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L’inévitable correction des marchés financiers
À la fin de l’année 2023, les investisseurs ont anticipé une baisse rapide des taux directeurs ce qui a conduit par ricochet une forte hausse des actions. Au vu des résultats de l’inflations et des déclarations des différents responsables des banques centrales, un ajustement sur les marchés semble incontournable.
La rapide décrue de l’inflation durant l’automne, aux États-Unis comme dans la zone euro, a laissé croire que les banques centrales allaient s’engager rapidement dans un processus de baisse de leurs taux directeurs. Les acteurs des marchés financiers espèrent ainsi que la Réserve fédérale américaine diminue à six reprises ses taux en 2024 et certains imaginent même une baisses avant la fin du mois de mars. L’inflation est en effet passée de plus de 10 % à moins de 3,5 % de l’automne 2022 à l’automne 2023 en zone euro et de 9 % à moins de 3 % sur la même période aux États-Unis.
Ces espoirs ont provoqué une forte baisse des taux d’intérêt à long terme et une progression forte des indices boursiers. Les taux d’intérêt des emprunts d’État à 10 ans sont ainsi passés, d’octobre 2023 à décembre 2023,de près de 5 à moins de 4 % aux États-Unis et de 3,4 à 2,8 % pour la zone euro. Ce recul des taux de long terme a été occasionné par la diminution anticipée des taux directeurs. Ces derniers ont perdu 0,5 point pour les échéances fin 2024 et un point pour les échéances fin 2025.
Mécaniquement, la baisse des taux d’intérêt à long terme a provoqué une forte progression des indices boursiers. Le moindre rendement des produits de taux a entraîné un report sur le marché « actions ». Par ailleurs, une baisse des taux est synonyme d’une amélioration de la conjoncture ce dont devraient profiter les entreprises. Le indices Euro Stoxx ou S&P 500 ont gagné 10 % d’octobre à décembre 2023.
Depuis le début de mois de janvier, les responsables des banques centrales tendent à tempérer l’optimisme des investisseurs. Ils craignent que l’inflation ne revienne pas aussi rapidement qu’escompté dans sa zone cible des 2 %. Elle demeure plus élevée dans la zone euro que ce qui est consensuellement anticipé, une fois disparus les effets de base liés à la baisse des prix des matières premières à la fin de 2023. Le maintien de fortes hausses des salaires et la stagnation de la productivité conduisent à une inflation sous-jacente importante. Cette dernière se situe autour de 4 % en zone euro tout comme aux États-Unis. Les marchés de l’énergie et des matières premières restent sujets à d’importantes variations en lien avec les multiples tensions géopolitiques en cours.
Les anticipations d’inflation devront être corrigées à la hausse, ce qui entraînera une remontée de celles des taux d’intérêt à court terme. Ce processus a déjà commencé depuis le début de janvier. Le taux d’intérêt de l’obligation d’État américain à 10 ans est, au cours du mois de janvier, repassé au-dessus des 4 %. Les taux des obligations d’État françaises et allemandes à 10 ans ont, entre le 29 décembre 2023 et le 20 janvier 2024, augmenté de 0,3 point. Pour certains experts économiques dont Patrick Artus de Natixis, les taux à 10 ans pourraient dans les prochaines semaines atteindre 2,7 % en Allemagne, 3,3 % dans la zone euro et 4,5 % aux États-Unis. Le cours des actions devrait s’inscrire en baisse. Au cours des trois premières semaines de janvier, les indices « actions » ont plutôt bien résisté, cédant moins de 2 % en Europe et restant en hausse aux États-Unis. La résistance des actions s’explique par les espoirs de bons résultats des entreprises et par l’engouement que génère toujours l’intelligence artificielle.
L’inflation peut-elle réellement baisser en zone euro en 2024 ?
La Banque centrale européenne (BCE) prévoit un taux d’inflation dans la zone euro de 2,7 % en 2024 et de 2,1 % en 2025 contre plus de 5 % en 2023. Si la baisse de l’inflation constatée au cours du dernier trimestre 2023 peut donner raison à la BCE, plusieurs facteurs pourraient contrarier cette prévision.
