Le phénomène est moins marqué aux États-Unis en raison de la crise des subprimes qui a réduit les financements par crédits.
Dans un contexte de forte croissance et de gains de productivité, les agents économiques supportaient plus facilement les taux d’intérêt élevés dans les années 2002 – 2007 qu’aujourd’hui. La faiblesse voire la disparition des gains de productivité pèse sur la rentabilité des investissements. Le caractère incertain de la croissance depuis une dizaine d’années incite à la prudence. L’appréciation de la valeur des actifs, en particulier immobiliers, expose de manière plus forte que dans le passé les acteurs économiques à la hausse des taux d’intérêt. Le doublement des prix de l’immobiliers en vingt ans contraint les acquéreurs à s’endetter de manière plus importante et donc à supporter des charges d’intérêt plus élevées. Contrairement aux périodes de hausses des taux précédentes, les prix de l’immobilier ne baissent que faiblement en raison d’une demande qui reste forte.
Quand les investisseurs internationaux boudent l’Empire du Milieu !
L’ouverture de la Chine au monde, à compter de la fin des années 1970, s’est accompagnée de l’arrivée d’un grand nombre d’investisseurs. Les grandes entreprises internationales ont financé de nombreuses usines industrielles permettant l’essor sans précédent des exportations et contribuant à la croissance du pays. Ces flux de capitaux semblent depuis 2021 se tarir en lien avec les tensions commerciales avec l’Occident et l’augmentation des coûts de production.
Les investissements directs des entreprises étrangères en Chine qui représentaient en moyenne plus de 250 milliards de dollars dans les années 2000/2020 s’élevaient à 400 milliards de dollars. En 2023, ce montant est tombé à 20 milliards de dollars traduisant tout à la fois la faible croissance de l’économie chinoise et une détérioration brutale de son image parmi les entreprises étrangères. L’attitude de plus en plus hostile du gouvernement chinois à leur encontre joue en défaveur des investissements. La crainte de l’augmentation des droits de douane sur les produits chinois dissuade également les entreprises étrangères à investir en Chine.
Avec le vieillissement démographique et le recul des gains de productivité, les baisses de perspectives de croissance de la Chine expliquent également le changement de cap des capitaux. La population âgée de 20 à 64 ans diminue chaque année de 0,2 %. En 2030, la contraction sera de 1 %. La productivité par tête qui augmentait de 8 % dans les années 2000 ne croit plus que de 2 % par an depuis 2021. La croissance potentielle de la Chine se réduit d’année en année. Après avoir atteint plus de 8 % dans les années 2000, elle tend vers 3 %.
La multiplication des sanctions américaines et européennes vis-à-vis de la Chine (équipements de télécommunication, semi-conducteurs, etc.) freine les investissements.
Depuis 2021, les importations en provenance de la Chine pour les États-Unis et la zone euro sont en forte baisse, -20 %. Une partie de ces importations a été compensée par celles en provenance d’autres pays d’Asie qui reconditionnent des produits fabriqués en Chine afin de contourner les sanctions et les droits de douane. L’augmentation des coûts de production incite, par ailleurs, les entreprises internationales à opter pour d’autres pays d’implantation.
La forte chute des investissements directs des entreprises étrangères affaiblit la croissance de la Chine et provoque une dépréciation du RMB. En 2023, un dollar s’échange contre 8 RMB, contre 7en 2021. Les pays occidentaux privilégient désormais les autres pays d’Asie de l’Est, Vietnam, Cambodge, la Malaisie les Philippines ou l’Inde
Les trois problèmes économiques de la France
Comme ses partenaires, La France est confrontée à un ralentissement économique en lien avec le durcissement de la politique monétaire après le rebond post-covid. Elle enregistre malgré tout une croissance supérieure à celle de l’Allemagne grâce à sa moindre exposition aux échanges industrielles. Le retour des touristes internationaux contribue également au maintien d’une légère croissance. Au-delà de ces aspects conjoncturels encourageants, le pays doit néanmoins faire face à plusieurs problèmes structurels susceptibles de peser défavorablement sur sa croissance pour les prochaines années.
Un faible taux d’emploi
Le taux d’emploi, c’est-à-dire la proportion de la population en âge de travailler qui a un emploi, est faible en France. Selon les données de l’OCDE, il s’élevait à 69 % en 2022 contre 72 % aux États-Unis, 76 % au Royaume-Uni, 78 % en Allemagne et 79 % au Japon. Le taux d’emploi est certes en hausse, en France, depuis 2016, mais l’écart avec ses partenaires demeure conséquent. Moins d’actifs au travail signifie moins de croissance.
Si le taux d’emploi en France était égal au niveau moyen de l’OCDE, le PIB de la France serait de près 10 points supérieur et le déficit public serait réduit de 5 points de PIB.
Un recul inquiétant de la productivité
La France est confrontée à une baisse de la productivité plus prononcée que celle qui est constatée dans d’autres pays. La productivité par tête a, en effet, reculé de 6 % depuis son point haut de 2018. Le recul de la productivité du travail est en particulier dû à la baisse de la durée effective du travail. De 2002 à 2023, la durée effective du travail a diminué de plus de 6 %, contre une baisse de 2 % en zone euro. Cette durée est, par ailleurs, stable aux États-Unis.
Si la productivité du travail continue à stagner en France, au lieu d’augmenter de 0,8 % par an comme cela était constaté dans le passé, le déficit public pourrait s’accroître de deux points de PIB, toute chose étant égale par ailleurs.
Un faible niveau de compétences
La France souffre d’un déficit de compétences au niveau de sa population active. Selon l’enquête PIAAC de l’OCDE, la France se classe derrière tous les grands pays occidentaux (Japon, Suède, Allemagne, États-Unis, etc.). Ce déficit est la conséquence de la faible qualité du système éducatif matérialisé par le mauvais classement de la France à l’enquête PISA de l’OCDE. Le niveau des élèves en France est inférieur à celui des partenaires économiques et tend à se dégrader.