La prévision de la BCE de décembre 2023 repose sur un certain nombre d’hypothèses qui pourraient être contredites par les faits. La banque centrale a fait le pari d’un maintien d’un faible taux de chômage autour de 6,6 % de la population active, contre 6,5 % en 2023. La faible augmentation du taux de chômage malgré le ralentissement sensible de la croissance (0,8 % attendu en 2024 pour la zone euro) s’explique par la contraction de la population active, -0,5 % en 2024. Les tensions sur le marché du travail devraient conduire à la persistance de la hausse des salaires (4,6 % en 2024, contre 5,3 % en 2023). Ces augmentations salariales ne pourront être guère compensées par des gains de productivité. La BCE les évalue pour 2024 à +0,4 % contre -0,8 % en 2023. Cette légère progression des gains de productivité est jugée par certains optimiste. Le vieillissement de la population pèse sur la productivité quand la faiblesse des investissements ces dernières années ne permet pas d’entrevoir une hausse rapide de celle-ci dans les prochains mois. Si les gains de productivité étaient au rendez-vous, les coûts salariaux unitaires seraient, malgré tout, en hausse de 4,1 % en 2024 après +6,1 % en 2023.
Pour faire revenir l’inflation autour de 2 %, la BCE parie sur une baisse sensible des taux de marges des entreprises, de l’ordre de deux points. Or, les entreprises, depuis l’épidémie de covid, préservent leurs résultats. Seule une récession marquée pourrait, à l’heure actuelle, entraîner une baisse des taux de marge.
La BCE est dans son rôle de fixer un objectif de retour de l’inflation autour de 2 % mais en l’état actuel, il parait difficile à atteindre. L’évolution des salaires et de la productivité jouent à l’encontre de la baisse de l’inflation. Par ailleurs, la transition énergétique et le vieillissement de la population sont des facteurs qui conduisent structurellement à une hausse des prix. Le développement des énergies renouvelables suppose la réalisation de nouvelles infrastructures. En l’état actuel des techniques, le solaire comme l’éolien ont une efficience moindre que les énergies carbonées. Pour faire face à l’absence éventuelle de soleil et de vent, il est nécessaire de disposer de moyens de stockage de l’énergie ou de centrales thermiques classiques. Le vieillissement de la population contribue à la baisse de la population active et à la diminution de la productivité. Par ailleurs, les retraités sont de consommateurs importants de services, or ces derniers générateurs de faibles gains de productivité. L’inflation sous-jacente (hors aliments non transformés et hors énergie) pourrait rester plus élevé que prévu. Elle pourrait se situer entre 3,4 et 3,8 %. Si ce scénario se concrétise, la BCE pourrait être dans l’obligation de maintenir plus longtemps que prévu ses taux directeurs à des niveaux élevés.
Est-il possible d’orienter l’épargne en faveur de la transition écologique ?
La transition écologique à réaliser d’ici le milieu du siècle exige la réalisation d’investissement importants. Selon le rapport sur « Les incidences économiques de l’action pour le climat » de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, le coût pour la France de cette transition serait de 66 milliards d’euros par an jusqu’en 2030. La Cour des comptes européenne estime, sur la base des travaux du HLEG (High Level European Group), à 11 200 milliards d’euros le coût de la transition énergétique à l’échelle de l’Europe entre 2021 et 2030, soit 1 120 milliards d’euros par an. Les pouvoirs publics mettent en avant l’idée d’une orientation de l’épargne vers les investissements verts. Une telle orientation signifie que d’autres domaines comme la santé, la dépendance, la retraite, l’éducation, la défense, etc. auront moins d’épargne.
L’épargne des ménages et des entreprises est aujourd’hui employée à financer les déficits publics, l’investissement sous forme de crédits, les entreprises par augmentation des fonds propres. L’épargne n’est pas inactive sauf pour celle conservée en numéraire mais cela reste marginal.
Des besoins de financement au-delà de la transition écologique
Les déficits publics absorbent, en France, une part importante de l’épargne. Ces derniers restent élevés, près de 5 % en 2023. Les besoins de financement pourraient encore augmenter dans les prochaines années. Les États européens sont conduits, en effet, à accroître leur effort de défense après l’invasion de l’Ukraine par la Russie et d’éducation pour endiguer la baisse du niveau des élèves. Par ailleurs, les dépenses de santé et de retraite sont orientées en hausse avec le vieillissement de la population.
Des arbitrages difficiles
Une réorientation de l’épargne vers la transition écologique supposerait une baisse sensible des dépenses d’investissement en logement des ménages. Ces dernières ont représenté 6 % du PIB de la zone euro en 2023. Elles sont en baisse depuis 2022 mais la demande insatisfaite de logements demeure élevée. La filière immobilière estime être confrontée à une crise sévère et souhaite la mise en place de mesures de soutien. Certes, la construction peut contribuer à la transition énergétique avec la construction de bâtiments à faible empreinte carbone ou la rénovation thermique d’anciens.
La réorientation de l’épargne vers la transition écologique pourrait également nuire aux entreprises qui ont besoin de capitaux pour se moderniser et se développer. Elles doivent ainsi rattraper leur retard dans le domaine de l’intelligence artificielle ou de la robotisation. Le taux d’investissement en zone euro des entreprises s’élevait à 12,7 % du PIB en 2023. Son augmentation est souhaitée pour maintenir la compétitivité des entreprises européennes vis-à-vis de celles des États-Unis ou de Chine.
Les autres voies possibles : de l’augmentation de l’épargne à la création monétaire
La transition énergétique au sein de la zone euro devrait mobiliser 2,5 % du PIB dans les dix prochaines années. Une réorientation de l’épargne suppose donc des arbitrages qui pénaliseront certains secteurs. La solution serait de jouer sur une plus grande efficience de l’épargne ou sur l’augmentation de cette dernière. L’efficience consiste à utiliser moins ou autant de capitaux pour financer des investissements plus performants. Cette amélioration de la performance des investissements suppose des innovations qui exigent du temps. L’augmentation de l’épargne, de son côté, ne se décrète pas. Les agents économiques européens ont déjà un taux d’épargne élevé ce qui réduit les marges de manœuvre en la matière. Le taux d’épargne global au sein de la zone euro est de 24,3 % du PIB en 2023. Il près de deux points plus élevé qu’en 2018. Par ailleurs, une progression du taux d’épargne signifie une baisse de la consommation ce qui nuirait à la croissance. Le seul degré de liberté en matière d’épargne au niveau de la zone euro serait l’utilisation des excédents extérieurs qui s’élèvent à 2,6 % du PIB soit presque le montant de la transition énergétique. Ils sont avant tout le résultat de la balance des paiements courants allemande et néerlandaise. Cet excédent est actuellement investi en grande partie en-dehors de la zone euro, aux États-Unis ou en Chine. Le financement de la transition écologique par ce dernier suppose un changement de comportement des épargnants allemands et néerlandais. Ils devront y trouver intérêts en termes de rendement ou d’éthique.
Le Président Emmanuel Macron en appelle, de son côté, pour financer la transition écologique, à l’Union européenne qui pourrait émettre directement des emprunts sur le modèle de ce qui a été réalisé après l’épidémie de covid. Ces emprunts seraient souscrits facilement en raison de la qualité de la signature de l’Union européenne. Ils éviteraient d’accroître la dette publique des États membres et pourraient recycler les excédents des balances des paiements courants. Ils supposent que les États membres, en particulier ceux de l’Europe du Nord acceptent ce mode de financement de nature fédérale. Plus audacieux, encore, serait un financement purement monétaire de la transition énergétique. Certains estiment que la Banque centrale européenne pourrait émettre de la monnaie digitale exclusivement dédiée à cette transition en ayant recours aux techniques de traçabilité que permet la blockchain. Le recours à la création monétaire pose le problème de l’inflation, le système économique pouvant se trouver dans l’incapacité de répondre à la demande.
La réorientation de l’épargne en faveur de la transition écologique n’est en rien évidente. Elle suppose des arbitrages aux répercussions non négligeables sur d’autres secteurs d’activités et des modifications de comportements de la part des épargnants.