Au sein de l’OCDE, une corrélation est constatée entre niveau de compétences et gains de productivité. Il en est de même en comparant poids de l’industrie et niveau de compétences. La France, l’Italie, l’Espagne et la Grèce se caractérisent par un faible niveau de compétences et de formation.
Le processus de désindustrialisation subie par la France ces vingt dernières années s’explique en partie par ces problèmes de compétences. La production manufacturière a reculé de 15 % depuis 2007. Pour le moment, les mesures de soutien par les pouvoirs publics ont eu peu d’effets sur cette production. Elles exigent du temps pour se matérialiser.
En l’absence de réindustrialisation, la France éprouvera des difficultés à réduire son déficit budgétaire qui se situe à 5 % du PIB en 2023. Il est censé repasser en-dessous de 3 % en 2027 ce qui suppose une croissance de plus d’un point de PIB par an.
Comment trouver le chemin de la désinflation ?
Depuis le début de l’année 2022, les pays occidentaux sont confrontés à une vague inflationniste sans précédent depuis le deuxième choc pétrolier. La succession rapide de crises dans un contexte d’augmentation des liquidités a conduit à la résurgence de l’inflation. Après quelques hésitations, les banques centrales ont réagi en augmentant leurs taux directeurs et en mettant un terme aux opérations de rachats d’obligations. Elles souhaitent ainsi peser sur la demande interne et casser les anticipations inflationnistes. Afin que la désinflation s’installe réellement, plusieurs conditions demeurent, par ailleurs, nécessaires :
- la baisse des prix de l’énergie et de l’alimentation
- la baisse du taux de croissance du coût salarial unitaire ;
- la baisse des taux de marge bénéficiaire des entreprises.
Depuis le point haut de la vague inflationniste atteint au deuxième semestre 2022, les indices des prix ont été divisé par deux. Ils sont passés, aux États-Unis, de 9,2 % en juin 2022 à 3,7 % en septembre 2023. Pour la zone euro, l’indice des prix a connu un pic en septembre 2022 à 10,9 %. Un an plus tard, il s’élevait à 4,3 %.
Les prix de l’énergie et de l’alimentation en baisse depuis le début de l’année 2023
Cette décrue de l’inflation résulte d’un effet de base sur fond de modération des prix de l’énergie et de l’alimentation. Les prix de l’énergie après avoir enregistré des hausses de plus de 40 % en rythme annuel au début de l’année 2022 ont baissé au début de l’année 2023. Depuis l’été, des augmentations sont constatées mais elles ne sont en rien comparables à celles de l’année dernière. Pour l’alimentation, la zone euro a été confrontée à une forte hausse au cours du deuxième semestre, +16 % en rythme annuel. Celle-ci a été moins forte aux États-Unis, +12 %. La décrue est plus rapide chez ces derniers. Les prix de l’alimentation sont toujours en hausse de 8 % en rythme annuel en zone euro au mois de septembre 2023 contre une hausse de moins de 4 % aux États-Unis.
Des salaires plus dynamiques désormais en zone euro qu’aux États-Unis
La maîtrise des salaires est une condition sine qua non pour éviter l’enclenchement d’une spirale inflationniste. Aux États-Unis, les rémunérations ont augmenté rapidement après le début de la hausse des prix. Le coût salarial a progressé au milieu de l’année 2022 de plus de 6 % en base annuelle. Cette hausse s’est rapidement atténuée. En septembre 2023, elle n’était plus que de 4,2 %. Pour la zone euro, l’augmentation des salaires qui est intervenue en 2023 demeure vive en cette fin d’année, +6 % en septembre en rythme annuel.
Un taux de marge en baisse aux États-Unis
Face à l’augmentation de leurs coûts, les entreprises ont trois possibilités qu’elles peuvent combiner :
- Augmenter leurs prix de vente ;
- Augmenter leurs gains de productivité ;
- Réduire leurs marges.
Aux États-Unis comme en zone euro, les entreprises ont, en 2022, augmenté leurs prix de vente alimentant ainsi l’inflation. À partir de la fin de l’année 2022, les entreprises américaines ont réduit leurs marges jugeant de plus en plus difficile de relever leurs tarifs. Leurs homologues de la zone euro n’ont pas, pour le moment, réduit leurs marges qui ont même tendance à augmenter. La baisse de la productivité en zone euro est un facteur d’inflation.
La crédibilité des banques centrales en question
La lutte contre l’inflation est une question de confiance dans l’avenir. Si les acteurs économiques jugent que l’inflation reviendra dans sa zone cible des 2 % assez rapidement, ils seront moins prompts à relever par précaution leurs prix. Les investisseurs demanderont des taux d’intérêt moins élevés ce qui contribue également à réduire les coûts pour les emprunteurs. Cette confiance repose en partie sur la crédibilité accordée aux banques centrales. Cette dernière est mesurée en étudiant notamment les swaps d’inflation à 5 ans et à 5 ans dans 5 ans. Aux États-Unis, ces swaps sont orientés à la baisse, à l’inverse de la zone euro. La crédibilité de la BCE semble ainsi se détériorer, l’inflation anticipée à long terme augmentant. Toute chose étant égale par ailleurs, la désinflation apparaît plus robuste aux États-Unis qu’en zone euro grâce à une meilleure maîtrise des coûts salariaux et une plus grande crédibilité de la banque centrale. L’Europe est également confrontée à un problème de productivité. Elle est plus exposée que les États-Unis à la hausse des prix de l’énergie, étant importatrice nette à la différence des premiers.