Pétrole, la guerre des prix
Les pays de l’OPEP ainsi que la Russie mettent en œuvre, depuis 2016, une politique de régulation de l’offre de pétrole afin de maintenir un prix élevé. Cette politique se fonde sur une élasticité prix faible et sur la volonté des pays producteurs de préparer l’après pétrole. Cette politique a comme limite la capacité des pays non-membres de l’OPEP dont les États-Unis à augmenter leur production.
Les pays signataires de l’accord OPEP + (pays membres de l’OPEP ainsi que la Russie, le Mexique, le Kazakhstan, Oman, l’Azerbaïdjan, la Malaisie, le Bahreïn, le Brunéi, le Soudan, et le Soudan du Sud) ont décidé de réduire leur production de 6 millions de barils jour afin de soutenir les prix du baril. Cette politique a été mis en œuvre en 2016 en raison de l’effondrement des cours avec l’arrivée du pétrole de schiste d’Amérique du Nord. Si en 2017, la production de pétrole des seuls pays de l’OPEP avoisinait 40 millions de barils/jour, elle n’est plus que de 36 millions de barils jours en janvier 2024. L’effort de régulation pèse essentiellement sur l’Arabie saoudite qui a limité sa production de deux millions de barils/jour sur la période. Le prix du baril (Brent) qui était tombé à 27 dollars en 2016 tourne autour de 80 dollars depuis un an. La consommation de pétrole est, à court terme, faiblement influencée par le prix de ce dernier. La réduction de la production accroît ainsi les revenus des pays producteurs. La consommation de pétrole s’est élevée à 125 millions de barils/jour en 2023. Hors période covid, elle est relativement stable depuis 2019. Elle s’élevait à 87 millions de barils/jour en 2010.
La hausse des cours du pétrole a comme effet de rentabiliser de nombreux gisements américains amenant une forte hausse de la production américaine. Fin 2023, elle dépassait 13 millions de barils/jour contre 9 millions de barils/jour en 2017. Cette augmentation de la production pétrolière américaine pèse en permanence sur les cours et permet l’ajustement entre l’offre et la demande. Elle a permis aux États-Unis de redevenir les premiers producteurs mondiaux de pétrole et les premiers exportateurs.
La politique de l’OPEP est de plus en plus contestée en interne car elle est de moins en moins efficace. Elle n’arrive pas à maitriser les prix du fait que les États membres ne contrôlent désormais que 35 % de la production mondiale de pétrole et les États-Unis 19 %. En 1970, les pays de l’OPEP assuraient à eux seuls 55 % de la production mondiale de pétrole. Les pays de l’OPEP souhaitent un prix du baril proche de 90 dollars, or celui-ci peine à dépasser 80 dollars malgré une nouvelle réduction de production décidée en décembre. Les recettes de l’OPEP issues du pétrole ont atteint 1 600 milliards de dollars de pétrole en 2022 grâce à l’augmentation des cours provoquée par le déclenchement de la guerre en Ukraine. En 2023, elles ont baissé à 1 200 milliards de dollars. Les pays africains producteurs de pétrole comme le Nigeria et l’Angola estiment que la régulation de l’offre leur nuit. Les divisions croissantes au sein de l’OPEP aboutissent à un non-respect des quotas. Face à cette situation, l’Arabie saoudite qui jusqu’à maintenant consent l’effort le plus important, menace de mettre en grande quantité du pétrole sur le marché. Une chute brutale des prix menacerait les pays le plus pauvres qui sont souvent ceux qui contestent la politique de l’Arabie saoudite.
Dans les prochaines années, les pays de l’OPEP pourraient reprendre la main sur le marché. Ils ont l’avantage de détenir plus de 70 % des réserves de pétrole brut. À terme, ils devraient contrôler 50 % des parts de marchés. Le sous-investissement dans le pétrole des entreprises occidentales, au nom des impératifs environnementaux, devraient peser sur la production hors OPEP. De nombreux gisements devraient se tarir dans les prochaines années, en particulier en Russie et aux États-Unis. Sans une nouvelle révolution technique comme celle du début des années 2010 avec le pétrole de schiste, des tensions pourraient apparaître sur le marché surtout en cas d’accélération de la croissance de l’économie mondiale.